Revue
L'actualité vue par...Olivier Veber, directeur général des services du département de la Seine-Saint-Denis
Olivier Veber est l’actuel directeur général des services du département de la Seine-Saint-Denis. De ses débuts en tant que professeur d’histoire et géographie à son poste actuel, il a toujours été lié au territoire du 93. Son autre fil rouge ? Le social. Directeur de cabinet de Ségolène Neuville lors de son passage en tant que secrétaire d’État en charge du Handicap et de la Lutte contre l’exclusion, il a auparavant été diplômé de l’ENA avant de devenir inspecteur général des affaires.
1 – L’ATTRACTIVITÉ DE LA FONCTION PUBLIQUE
Nous avons bien remarqué qu’actuellement la France traverse une crise nationale dans les recrutements d’agents pour la fonction publique. C’est particulièrement vrai pour les métiers de l’Éducation nationale mais aussi ceux du social. Les écoles permettant de devenir travailleur social sont aujourd’hui vides ! Il y a aussi un problème d’attractivité dans le domaine des travaux publics. Je pense que sur ce dernier point il y a notamment un problème lié au salaire et à la concurrence avec le privé. La fonction publique doit revoir ses grilles salariales, car on ne peut pas espérer recruter des ingénieurs avec des salaires aussi bas. Dans le même temps, on ne pourra pas non plus rivaliser face au salaire des ingénieurs dans le privé.
Je pense que les collectivités doivent davantage travailler sur le sens de l’activité. Travailler en Seine-Saint-Denis en tant qu’ingénieur repose sur des actions bien différentes de celles demandées dans le secteur privé. C’est pour cela que nous avons réalisé une campagne de communication dans le métro avec inscrit « Venez bifurquer en Seine-Saint-Denis pour un territoire plus juste et plus durable ». Nous cherchons à nous adresser à cette jeunesse en quête de sens. Il est possible de trouver du sens à ses actions au sein de la vie publique. Le département de la Seine-Saint-Denis est très engagé sur les questions sociales et de développement durable. Mais il faut aller plus loin. C’est ainsi que nous avons créé, il y a maintenant deux ans, un dispositif qui s’appelle « Agents solidaires ». Il permet aux agents, sur leur temps de travail et avec maintien de salaire, de réaliser jusqu’à deux jours par mois des missions auprès d’associations du territoire. Il faut offrir la possibilité aux agents de s’engager. Je crois aussi qu’en tant qu’employeur, nous devrions pouvoir offrir aux agents la possibilité d’entrecouper leur carrière de pauses pour se former ou découvrir de nouveaux horizons. C’est en étant stimulé intellectuellement qu’un agent souhaitera rester, car il se sentira considéré.
La fonction publique doit revoir ses grilles salariales, car on ne peut pas espérer recruter des ingénieurs avec des salaires aussi bas. Dans le même temps, on ne pourra pas non plus rivaliser face au salaire des ingénieurs dans le privé.
Pour la crise des travailleurs sociaux, je pense qu’il peut y avoir une influence de la société moderne, portée peu à peu par un individualisme global. Les personnes ont de moins en moins pour vocation d’aider les autres. Ensuite, on sait que ce sont des métiers qui ont été longtemps méprisés, extrêmement mal payés. Il est alors difficile de motiver les jeunes à s’engager. Alors, pour nous, il était essentiel de revaloriser fortement ces métiers, tout d’abord financièrement. Ensuite en questionnant la bonne qualité de vie au travail. Nous avons donc travaillé autour de l’équipement. Les individus doivent se sentir considérés par les élus et la direction générale. On ne peut pas omettre le fait que ce soit des métiers difficiles, ce qui va complexifier le processus de fidélisation. De plus, avec cette carence de personnel, les agents s’y trouvant travaillent deux fois plus ou dans l’urgence sans avoir une qualité de vie au travail suffisante.
Les employeurs des administrations ont une image ambiguë auprès des jeunes : à la fois, à mon sens, bienveillants mais également poussiéreux. Mais nous avons évolué avec notre temps. Nous avons aussi développé le télétravail. Nous construisons des lieux de travail modernisés avec des bureaux collectifs, des salles de visio ou des salles de repos. Nous devons faire comprendre que l’on est capable d’être des employeurs innovants. En nous adaptant un petit peu, nous avons observé un rebond des recrutements. Il y a plus de candidats sur le champ technique comme sur le champ social. Et j’en profite pour faire passer le mot : nous avons encore de nombreux postes disponibles !
2 – 2023, UNE ANNÉE D’ACCÉLÉRATION DE LA REFONTE DES POLITIQUES D’INSERTION DES BÉNÉFICIAIRES DU RSA
Dans un premier temps, nous avons renationalisé le revenu de solidarité active (RSA). La Seine-Saint-Denis était le premier département métropolitain à le faire, et d’autres départements s’en inspirent désormais. Dans le cadre de cette recentralisation du financement du RSA, nous nous étions engagés auprès de l’État à doubler notre budget pour l’insertion en deux ans. Il était de 23 millions d’euros en 2021. Nous sommes passés à 33 millions en 2022, puis 46 millions d’euros en 2023. Nous sommes donc en pleine phase d’accélération ! Nous avons notamment dû avoir une forte augmentation de nos effectifs. Il a fallu revoir la totalité de notre politique d’insertion, car il ne s’agissait pas simplement d’augmenter le budget. Tout a été repensé.
Refaire un trottoir ou une façade, c’est transformer l’espace public. Il est important d’y réfléchir de manière globale. Les compétences des départements s’exercent sur l’espace public.
Je crois que le retour à l’emploi passe par le fait de permettre aux individus de se former avec notamment de la pratique. Nous avons décidé d’expérimenter en travaillant beaucoup plus avec les structures de l’économie sociale et solidaire. Elles sont spécialisées dans ces questions d’insertion. Naturellement, elles savent gérer, d’un côté, les objectifs économiques et, de l’autre, les objectifs sociaux. Pour résumer, notre volonté est d’accompagner les bénéficiaires du RSA socialement et professionnellement, grâce à des expériences d’emplois, de tests d’emplois afin de pouvoir retrouver un emploi durable. Nous avons lancé une expérimentation en créant les agences locales d’insertion (ALI). Ce sont des consortiums locaux à l’échelle de deux communes, visant à la réalisation d’une alliance entre les acteurs publics locaux, les acteurs de l’insertion par l’activité économique et les associations. Nous souhaitons un accompagnement renforcé et global d’une durée d’un à deux ans. Tous les problèmes doivent être traités en même temps et surtout pas de manière séquencée. Nous allons créer seize premières ALI en 2023.
Il faut créer un « éco-système » d’accompagnement pertinent pour les bénéficiaires du RSA. Si l’on regarde la majorité des situations, en France, il faut être un expert de l’administration pour s’en sortir ! Il faut que tous les acteurs de l’insertion s’organisent en amont afin de maximiser l’accompagnement et de lui donner du sens. Combien de fois est-il arrivé que l’on propose un poste à une mère isolée, mais sans vérifier ses éventuels problèmes de garde… Elle est alors obligée de renoncer à cet emploi. Nos agences, c’est l’idée que les tâches de coordination ne reposent pas sur la personne mais sur la structure d’insertion. Nous croyons, par rapport à d’autres expérimentations, que c’est uniquement quand le travail d’accompagnement des bénéficiaires du RSA est sérieux que l’on peut débattre des devoirs des bénéficiaires.
3 – REPENSER L’ESPACE PUBLIC A L’ÈRE DES TRANSITIONS
Aujourd’hui, le département de la Seine-Saint-Denis a une identité négative concernant la qualité de ses espaces publics. Pourtant, les départements ont des leviers pour agir. Cela peut être autour de projets liés à la végétalisation ou de l’accueil des populations autour de politiques sociales, mais aussi dans le domaine du sport ou de la culture. Je pense qu’il était important de proposer une nouvelle politique des espaces publics qui soit plus adaptée à chaque citoyen. L’idée est de bouleverser les normes institutionnelles habituelles. Nous devons briser le mur entre les citoyens du département.
La Seine-Saint-Denis doit être davantage résiliente face aux crises climatiques. Notre territoire, très urbain, est extrêmement sensible aux enjeux du réchauffement climatique. Nous devons être un territoire de vie. Pas seulement un lieu que l’on quitte une fois que l’on a « réussi ». Il est important de concevoir des espaces publics attractifs avec l’espoir de retenir la population et d’en attirer une nouvelle. Je crois à la mixité sociale. Toutes les classes sociales doivent trouver qu’il y fait bon vivre. C’est notre difficulté aujourd’hui. L’état de l’école publique pose par exemple question. Si tous les parents des classes supérieures n’ont qu’un but, échapper à l’école publique, nous ne nous développerons pas correctement. L’école publique doit être au rendez-vous de la transformation de nos territoires. Pour l’instant, elle ne l’est pas complètement.
Nous avons lancé une expérimentation en créant les agences locales d’insertion pour travailler notamment avec les structures de l’économie sociale et solidaire.
Nous n’avons pas de compétence d’aménagement. Mais nous gérons la voirie départementale. Ce sont presque 400 kilomètres en Seine-Saint-Denis, mais une étude du CNRS a montré que 75 % des bâtiments publics sont sur cette voirie. C’est aussi 80 % pour les commerces et 75 % des lieux culturels. Nous avons donc en charge des voies structurantes de Seine-Saint-Denis. En tant que gestionnaire de la voirie, oui, nous avons une capacité d’agir sur l’espace public. Quand on refait un trottoir d’une façade à un autre, on transforme l’espace public. C’est pour cela que c’est important d’y réfléchir de manière globale. Un département est aussi là pour impulser une dynamique avec les autres acteurs. C’est pour cela que nous travaillons avec une dimension multi-partenariale. Nous avons défini et partagé nos ambitions pour l’espace public pour avoir l’avis des différentes communes. Il n’y a pas de relation hiérarchique entre les différentes strates de collectivités. Il faut créer de la cohérence avec tous les acteurs concernés !
4 – LES JEUX OLYMPIQUES ET PARALYMPIQUES ANNÉE-1
Nous sommes le territoire d’accueil des Jeux olympiques et paralympiques avec Paris. C’est Paris 2024, nous avons le Stade de France, le centre aquatique olympique, de nombreux sites de compétition et un très grand nombre de centres d’entraînement basés en Seine-Saint-Denis, mais aussi et surtout 80 % des nouvelles infrastructures que les jeux laisseront en héritage, à commencer par le village des athlètes et le village des médias. Nous sommes depuis 2017 très impliqués dans la préparation des jeux. Cela explique pourquoi l’année 2023 est décisive. Nous avons dans notre viseur l’année 2024. Les ouvrages olympiques vont commencer à être livrés. Nous sommes, par exemple, en train d’achever la passerelle qui, sur la Seine, permettra de relier les deux rives du village des athlètes. Nous construisons aussi, à Bobigny, le seul bâtiment qui restera en héritage pour les Jeux paralympiques : le Prisme, le pôle de référence inclusif et sportif métropolitain. L’année 2023 est l’année de livraison de tous ces équipements. Nous refaisons également énormément de voiries.
Nous nous sommes fixés pour ambition de mobiliser l’ensemble du territoire autour de la dynamique olympique. Les JOP doivent être un accélérateur des mutations de la Seine-Saint-Denis. Nous devons les accompagner, les potentialiser pour que l’ensemble du territoire soit concerné. Des dispositifs ont été lancés comme celui des clauses sociales dans les chantiers olympiques. Ces derniers ont déjà profité à notre population et à nos entreprises. Il y a également eu un plan de mobilisation des collèges. Nous recrutons des volontaires pour l’organisation des jeux. De notre point de vue, cette année est déterminante pour la réussite des jeux. Si nous livrons les ouvrages, que notre population se mobilise et si les retombées d’images ou de mobilisation se font, l’année 2023 nous mettra sur les meilleurs rails avant la tenue des jeux !
Enfin, nous devons permettre à la population d’être impliquée dans la fête. Les Jeux olympiques et paralympiques en Seine-Saint-Denis, cela ne doit pas être simplement les épreuves au Stade de France avec des spectateurs qui prennent le RER depuis le centre de Paris puis qui repartent. Pour nous, ce serait un échec. Nous travaillons à mobiliser la population. Nous allons également acheter plusieurs dizaines de milliers de billets à distribuer à notre population, et en particulier les jeunes et les personnes les plus fragiles.
Les Jeux olympiques et paralympiques sont un évènement planétaire qui débarque sur un territoire. Nous devons être prêts à accueillir le monde qui viendra dans notre département. Ce ne sont pas des phrases en l’air. Il va falloir accueillir des délégations issues de tous les pays. Des touristes aussi. On se prépare à une déferlante que l’on ne connaît pas bien à ce niveau d’intensité. C’est très stimulant. On parle régulièrement des « retombées » des jeux. Les habitants doivent profiter de ces jeux. Et les jeux doivent s’appuyer sur nos habitants. Cela doit nous permettre de travailler autour de la fierté en Seine-Saint-Denis.
5 – COMMENT INVESTIR ET GÉRER LES CRISES ?
Cela peut paraître surprenant mais le département de la Seine-Saint-Denis va bien. Notamment grâce à la recentralisation du financement du RSA. En 2022, nos droits de mutation à titre onéreux (DMTO) ont baissé de 4 % par rapport à 2021. Mais, depuis 2018, notre endettement est stable. Nous avons des moyens d’investir sans commune mesure avec le passé. Nous avons aussi réussi à absorber la crise liée à l’inflation dans notre budget 2023. Nous avons souhaité ne pas diminuer nos dépenses d’intervention, notamment dans le social. Notre budget de fonctionnement prend acte de l’inflation. Il augmente de 100 millions d’euros cette année. Il n’oblige donc pas nos directions à absorber le coût de l’inflation dans leur périmètre.
Néanmoins, il faut rester en alerte sur les budgets. Nos DMTO chutent. Nous ne sommes absolument plus maîtres de nos ressources. Si le Gouvernement décidait de moins nous reverser de TVA, nous serions immédiatement en très grande difficulté financière. C’est une fragilité et une incertitude. Après le confinement, les aides sociales croissent énormément. Nous avons aussi des dépenses pour le handicap et les personnes âgées qui sont en explosion. Dans le contexte actuel de crise globale, les compétences des départements font que la pression sur les dépenses sociales est extrêmement importante. Je ne jurerais pas que notre bonne santé financière perdurera s’il n’y a pas une réflexion nationale pour établir un équilibre sur ce sujet. A minima entre les départements et l’État.
Avant la recentralisation du financement du RSA, notre grand malheur était, plus encore que pour les autres départements, de devoir chaque année payer le reste à charge que l’État ne prenait plus comme il le devait, et qui était toujours plus important. Cela représentait 220 millions d’euros à payer de notre poche pour l’année 2021. Les directions passaient leur temps à trouver où il fallait supprimer des dépenses plutôt que de se dire : « Et si j’essayais quelque chose de nouveau ? » Désormais, nous pouvons expérimenter. Tenter des choses. Nous nous apercevons que plus nous sommes riches, plus nous avons les moyens de répondre à des appels à projets. Et plus nous pouvons le faire, plus nous recevons de recettes. Les appels à projets supposent un co-financement local. Par définition, quand on n’a pas d’argent à mettre, les appels à projets vous échappent. Les appels à projets sont l’alpha et l’omega de l’intervention de l’État. Ils favorisent les plus riches et défavorisent ceux en difficulté.
Les habitants doivent profiter de ces Jeux olympiques et paralympiques (JOP) qui doivent s’appuyer sur nos habitants. Les JOP doivent être un accélérateur des mutations de la Seine-Saint-Denis. De notre point de vue, l’année 2023 est déterminante pour la réussite des jeux.
6 – LA CRÉATION D’UN « BUDGET VERT »
Une autre innovation sur laquelle nous nous engageons en 2023 en matière de budget concerne la création d’un « budget vert ». Nous avons évalué nos différentes lignes de budget au regard de leur impact sur les émissions de carbone. C’est très important, car quand vous avez les marges budgétaires pour réaliser des arbitrages, vous pouvez ne pas systématiquement choisir le moins cher. Aujourd’hui, nous avons la capacité de faire passer en premier l’adaptation au changement climatique et la résilience. Nous orientons nos politiques publiques dans ce sens. Un budget sain permet d’expérimenter et d’accompagner des changements majeurs.