Patrick Bernasconi : «Le Cese doit s'impliquer en amont de la fabrique de la loi»

Patrick Bernasconi
Le 22 novembre 2019

Présent au Congrès des Maires 2019 le 19 novembre dernier lors du discours d'ouverture d'Emmanuel Macron, Patrick Bernasconi, le président du Conseil économique, social et environnemental (Cese), s'est confié à Horizons publics sur de nombreux sujets d'actualité. Évolution des missions et du rôle du Cese un an après le mouvement des Gilets jaunes, Convention citoyenne sur le climat, engagements dans une meilleure prise en compte de la participation citoyenne, priorités de son institution pour 2020 ou encore projet de création d'un laboratoire d'innovation en interne...

Patrick Bernasconi

Patrick Bernasconi s’est investi dans les organisations professionnelles des travaux publics, gravissant un à un les échelons, de l’engagement local à l’engagement national à la Fédération nationale des travaux publics (FNTP) qu’il a présidée 2005 à 2013. Depuis janvier 2014, il préside SMAvie BTP, mutuelle d’assurances sur la vie, et diverses sociétés du Groupe SMA (SMA SA, Império, Sagévie, etc.).

Patrick Bernasconi a été également membre du bureau exécutif du MEDEF de 2010 à 2013. Il conduit, en tant que chef de file de la délégation patronale, la négociation sur la sécurisation de l’emploi. De 2013 à 2015, il est vice-président délégué en charge des mandats, des branches et des territoires.

Membre du CESE depuis 2010, Patrick Bernasconi est nommé en 2014 vice-président de cette assemblée consultative. Il se porte alors candidat à la présidence du Conseil et est élu au premier tour le 1er décembre 2015 pour un mandat de cinq ans.

Quelles sont aujourd’hui les missions de votre institution installée depuis 1959 dans le Palais d’Iéna ?

Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) fête les 80 ans du Palais d’Iéna en 2019. Créée en 1946, notre institution est installée depuis soixante ans dans ce bâtiment monumental. Aujourd’hui, le CESE est une assemblée largement ouverte sur la société civile dont la mission principale est de prendre en compte les préoccupations de nos concitoyens et d’éclairer les pouvoirs publics.

Nous venons, par exemple, de recevoir ce matin1 dix-huit agriculteurs venant de toute la France pour les écouter. Nous travaillons sur ce sujet depuis le mois de mai 2019 avec un avis qui traite du sujet : « Entre transmettre et s’installer, l’avenir de l’agriculture. » Nous les avons donc auditionnés dans le cadre de ce prochain avis du CESE. Le rôle de notre Conseil est d’éclairer les décideurs politiques, de les alerter sur les problématiques du quotidien. Des propositions leur sont transmises, elles sont issues du travail, du dialogue entre les conseillers représentants les différentes composantes de la société civile organisée.

Nous sommes force de proposition sur de nombreux dossiers, des fractures territoriales ou générationnelles à l’évolution des métiers de la fonction publique, ou encore bientôt sur les raisons de la panne de l’ascenseur social. De grands textes comme celui sur les travailleurs détachés ou encore l’évolution de la fonction publique ont été inspirés par les travaux du CESE.

Par ailleurs, aujourd’hui nous organisons, pilotons et animons la convention citoyenne pour le climat qui a démarré en octobre 2019.

Je me réfère souvent au discours prononcé par le président de la République, Emmanuel Macron, en juillet 2017 devant le Parlement réuni à Versailles, qui parle du CESE comme « un trait d’union entre la société civile et les instances politiques ».

Nous attendons avec impatience la réforme institutionnelle promise par le président de la République afin de pouvoir jouer ce rôle essentiel de trait d’union. Il faut arrêter de parler de la réforme mais désormais la faire.

Le projet de réforme annoncée par le président de la République (faire du CESE une « chambre du futur » et un « carrefour des consultations publique », « réduire de moitié le nombre de conseillers ») vous convient-elle justement ?

Nous attendons avec impatience la réforme institutionnelle promise par le président de la République afin de pouvoir jouer ce rôle essentiel de trait d’union. Il faut arrêter de parler de la réforme mais désormais la faire.

Selon moi, le CESE doit s’inscrire dans le processus démocratique et s’impliquer en amont de la fabrique de la loi, avec une saisine systématique du Conseil sur tous les projets de loi économiques, sociaux et environnementaux, qui nous permettra de nous inscrire avant le circuit législatif. En outre, il faut simplifier l’organisation du CESE : peut-être y a-t-il aussi un travail à faire avec les instances qui sont également saisies sur des projets de loi. Le projet de réforme prévoit de passer de 233 à 155 conseillers, ce qui correspond à la réduction d’un tiers du nombre de conseillers. Sur ce sujet, je pense que la réflexion doit être poursuivie, s’il est normal qu’à l’instar des assemblées législatives le nombre de représentants soit réduit, il y a, au CESE, une diversité de métiers et d’organisations qui en fait la richesse. Mais, avec moins de conseillers, comment faire pour représenter toutes ces organisations qui rassemblent des dizaines de million de Français ? Encore plus si la mission de nos conseillers évolue, avec une charge de travail plus importante (consultation systématique, animation d’ateliers, contribution à la participation citoyenne, etc.).

Comment avez-vous perçu la crise des Gilets jaunes ? Quel impact a pu avoir ce mouvement social sur votre organisation ? A-t-il changé votre façon de travailler ?

Nous avons tout de suite pris en compte ce mouvement social, dès le début des mobilisations. Nous avons décidé de revoir les priorités de notre Assemblée et de dédier tous nos travaux pendant trois mois à la contestation sociale, dès le mois de décembre 2018. Objectif : répondre tout de suite aux préoccupations de ce mouvement social (inégalités sociales, justice fiscale, pouvoir d’achat, participation des citoyens, transition écologique, logement, emploi, etc.). La participation citoyenne a été au centre de notre démarche, avec le lancement d’une plateforme de consultation « Avec ou sans gilets jaunes, citoyennes et citoyens, exprimez-vous ! » 2 et le tirage au sort de vingt-huit citoyen·ne·s afin de participer à la rédaction de notre contribution au Grand débat national. Cette démarche d’ouverture a débouché en mars 2019 à l’adoption d’un avis du CESE « Fractures et transitions : réconcilier la France » remis au Premier ministre en personne.

L’organisation de la Convention citoyenne sur le climat avec cent cinquante citoyen·en·s tirés au sort a été confiée au CESE ? Quel premier bilan pouvez-vous tirer de cette expérience ?

Il est encore trop tôt pour dresser un bilan, nous en sommes au tout début de cette convention. Je rappelle l’enjeu de celle-ci : cent cinquante citoyen·ne·s tiré·e·s au sort et représentatifs de la diversité de la France sont chargé·e·s de formuler des mesures pour réduire d’au moins 40 % les émissions de gaz à effet de serre de notre pays d’ici 2030. Le tirage au sort a été effectué par l’institut d’études et de sondages Harris Interactive. Pour l’instant, seulement deux sessions de travail de la convention citoyenne pour le climat ont déjà eu lieu dans nos locaux (les 4, 5 et 6 octobre 2019 et les 25, 26 et 27 octobre 2019). La convention se réunira encore à quatre reprises avant de rendre ses conclusions fin janvier 2020 sous forme de propositions réglementaires, législatives et référendaires. Ce n’est pas un exercice simple, il est inédit et il nécessite une méthode, des outils, un encadrement, des techniques d’animation, etc. Nous avons fait appel à des prestataires extérieurs, qui étaient déjà à l’œuvre sur le Grand débat national, et le tirage au sort a été effectué par un institut d’études et de sondages. Côté CESE, l’interface et la clef de voûte, c’est Julien Blanchet, le rapporteur général de cette convention, vice-président du bureau du CESE, qui fait un travail formidable.

Quel est le budget de la Convention citoyenne pour le climat ?

Le budget de cette convention est de 4,5 millions d’euros, ce qui représente 10 % de notre budget annuel – 40 millions d’euros – pour vous donner un ordre de grandeur. Ce budget a été débloqué par le Gouvernement pour couvrir l’organisation logistique (transport, hébergement, restauration des cent cinquante citoyen·ne·s), l’indemnisation des citoyen·ne·s, le tirage au sort, l’animation des séances avec la venue de juristes et d’experts, etc. Les cent cinquante citoyen·ne·s bénéficient d’une indemnisation, sur le modèle des jurés d’assises (86 euros par jour à quoi s’ajoute une indemnité de perte de revenu).

Quelles seront les priorités du CESE en 2020 ?

Nous souhaitons aller plus loin sur un grand nombre de thématiques dans le prolongement des préconisations de l’avis « Fractures et transitions », qui a fait suite au Grand débat. Nous avons pour la première fois adopté un plan de travail pour 2020, voté en septembre 2019. C’est une nouveauté pour le CESE dont l’objectif est de renforcer la cohérence de son travail, donner plus de visibilité à nos productions et ainsi mieux éclairer les décisions des pouvoirs publics. C’était aussi l’une des orientations stratégiques adoptées au début de ma mandature. En 2020, nous allons donc explorer de nombreux sujets au cœur des préoccupations des Français·es. Deux grandes thématiques transversales ont été identifiées : « Générations nouvelles : quelles promesses pour quel avenir ? » sur le phénomène de panne de « l’ascenseur social » qui prévoit une consultation des citoyens par le biais du tirage au sort ; « Activités productives et préservation de la biosphère : analyse des controverses » qui vise à s’interroger sur le « Produire plus ou préserver mieux ? ». D’autres sujets en parallèle seront examinés tout au long de l’année comme le service public dans les territoires, les leviers fiscaux et financiers de la transition écologique, le handicap chez l’enfant, la déforestation ou encore la transmission dans le monde agricole. Nous avons aussi identifié, grâce à notre comité de veille des pétitions citoyennes, trois sujets essentiels qui donnent lieu à de nombreuses petites pétitions sur le territoire national : le recyclage des déchets (avec l’exemple de la consigne), la déforestation et l’accompagnement des enfants handicapés.

Le CESE traite-t-il souvent des sujets d’innovation dans le cadre de ses travaux ? Avez-vous initié des démarches d’innovation ?

En matière d’innovation publique, je peux dire que le CESE expérimente en permanence. Autre innovation majeure, c’est la convention citoyenne pour le climat dont nous avons la responsabilité. Nous venons aussi tout juste de nouer un partenariat avec les grandes plateformes de participation citoyenne comme change.org et mesopinions.com pour mieux prendre en compte les pétitions citoyennes en ligne. Bref, je dirais que nous innovons en permanence. En ce qui concerne l’innovation en interne, je réfléchis à créer un laboratoire d’innovation et pourquoi pas un « incubateur maison » de start-up pour nous accompagner dans le défi des transitions. Sur le plan des sujets de nos avis, je peux vous citer deux exemples de thèmes portant sur l’innovation que nous avons été amenés à traiter : l’impression 3D3 et les nouvelles monnaies4 comme le bitcoin, voté en 2015. Plus récemment, en mars 2019, le CESE a adopté l’avis « Pour une politique de souveraineté européenne du numérique », présenté par Benoît Thieulin, l’ancien président du Conseil national du numérique.

Convention citoyenne sur le climat, comité de veille des pétitions citoyennes instauré en 2017, partenariat mi-octobre 2019 avec les grandes plateformes de pétitions en ligne comme change.org et mesopinions.com5 Vous avez multiplié les initiatives pour mieux prendre en compte la participation citoyenne au sein de votre institution. Le CESE a-t-il vocation à devenir l’assemblée des citoyens ?

Il est vrai que depuis trois ans, nous expérimentons beaucoup en matière de participation citoyenne. En 2018, nous avons, pour la première fois, tiré au sort trente citoyen·ne·s qui ont été intégrés aux travaux de notre commission temporaire dans le cadre de la production de l’avis « Fractures et transitions : réconcilier la France ». La semaine dernière, nous lancions notre démarche de labellisation des plateformes de pétitions en ligne, qui permet aux citoyen·ne·s d’adresser directement leurs pétitions au CESE via ces plateformes. Nous avons fait le choix d’ouvrir notre conseil beaucoup plus fortement qu’auparavant pour deux raisons : d’une part, parce que nous faisons face à une demande de participation des citoyen·ne·s aux affaires publiques sans précédent, mise en lumière par les mouvements sociaux récents, qui nécessite une prise en compte par les institutions. On ne peut pas faire fi de cette demande de participation, d’autant que nous sommes convaincus de l’apport bénéfique qu’elle représente, en permettant d’associer mieux les citoyen·ne·s à la décision publique, afin qu’ils soient aussi force de propositions et se sentent mieux intégré·e·s dans le paysage institutionnel français. D’autre part, parce que nous sommes l’assemblée la mieux à même pour y répondre de manière institutionnelle. Conformément à notre rôle constitutionnel, nous sommes les éclaireurs des pouvoirs publics, avec pour mission de traduire les aspirations de la société civile en assurant leur confrontation dans une logique de dialogue entre ses différentes composantes. Il est donc logique que nous soyons l’instance privilégiée pour être le trait d’union entre les citoyen·ne·s, organisé·e·s ou non, et les pouvoirs publics. D’ailleurs, le choix du CESE pour organiser la convention citoyenne pour le climat n’est pas anodin. Ce choix démontre la confiance dans notre capacité d’institutionnaliser les expériences de participation citoyenne, et va dans le sens du projet de réforme.

Nous avons pour la première fois adopté un plan de travail pour 2020, voté en septembre 2019. C’est une nouveauté pour le CESE dont l’objectif est de renforcer la cohérence de son travail, donner plus de visibilité à nos productions et ainsi mieux éclairer les décisions des pouvoirs publics.

 

  1. Cet entretien a été réalisé le 22 octobre 2019, jour de la mobilisation des agriculteurs devant toutes les préfectures de France.
  2. La consultation s’est déroulée du 15 décembre 2018 au 4 janvier 2019. Le résultat en chiffres : 31 044 participants, 9 058 contributions et 260 845 votes.
  3. https://www.lecese.fr/content/innovations-technologiques-et-performance-industrielle-globale-le-cas-de-l-impression-3d
  4. https://www.lecese.fr/travaux-publies/nouvelles-monnaies-les-enjeux-macro-conomiques-financiers-et-soci-taux
  5. Nessi J., « Le CESE noue un partenariat avec les grandes plateformes de pétitions en ligne », Horizons publics 17 oct. 2019 ; https://www.horizonspublics.fr/vie-citoyenne/le-cese-noue-un-partenariat-avec-les-grandes-plateformes-de-petitions-en-ligne
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