Philippe Laurent, maire de Sceaux, président de la Fédération des élus des entreprises publiques locales (FEDEPL)

Le 18 mars 2024

Philippe Laurent

Ingénieur de formation et diplômé de Sciences Po, Philippe Laurent a mené une carrière professionnelle essentiellement dans le conseil aux collectivités locales en fondant notamment son propre cabinet au début des années 1990. Parallèlement élu local depuis quarante-six ans, devenu maire de Sceaux en 2001, c’est un militant engagé de longue date en faveur de la décentralisation, des services publics locaux et plus largement des libertés locales. Vice-président de l’Association des maires de France (AMF), président-directeur général de la société d’économie mixte (SEM) Sceaux-Bourg-la-Reine Habitat, il est aussi président de la commission transports du conseil régional d’Île-de-France où il suit le déploiement du Grand Paris Express. Il a été président pendant plusieurs années de la Fédération nationale des collectivités pour la culture (FNCC) et co-préside à ce jour l’Association française du conseil des communes et régions d’Europe (AFCCRE), branche française du conseil des communes et régions d’Europe.

1 – La présidence de la FedEpl

C’est un principe, bien ancré depuis la création de la FedEpl dans les années 1960 : tous les trois ans, la fédération change de président et ce passage de relais se fait dans le cadre d’une alternance politique. Chaque fois, une sensibilité politique prend le relais d’une autre. C’est un fonctionnement à la fois pluraliste et consensuel qui surprend parfois les observateurs extérieurs, voire suscite des regards envieux. Est-ce à dire que les fondations éthiques de l’économie mixte locale transcendent les clivages traditionnels ? Je le crois. Car l’avancement de l’économie mixte locale est guidé par la seule boussole de l’intérêt général. C’est une conviction que je porte en moi depuis de nombreuses années. Le mandat de Patrick Jarry, ancien maire de Nanterre, mon prédécesseur à la tête de la fédération, à qui je rends hommage, a commencé en 2020 en pleine crise sanitaire, à l’issue du congrès d’Angers que d’aucuns ont qualifié à juste titre de « congrès du miracle ». Avec du recul, on ne peut qu’être admiratif de la manière dont les entreprises publiques locales (EPL) ont su s’adapter à cette crise, en se mettant au service des populations, dans le même état d’esprit que les services publics dont elles sont, depuis de nombreuses années, les bras armés. La FedEpl s’est ainsi mobilisée pour faire bénéficier aux EPL des dispositifs de soutien mis en place par les pouvoirs publics et les banques durant la période du covid-19. Certes, certaines EPL ont eu du mal à traverser cette crise et en ressentent encore les effets. Mais force est de constater aujourd’hui que malgré les défauts de la loi dite « 3DS » 1 ou encore face aux défis posés par la transition environnementale, comme la crise du logement et de la construction, le mouvement de l’économie mixte locale est en capacité d’apporter des réponses efficientes et rapides. Là est son efficience, son innovation sans cesse renouvelée : une grande souplesse adaptative…

Les chiffres sont d’ailleurs là pour l’attester : la gamme EPL, au regard du dernier EPLscope qui recense l’ensemble des EPL et qui constitue un document de référence publié par la FedEpl, compte aujourd’hui 853 SEM, 45 sociétés d’économie mixte à opération unique (SEMOP) et 503 SPL, pour un total de 1 401 entreprises au niveau national, auxquelles s’ajoutent plus de 500 filiales. Je tiens au passage à saluer les 114 EPL ultra-marines, dont le travail doit inspirer celles installées en Hexagone, tant en matière de développement que de capacité d’innovation au niveau local. Au total, sur les six dernières années, les créations nouvelles comme les recompositions diverses établissent une croissance nette de 15 % du nombre d’EPL en France, et à une progression de 40 % de leur chiffre d’affaires. Ces chiffres sont très parlants. Et la tendance semble être au renforcement de cette dynamique puisque pas moins de 160 projets de créations sont recensés au moment où je vous parle.

2 – Une dynamique de croissance à inscrire dans la durée

Impulsée par le sénateur et vice-président de la FedEpl, Hervé Marseille, une réflexion ambitieuse a été engagée sur l’évolution de l’économie mixte locale à l’horizon 2030, qu’il me reviendra de mettre en œuvre avec le soutien de toutes nos parties prenantes tout au long de cette année 2024. Notre fédération a toujours eu le sens de l’anticipation, c’est dans son ADN ; cette réflexion collective embarquera toutes les EPL qui le souhaitent car la force de notre mouvement est de se nourrir de ce que les EPL font au quotidien. C’est le terrain qui éclaire le chemin de l’avenir et non ceux qui, loin des réalités, s’autorisent à imaginer le futur d’un mouvement qu’ils ne connaissent pas. Cette mixité privé-public suscite encore quelques incompréhensions auprès de technocrates français alors qu’ailleurs en Europe, ce mariage de raison ne pose pas de problèmes. Je souhaite mettre en œuvre quelques chantiers pendant mon mandat. Je veux que la FedEpl demeure fidèle à la trajectoire tracée depuis 2012 par le plan stratégique « EPL Territoires 2020 », en étant toujours davantage aux côtés des présidents et des directeurs d’EPL dans la préparation de l’avenir de chacune des sociétés, qu’il s’agisse d’appropriation de nouveaux montages, de nouveaux métiers, de nouveaux financements, de nouveaux modes de management ou de nouveaux corpus législatifs et réglementaires. L’actualité juridique et réglementaire va vite et nos EPL doivent en permanence s’y adapter pour continuer le travail de fond qu’elles entreprennent sur le terrain. Au nom du service public, j’insiste là-dessus.

3 – Une décentralisation épanouie face à une recentralisation passéiste

À mes yeux, la priorité vise à finaliser le projet stratégique 2030 de la FedEpl, permettant à notre fédération de se positionner comme un acteur incontournable au service des mutations et besoins nouveaux des territoires. Nous sommes dans la phase opérationnelle des transitions en cours : les maux sont connus, les réponses s’affinent et les EPL les mettent en œuvre au quotidien, sur le terrain. Il nous faudra y répondre par une offre d’accompagnement adaptée dans de nouveaux secteurs, tout en favorisant les montages et partenariats innovants, sans fixer d’autres limites à nos réflexions que celles du bon sens et de l’efficacité. Prenons le cas des relations consolidées avec les établissements publics fonciers locaux (EPFL), ainsi que dans d’autres domaines avec les acteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS). Nous avons besoin d’avancer ensemble, en créant des synergies, pour que les réponses soient de mieux en mieux adaptées aux attentes des populations. Nous ne sommes pas dans la simple profération, dans le discours : il suffit d’étalonner la qualité des projets primés lors de nos derniers trophées des EPL pour se convaincre que nous avons un temps d’avance.

La deuxième priorité relève du soutien aux processus législatifs en cours ou à venir, portant sur la sécurisation de l’environnement des EPL, l’accès des SPL culturelles au mécénat, et bien entendu sur l’éventuelle décentralisation de la politique du logement. Nous devons par ailleurs sécuriser la situation des élus dans les EPL, au regard des risques de conflits d’intérêts qui paralysent notre démocratie locale ou encore faciliter la réalisation des projets d’aménagement et la production d’énergies renouvelables, partout où cela est possible, via une simplification des procédures d’autorisation et de garantie d’emprunts, et une adaptation de la fiscalité aux nouveaux enjeux. Sans oublier le travail à mener pour faire adopter au Parlement la « société publique locale hospitalière », permettant aux hôpitaux et aux collectivités locales de porter ensemble la rénovation du patrimoine et les services mutualisés de demain, et qui est emblématique du rôle prépondérant que les EPL entendent jouer dans les domaines de l’action sociale et de la santé.

Le même volontarisme doit nous guider concernant la proposition de loi pour l’accès des SPL culturelles au mécénat, après son adoption au Sénat en première lecture en juin 2023.

Près de 50 SPL ont pour activité principale la gestion d’activités culturelles : théâtres, cinémas, monuments historiques dont certains classés au patrimoine de l’UNESCO, musées – dont certains labelisés « musées de France » –, centres d’interprétation, etc. Les SPL à vocation culturelle sont présentes dans de nombreux territoires. Elles sont au cœur des enjeux économiques et de rayonnement des collectivités, actionnaires à 100 % des SPL.

La filière culturelle a subi de plein fouet la crise sanitaire et peine à retrouver son dynamisme. Les efforts pour se réinventer et renouer avec le public nécessitent des moyens de la part du principal financeur de la culture, les collectivités territoriales, elle-même impactées financièrement. C’est la raison pour laquelle l’éligibilité des SPL culturelles au mécénat représente un enjeu d’intérêt général. Un consensus politique se dégage sur le sujet, la proposition de loi doit être adoptée par les députés.

Nous devons veiller aussi à contrer les intentions des tenants de la recentralisation, qui serait une réponse à la crise démocratique que nous connaissons. C’est tout le contraire qui doit se passer. L’État doit rester à la place qui est la sienne, à savoir veiller à ce que la loi s’applique et que les territoires s’épanouissent à travers cette innovation différenciée qui m’est si chère. Qui d’autre que le maire de Chartres, de Nanterre, de Brest ou de Strasbourg est le mieux à même de « sentir » la réalité du terrain ? Certes, le maire ne doit pas s’isoler, mais il est là pour faire jaillir le potentiel de son territoire. Or, et nous ne le savons que trop peu, la décentralisation et la liberté d’action des collectivités territoriales n’ont pas que des partisans dans notre pays. Et un certain nombre de nos interlocuteurs continuent de vouloir cantonner les collectivités locales et leurs EPL dans une vision passéiste et désuète, à les considérer comme de simples sous-traitants du pouvoir exécutif central, voire à considérer leur existence même comme dangereuse pour les grands équilibres institutionnels et financiers de l’État. Face à cette défiance, et parfois cette aigreur de ceux qui regardent passer les trains à défaut de comprendre à quel point notre pays a changé en quelques années, nous devons être animés par cette même force de conviction, en mettant en avant les réussites exemplaires de nos territoires. Le président de la République parle d’un « réarmement » ? Chiche ! Ce réarmement démocratique ne peut passer au-dessus de nos territoires ! Je souhaite ardemment l’instauration d’une République « bottom up » en quelque sorte, qui serait la revanche du micro sur le macro, du cousu main sur l’uniforme, de la modularité territoriale sur le plaquage national. Dernier point : ce combat, nous devons aussi l’envisager à l’échelle de l’Europe. Nous aurons à redoubler d’efforts, avec l’ensemble de nos partenaires des autres États membres comme au sein de notre maison commune des services publics SGI Europe, afin de faire entendre la voix de toutes les entreprises publiques locales, dont le nombre a quasiment doublé en dix ans sur notre continent.

4 – L’agilité des EPL ou l’innovation permanente

Je suis à la tête d’une EPL depuis plus de vingt ans, la SEM Sceaux-Bourg-la-Reine Habitat. J’ai fait ce choix parce qu’il pose un fonctionnement offrant une meilleure souplesse et agilité que l’on peut trouver dans les collectivités territoriales, et je n’ai pas ici à démontrer l’importance pour moi du rôle de ces dernières. Je suis vice-président de l’AMF, membre de son bureau exécutif.

Comme je l’ai dit plus haut, il n’est pas innocent que le mouvement de l’économie mixte locale soit en excellente santé ; c’est la preuve d’un lien de confiance qui n’a cessé de s’affermir avec les élus. Car les EPL rendent non seulement un service public, mais elles pèsent d’un poids non négligeable sur le bassin économique : elles emploient 64 281 personnes sur l’ensemble du pays et ont produit un chiffre d’affaires estimé à 16,49 milliards d’euros en 2022, soit un taux de croissance annuel moyen de 3,28 % sur la dernière décennie, avec une balance créations-disparitions s’élevant à + 187 en dix ans. C’est un outil que les élus s’approprient pour des sujets de plus en plus divers. Il fait partie de la boîte à outils d’un élu quand il veut mettre en place son programme politique. Malgré cette démonstration de force, nous subissons régulièrement, c’est un fait, les critiques conjuguées de Bercy et de la Cour des comptes. C’est une réalité à laquelle nous nous sommes habitués. Il est dommage qu’en France, contrairement à ce qui se passe dans les autres pays européens, une partie de l’État et la Cour des comptes affichent des réticences. Ces dernières années, sous l’impulsion de Patrick Jarry, nous avons multiplié les contacts et les échanges productifs avec les chambres régionales des comptes (CRC) et l’État. Parce que nous avons l’intime conviction que le modèle n’est pas toujours compris et que le mix privé-public effraie certains élus. Or, dans les EPL, la transparence se situe à tous les étages. J’ai la faiblesse de croire qu’il faut une meilleure formation des hauts fonctionnaires sur le fonctionnement des EPL et le contrôle des élus de ces structures. J’entends donc veiller à préserver le modèle pour éviter que cette méconnaissance se transforme en sa mise en danger.

Par exemple, beaucoup de SEM d’aménagement et de gestion de logements et de SPL peuvent être impactées par une décentralisation du logement qui se ferait sans compensations financières. Nous veillerons au grain sur le sujet. Nous avons à construire une nouvelle politique du logement, qui ne passera pas seulement par la construction de logements sociaux, même s’il en faut, mis qui prendra en compte la question fiscale, une meilleure orientation de l’épargne vers le logement, la question des locations saisonnières. Et autant le dire, la taxe additionnelle sur le foncier bâti en projet n’apportera pas la compensation financière espérée.

Soyons réalistes : le modèle de gestion des EPL est particulièrement adapté quand il s’agit de vendre des services. L’outil est particulièrement adapté aux projets intercommunaux sans passer par un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) car il est en capacité de générer ses propres revenus. Et enfin, et c’est à mes yeux le plus important, les élus assurent la gouvernance des EPL, ce sont eux qui décident des projets à mettre en œuvre. Cette solution n’est-elle pas préférable à une délégation à un acteur privé qui éloigne de ce fait l’élu ?

  1. L. no 2022-217, 21 févr. 2022, relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi « 3DS ».
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