Planet C-Play Again ?, un jeu sournois pour accélérer la décision face à l'urgence écologique

Planet C Again
Les jeux sérieux, comme celui de Planet C - Play again, sont utilisés comme outils d'aide à la décision. Au Cameroun, les chercheurs et chercheuses du collectif ont mené une série d'ateliers avec les agriculteurs pour simuler l'impact de leurs pratiques agricoles (l’élevage, la pêche, la cueillette) sur la dégradation des forêts et des sols. "Les gens s’emparent du matériel, se l'approprient et imaginent des solutions collectivement sur leur territoire", explique la sociologue Tamara Pascutto.
©Tamara Pascutto
Le 31 mai 2023

Comment aider les décideurs publics à mieux répondre aux enjeux de la transition écologique ? Données et rapports scientifiques ne suffisent plus. Les « serious games » (jeux sérieux) proposent à chacun de jouer avec son potentiel de décisions et d’en mesurer aussitôt l’impact. Focus sur Planet C-Play Again ?, un jeu créé par des chercheurs et facilitateurs, experts en écologie, justice sociale et gestion des ressources naturelles.

Repartir de zéro et préserver les ressources de la planète, c’est le « plan C » proposé par ce jeu hybride (plateau et application sur smartphone) : « Vous êtes des chefs de clan et vous devez gérer la biomasse sur un même territoire en respectant des aires protégées de daims », nous explique Claude Garcia, professeur à l’université de sciences appliquées de Berne, écologue et co-fondateur de LEAF Inspiring Change, spin-off de l’École polytechnique (ETH) de Zürich, qui met au point et utilise des jeux pour faciliter la prise de décision. Installés dans une salle de l’Académie du climat à Paris, nous sommes cinq joueurs journalistes invités par l’Association des journalistes de l’environnement (AJE) à découvrir ce « wicked game ».

Le premier round se fait individuellement, avec cinq actions possibles pour concilier collecte de biomasse pour son clan, préservation des ressources naturelles, notamment grâce aux aires protégées de daims, représentées ce jour-là par Tamara Pascutto, sociologue indépendante spécialiste de démarches participatives. Résultat du premier round : les décisions individuelles, sans échange et sans concertation, se traduisent par une catastrophe écologique et deux des joueurs déjà affamés !

Changement de règle au deuxième round : les participants sont invités à collaborer, à dialoguer et peuvent échanger des unités de biomasse contre du temps de concertation. Grâce à l’intelligence collective, le résultat est tout autre : à l’issue des cinq prises de décision collective, des ressources préservées, des aires protégées en meilleur état et cinq clans qui ont mieux partagé leurs unités de biomasse pour que personne ne soit en crise alimentaire :

« On voit bien que l’équilibre des ressources est le fruit de la concertation. Il n’y a aucun perdant à la concertation. Mais pour être plus efficace, elle doit être accompagnée. Une gouvernance démocratique, la compréhension du système grâce à l’expertise scientifique et le contrat social basé sur la confiance sont nécessaires pour atteindre des résultats. C’est ce que montre ce jeu », explique Claude Garcia.

Un jeu « sournois » pour accélérer la prise de décision

Planet C-Play Again est né d’un constat : l’échec de la décision collective pour inverser la trajectoire climatique, malgré les alertes des chercheurs du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et la multiplication des sommets internationaux, les conférences des parties, les COP (nous en sommes bientôt à la COP 25 !), étant les plus connus. Le jeu a été conçu par un consortium de chercheurs, experts, consultants et citoyens engagés, qui rassemblent des organismes de recherche et des collectifs (centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement [CIRAD], ETH Zürich, Lisode [pour « lien social et décision »], Leaf, ComMod et Lobby des consciences). Il est destiné à faire prendre conscience des mécanismes de la décision collective, les freins et les points de blocage. Pourquoi les communautés humaines ne parviennent-elles pas à prendre les décisions qui s’imposent et comment embarquer toutes les parties prenantes (État, entreprises, habitants, etc.) ? « Le but de ce jeu est que les participants lèvent les freins à la prise de décision que constituent les croyances ou les valeurs, par exemple, pour s’intéresser directement aux moyens et aux actions. L’objectif est que les joueurs deviennent des architectes de la transition », précise le chercheur écologue.

Le collectif à l’initiative de ce jeu considère en effet qu’il y a cinq profils en fonction de l’attitude face à la réalité du changement climatique, de l’ignorant à l’architecte, selon ce qu’ils appellent « la théorie de l’esprit » (voir illustration ci-dessous).

Cinq profils ont été identifiés en fonction des attitudes face à la réalité du changement climatique : l’ignorant, l’incrédule, l’occupé, le préoccupé et l’architecte.

Un des éléments clé de la méthode, c’est l’expérience vécue et la stratégie d’engagement pour arriver à résoudre les problèmes. Ce jeu a été utilisé dans plusieurs pays, dont le Cameroun pour simuler les pratiques des habitants (élevage, pêche et cueillette) et la dégradation des forêts et des sols, ou encore en Côte d’Ivoire pour faire accepter l’idée d’une certification du caoutchouc afin d’éviter les mauvaises pratiques : « Le jeu permet d’expérimenter les impacts des politiques publiques pensées sur l’écosystème. Ce qu’on collecte lorsqu’on organise ces ateliers réunissant les habitants, les décideurs publics, les entreprises ou encore les associations autour de ces jeux, ce sont des solutions collectives, acceptées par tous. Cela a un effet transformateur et le dialogue se met en place entre les acteurs de terrain et les décideurs responsables des politiques publiques », explique Tamara Pascutto.

Ce jeu permet de débloquer la façon de penser des décideurs, à l’image des fonctionnaires en Indonésie qui, après avoir participé à un atelier, ont proposé des modifications du système de certification pour mieux protéger les forêts. Le collectif aimerait que ce jeu soit proposé aux décideurs publics en France. Une idée pour la future formation des fonctionnaires français à la transition écologique ?

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