Revue

Cartoscopie

Reconsidérer le vivant et la biodiversité

Le 8 août 2019

Alors que se profile une sixième extinction de masse et que le monde moderne bascule dans l’anthropocène, on ne peut plus ignorer les dégâts occasionnés par la pression anthropique sur la biodiversité.

« Du palais d’un jeune lapin/Dame belette un beau matin/S’empara ; c’est une rusée./ Le maître étant absent, ce lui fut chose aisée. […] / Janot lapin retourne aux souterrains séjours./ La belette avait mis le nez à la fenêtre./ Ô dieux hospitaliers, que vois-je ici paraître ? / Dit l’animal chassé du paternel logis […] / La dame au nez pointu répondit que la terre/ Était au premier occupant. »

Dans sa fable Le chat, la belette et le petit lapin, Jean de la Fontaine met en scène une belette qui profitant de l’absence d’un lapin s’approprie son terrier. Ce dernier lésé demande réparation auprès du chat qui du haut de la chaîne alimentaire est maître du royaume. Les deux impétrants finissent tous deux en pâture. Si nous considérions la fable comme une métaphore de notre situation, quel personnage nous incarnerait le mieux ?

Fort de la culture moderne qui nous érige en maître et possesseur de la nature, il est tentant de se prendre pour le chat. Sur la carte qui nous intéresse, la belette et le lapin ont pour ultime prédateur l’homme qui par l’action qu’il exerce sur les espaces et leurs autres habitants non humains en vient à les faire disparaître. On ne peut plus ignorer les dégâts occasionnés par la pression anthropique sur la biodiversité. La plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques évoque en 2019 une sixième extinction de masse, avec à moyen terme la possibilité de l’extinction de plus d’un million d’espèces sur les 8 millions recensés. La biodiversité est pourtant un élément déterminant de la résilience des territoires.

Cette visibilité publique donnée aux vivants non humains est récente malgré les alertes des scientifiques et associations protectrices de l’environnement qui depuis cinquante ans dénoncent, sans être entendus, les atteintes et risques encourus. La culture moderne ne fait que peu des cas des cohabitants de la planète. Nous ne voyons en eux que des choses, des ressources, des objets de loisirs, de compagnie. Le lien s’est rompu. Cette distance se retrouve jusqu’à nos outils d’enquête, d’observation et d’analyse. Les données disponibles pour cartographier et comprendre les écosystèmes naturels sont relativement pauvres par rapport à d’autres champs d’investigation. Leur couverture territoriale est faible. « Nous avons perdu le détail du monde, l’art de la description de la nature », comme l’énonce le remarquable ouvrage de Romain Bertrand1.

Les collapsologues imaginent un monde courant à sa perte si nous n’opérons pas de bifurcation. De sombres récits décrivent la chute de l’humanité. Pas de la planète. Des vivants nous survivront, animaux, plantes, bactéries. Le basculement du monde moderne dans l’anthropocène, c’est cet atterrissage de l’homme, sa réintroduction dans des écosystèmes dont il dépend pour survivre et qu’il va devoir considérer à part entière et contribuer à réparer.

En continuant à dévorer ses sujets plutôt qu’à les écouter et à être magnanime, le chat de la fable aurait fini par chuter de son trône. C’est ce que l’homme est train de comprendre, ressemblant par cela à long terme moins au chat qu’à la belette et au lapin.

  1. Bertrand R., Le Détail du monde. L’art perdu de la description de la nature, 2019, Seuil.
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