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Réinterroger la question de la « proximité »

Gare de Chauffailles
Le Point information médiation multiservices (PIMMS) de Chauffailles, un bourg rural de Saône-et-Loire, a été créée il y a dix ans dans la gare SNCF. Il va être labellisé Maison France services.
©PIMMS
Le 10 février 2020

Avec la création des Maisons France services, l’État a pour ambition d’offrir une offre de proximité et de qualité dans chaque canton. Cette promesse d’un service public accessible et à « bonne distance » n’est pas nouvelle. Enquête auprès de ceux et celles, qui en première ligne dans les villages, les quartiers de la politique de la ville, les points d’information médiation multi services (PIMMS) et les nouveaux bureaux de Poste pour faire vivre cette « proximité ».

« Je suis un méfiant. J’ai toujours assisté à des déménagements de territoire. Jamais à un aménagement de territoire. » Jany Siméon a le sentiment d’en avoir un peu trop vu depuis son premier mandat de maire. C’était à La Chapelle-Saint-André, commune rurale de trois cent cinquante habitants dans la Nièvre, en 2001. La maternité de Clamecy, à dix-neuf kilomètres ? Fermée le 1er avril 2008. Un an après que le Nouvel Observateur l’a classée dans les trois meilleures maternités de France. La chirurgie de Clamecy ? Fermée dans la foulée, malgré les promesses de l’Autorité régionale de santé (ARS). Direction Auxerre, à soixante kilomètres, pour tous les patients. Les pompiers ? Ceux de Varzy, la commune limitrophe, sont obligés de faire cent trente kilomètres de route aller et retour, la nuit, en cas de pépin, pour transporter un malade ou un blessé. Ils sont tous bénévoles, fatigués le matin pour aller travailler et tentés d’arrêter. Le préfet a bien compris. Il n’a rien fait. La perception ? Depuis qu’elle refuse le cash, les gens du coin sont un peu démunis et il a fallu lancer un appel d’offres pour savoir qui de l’épicier ou du bistrotier allait accepter le cash au nom du fisc.

Jany Siméon, sixième génération de Siméon de La Chapelle-Saint-André, peut ainsi égrener tous les services enlevés au fil des années : « On m’a toujours dit que la concentration des services un peu plus loin améliorerait les choses. C’est du pipeau. » La Chapelle-Saint-André est pourtant un joli village, plein d’artistes et qui attire les citadins. « Ils restent dix ans, puis ils retournent habiter à Nevers ou Auxerre quand ils commencent à avoir des difficultés pour se soigner. C’est trop loin. » La distance ! L’obsession de tout maire rural, qu’il vit jusque dans son quotidien d’élu : 37 % des maires sont à plus de trente minutes du siège de leur interco, 1 766 en sont à plus d’une heure. C’est fatiguant, surtout quand le préfet en rajoute avec ses réunions.

La question de la proximité est très probablement mal posée par l’État et par beaucoup de maires. Le géographe Jacques Lévy n’aime pas trop qu’elle soit envisagée sous l’angle de la distance alors que celui du temps est bien plus pertinent.

Même topo pour les employés municipaux ou les fonctionnaires. Boris Chevrot, sociologue et travailleur social dans la communauté de communes du Clunisois en Saône-et-Loire, fait le même constat : « Pour aller à La Guiche, aller et retour, c’est une heure de voiture depuis Cluny. Si j’ai quelqu’un à voir là-bas qui ne peut pas se déplacer, c’est une demi-matinée. En revanche si je reste au bureau, j’en reçois quatre dans la matinée, mes stats sont meilleures et mon évaluation également. » Du coup, le travailleur social se cantonne de plus en plus au technico-administratif au lieu d’aller à la rencontre de ceux qui ont la tête sous l’eau. La distance est une notion totalement étrangère au techno de la ville. « Si les technos se focalisaient sur le premier kilomètre avec autant de force qu’ils se préoccupent du dernier kilomètre au centre de la métropole, on pourrait peut-être s’en sortir, soupire Cédric Szabo qui dirige l’Association des maires ruraux de France (AMRF). Qu’ils essaient de visualiser ce qu’un rural trouve à proximité comme services ou opportunités d’entrée en contact avec un interlocuteur humain et ils pourront peut-être imaginer des réponses à partir du territoire vécu, du ressenti local, en particulier en matière de mobilités que l’on ne peut pas juger selon les mêmes critères de coût dans la campagne ou dans l’urbain. Il faudrait peut-être fournir la même énergie et les moyens que l’on met aujourd’hui pour régler la logistique urbaine pour penser la mobilité rurale. »

La Chapelle-Saint-André, commune rurale de 350 habitants dans la Nièvre, a vu ses services publics disparaître les uns après les autres au fil des années.

La proximité, une question d’humain

Ou, alors, mettre la même énergie et une bonne dose d’imagination pour essayer de passer outre la question de la distance. Avec malice, le sociologue Jean Viard glisse que « les Gilets jaunes sont allés sur les ronds-points, pas devant les mairies. Les mairies sont devenues comme les églises, elles ne vivent pas. Donc on n’y va pas. » Quant à la proximité dans la ruralité, pour lui qui vit à la Tour d’Aigues, village du Vaucluse pas totalement en expansion économique, ce n’est pas la bonne question : « Le Français fait cinquante kilomètres par jour, alors la question de la proximité est relative… D’autant que 70 % des gens ne travaillent pas dans la ville où ils vivent. En fait lorsque les gens demandent du local, ils ne demandent pas de la proximité, mais à être bien entre eux. Avant on appartenait à une classe sociale, aujourd’hui plus vraiment alors que l’on a encore envie d’appartenir à quelque chose. À un lieu, par exemple. »

Isabelle Le Diberder est du même avis : « La proximité n’est pas une question de distance. C’est une question d’humain », estime cette chargée de mission à l’Union nationale des PIMMS. PIMMS ? Un PIMMS n’est ni un petit gâteau fourré, ni un alcool étrange. PIMMS est l’acronyme de point d’information médiation multi services. Contrairement à ce que ce nom laisse supposer, il ne s’agit pas d’un énième bidule technico-marketing, inventé sur un coin de table par une direction centrale prise au dépourvu par la demande du cabinet d’un ministre. C’est, au contraire, une structure futée spécialisée dans la médiation sociale, portée par des partenaires publics et privés et totalement libre de s’implanter où elle veut si une population ou un territoire ont besoin d’une médiation pour avoir accès à des droits.

Gare de Chauffailles
Le Point information médiation multiservices (PIMMS) de Chauffailles, un bourg rural de Saône-et-Loire, a été créée il y a dix ans dans la gare SNCF. Il va être labellisé Maison France services.
©PIMMS

Les vertus du modèle des PIMMS

À Chauffailles ainsi, un bourg rural de Saône-et-Loire, loin de Macon et de Lyon et proche de pas grand-chose, où Francine Demeslay en a créé un, il y a dix ans. Dans la gare fermée par la SNCF en 1998, le train pour Lyon s’y arrêtait encore cinq à six fois par jour, mais il n’y avait plus ni guichet, ni vente, ni humain. En 2010, la SNCF, Veolia et EDF poussent à la création d’une structure de médiation avec les services publics. Francine Demeslay met tout ce qu’elle peut dedans : l’accès aux dossiers de naturalisation comme aux allocations de la CAF, l’inscription à Pôle emploi comme le relevé de carrières ou le rééchelonnement des dettes au fisc ou à EDF. En mieux et dix ans avant, c’est la préfiguration des Maison France services que le Gouvernement lance pour résoudre les questions de proximité. Et c’est bien plus souple. À Chauffailles, on embauche essentiellement des « dynamiques pragmatiques », des personnes qui ont déjà un vécu administratif, qui savent écouter et peuvent éventuellement anticiper les questions que les gens ne se posent pas encore. « Nombreux passent à côté de leurs droits, constate-t-elle. Par méconnaissance mais surtout par illettrisme numérique. »

« La proximité c’est un outil marketing pour l’État. Mais un outil qu’il ne finance pas et saborde constamment », confie Isabelle Le Diberder, chargée de missions à l’Union nationale des PIMMS.

Au PIMMS de Chauffailles on fait tout. Même vendre du pain lorsque la boulangerie était fermée ou le journal, lorsque le kiosque est en congé hebdomadaire. Ou on va chercher les personnes âgées chez elles pour les accompagner chez le médecin ou faire le marché. Et ça fonctionne : cinquante clients par jour à Chauffailles, deux cent dix en tout avec les cinq PIMMS ouverts depuis autour de la ville. En 2020, deux nouveaux PIMMS vont naître, dont l’un à La Clayette avec une maison virtuelle pour aider les gens à trouver les aides et les techniques pour la rénovation. « Le PIMMS, explique Francine Demeslay, est une mutualisation de services et nous sommes là pour tous les rendre. Vous passez notre porte, et, si vous avez les bons papiers, on remet toute votre vie administrative en place, on vous offre des perspectives que vous n’aviez pas forcément vues et on essaie de vous rendre plus autonome. » Elle est à ce point bourrée d’idées qu’elle a passé un master 2 Management de l’innovation et des projets complexes pour être plus sûre d’arriver à les monter.

Alors pourquoi, malgré les vertus de leur modèle et leurs 1 830 000 dossiers réglés en 2018, les PIMMS sont-ils aussi peu connus ? Parce qu’ils ne veulent pas. Ils se refusent à toute communication. Pas par pudeur mais parce qu’un PIMMS qui communique est immédiatement saturé. Une règle universelle qui se vérifie dans le rural reculé comme en plein milieu d’une métropole mondialisée (cinq PIMMS dans Paris et six à Lyon) ou à sa périphérie. Abd-El-Kader Aït Mohamed directeur de celui des Mureaux dans un quartier prioritaire de la politique de la ville, justifie ce refus de la com : « Nous traitons soixante à soixante-dix cas par jour, 80 % des clients viennent des Mureaux et nous sommes en train d’essaimer. Mais nous y allons très prudemment, car à peine ouvre-t-on un PIMMS qu’il est saturé. Si j’ouvre à Meulan, de l’autre côté de la Seine à dix minutes à pied seulement, on sera plein immédiatement. Uniquement des urbains. C’est pour cela que l’on ne fait pas de communication, le bouche-à-oreille suffit même si c’est un peu plus lent. J’ai, par exemple, expliqué au maire de Verneuil, à moins de cinq kilomètres, de ne pas faire d’entrefilet dans son journal municipal pour parler des Mureaux et qu’il valait bien mieux que j’étudie l’ouverture d’un PIMMS chez lui. Aux Mureaux, j’ai cinq salariés en permanence sur un site de soixante-quinze mètres carrés. Je suis à la limite de la saturation, je ne veux surtout pas de pub ! »

Les Mureaux, Chauffailles, le XVIIIe arrondissement de Paris juste à côté des campements de migrants, Béthune, Longwy, Quimper, etc., sociologiquement, les populations autour des PIMMS n’ont pas grand-chose en commun. Sauf une, la quête d’un contact humain. « La proximité c’est de l’humain, une vraie personne qui comprend une demande, une vraie personne qui sait s’adapter », répète Isabelle Le Diberder, parfois un peu lasse des ministères imposant les mêmes structures dites de proximité partout : « Les Mureaux ce n’est pas Chauffailles ! Expliquer cela à un techno et lui parler d’adaptation, alors qu’il fonctionne sur l’homogénéité, sur la duplication du même dans chaque canton, dans l’Artois comme à Vénissieux, ce n’est pas possible. La proximité c’est un outil marketing pour l’État. Mais un outil qu’il ne finance pas et saborde constamment. » Avec la création des Maisons France services, l’État fait porter un bien plus grand nombre de missions de services publics à des associations qui, selon la loi, doivent « donner accès à tous les services publics de manière homogène avec la même qualité de service ». Et cela avec une subvention de 30 000 euros qui ne bouge pas et avec de moins en moins de contrats aidés ? Pas sûr que cela puisse fonctionner.

La proximité demande un peu de finesse dans un monde de technos. Un peu de discernement pour distinguer la bonne et la mauvaise proximité, comme il y a du mauvais cholestérol.

La proximité, une question de temps plus que de distance

La question de la proximité est très probablement mal posée par l’État et par beaucoup de maires. Le géographe Jacques Lévy n’aime pas trop qu’elle soit envisagée sous l’angle de la distance alors que celui du temps est bien plus pertinent. Question de bon sens. Si l’on va plus vite peu importe le nombre de kilomètres et la distance à laquelle se trouve la maternité. « Cette question du temps est difficile à calculer vu le nombre de variantes qu’il faut prendre en compte, mais la mesure temporelle de la proximité est une question essentielle que la société doit se poser », confirme-t-il. Il est encore plus énervé par l’idée de la proximité prise comme ressource politique, comme idéologie, tant il est frappé par « la résistance des corporatismes spatiaux à l’émergence de pouvoirs locaux spatialement pertinents. L’intercommunalité en est le meilleur exemple. Il s’agit d’un espace local pertinent, du plus petit niveau qui “fasse local”, qui fasse société, celui où peuvent réellement se gérer les questions de logement, de mobilité, d’emploi, etc. En dessous ce n’est plus pertinent. Et lorsque l’on parle de proximité en dessous de l’interco on est dans l’idéologie. Les gens qui se prétendent champions de la proximité au niveau communal font de l’infra politique. »

En mars 2019, la Cour des comptes, peu réputée pour sa tendresse vis-à-vis des égarements et carences de l’État, a constaté, dans son rapport sur l’accès aux services publics dans les territoires ruraux, que, « contrairement à une perception répandue, il n’y a pas eu d’abandon généralisé de ces territoires par les grands réseaux nationaux de services publics ».

L’intercommunalité, la bonne échelle de proximité ?

Comme beaucoup de géographes, d’économistes ou de sociologues, Jacques Lévy supporte mal ces maires qui dénigrent les intercommunalités « exactement comme les États dénigrent la construction européenne alors que ce sont précisément eux qui ont empêché l’Union d’être pleinement démocratique en bloquant son élection au suffrage universel direct. Exactement comme les maires bloquent l’élection du président de l’interco. » La proximité ne se joue pas en laissant la mairie au milieu de la place du village. « Au moins dans l’interco, continue Jacques Lévy, le citoyen a quelques chances de voter pour des choses qui le concernent dans son habitat comme dans son travail. Il se prononcera sur de véritables enjeux stratégiques et le président de l’interco sera élu sur un mandat clair pour arrêter les incohérences. Ces espaces de citoyenneté commune avec des cohérences spatiales sont nécessaires. Cela vaut pour toutes les intercos, celle de Lyon qui ne comprend pas le périurbain et ne représente pas la totalité de l’agglomération ou celle de Paris qui relève, elle, de la caricature totale : on fabrique un Grand Paris tout petit et sans pouvoirs, on lui rajoute une couche d’EPT pour être sûr qu’il n’aura aucune marge de manœuvre et on supprime l’élection du président de la métropole au suffrage universel ! Là on est vraiment dans la volonté de nuire. »

La proximité demande un peu de finesse dans un monde de technos. Un peu de discernement pour distinguer la bonne et la mauvaise proximité, comme il y a du mauvais cholestérol. Mais un techno de l’État est suffisamment mauvais médecin pour ne pas savoir choisir entre les deux et agit comme s’il n’y avait que des effets négatifs à habiter loin des villes. Pourtant, en mars 2019, la Cour des comptes, peu réputée pour sa tendresse vis-à-vis des égarements et carences de l’État, a constaté, dans son rapport sur l’accès aux services publics dans les territoires ruraux, que, « contrairement à une perception répandue, il n’y a pas eu d’abandon généralisé de ces territoires par les grands réseaux nationaux de services publics. Rapportée à la population, leur présence physique y reste dense, dans certains cas davantage même que dans les autres parties du territoire national. » Le Cour montre, par exemple, que pour la Gendarmerie nationale, l’Éducation nationale et La Poste « le maillage territorial en zone rurale reste dense » même si cela « n’interdit pas une réorganisation permettant d’en améliorer la qualité ». Un souci toutefois avec, dans les territoires ruraux, le maintien à domicile des personnes âgées en situation de dépendance.

« La proximité ce n’est pas forcément en bas de chez soi. La proximité est une notion qui ne cesse de grandir mais dans le plus grand flou », explique Jean-Marc Offner, directeur de l’Agence d’urbanisme de Bordeaux métropole Aquitaine.

Quand La Poste investit « le bien vieillir »

Une tâche à laquelle s’est attelée La Poste, confrontée à un problème de taille : comment fermer des bureaux en rural avec l’accord des maires conformément à la loi, tout en restant présent sur le territoire conformément à l’engagement de La Poste ? En transformant La Poste en entreprise de services à la personne et le facteur en aidant à la personne. « L’important, souligne Florence Pavageau, déléguée régionale de La Poste pour la Normandie, n’est pas tant la distance, même si la loi nous en impose une, mais une proximité avec le bon package de services. Et La Poste a vocation à être présente sur tous les sujets du domicile, du portage de médicaments à la micro-détection. Ce n’est pas un changement évident pour nous comme l’extérieur car personne ne nous attendait vraiment sur le “bien vieillir” qui est un sujet très compliqué. Mais avec cette stratégie nous restons sur le territoire et nos facteurs aussi. Nous avons vocation à devenir l’entreprise de proximité la plus humaine de France. » La campagne « Veiller sur mes parents », lancée il y a deux ans avait frappé les esprits : du lien social, une autre idée de la proximité, mais aussi, La Poste ne le cache pas, un business appelé à se développer et du travail pour des facteurs dont la charge de courrier a diminué de moitié sur les dix dernières années.

Le facteur c’est comme l’infirmière, tout le monde l’aime bien. Et surtout il se déplace, vient voir les gens chez eux. L’État a peut-être compris qu’il devrait sortir de sa forteresse numérique et inventer des services publics humains et mobiles. Mais il y va prudemment et ne teste pour l’instant qu’une petite vingtaine Maisons France services mobiles, alors que les PIMMS se baladent depuis longtemps sur les marchés ruraux avec une petite mallette numérique pour régler les problèmes sur place et que les facteurs ont leur terminal ambulant, Facteo. Tout cela taraude depuis quelques années les collectivités. À Bordeaux, Jean-Marc Offner qui dirige l’agence d’urbanisme de la métropole, a voulu, en 2011, développer l’idée de la « métropole du quart d’heure ». Comment, dans la métropole de Bordeaux, mettre les services du quotidien à un quart d’heure en mobilité douce de chaque habitant ? La réponse traditionnelle et budgétaire délirante aurait été de mettre des guichets de service public tous les dix kilomètres. La réponse plus maline, et non dispendieuse, a été d’arrêter de se focaliser sur le lieu de l’habitat, mais d’installer ces guichets-là où vont les gens : à côté des lieux de travail, dans les gares ou les centres commerciaux. Jean-Marc Offner avait en tête une approche du « local s’affranchissant de l’arraisonnement au domicile », une envie de passer des lieux aux liens. Dit autrement : « On ne peut pas avoir tout partout, mais on peut avoir accès à tout de partout. »

Une factrice aidant une sénior à Redon dans le cadre d’une mission « Veiller sur mes parents » (VSMP), une nouvelle activité de proximité lancée par La Poste il y a deux ans pour répondre à l’isolement social des personnes âgées.
©Groupe La Poste

Belle idée, mais il y avait un iceberg de taille pour la couler : les élus locaux n’ont pas accepté l’idée, un peu lourde pour eux, que tout ne soit pas ancré à la zone de l’habitat. « Pourtant, explique Offner chacun est usager d’un territoire plus global. On peut être usager d’un territoire sans en être habitant, sauf que ce n’est pas facile à accepter pour les maires : la proximité ce n’est pas forcément en bas de chez soi. La proximité est une notion qui ne cesse de grandir mais dans le plus grand flou. Face à la très faible légitimité des intercos qui ne sont en fait que des dispositifs techno-administratifs pas des dispositifs politiques, le maire est redevenu la figure politique de la proximité, de la critique de l’urbain et de la non possibilité qui semble s’y faire jour de cohabiter avec l’autre… Tout cela pousse au retour sur le terroir et au local et on en dit souvent n’importe quoi. On en vient, par exemple, à élaborer des stratégies à cause du fait que Bordeaux n’aurait qu’une journée d’autonomie alimentaire. Et alors ? Quand bien même on passerait à deux ou trois jours d’autonomie en 2050, n’est-ce pas profondément ridicule de nier les interdépendances ? La division du travail et des productions, cela aussi a du bon… Faut-il tomber dans les versants pervers de la proximité, le localisme exacerbé, la communauté fermée, l’autarcie exacerbée, l’économie des ressources, etc. »

Inauguration par le président de la République le 22 novembre 2019 de la toute première Maison France services, dans les quartiers nord d’Amiens.
©Elysée

L’exigence de « la bonne distance »

Dans ce que Jacques Lévy appelle « le refus de l’intermédiation », une idée, héritée de Rousseau, selon laquelle la communauté rurale serait une entité insécable et qu’au-dessus d’elle, tout ne serait qu’intermédiation, mobilité, commerce, TGV, etc., et que tout cela serait condamnable. « Le “on est bien chez soi” est une idéologie régressive car toute société sophistiquée suppose de l’intermédiation », affirme Jacques Lévy qui, on le pressent, aimerait bien lancer une campagne pour démythifier cette idée de proximité réduite à un localisme réactionnaire. Devant les élus des intercommunalités, la sociologue Marie-Christine Jaillet a clairement posé le cadre du débat. Pour elle, la proximité géographique ne crée pas en soi de lien. Du coup, « la volonté de prendre appui sur le territoire de proximité, parce qu’il serait le support d’une communauté de vie, est d’autant plus illusoire aujourd’hui que les modes de vie contemporains sont de moins en moins inscrits dans un territoire resserré sur une communauté : ils s’organisent en effet moins à partir de la proximité et du voisinage qu’à partir de la mobilité qui a élargi les horizons de vie, dilaté le territoire des circulations et des pratiques, ignorant les frontières, les dépassant, faisant éclater l’unicité de l’espace du quotidien et des relations… Au modèle fusionnel de la proximité répond désormais l’exigence de la “bonne distance”. »

Selon la sociologue Marie-Christine Jaillet, « la proximité géographique ne crée pas en soi de lien […]. La volonté de prendre appui sur le territoire de proximité, parce qu’il serait le support d’une communauté de vie, est d’autant plus illusoire aujourd’hui que les modes de vie contemporains sont de moins en moins inscrits dans un territoire resserré sur une communauté. »

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