#RESET, prendre le temps d’anticiper

Reset
Le 22 août 2019

La Fing a lancé, début 2019, l’initiative collective #RESET dite « Quel numérique voulons-nous ? », pour donner suite à la publication d’une tribune dans la presse « Il est temps de décrire le numérique que nous voulons » (Le Monde, 26 janv. 2019) rassemblant plus de 1200 signataires. Retour sur les ateliers de prospective créative dans le cadre de cette démarche. « #RESET – Quel numérique voulons-nous ? » est la septième édition de Questions numériques.

« À la fois mieux armés et plus démunis, plus segmentés et mieux reliés, nous allons massivement vers le “plus” sans certitude d’aller vers le “mieux”, avec l’hypothèse sérieuse de déconnexions volontaires, voire de rébellions. » Ces quelques lignes ont été écrites dans la deuxième édition de Questions numériques, l’exercice de prospective collective de la Fing, mis en place en 2010 (voir encadré).

Aujourd’hui nous en sommes à la septième édition et le constat n’a pas beaucoup changé : les potentiels du numérique nous fascinent, ses dégâts nous effraient, nombreux sont ceux qui aspirent à (re)trouver du sens à la transformation numérique, notamment des repentis des GAFAM, qui n’avaient pas vu venir la prolifération des fake news, la centralisation des pouvoirs par un petit nombre d’acteurs, la marchandisation et l’exploitation abusive de nos données personnelles, ou encore la consommation énergétique considérable des outils et services numériques. Mais les bons sentiments ne suffiront pas à faire face aux différents défis qui se présentent à nous et à donner corps à un numérique qui proposerait du « mieux » plutôt que du « plus ».

Dans son article intitulé « Pourquoi avons nous besoin de prédictions ? », Hubert Guillaud, rédacteur en chef d’InternetActu, le média de la Fing, expliquait en 2011 que pour Sherry Turkle, professeure au MIT et auteure de Alone Together : Why We Expect More from Technology and Less from Each Other1, la prédiction a un but, non pas celui de gagner un pari sur l’avenir, mais celui d’exprimer un espoir sur la façon dont nous aimerions que l’avenir soit. « Lorsque nous faisons des prédictions sur la technologie, nous nous permettons d’imaginer comment nous voulons que la technologie change le monde, même si elle n’y arrive pas exactement. » C’est l’ambition de Questions numériques, depuis le début.

Pour cette édition, nous avons travaillé sur six caractéristiques du numérique (frugal, innovant, protecteur, non-discriminant, démocratique et capacitant), sachant que ces caractéristiques pouvaient aussi s’appliquer à la société et à la façon dont le numérique permettrait d’y parvenir. Après avoir identifié les causes du problème, les éléments bloquants ou encore les signaux faibles d’une amélioration, pour poser le sujet et se mettre d’accord sur les enjeux de l’atelier, les participants se sont séparés en deux sous-groupes : l’un a travaillé sur le sujet dans un monde de demain contraint, l’autre devait dresser le monde idéal. Pour arriver à ce monde contraint, des éléments du « monde de demain » ont été tirés au dé (une précision, cette méthodologie de tirage du monde aux dés a été mise en place par l’agence de design Vraiment Vraiment). Par exemple, l’énergie est-elle extrêmement rationnée (1 au dé) ou bien avons-nous atteint 100 % d’énergies renouvelables (6 au dé) ? Le niveau d’engagement politique de la population est-il proche de zéro ou bien la population est-elle engagée et active ? Sommes-nous dans un contrôle autoritaire des naissances ou bien y a-t-il une explosion démographique ? Les inégalités économiques mondiales ont-elles décuplé ou bien y a-t-il une quasi-égalité économique entre les pays ? L’intelligence artificielle (IA) est-elle restreinte à quelques domaines ou bien est-elle omniprésente dans les décisions stratégiques ? Dix-sept critères avaient été définis. Réfléchir ainsi dans la contrainte permet de sortir des cadres habituels et d’imaginer de nouvelles solutions à un problème.

Pour cette septième édition de Questions numériques, nous avons travaillé sur six caractéristiques du numérique (frugal, innovant, protecteur, non-discriminant, démocratique et capacitant), sachant que ces caractéristiques pouvaient aussi s’appliquer à la société et à la façon dont le numérique permettrait d’y parvenir.

Concrètement, si l’on prend l’un des sujets de l’atelier, par exemple, celui d’un numérique frugal ou d’un numérique au service d’une société frugale, le monde aléatoire tiré aux dés était un monde technologique et scientifique ayant une pluralité des acteurs de l’innovation et des infrastructures du Web décentralisées. Les énergies sont renouvelables à quasi 100 % et l’environnement a atteint la neutralité carbone, cependant il y a une explosion démographique, ainsi qu’une grande inégalité entre les territoires, couplée à une défiance entre les populations, populations qui ont un niveau d’engagement faible et une très faible maîtrise du numérique.

Les participants du groupe, qui travaillait sur le monde contraint, l’ont décrit plus précisément, notamment ses conséquences sur une société frugale et le rôle du numérique : dans ce monde, les industriels du numérique ont pris le pouvoir, et le développement de l’IA a été décuplé, grâce à des découvertes scientifiques, ce qui a permis de tenir les objectifs de frugalité. Les phénomènes climatiques ont imposé un système politique élitiste qui a poussé les objectifs écologiques au détriment de la résolution des fortes disparités. Ce système inéquitable a tout de même permis la survie de l’espèce humaine, grâce à des systèmes de mesures et de contrôle des flux très élaborés et à une auto-régulation poussée des systèmes d’information (les data sont détruites quand elles sont devenues obsolètes). La recherche scientifique est reconnue, elle a encouragé la conception d’objets physiques et/ou numériques en tenant compte de l’impact sur l’environnement et la consommation d’énergie.

Le deuxième sous-groupe devait dresser le monde idéal qu’il voudrait attendre sur leur sujet en disant ce qu’il y aurait en plus et en moins, ce qu’il faudrait arrêter de faire ou au contraire commencer à faire, en prenant en compte différents acteurs : industriel, législateur, innovateur, consommateur, employeur, ONG, etc. Dresser un idéal permet de se projeter dans un monde rêvé, de le pousser pour lui donner une réalité, de définir des objectifs ambitieux, d’imaginer des propositions fortes.

Dans l’atelier frugal, le monde idéal, c’est un monde où l’on commence à intégrer les coûts écologiques dans le coût d’achat, à appliquer le principe du pollueur-payeur, et à marketer la sobriété, c’est aussi un monde où l’on arrête d’utiliser des technologies mortifères et de polluer ailleurs, notamment en Afrique et en Asie. Différentes réglementations européennes ont été mises en place pour permettre cela : devoir de vigilance sur l’importation des produits électroniques venant d’Union européenne, pénalités en cas de pollution, etc.

La richesse de l’exercice vient dans la partie suivante, quand les participants ont confronté les deux mondes, le contraint et l’idéal, pour trouver les points communs, des intentions, mais aussi des compromis, permettant ensuite de définir les premières propositions et actions à mettre en œuvre. Dans le groupe « frugal », après un temps d’échanges, les participants ont retenu divers éléments des deux mondes décrits.

Questions numériques

Depuis 2010, la Fing anime une démarche annuelle, collective et créative, qui convie décideurs, chercheurs et innovateurs, à chercher et à formuler ensemble les Questions numériques des années à venir, à l’intersection des innovations techniques, des mutations économiques et des transformations sociales – et à imaginer les manières d’y répondre ! « #RESET – Quel numérique voulons-nous ? » est la septième édition de Questions numériques.

Questions numériques produit :

  • des décalages plutôt que des scénarios ou des tendances (des marges de manœuvre vis-à-vis du déterminisme technique) ;
  • une conversation régénérée et désincarcérée (200 à 300 participants/diversité d’appartenances) ;
  • des questionnements et intuitions (questions d’acteurs reformulées, questions pour la société, le débat public, questions de recherche) ;
  • des outils de pensée, kits et matériaux coopératifs (en licence libre, utilisés par l’enseignement supérieur, l’éducation populaire, etc.).

Comme en 2013 avec le sujet des transitions, #RESET va se poursuivre pendant au moins 2 ans pour arriver à des actions collectives concrètes. Si vous souhaitez participer à ce projet, vous pouvez nous écrire à reset@fing.org

Ce qui a été retenu du monde aléatoire :

  • la technologie a sauvé la planète mais n’a pas amélioré l’Humanité ;
  • le contrôle centralisé peut rimer avec une décentralisation des techniques et moyens ;
  • les technologies sobres ont sauvé le monde en jouant sur la masse…
  • … sans qu’un processus contributif ne soit utilisé, mais imposé pour répondre à l’urgence.

Ce qui a été retenu du monde idéal :

  • la frugalité est d’abord une question comportementale ;
  • l’omniprésence de l’information permet de changer les comportements ;
  • la législation mène à la frugalité par la sanction, autant que par l’imitation ;
  • les modèles économiques doivent intégrer la frugalité pour la rendre désirable (aux usagers comme à l’entreprise).

C’est à partir de ces différents constats que les participants ont pu commencer à décrire les premières actions à mettre en place, en autres :

  • changement des consciences par l’information et l’éducation : l’information (médias, communication interne aux entreprises, formation, enseignement) doit nourrir la conscience écologique des citoyens ; il est nécessaire d’éduquer et d’informer sur les coûts du numérique pour déconstruire le mythe d’un numérique dématérialisé ; à l’école, en entreprise, il faut rendre accessibles et visibles des métriques de consommation, pousser de bonnes pratiques ;
  • recyclage et réusage by design, imposés par une législation contraignante mais avec une information claire (liée aux données personnelles des usagers) ;
  • mise en place d’une frugalité, réelle mais choisie, appliquée aux acteurs technologiques en réfléchissant en amont à ce que l’on propose comme produits, services, matériaux, en créant des services plus éco-responsables ou conçus de façon éco-responsable ; permettant également de comparer l’impact de sa consommation (sur une plateforme, sur les factures, en faisant référence à la consommation moyenne de la ville, de son quartier, de son immeuble), etc.

Des actions ont ainsi été décrites dans les différents ateliers organisés en parallèle et feront l’objet d’une publication en septembre 2019.

Mais l’ambition de la démarche #RESET ne s’arrête pas là : les pistes, propositions et débuts d’engagements élaborés en 2019 ont vocation à produire des actions collectives, construisant des coopérations, alliances et coalitions. C’est pourquoi la démarche exploratoire débouchera sur un programme collectif pluriannuel, construit par la Fing avec un ensemble de partenaires, ayant vocation à produire des impacts significatifs.

En espérant qu’en 2022, des acteurs des technologies, nationaux et internationaux, auront progressé vers de nouvelles architectures du Web et de nouveaux horizons de conception pour les systèmes techniques numériques ; des grandes organisations auront réorienté leurs approches de la transformation numérique en tenant mieux compte des transformations humaines et des enjeux sociaux et environnementaux ; des acteurs territoriaux auront enrichi leurs stratégies numériques pour mettre leurs investissements au service du développement humain de leurs territoires. Les prédictions qui auront été faites en 2019, arriveront peut-être ainsi à vraiment changer le monde cette fois-ci.

  1. Turkle S., Alone Together : Why We Expect More From Technology and Less From Each Other, 2012, Basic books.
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