Annie Yague, Ancienne vice-présidente du CCAS de Montpellier

Annie Yague
Le 27 août 2020

Durant les cinq dernières années, Annie Yague était élue à la ville de Montpellier, en charge des affaires sociales et vice-présidente du centre communal d’action sociale (CCAS) de la ville. Un rôle stratégique dans la crise qui vient de se dérouler. Avant d’entamer une carrière politique, elle a été infirmière en bloc opératoire pendant vingt-trois ans, cheffe d’entreprise et conseillère prud’homale. Elle nous livre son impression sur les derniers mois ainsi que sa vision de l’action sociale pour accompagner la crise économique à venir.

La vie du CCAS pendant la crise sanitaire

En période de confinement, le centre communal d’action sociale (CCAS) est resté fortement mobilisé afin de maintenir les services essentiels pour la population montpelliéraine. Ainsi, 70 % des agents ont assuré leurs missions ou été mobilisés dans d’autres services. Le CCAS de Montpellier a dû adapter son fonctionnement aux règles sanitaires édictées. Afin de répondre aux besoins des concitoyens les plus âgés et/ou les plus vulnérables, le CCAS a mis en place un plan de continuité et organisé son activité et les services autour d’un accueil téléphonique ou présentiel (en cas de nécessité pour certains publics). Le télétravail a également été mis en place pour certaines activités le permettant (notamment les services administratifs). Enfin, les services de priorité 1 (EHPAD, le service de soins infirmiers à domicile [SSIAD] et le service d’aide à domicile [SAD]) ont assuré leurs missions auprès des publics de manière continue, en appliquant les règles sanitaires liées au covid-19.

La situation n’a pas été très facile à gérer. J’ai été malade du covid-19 au début. J’ai donc continué à travailler depuis chez moi. J’avais cette impression que cela allait mal se passer. Je n’étais pas sur place, c’était très dur. Quand les difficultés sont arrivées, il y a eu de la peur. Nous ne savions pas où nous allions. Nous nous sommes retrouvés pour nous dire que nous ne pouvions pas rester sans rien faire. Nous nous sommes donc mis au travail directement. Je pense que cela a permis d’atténuer l’angoisse qui aurait pu naître. Nous avons créé nos masques et nos surblouses. Nous avons mis en place des distributions alimentaires. Il y a eu une grande participation.

Tout Montpelliérain en difficulté sociale pouvait contacter le CCAS. Une attention particulière a été portée aux personnes âgées isolées par la mise en place d’une veille technique : une cellule composée de professionnels a assuré une veille téléphonique afin de répondre aux besoins des seniors en les informant et les orientant au mieux en fonction de leurs besoins. En tout, plus de 7 000 personnes ont été appelées pour évaluer la situation et maintenir le lien social.

Pour les victimes de violences conjugales, nous avons voulu être présents. Le CCAS de Montpellier a élargi la plage horaire de sa plateforme d’écoute téléphonique1 conjointement avec la ville de Montpellier qui a diffusé une campagne de sensibilisation intensive pendant toute la période du confinement. Ainsi, la plateforme d’écoute a, de fait, vu ses appels augmenter (jusqu’une douzaine d’appels par jour, au pic). La tendance était plutôt à de l’écoute et du soutien, au positionnement face au compagnon violent. En effet, en période normale, quand les activités permettaient un exutoire, le conflit de couple ne se transformait pas systématiquement en violences conjugales. Le confinement a ainsi généré pour certaines femmes de la violence ; les victimes demandaient alors un soutien et des informations concernant l’orientation et les possibilités d’actions dans ce contexte particulier. Les femmes qui le souhaitaient ont pu bénéficier d’un soutien psychologique et d’un accompagnement à la parentalité par téléphone.

Cette crise a démontré l’utilité, la place et la légitimité des centre communaux d’action sociale (CCAS).

Le nombre de personnes demandant une mise en protection reste statistiquement stable par rapport à une activité habituelle. Néanmoins dès que le service avait connaissance d’une demande, il se mettait en lien avec le 115 pour une prise en charge à hôtel de la famille et travaillait conjointement pour l’accompagner au mieux. Aujourd’hui, nous pouvons constater une recrudescence d’activité de notre service : les situations ont dégénéré pendant le confinement et les femmes victimes de violences demandent à présent des mises en protection.

Le CCAS et les EHPAD

Dans les EHPAD, la gestion a été très compliquée. Nous n’avions pas le droit d’entrer dans les établissements. Nous avons eu un soutien logistique le plus important possible depuis l’extérieur. Cela pouvait passer par la fabrication de masque, par exemple. Nous communiquions avec le personnel par des visioconférences. Nous avons eu des agents avec une mentalité extraordinaire. Certains ont abandonné leurs métiers pour remettre la blouse et effectuer toutes les tâches possibles. Il est primordiale de dire que des personnes sont allées aider dans des EHPAD que l’on savait contaminés. C’est très important d’en témoigner ! Ils sont montés au front, et tous ces agents méritent mieux que des remerciements.

Nous avons des colocations solidaires avec des jeunes en EHPAD. Nous avons deux jeunes qui sont restés sur place pour aider. C’est un bel exemple de solidarité et une belle preuve d’engagement.

Comme de nombreux établissements en France, les sept EHPAD de notre CCAS ont eu à gérer une crise sanitaire complexe mais nous avons eu la chance d’être relativement épargnés puisque seuls deux établissements ont été touchés. Depuis le début de cette crise, le CCAS a deux objectifs prioritaires pour ses EHPAD. Le premier est de protéger la santé et la sécurité des résidents et des agents. Le second est de garantir la continuité de notre mission de service public.

En observant ce qu’Emmanuel Macron a appelé « le front » face à la pandémie, j’ai pu observer l’engagement des agents territoriaux et leur sens commun du service public. On peut dire que ce front est quotidien dans les EHPAD. Le combat se mène jour après jour pour maintenir des conditions d’une prise en soins de qualité avec les moyens qui sont alloués aux EHPAD. Aujourd’hui, cette crise a, une nouvelle fois, montré le rôle primordial des agents dans les EHPAD, quel que soit leur métier : il y a urgence à revaloriser ces métiers indispensables pour accompagner les aînés les plus vulnérables.

L’engagement des équipes a été sans faille et je les en remercie. Ils se sont mobilisés, jour après jour, avec détermination et dévouement, sans relâche. Ils ont été solidaires, à l’écoute les uns des autres, ils ont œuvré ensemble pour faire front au virus. Pendant cette crise, des agents se sont portés
volontaires pour venir en aide à leurs collègues. Durant cette période, il a été essentiel de renforcer les équipes pour éviter l’épuisement et assurer un service de qualité. Nous avons pu le faire grâce à l’engagement d’agents dont les services étaient fermés ou moins prioritaires. Une vingtaine d’agents a pu ainsi être mobilisé sur leur métier d’aide-soignants ou encore sur le renforcement des équipes d’animation. Par ailleurs, le CCAS a essayé de faciliter le quotidien des agents comme la mise en place des repas gratuits pour tous les agents.

Notre action a été d’autant plus complexe que nous avons dû faire face à une pénurie de matériel, notamment avec une arrivée tardive de masques chirurgicaux, matériel essentiel dans la mise en œuvre des mesures barrières. Nous avons mis en place des ateliers de couture pour la fabrication de masques avec des agents volontaires et des bénévoles. Plus de 1 200 masques ont ainsi pu être fabriqués et distribués aux agents des EHPAD mais aussi de notre SSIAD et SAAD. Dans le même registre, nous avons connu une pénurie de surblouses, et là aussi des agents et bénévoles ont assuré une production artisanale.

Pendant cette crise, il était aussi primordial de maintenir le lien entre les résidents et leurs familles. Cela a pu être possible en mettant en place une communication via Skype. Nous avons eu la chance de bénéficier du don de dix tablettes par EHPAD par la Fondation des hôpitaux de Paris et la Fondation Bruneau. Cela a demandé aux résidents de s’adapter, aux animateurs de les accompagner. Et cela a fonctionné ! La communication avec les familles a été permanente, les équipes de direction ont assuré ce lien essentiel. Avec l’autorisation progressive des visites, il était nécessaire de s’organiser en fonction de l’architecture de chacun des établissements, de mettre en place des protocoles et d’accompagner les familles. Nous avons pu aussi compter sur les bénévoles des associations des visites des malades au sein des établissements hospitaliers (VMEH) pour l’organisation des visites et Les Blouses roses2 qui ont continué leurs animations via les réseaux sociaux. Les animateurs ont redoublé d’ingéniosité pour innover dans une animation qui respecte les consignes sanitaires mais qui permet la pratique collective à distance comme les lotos de couloir où les résidents jouaient sur le seuil de leur chambre, l’utilisation renforcée des outils numériques, les partenariats avec les écoles pour créer une correspondance avec les enfants… Avec la réouverture progressive des EHPAD, la culture reprend peu à peu sa place. Grâce à notre partenariat avec le conservatoire de Montpellier, nous organisons des concerts dans les cours et les jardins des EHPAD qui permettent aux résidents d’y assister de leurs balcons, des terrasses ou en petits groupes à l’extérieur.

CCAS et crise économique

La crise sanitaire et son corollaire, la vie économique, ont fait apparaître des problématiques à court et moyen termes : un impact sur l’emploi, à travers le chômage partiel et les pertes sèches d’emplois.

Ainsi, une frange de la population appelée « travailleurs pauvres » au budget très serré va supporter de plein fouet la perte de salaire à travers les indemnités de chômage. Par ailleurs, de très nombreux emplois liés au tourisme, à l’hôtellerie ou à la culture, en cette période estivale, sont remis en cause. Les jeunes sont particulièrement touchés par l’absence de ces emplois saisonniers.

Il va falloir adapter nos dispositifs d’accompagnement à ces nouveaux publics et les aider à rebondir et traverser ces quelques mois critiques. Dans ce contexte de diminution des revenus par foyer, nous serons vigilants sur les dépenses budgétaires importantes telles que les loyers ou les factures énergétiques et ce afin d’éviter tout endettement et ses conséquences. Les prochains mois seront décisifs et nécessitent une observation fine et suivie de l’évolution de ces différentes problématiques.

Cette crise a, encore une fois, démontré l’utilité, la place et la légitimité des CCAS. Nos institutions ont prouvé leur capacité d’adaptation, leur réactivité dans la gestion individuelle des problématiques des citoyens, dans les réponses de proximité ou encore dans la coordination des interventions institutionnelles à l’instar des distributions alimentaires. Comme nous l’avons toujours fait, nous allons devoir nous adapter aux problématiques, non de masse, mais très individualisées, afin d’agir en fonction de chaque difficulté rencontrée par chaque citoyen. Nous allons devoir aussi faciliter la coordination des différents aides institutionnelles.

CCAS et plan de relance

La relance économique est certes un moteur nécessaire mais il ne suffit pas à lui seul. De très nombreuses initiatives citoyennes, associatives et institutionnelles en matière de solidarité et de cohésion ont vu le jour durant le confinement. Il est donc primordial de maintenir ces solidarités actives en parallèle de la relance économique car la situation économique évoluera de façon progressive et nous devons éviter toute rupture ou dégradation de parcours de vie de nos concitoyens durant ce laps de temps.

À mon avis, ce pacte doit être protéiforme et s’inscrire dans une vision globale, transversale mais aussi anticiper le grand changement dans lequel le monde entre. Anticipation, réactivité, adaptation, innovation, proximité, voilà quelques principes qui devront guider nos interventions.

Lors des discussions autour du plan de relance, on parle beaucoup de social et de solidarité. Il faut trouver comment mieux intégrer ces valeurs à nos politiques. La solidarité est une valeur et non une politique sectorielle. Elle est le ciment de notre pacte républicain et doit transcender toutes les politiques publiques. En effet, elle est au centre de notre façon de vivre, de nous déplacer, d’habiter, d’exprimer notre citoyenneté, en somme elle est au cœur des enjeux de la ville de demain.

Les CCAS sont centraux dans ces enjeux, levant de puissants outils (notamment par le biais d’une connaissance du territoire avec l’analyse des besoins sociaux [ABS]) et leviers de cohésion sociale. Notre conception de la ville de demain repose sur trois enjeux essentiels : l’intergénérationnel, le vivre ensemble et les parcours de vie. Les CCAS et leurs dispositifs sont essentiels pour lier la mobilité à la culture, à l’habitat, à l’économie. Nous sommes des faiseurs de ponts et passerelles et jouons le rôle de phare quand nos citoyens traversent des difficultés. Nous sommes un repère dans ce monde qui s’accélère et qui se dématérialise à tout va. En somme, nous représentons la proximité, la bienveillance et la présence humaine. Et c’est ainsi que nous abordons la révolution numérique et son impact sur les populations les plus fragiles. La place des CCAS doit être complètement revue dans les grands chantiers nationaux à l’instar du plan pauvreté.

En période de covid-19, afin d’adapter nos interventions à l’inconnu dans ce contexte, nous avons développé une capacité de résilience accrue. Cette souplesse et réactivité ainsi que nos relations de proximité avec les citoyens et acteurs ont permis d’asseoir nos modes d’agir et d’innover. Cette fonction de laboratoire opérationnel a été essentielle et mériterait d’être déployée dans des territoires ne disposant pas de CCAS. La mutualisation des pratiques et expertises au service des territoires est un enjeu essentiel et la coopération des communes et leur CCAS une démarche primordiale pour le développement social.

CCAS et innovation publique

Innovation et CCAS se sont traduits durant le covid-19 par une formidable capacité à réfléchir, créer et produire dans des délais très courts de réponses. Produire des masques grâce à des bénévoles, des visières, utiliser des applications pour maintenir le lien social, etc. L’innovation en temps de crise se doit d’être opérationnelle, réactive et adaptée aux besoins identifiés. L’innovation publique n’est pas une fin en soi : elle est un moyen. Elle doit permettre de transformer nos pratiques, faciliter l’adaptation de nos dispositifs aux nouveaux enjeux, permettre les conditions de la co-conception des politiques publiques, d’envisager de nouveaux champs des possibles qu’offrent les avancées technologiques. Donc, oui à l’innovation mais toujours dans un objectif de création de lien et de cohésion sociale incarnés par l’humain.

Nous avons sur notre territoire, et parmi les projets du CCAS, le centre d’expérimentations et d’innovation social (CEIS). Il porte une valeur essentielle : l’usager est au cœur et acteur de son parcours. Le citoyen est pris dans sa globalité, ses qualités, ses fragilités, ses motivations et ses craintes. Ici, on ne fractionne pas les problématiques de logements, culturelles, économiques ou autres !

Il s’agit de redonner confiance, d’accompagner vers l’autonomie et de surmonter les difficultés. Dans ce cadre, tout est mobilisé, le sport, la culture, la santé, la citoyenneté pour co-construire un véritable programme qui s’assimile à du coaching bienveillant. Les résultats sont à la hauteur de nos espoirs. Les citoyens qui passent par le CEIS sont transformés, leur image, leur confiance, leurs espoirs d’insertion, leur place dans la ville sont autant d’éléments visibles et lisibles qui nous indiquent que nous sommes collectivement sur la bonne pratique de l’action sociale.

Le CEIS s’est fixé plusieurs objectifs parmi lesquels : l’accès aux droits numériques et à l’univers d’Internet (seniors, chômeurs, etc.), l’insertion sociale de publics très éloignés de l’emploi, la citoyenneté active par une maîtrise de l’environnement institutionnel pour les Montpelliérains suivis, le brassage et la diversité des publics ont eu un effet incontestable sur le vivre ensemble et le faire ensemble, l’autonomie des usagers, à l’instar du club d’utilisateurs du CEIS créé par des citoyens suivis. La liste est longue et ce succès a été récompensé par notre labellisation nationale parmi les trente fabriques numériques du territoire. Il souhaite inscrire cette ambition en amplifiant la logique de « tiers lieu » initiée et en continuant à s’inscrire dans une logique d’innovation (expérimentation, essaimage).

L’innovation en temps de crise se doit d’être opérationnelle, réactive et adaptée aux besoins identifiés.

CCAS et fracture numérique

La fracture numérique a été amplifiée par le covid-19 mais était déjà bien installée. Les CCAS construisent de nombreux outils afin de lutter contre ce fléau qui touche les plus fragiles. L’ensemble des procédures administratives sont dématérialisées, ce qui a engendré deux conséquences sur les citoyens. La première est une nette augmentation du non recourt à leurs droits. La seconde, est l’observation des ruptures dans les situations administratives graves : absence de sécurité sociale, de dépôt de dossier de retraite, etc.

Durant le covid-19 est apparue la fracture numérique éducative. Dans ce cadre, notre CCAS, en lien avec des entreprises engagées, a doté des familles d’ordinateurs mais aussi d’abonnements Internet. Pour compléter le dispositif, des étudiants et des associations ont accompagné les familles et les enfants dans l’appropriation de l’outil. Par ailleurs, dès 2018, la lutte contre la fracture numérique était un des objectifs de notre CEIS.

Nous avons aussi le projet de fabrique numérique qui s’inscrit dans une dynamique d’innovation commencée par le CCAS de Montpellier depuis 2017. Cette dynamique s’est concrétisée en octobre 2018 par la création d’une nouvelle direction dédiée à l’expérimentation et l’innovation sociale ainsi que par la création du CEIS. En effet la réduction de la fracture numérique est déjà depuis deux ans l’un des grands défis de notre établissement.

  1. Le 3919, numéro national de référence pour les femmes victimes de violences.
  2. L’association Les Blouses roses a pour mission de distraire les malades de tout âge, du bébé à la personne âgée, par des activités ludiques, créatives ou artistiques ; https://www.lesblousesroses.asso.fr
×

A lire aussi