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Comment construire une vision systémique de la crise ?

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Comment construire une vision systémique de la crise ?, c'est sur ce thème qu'ont débattu François Blanchardon, président de France Assos Santé Auvergne Rhône Alpes, Jean- Yves Blay, professeur, président d' Unicancer, directeur général du Centre Léon Bérard ( CLCC de Lyon), Frédérique Gama, directrice de la Clinique Médico Chirurgicale Charcot, Sainte- Foy- Les- Lyon et présidente de la FHP- MCO, Jean- Yves Grall, docteur et directeur général de l ’ Agence régionale de Santé d’ Auvergne- Rhône- Alpes, Pierre- Jean Ternamian, docteur et président de l ’ Union Régionale des Professionnels de Santé médecins l ibéraux d’ Auvergne- Rhône- Alpes ( URPS), Anne- Claire Thury, docteur et présidente de l ’ Association de Médecins Coordonnateurs du Rhône ( AMC 69 ) .
©DR
Le 16 janvier 2022

Les hospices civils de Lyon (HCL), la Public Factory et la chaire Transformations de l’action publique de Sciences Po Lyon ont organisé, le 4 juin 2021, une journée dédiée au croisement d’expériences sur la crise sanitaire pour les établissements de santé, les soignants et les patients. Extrait des propos tenus par les intervenants de la table ronde du matin consacré à la vision systémique de la crise, animé par Philippe Michel.

Premiers retours d’expériences par les acteurs de terrain

En région Auvergne-Rhône-Alpes, la situation a été particulièrement brutale, obligeant l’Agence régionale de santé (ARS) et l’État à s’adapter en permanence : « La chaîne de commandement n’a pas failli. Le chef d’orchestre a toujours été l’État ; l’État en général avec le préfet de région et l’État en particulier sur la partie sanitaire avec l’ARS », a rappelé Jean-Yves Grall, le directeur général de l’ARS d’Auvergne-Rhône-Alpes. Il est notamment revenu sur la coordination et la collaboration entre l’ensemble des acteurs, facilitées par l’État et l’ARS qui ont joué le rôle de « chef d’orchestre et de régulateur ». François Blanchardon, président de France Assos Santé1 en Auvergne-Rhône-Alpes, a souligné qu’au début de la première vague, les représentants des usagers ont été absents, parlant de « cassure de la démocratie sanitaire », mais rapidement, des concertations ont été mises en place avec les établissements de santé. Pierre-Jean Ternamian, président de l’Union régionale des professionnels de santé médecins libéraux d’Auvergne-Rhône-Alpes (URPS) a souligné que la crise sanitaire a révélé trois principaux dysfonctionnements : un défaut de communication, un défaut de granularité et un défaut de confiance entre les différents acteurs régionaux. Ces trois défauts ont été corrigés au fil des différentes vagues de la pandémie. La confiance entre acteurs régionaux a, par exemple, bien fonctionné lors de la troisième vague.

Pour le professeur de santé publique Philippe Michel, les premiers retours d’expérience (retex) illustrent bien deux des trois axiomes du commandement stratégique : la capacité à déléguer les décisions tactiques sur le terrain et à faire confiance dans les compétences qui existent. Pour Frédérique Gama, qui représente l’hospitalisation privée sur la région et à Lyon en particulier, la coopération inter-fédérations limitée au secteur de Lyon a facilité les décisions communes entre hospitalisation publique et privée et service public industriel et commercial (SPIC) : « On a créé un vrai lien de confiance qui nous permet aujourd’hui d’avoir minimisé la déprogrammation durant la troisième vague. Je pense qu’effectivement, s’il y a bien une clé de succès de cette histoire, c’est d’avoir appris à se connaître et de se faire confiance mutuellement. »

Jean-Yves Blay, professeur et président d’Unicancer, s’est demandé : « Comment dans une période exceptionnelle où toute l’énergie du système est focalisée sur un problème majeur prend-on en considération les patients dont le traitement ne souffre pas de délai ? Ou plus exactement devrais-je dire, qui ne peut pas souffrir de délai sans un impact direct sur leurs chances de guérison. » La crise sanitaire a révélé aussi l’importance de communiquer très simplement des données de science dans un pays qui manque cruellement de culture scientifique, prenant l’exemple de l’acceptation de la vaccination. Anne-Claire Thury, qui représente les médecins coordonnateurs établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), a regretté que le monde des EHPAD soit si mal connu : « Seulement 8 à 9 % de notre population très âgée vit en EHPAD. C’est une toute petite marge de la population. » Parmi ces retex positifs, elle a évoqué la coopération immédiate avec ses partenaires dès le début de la crise sanitaire : « On a été très fortement impactés par le covid-19, vite, fort. Ainsi, nous avons trouvé très vite les moyens et les ressources auprès de nos partenaires. Des liens très forts ont été très vite mis en place entre les urgentistes, les hospitalisations à domicile (HAD), les libéraux que nous avons priés de ne pas venir dans nos structures, les médecins coordonnateurs qui ne sont pas spécialement des prescripteurs et qui se sont retrouvés à prescrire, à suivre, à sauver, à accompagner tous ces gens qui sont restés chez eux ou qui sont partis à l’hôpital, les gériatres des hospices qui ont fait un gros travail et puis l’ARS. »

Anne-Claire Thury souligne l’importance des familles dans la prise en charge des gens très âgés : « Les proches sont importants et on leur demande bien peu leur avis. On les met en dehors et on essaie de faire au mieux ou alors on leur pose des questions très compliquées : “Qu’est-ce que vous voulez une fois que votre parent aura le covid-19 ? Est-ce que vous préférez qu’on le garde là et on verra bien ? Ou est-ce que vous voulez qu’on l’envoie à l’hôpital, mais vous savez que la réanimation ne sera peut-être pas accessible ?”. » Selon elle, il faut mettre en place des systèmes d’aide qui se déclenchent plus rapidement, par exemple, l’intervention de personnels de nuit dans les EHPAD pour traiter une détresse respiratoire d’un malade du covid-19.

Vers un répertoire opérationnel des ressources ?

La déconcentration des décisions, le maintien d’une démocratie sanitaire, une communication scientifique plus maîtrisée, l’innovation organisationnelle, comment maintenir les bonnes pratiques des premiers retex. Pierre-Jean Ternamian estime que pour avoir un retex efficace, il faut avoir ce qu’on appelle un répertoire opérationnel des ressources : « Je ne suis pas du tout certain qu’actuellement on ait un répertoire opérationnel des ressources efficace et adaptable. Je vais vous donner un exemple […] : la centrale nucléaire du Bugey. J’ai été confronté à une simulation de crise. Je ne suis pas du tout certain que nous en ayons tiré les enseignements. Je vous explique la situation. Elle est très simple. Nous sommes à la direction générale de l’offre de soins (DGOS), au ministère à Paris, premier sous-sol. Nous sommes au démarrage du répertoire opérationnel des ressources et là on simule un incident sur la centrale de Bugey. Un brûlé irradié. Bon, ce n’était pas le Bugey parce que ça aurait fait un peu désordre. Ils ont mis la centrale nucléaire de Bellerive-sur-Saône. Ce qui m’a sidéré immédiatement, c’est que le patient pris en charge s’est retrouvé à Percy, en banlieue parisienne ! Je replace le contexte : à ce moment-là, les HCL sont en train de réfléchir à la migration du service des brûlés sur l’hôpital Édouard-Herriot avec construction d’un pavillon. Je pose la question bête : est-ce qu’il n’aurait pas pu venir à Lyon ? Et on me répond : “Non.” Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas de chambre plombée dans ce nouveau service, qui était à ce moment-là en gestation ou en construction, pour recevoir un brûlé irradié. Je ne suis pas certain – alors que j’avais râlé à l’époque en disant qu’il fallait peut-être y penser quand même sur la métropole de Lyon dans le cadre des aménagements de ce pavillon ! – que l’on ait à ce jour, un établissement sur la région qui ait la capacité de recevoir un brûlé irradié ! Cela me fait toucher du doigt le fait que nous ne sommes pas forcément prêt pour la prochaine crise. […] Je ne suis pas du tout certain que la France ait fait encore cette révolution et qu’il y a eu un travail d’agrégation des compétences privées, libérales, publiques pour gérer la prochaine crise. »

Pour le professeur de santé publique Philippe Michel, les premiers retex illustrent bien deux des trois axiomes du commandement stratégique : la capacité à déléguer les décisions tactiques sur le terrain et à faire confiance dans les compétences qui existent.

Frédérique Gama considère qu’en cas de prochaine vague, il faudra se poser les bonnes questions : « Quels sont les besoins si on doit ouvrir les services ? De quelles ressources ont-ils besoin ? Qui va mettre en face les ressources ? » Parmi les bonnes pratiques, elle retient la coopération entre services de réanimation publics et privés qui sont montés en puissance. Pour Anne-Claire Thury, il est important d’inciter à la culture du retex, notamment dans les commissions des usagers (CDU). Philippe Michel souligne également l’importance des usagers : « Ils sont des observatoires, ils sont des lanceurs d’alerte et ils contribuent à trouver des solutions. » Et pour conclure, Jean-Yves Grall plaide pour une approche différente du retex : « Il ne faut pas faire rentrer le retex dans un cadre techno-bureaucratique qui aboutit à son lot de circulaires, de cahiers des charges, de guides tout aussi épais les uns que les autres. […] Je crois qu’il faut retenir et cultiver un certain nombre de mots clés, comme le décloisonnement, la collaboration très forte entre le secteur sanitaire médico-social avec les médecines de ville et l’adaptation avec le partage de l’effort entre les différents secteurs privés-publics. »

  1. France Asso santé est l’organisation de référence pour représenter les patients et les usagers du système de santé et défendre leurs intérêts.
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