Revue
DossierSébastien Miossec : «Faire du ZAN un projet d’aménagement pour mon territoire»

Président de l’agglomération de Quimperlé communauté et maire de Riec-sur-Bélon, Sébastien Miossec est aussi président délégué d’Intercommunautés de France. Il a accepté de répondre aux questions d’Horizons publics évoquant la façon dont il appréhende la mise en œuvre du zéro artificialisation nette des sols (ZAN) (ou plus largement des enjeux écologiques) sur son territoire, notamment comment il l’envisage comme référentiel des politiques d’aménagement sur son territoire.
Le ZAN a-t-il d’ores et déjà bousculé la façon dont vous envisagez les politiques d’aménagement de votre territoire ?
La Bretagne (parmi d’autres territoires…) a été marquée pendant des décennies par une forme de développement urbain fondée plus fortement qu’ailleurs sur l’étalement. C’est vrai pour l’habitat, avec des communes périurbaines et rurales où les lotissements ont souvent été privilégiés. Mais c’est également le cas pour le développement économique, avec un tissu de petites et moyennes entreprises (PME) agroalimentaires ou commerciales installées dans des zones d’activités dispersées dans le tissu rural et le long d’un réseau de « quatre voies » équivalentes à des autoroutes gratuites, mais avec des échangeurs bien plus nombreux, encourageant la multiplication des implantations d’entreprises à chacun d’entre eux.
Cette forme de développement a eu des avantages : toutes les activités ne sont pas massivement concentrées dans les zones métropolitaines, le foncier peu cher a permis l’accession à la propriété des classes populaires. Toutefois, il met les Bretons – et notamment les élus locaux – face à une réalité qui est plus sombre aujourd’hui. En effet, cet étalement génère, par exemple, des coûts induits (financiers et environnementaux) liés aux déplacements, des charges publiques significatives pour les réseaux et les transports, une désaffection relative des centralités tant pour l’habitat que pour la fréquentation commerciale, etc.
La Bretagne (parmi d’autres territoires…) a été marquée pendant des décennies par une forme de développement urbain fondée plus fortement qu’ailleurs sur l’étalement.
Ce constat ne date pas de la loi Climat et résilience1 ou de la Convention citoyenne pour le climat. La prise de conscience a certes été progressive et n’est pas partagée avec le même « enthousiasme » par tous, mais le constat est là : dans de nombreux territoires, les élus ont pris en main leur développement au travers des documents d’urbanisme. Les plans locaux d’urbanisme (PLU) ont vite été la règle. Cela a notamment été facilité par un nombre relativement réduit de communes en Bretagne et donc d’une population moyenne plus élevée que la moyenne française (2 815 hab. par commune en Bretagne, contre une moyenne en France métropolitaine [hors Île-de-France] de 1 586 hab.).
En pays de Quimperlé, presque toutes les communes avaient un PLU au moment où la question du transfert de compétence plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) s’est posée en 2016. Celles qui n’en avaient pas étaient en cours d’élaboration d’un document. Et cela a conduit à un développement mieux maîtrisé et surtout de plus en plus sobre en matière de foncier, avec une division par deux chaque décennie : 54 hectares par an de consommés entre 2003 et 2013, contre 26 hectares par an entre 2009 et 2020. Quant au schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) adopté en 2023, il fixe comme objectif au pays de Quimperlé de consommer 12 hectares par an entre 2021 et 2031. On peut donc constater que l’objectif futur de faire « - 50 % tous les dix ans » comme fixé par la loi Climat et résilience est plutôt cohérent avec les vingt ans passés.
Personne n’ignore toutefois que chaque étape est bien plus difficile à franchir que la précédente. Il ne s’agit plus « d’adapter le modèle de développement », mais bien de transitionner vers un nouveau, avec l’impérieuse nécessité de changer de culture et de créer de nouveaux outils.
Pour le pays de Quimperlé, intercommunalité de taille moyenne (57 000 hab.) autour d’une petite ville-centre (12 000 hab.), cet enjeu des outils et donc de l’ingénierie n’est pas anodin. Une forme de culture politique commune existe, tant par l’existence des PLU communaux que par celle d’un schéma de cohérence territoriale (SCoT) à l’échelle de la seule intercommunalité depuis plus de quinze ans. Des outils d’amélioration de l’habitat, indispensables pour reconquérir l’habitat ancien avait été constitué : une opération programmée d’amélioration de l’habitat (OPAH) depuis une vingtaine d’années, un service de rénovation de l’habitat depuis 2021, etc. Cependant, la marche qui reste à franchir impose d’imaginer et mobiliser encore davantage de moyens, sans toujours les avoir, tant financièrement qu’humainement…
Quels sont les obstacles (politiques, économiques, de gouvernance, etc.) qui freinent la mise en œuvre du ZAN, mais aussi les effets leviers qui accélèrent son intégration aux politiques territoriales intercommunales ?
Face à ce profond changement de paradigme, les obstacles ne manquent pas, en effet.
Je pense d’abord à l’absence de culture commune suffisamment consensuelle et large sur ce sujet. Les « vieilles habitudes » sont ancrées et nombreux sont celles et ceux qui se projettent toujours aujourd’hui dans un habitat pavillonnaire individuel traditionnel, avec « la maison au milieu du jardin ». Je respecte bien sûr celles et ceux qui estiment que c’est ainsi qu’ils veulent vivre, notamment dans nos communes rurales comme celle dont je suis maire depuis plus de seize ans. Si beaucoup se projettent ainsi, c’est aussi parce que la plupart des acteurs de la chaîne du logement vantent (et vendent…) ce modèle, du promoteur aux entreprises du bâtiment, en passant par les géomètres, les notaires, les agents immobiliers ou des cabinets d’architectes… Sans parler des élus locaux qui n’ont a priori pas de raisons de se projeter sur autre chose que la majorité de nos concitoyens. Pourtant, comme évoqué plus haut, de plus en plus d’acteurs font de la sobriété foncière un élément central de tout projet urbain. C’est constaté globalement avec un ralentissement de l’étalement urbain, comme démontré précédemment en chiffre en pays de Quimperlé. C’est également le cas à l’échelle de projets en particulier, avec des extensions urbaines bien plus sobres en foncier et « efficaces » en nombre de logements par hectare. Ces projets (particulièrement en ruralité et périurbain), pour être réussis et gages d’un bien vivre ensemble, ne doivent pas être « juste » les projets passés avec des terrains plus petits. Ils doivent intégrer la mitoyenneté, mieux anticiper l’implantation des bâtiments, proposer du semi-collectif, etc. D’où l’importance de mobiliser toute la chaîne de production de logement, car chacun doit faire évoluer sa vision. Cette question est pour moi décisive et doit mobiliser les acteurs politiques locaux, mais aussi nationaux pour impulser ce changement culturel.
Tout ça n’est pas sans questionner les équilibres économiques des projets. La rareté du foncier, dans un marché largement dérégulé, a fait exploser les prix. Dans ma commune, les prix du foncier ont été multipliés par près de 3 entre 2019 et 2023, qu’il s’agisse des terrains nus restants à aménager ou des terrains viabilisés en lotissement. Cette valeur a notamment été captée par des propriétaires « chanceux » de voir leurs terrains constructibles. Mais si le prix du foncier s’est envolé, le reste des coûts également, parfois de façon tout à fait compréhensible, parfois moins… Quid des acheteurs, à l’autre bout de la chaîne ? Car cette envolée des prix est un des facteurs déterminants de la crise actuelle du logement. Aussi, dans ce contexte, il est facile de dire « il faut sortir du ZAN pour redonner un élan à la production de logements ». Je pense que renoncer à une saine et urgente ambition n’est pas la solution. Cependant, il est impératif que le Parlement se saisisse rapidement des enjeux fiscaux et financiers du ZAN, pour que la nouvelle répartition de la valeur ne se fasse pas au profit de quelques-uns, mais bénéficie au plus grand nombre, en permettant notamment aux plus précaires d’accéder à un logement. On parle ici d’un des droits les plus élémentaires, garant d’un minimum de dignité.
Il est impératif que le Parlement se saisisse rapidement des enjeux fiscaux et financiers du ZAN, pour que la nouvelle répartition de la valeur ne se fasse pas au profit de quelques uns, mais bénéficie au plus grand nombre.
S’agissant des questions de gouvernance, le ZAN doit nous interroger sur ce qu’est la bonne échelle en matière de planification urbaine. Je suis heureux que les communes de la communauté d’agglomération que je préside aient opté pour une compétence intercommunale en matière de PLU. Nous l’avions fait sans savoir ce que prévoyait la loi Climat et résilience, car les avantages à avoir un PLUi étaient déjà nombreux quand nous avons fait ce choix, en 2016-2017. Ainsi, dans l’optique du ZAN, quel atout de pouvoir penser sa mise en œuvre à l’échelle supracommunale ! Pas parce que cela priverait les élus communaux d’une capacité d’action, mais parce qu’en pensant la mise en œuvre de ce nouveau paradigme à l’échelle intercommunale, nous disposons de l’outil qui permet d’appréhender plus globalement les enjeux, qu’ils soient de compétence communale ou intercommunale : où implanter des entreprises ? Quelles formes d’habitat privilégier en cohérence avec la place de chaque commune dans le bassin de vie ? Quel impact des espaces nouvellement urbanisés sur les réseaux d’eau, d’assainissement, de transport, etc. ? Quelle répartition territoriale des efforts de sobriété foncière, tenant compte des besoins de développement de chaque commune sans fragiliser les pôles de centralité ? Pour répondre à ces questions et bien d’autres, le cadre du PLUi est, pour moi, très précieux, à condition d’avoir une attention toujours forte à l’association des élus des communes tout au long de la réflexion.
Plus généralement, cette question est éminemment politique. Et les interventions parfois très populistes de certains acteurs politiques le soulignent… C’est inévitable, tant cette nouvelle contrainte remet en question beaucoup de choses, notamment dans la manière d’appréhender le développement de son territoire, tant en zone rurale qu’en zone urbaine. Mais n’oublions pas pourquoi, et comment, cette nouvelle ambition de sobriété foncière s’est concrétisée. J’en profite pour saluer les femmes et les hommes investi·es bénévolement dans la Convention citoyenne pour le climat qui a été mise en place après la crise des Gilets jaunes. C’était une bonne méthode pour faire émerger des propositions nouvelles, parfois clivantes, mais indispensables pour répondre aux défis climatiques de notre temps.
Mais si l’ambition est opportune, la difficulté réside parfois dans sa traduction concrète en acte. Je pense, par exemple, à la sémantique retenue : « zéro artificialisation nette ». Si après explication, c’est un vocable tout à fait approprié, il a tout de même quelques faiblesses notables.
Le terme « artificialisation » n’est en effet pas très commun… Et sa définition pas si précise que ça. C’est d’ailleurs un enjeu pratique, juridique et politique : jusqu’où aller dans la définition de ce qui est artificialisé, ou ne l’est pas ? Si la question est claire pour un bâtiment ou une route, quid des parcs publics, des terrains de sport, des jardins plus ou moins grands des particuliers, des exploitations agricoles ou forestières, etc.
La notion de « zéro » est également – de mon point de vue – un choix bien regrettable… Comment encourager une mobilisation collective et un profond changement des politiques d’aménagement autour d’un objectif et d’une perspective dont l’ambition est « zéro »… ? Pour beaucoup, aller vers ce « zéro », c’est d’abord penser un développement synonyme de renoncer, de refuser… Je n’ai pas spontanément d’autre formule à proposer, mais j’aime à parler de « sobriété foncière », terme peut-être trop générique, mais moins sombre que « zéro »… Cela peut paraître une question anecdotique, mais la politique, pour promouvoir une idée ou la combattre, est aussi faite de ces représentations et des mots qui les accompagnent.
Enfin, le « nette » de ZAN pose également question tant la possibilité de renaturer des espaces dits « artificialisés » paraît a priori complexe, coûteuse et peu opérationnelle…
Bref, même si le « mal est fait » avec l’utilisation désormais répandue de l’acronyme ZAN, je pense qu’il n’est peut-être pas tout à fait inutile d’envisager de faire évoluer le vocable afin d’en faire une perspective plus heureuse sans renoncer au fondement d’une sobriété foncière qui tend vers l’arrêt de l’extension urbaine sur les espaces naturels, agricoles ou forestiers.
D’un point de vue réglementaire et législatif, quelles sont propositions et avancées attendues par les élus locaux ?
Le contexte politique issu des élections législatives consécutives de la dissolution du 9 juin 2024 ne semble pas propice à de grandes (r)évolutions en la matière. En tout cas pas pour « bonifier » le système. Ma crainte porte plutôt sur un « élan populiste » d’une partie du Parlement qui reviendrait sur l’ambition pour de mauvais prétextes.
Comme beaucoup, je plaide donc pour une forme de stabilité, et que le « bon sens » prenne le dessus, dans un dialogue respectueux et constructif entre l’État et ses représentants locaux que sont les préfets d’une part, et les élus locaux d’autre part. L’urgence est bien de mettre à jour nos documents d’urbanisme pour acter toutes les consommations foncières effectives depuis 2021 (date du « top départ » de la loi), mais surtout pour mieux piloter le développement de nos territoires sans gâcher du foncier. Mieux vaut un document d’urbanisme mis à jour, même imparfaitement, que pas de document tout court ou un document obsolète. Je plaide donc que pour les services de l’État, dans leur ensemble et leur diversité (y compris les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement [DREAL] et les missions régionales d’autorité environnementale [MRAe], etc.), puissent être véritablement en position de nous accompagner dans ce lourd et complexe chantier. Je ne doute pas de leur bonne volonté, mais je sais à quel point nous pouvons toutes et tous (y compris les élus et les administrations locales) être paralysés par les risques administratifs ou juridiques qui peuvent être brandis à chaque étape sous prétexte d’interprétations divergentes…
Enfin, je l’ai dit précédemment, il faut également urgemment revoir la fiscalité du foncier et la répartition de la valeur.
Pour formaliser un engagement commun État/territoire autour de cette ambition de sobriété foncière, formalisons un contrat qui fixe les objectifs et les moyens que chacun se donne pour aboutir à court, moyen et long terme. C’est ce que l’association Intercommunalités de France a proposé depuis déjà plusieurs années à nos interlocuteurs ministériels et parlementaires, par la voix des élus qui comme moi étaient auditionnés sur le sujet. Ce n’est malheureusement pas notre habitude en France, mais, avec mes collègues de l’association, je crois que la France doit moins vivre de règles uniformes pour tout le pays que de contrats entre l’État et ses collectivités, pour définir comment chaque territoire met en œuvre une ambition commune, avec des voies et moyens qui lui sont propres.
Enfin, je l’ai dit précédemment, il faut également urgemment revoir la fiscalité du foncier et la répartition de la valeur. La Nation, par la loi Climat et résilience, a fait le choix que le foncier urbanisable serait rare et pourrait donc voir sa valeur augmenter. C’est bien le cas. Cependant, cette valeur supplémentaire n’est pas le fruit d’une quelconque initiative, d’un investissement, d’une prise de risque, etc. Il n’y a donc pas de raison que cette valeur nouvelle ne soit pas partagée au bénéfice du bien commun. Adaptons donc nos outils fiscaux ! C’est un exercice compliqué, sur lequel nous avons beaucoup à imaginer. Mais il est inévitable.
- L. no 2021-1104 du 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « loi Climat et résilience ».