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Jean-François Caron : « Je suis la première génération qui a dû traiter l’après-mine »

Jean-François Caron
Le 21 mars 2019

Jean-François Caron est le maire de Loos-en-Gohelle (62). Sa ville est l’un des exemples les plus réussis dans le domaine de la transition énergétique. Située en plein cœur du bassin minier, elle est devenue, grâce à une action politique active, un modèle de développement durable et social. Sur un territoire d’à peine 6 500 habitants, la collectivité a construit des bâtiments à énergie positive, récupère l’eau de pluie à l’échelle municipale, ou encore, a recouvert de panneaux solaires le toit de son église. Mais nous avons voulu nous focaliser sur le point commun qui a permis à tous ces projets d’exister : le lien de confiance entre les élus et les citoyens. À Loos-en-Gohelle, chaque nouveau projet est réalisé en co-production avec les habitants, et visiblement, « ça change tout ».

Comment avez-vous enclenché le processus participatif ?

Je suis maire depuis 2001 mais j’étais, depuis 1995, conseiller municipal en charge de l’urbanisme et du développement. J’ai commencé à mettre une touche personnelle autour de la participation habitante lors de la révision du plan d’occupation des sols cette année-là. Cela a été un intense processus participatif pour définir notre « projet de ville ». Nous étions juste à la fin du charbon et cela posait la question du devenir du territoire. Notre commune était faite pour le charbon et par le charbon. Cette révision de notre avenir a été propice à un intense processus participatif.

Et c’est la mutation de votre territoire qui a entraîné la participation des habitants ?

Notre commune a connu le charbon. Il est parti. Je suis la première génération qui a dû traiter l’après-mine et inventer un futur. Nous avons dû avoir une transition brutale car nous avons tapé dans le mur bien avant les autres territoires. C’est pour cela que la participation habitante est importante. Nous sommes dans une phase de réinvention et je pense que l’on ne peut le faire que dans un processus participatif. Pour moi, il est impossible de le faire depuis « en haut », de dire aux habitants : « J’ai pensé pour vous et on va prendre telle piste. » Ce n’est pas aussi simple. Cette mutation profonde est génératrice d’un grand mouvement avec la population.

La co-production, sous toutes ses formes, génère une ville dans laquelle les habitants ont pu mettre leur empreinte et peuvent prendre leur part. Et ça pour moi, c'est très important dans la période que nous traversons de changement de civilisations, d'époques.

Comment cette participation habitante se manifeste-t-elle à Loos-en-Gohelle ?

Pour caricaturer mon propos mais me faire comprendre, je dirais deux choses. La première, c’est que la « démocratie participative » ne me va pas du tout. Ce terme date de la campagne présidentielle de Ségolène Royal. Son concept était de réunir les gens pour qu’ils s’expriment sur ce qu’ils veulent. Je suis en opposition frontale avec ce concept, car cela accrédite une posture de consommation de l’action publique. C’est l’équivalent du supermarché : « Puisque je paye mes impôts, j’ai droit, j’exige et je veux. » Cette posture vient du fait que nous avons une puissance publique très organisée. Le deuxième point, qui est plutôt une formule, c’est que « participation sans responsabilisation égal piège à con ». L’intérêt général, ce n’est pas la somme des intérêts particuliers. Il y a quelque chose de l’ordre de la construction collective à faire émerger l’intérêt général à partir de positions individuelles contradictoires. J’utilise plutôt l’idée d’implication habitante ou d’habitants acteurs. Cela n’empêche pas les gens de revendiquer, mais ils doivent prendre une part de la résolution.

Qu’est-ce que cela change ?

Cela change complètement les relations dans la ville. Au lieu que chacun dise « j’exige », les habitants disent « Monsieur le maire, là il y a un problème » mais ils prennent part dans sa résolution. C’est ce que l’on réalise, par exemple, dans avec nos programmes 50/50. Nous avons eu une quarantaine d’opérations comme celle-ci, à partir d’initiatives d’habitants. Elles venaient s’ajouter au travail habituel de la ville. Nous avons alors mené un contrat qui dit : « Voilà ce que la ville va faire et voilà ce que les habitants vont faire. » Par exemple, pour un projet nouveau de fleurissement d’un quartier, après l’avoir élaboré ensemble, nous disons que la ville amène les fleurs, mais par contre les citoyens vont arroser et désherber pendant toute l’année. Sur le même principe, nous avons réhabilité certains chemins agricoles avec les agriculteurs. Nous avons loué le matériel et acheté les matériaux et ce sont eux qui ont fait la pose. Il y a aussi le nettoyage de certains espaces, et même la création du skate parc où les gamins ont mis la main à la pâte pour faire de la peinture. Du coup, nous avons de l’implication des habitants qui participent au fait que la ville, c’est leur affaire et pas uniquement celle des élus.

Quels sont les bénéfices de cette méthode ?

Il y a beaucoup de bénéfices. Déjà, les gens se sentent reconnus. Quand on s’adresse à eux, cela veut dire qu’ils existent. Pour la partie de la société qui est incluse, cela paraît aller de soi mais pour les autres, c’est une occasion de les refaire venir pour des histoires de proximité qui comptent. Donc nous avons une meilleure inclusion sociale. Il y aussi plus d’intelligence pour les projets car les gens ont une expertise de vie de leurs quartiers. Il y a des choses que nous ne pouvons pas deviner. L’expertise d’usage pour réaliser de bons projets, c’est important ! Cela vient recréer un dialogue élu/population qui est sain. Enfin, nous avons une population beaucoup plus formée et pertinente sur la façon de vivre la ville. Je pense que c’est ce qui fait qu’à Loos-en-Gohelle, nous avons un des plus faibles scores du Rassemblement national (RN) de la région. Je pense que cela se joue dans la montée du pouvoir d’agir. Nos habitants ne sont pas seulement spectateurs ou quémandeurs, ils sont acteurs. C’est une forme de baguette magique. Maintenant, quoi que l’on entreprenne cela prend.

Concrètement, comment entamer ce changement de mentalité ?

Sur l’idée de rendre les habitants acteurs, il y a de nombreuses pistes. La première, c’est un fort soutien à la vie associative. Nous avons un chargé de mission qui les accompagne et nous n’avons pas réduit le budget des associations malgré les baisses de dotations. Nous avons considéré que c’était un choix politique. Résultat, nous avons eu un doublement des associations en 15 ans. C’est autant de services et un premier espace de responsabilisation des gens. Ils se retrouvent entre eux, gèrent un micro-budget. C’est un espace d’investissement pour ceux qui y sont.

Vous avez un exemple concret de co-production mairie/habitants ?

L’exemple le plus limpide, c’est la route départementale que nous avons dû refaire face à la mairie. À ce moment-là, nous ouvrons un débat avec les riverains dans lequel nous disons tout ce qui n’est pas négociable comme la largeur de la route, la profondeur des tuyaux qui exige de bloquer la route pendant six mois, etc. Cependant, on pose toutes les autres questions : est-ce qu’on met une piste cyclable ? Est-ce qu’on met des stationnements et à quel endroit. On soumet un maximum de possibilités à la construction collective. Au début, cela a beaucoup perturbé le conseil départemental, car d’habitude, ils font travailler un bureau d’étude, ils le présentent au maire et puis ils se contentent d’indiquer aux habitants ce qui va leur arriver. Là, c’était forcément plus compliqué. Il y avait des esquisses de solutions et tout a été débattu. Pour cela, il a fallu des outils de participation comme un « wiki » où chacun pouvait tout consulter ou un forum où les gens échangeaient. J’ai vu des merveilleux débats autour de la piste cyclable, par exemple. C’est de l’élaboration collective. Tout cela c’est extrêmement pédagogique pour les habitants. Et à l’arrivée, quand l’ingénieur du conseil départemental est reparti, il m’a dit : « Au début je vous ai maudit. Mais, effectivement, on perd deux ou trois mois au départ mais après on a plus de soucis et de contestations. » C’est un exemple comme un autre mais il est significatif. Pour le skate parc avec les gamins, ça a été la même chose. Nous avons pris le temps d’aller en voir plusieurs dans différentes villes, d’établir un budget…

Finalement c’est la mise en place d’une véritable discussion avec les citoyens ?

Nous discutons. Nous fixons les règles du jeu par exemple le financement. Et avec ça on fait de la construction collective. Autre piste, j’adore les pétitions. Au début, ma secrétaire me disait : « Il y a une pétition, le peuple se révolte ! » Mais non ! Une pétition c’est génial ! Ce sont des gens qui ont discuté pour se mettre d’accord sur un intitulé avant de taper à la porte des voisins pour leur faire signer. Il y a une énergie collective là-dedans. Pour moi, c’est intéressant, il me faut les adresses de chacun car cela veut dire que ce sont des gens qui ont fait un bout du chemin pour s’intéresser à la cause publique. C’est une logique égoïste au départ mais après on les fait venir en mairie et le processus commence. C’est important de partir des besoins des gens. Si vous parlez du réchauffement climatique, ça n’intéresse personne ! En revanche, si vous évoquez le fait que les gamins se prennent à la sortie de l’école les gaz des pots d’échappement. C’est autre chose. On part d’un problème local et on agit en proposant un plan d’éco-mobilité pour accéder aux écoles à pied.

Quel bilan tirez-vous de vos actions avec les habitants ?

La co-production, sous toutes ses formes, génère une ville dans laquelle les habitants ont pu mettre leur empreinte et peuvent prendre leur part. Et ça pour moi, c’est très important dans la période que nous traversons de changement de civilisations, d’époques. Tant que nous n’avons pas d’imaginaire positif, il existe la tentation de grogner, de revenir à hier. Ici, le fait que les gens mettent du sens crée une mise en perspective qui crée de la joie. J’utilise souvent le mot désir. Le développement durable qui est totalement mon credo, c’est juste merveilleux, il faut avoir du désir pour cela. Ce n’est pas une somme de contraintes. À l’échelle de la ville, c’est opérationnel. Les gens peuvent s’en saisir et ça marche.

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