Jean-Pierre Grolhier, ancien maire de Villars, petite commune rurale du Périgord Vert

Le 14 décembre 2020

Le lancement par le Gouvernement le 1er octobre 2020 du programme « Petites villes de demain » nous a incité à solliciter Jean-Pierre Grolhier, ancien maire de Villars et ancien vice-président de la communauté Dronne-et-Belle, en charge de l’urbanisme, de l’habitat et du développement durable jusqu’en 2020, afin qu’il nous livre ses impressions sur ce dispositif certes intéressant mais qui laisse de côté la formation des élus et les sciences humaines et sociales pourtant indispensables afin d’éclairer la décision publique.

« Petites villes de demain » : une cible trop étroite ?

Ce programme, lancé le 1er octobre 2020 par le Gouvernement pour accompagner les petites villes dans leur transformation, notamment en termes d’habitats et d’espaces publics a, me semble-t-il, une « philosophie », proche de la politique de la ville de la fin des années 1990, à savoir une approche globale et présente des similitudes sur des aspects, tels que l’ingénierie, la transversalité, le partenariat ou au niveau interministériel. Or, si l’utilisation de ces « ingrédients », il y a une vingtaine d’années, a permis de réaliser des avancées en matière de développement des quartiers, elle n’a pas tout résolu, loin de là, et beaucoup reste à faire ! C’est un outil intéressant, mais lorsque l’on regarde ce plan de plus près les 3 milliards d’euros prévus sur six ans, ils s’adressent certes aux petites villes de moins de 20 000 habitants mais exerçant des fonctions de centralités (en termes d’équipements ou services) soit uniquement un millier de communes rurales. Ce profil est plutôt celui de villes de niveau sous-préfecture ou de communes nouvelles bâties autour d’un bourg-centre avec ajout de communes déléguées. Ces collectivités ont parfois (le plus souvent ?) autour de 3 000 habitants. Tel est le cas de Brantôme-en-Périgord, par exemple, bourg-centre doté d’importants services à la population tel que le collège ou encore de nombreux commerces censés profiter aux habitants des petites communes environnantes. Ce concept de « bourg-centre » a pourtant eu du mal à passer auprès des différents maires du territoire, chaque commune se voyant encore souvent comme un « petit État ».

Quid des très petites communes dans la tranche 0-500 habitants, par exemple ? Ne risquent-elles pas de « passer sous les radars » et ne pas bénéficier du plan ?

Toutefois sur les quelque 35 000 communes françaises 25 000 ont moins de 1 000 habitants. Dès lors je m’interroge : quid des très petites communes dans la tranche 0-500 habitants, par exemple ? Ne risquent-elles pas de « passer sous les radars » et ne pas bénéficier du plan ? Doivent-elles se regrouper autour d’un bourg-centre afin de former des communes nouvelles ? Mais quel sera le rôle et la place des communes déléguées dans le cadre du programme « Petites villes de demain » ? Ou encore faire le pari de retombées issues de communes bénéficiant du plan sur le territoire ? Il convient donc de mener au niveau de ces petites communes rurales une réflexion sur leur devenir d’autant plus que les communautés de communes – dont le rôle dans le programme n’est pas clair à ce jour – exercent parfois la quasi-totalité des compétences, celle sur l’assainissement, par exemple, venant s’y ajouter d’ici 2026. À quand un programme pour les petites communes rurales ?

Aménagement des territoires : les usages d’abord

SRADDET, SCoT, PDU, PCAET, PNR, etc. : on ne peut pas dire que les outils de planification d’aménagement et de développement de nos territoires font défaut !

Pour autant, ce qui manque à tous ces instruments technocratiques et techniques, c’est l’étude des usages à partir de la manière dont vivent les gens. Combien d’ethnologues, d’anthropologues, de sociologues sont conviés aux phases de réflexion et d’élaboration de ces documents ? Les sciences humaines et sociales, si présentes dans les années 1970, semblent aujourd’hui avoir disparues du paysage de la décision publique. C’est fort dommageable car il ne sert à rien de développer des infrastructures ou de réaménager une jolie place de village si la commune ne prend pas en compte les usages de vie sur le territoire au sens large. L’aménagement d’espaces habités doit précisément s’effectuer en partant de ces usages. D’autant plus que les opérations foncières sont coûteuses pour la collectivité et prennent du temps.

Prenons l’exemple d’une petite commune rurale de la région Nouvelle-Aquitaine dont le budget de fonctionnement est de l’ordre de 300 000 euros et qui souhaite revitaliser son centre en réaménageant l’habitat ou encore construire des lotissements. Dans le premier cas il s’agit d’architecture urbaine qui représente un coût important. D’une part, pour restructurer un îlot de maisons en centre-bourg il faut souvent déconstruire pour reconstruire afin de disposer de locaux adaptés à différents usages (commerces et/ou habitations) et répondant aux différentes normes en vigueur.

D’autre part, ces opérations impliquent du patrimoine privé. Certes les communautés de communes et/ou les communes disposent éventuellement d’un droit de préemption mais ces rachats nécessitent des moyens importants. En outre, le pouvoir de négociation du maire face à un particulier de sa commune n’est pas le même que celui d’un établissement foncier extérieur. La création de foncières prévue par le programme « Petites villes de demain » est d’ailleurs un point très positif. Ce type d’instruments existe déjà en Nouvelle-Aquitaine et apporte un soutien précieux dans les opérations foncières des petites communes.

Réfléchir à l’aménagement d’un bourg nécessite des compétences et une ingénierie dont ne disposent pas les petites communes. Grâce au soutien du département qui finance le Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE), notre commune rurale a pu élaborer pour son bourg un schéma d’aménagement global et cohérent.

Trop souvent nous avons tendance à ne réfléchir qu’en terme de surfaces constructibles avec la volonté de les augmenter. Comment expliquer alors que dans une petite commune du Périgord vert, il a fallu huit ans pour vendre cinq lots d’un lotissement à 10 euros le mètre carré totalement viabilisés ou que des terrains à 4 euros le mètre carré ne se vendent pas et ce, bien que deux usines agro-alimentaires se situent à proximité ?

On peut donc s’interroger dans le cadre de l’élaboration des PLUi : la seule augmentation des surfaces constructibles dans ces petites communes rurales est-elle la réponse la plus pertinente face à la dévitalisation des centres-bourgs ?

Il convient avant tout de s’interroger sur les usages des habitants par rapport au(x) territoire(s) où ils travaillent et habitent. Dans le Périgord vert, par exemple, 30 % des personnes qui travaillent chez Hermès n’habitent pas le territoire.

Dans un couple, si l’un travaille à Périgueux où vous trouvez des services, des activités pour les enfants, des transports, etc., et que l’autre travaille en zone rurale, qui déménagera ? Certes, le rural attire en général davantage les couples avec des enfants en bas âge ou des seniors en quête de tranquillité, mais si le médecin et le boulanger les plus proches sont à dix kilomètres de votre commune, vous risquez fort de ne pas attirer grand monde et assister à un déclin démographique inexorable. Vous obligerez vos administrés à prendre leur voiture, ce qui ne répond pas vraiment aux objectifs de la transition écologique et tout particulièrement aux souhaits de jeunes néo-ruraux sensibles à ces enjeux.

Il faut donc réfléchir aux moyens d’amener les services aux habitants et pour cela analyser auparavant un ensemble de phénomènes sociaux afin de répondre à la question centrale : comment fait-on pour que les gens se sentent bien ?

Lorsque l’on pose cette question, c’est que l’on a déjà chaussé les lunettes des sciences sociales. Apparaissent alors d’autres réponses que les seules réalisations physiques. Car si les habitants logent dans un village mais travaillent ailleurs et ne s’impliquent jamais dans sa vie, un peu à l’image des communes-dortoirs en milieu urbain, cela signifiera, à terme, la mort de ce village. La grande difficulté à constituer des listes lors des dernières élections municipales sur le territoire du Périgord vert montrent bien ce qui se passe lorsque les gens « n’habitent » pas réellement un territoire et ne souhaitent pas s’impliquer dans la vie locale. Il convient donc de conduire une réflexion sur le renforcement de la vie associative.

Ce thème est d’autant plus important que la population de certaines communes rurales tend à évoluer avec l’arrivée de jeunes néo-ruraux vivant et travaillant en milieu rural, tels que des maraîchers bio, des charpentiers, des serruriers, des entrepreneurs avec des projets de brasseries locales bio, etc., mais avec des pratiques de travail (bio, éco-construction, etc.) différentes de celles des habitants de souches.

Or, la vie associative est un espace pouvant permettre l’intégration des néo-ruraux que les collectivités locales ne doivent surtout pas rejeter (tout en sachant que ces nouveaux arrivants doivent tenir compte de « l’histoire » de ce territoire). L’aménagement passe aussi par l’accompagnement, le renforcement des relations humaines issues de nouvelles réalités sociales.

Penser un territoire : le réveil de la démocratie locale

Comment un schéma de cohérence territoriale (SCoT, en jargon technocratique) peut-il devenir une aventure humaine ? La question peut paraître incongrue si l’on cantonne ce dispositif obligatoire à un débat d’experts et de gestionnaires entre bureaux d’études et élus. Une démarche qui pourrait s’apparenter au fameux racisme de l’intelligence mis à jour par Pierre Bourdieu où la pensée de conception, forte de moyens spécifiques, repousse la pensée de la pratique dans les limites de l’exécution.

Pourtant ceux qui sont les mieux placés pour inventer dans un territoire ce qui leur convient, n’est-ce pas ceux qui y vivent et en connaissent les difficultés, les exigences et les atouts ? Parce que l’on ne change pas la société par décret1, nous avons souhaité, durant la phase de diagnostic du SCoT, non seulement écouter, mais aussi associer les citoyens de notre territoire à une vaste réflexion sur son avenir.

Écouter parce que tout langage se définissant par ce qu’il rejette2, un SCoT « classique » nourri uniquement par un langage d’experts et de gestionnaires aurait immanquablement rejeté celui des citoyens.

Associer car les nombreux signaux envoyés par la société civile ces dernières années – notamment le mouvement des Gilets jaunes dont de nombreux protagonistes habitent en milieu rural – vont dans le sens d’une démarche collaborative. Or, nous considérons que chaque citoyen est un expert de l’usage dont les connaissances valent bien celles des concepteurs. Plutôt que d’ignorer cette expertise nous avons donc choisi de l’associer à celle de la conception d’une stratégie d’aménagement pour 2040. Ce d’autant plus qu’un SCoT n’est en fait qu’un outil – non une fin en soi – au service d’un territoire et de ses habitants afin de co-construire un projet politique par une approche prospective.

Le panorama dans lequel se déroule l’aventure du SCoT est donc clair : c’est celui d’un réveil de la démocratie locale, d’une prise de conscience que l’État ne sera plus jamais providence vis-à-vis des collectivités tant en compétences qu’en moyens financiers, d’une nécessité de prendre notre destin en main et de le faire d’une manière collective.

Raison pour lesquelles nous avons, pendant ces dix-huit derniers mois, distribué des questionnaires et sillonné en tous sens le Périgord vert – territoire très décentralisé – à la rencontre des citoyens, organisé de multiples réunions, tenu des permanences sur les marchés, abordant sans relâche les thèmes qui y font débat tels que l’avenir de l’agriculture, l’amélioration des transports, la création d’un pôle de formation en liaison avec les besoins des industries locales, ou encore la possibilité de développer une véritable filière bois en devenant transformateurs de matières premières et plus seulement producteurs.

Cette phase de diagnostic est à présent achevée. Elle a permis de commencer à recréer un débat démocratique et cette voie doit être poursuivie sans faillir car l’implication politique des citoyens fait aujourd’hui largement défaut. À cette défiance et un attentisme ambiant nourri par un État omniprésent depuis les années 1950, il convient d’ajouter les caractéristiques propres à notre territoire, à savoir une population âgée, une sorte de résignation due à une histoire très « seigneuriale » et un vivre-ensemble à construire avec les néo-ruraux toujours plus nombreux et qui, en s’impliquant davantage que les habitants de souche dans le débat collectif, tendent à l’induire dans un sens qui n’est pas forcément celui du développement d’un territoire. « Si l’on améliore la route qui va à Angoulême, nous serons moins tranquilles, avait fait remarquer lors d’un débat un nouvel arrivant ! »

Ainsi le renouveau de la démocratie locale – et de la démocratie tout court – tout comme l’acceptation de l’autre prendra probablement des décennies. Si l’on en croit les sociologues le temps du changement social demande environ trente ou quarante ans. Voilà qui implique dès à présent un changement de posture de la part des élus qui ne doivent plus seulement être des gestionnaires mais aussi des animateurs d’un territoire.

Formation des édiles : la grande absente

Le programme « Petites villes de demain » du Gouvernement a un champ d’action très large puisqu’il vise à fournir à ces collectivités des moyens financiers, techniques et humains pour accélérer leur transformation afin de répondre aux enjeux actuels et futurs sur les plans démographique, économique et écologique. Les petites villes sont érigées comme « un acteur majeur de la sortie de crise et un formidable support pour accélérer les transitions dans les territoires » ainsi qu’en « démonstrateurs de solutions » 3. La réalisation d’une aussi vaste ambition pour nos territoires repose avant tout sur l’envie, la disponibilité et les compétences de ceux qui ont la lourde charge au quotidien d’assurer aux habitants des petites villes qualité de vie et perspectives, à savoir les élus locaux.

Deux réalités doivent alors être prises en compte : il ressort des dernières élections municipales que les maires sont de plus en plus âgés, constate l’AMF4 : c’est précisément dans les plus petites communes que l’on trouve le pourcentage le plus élevé de maires de plus de 60 ans (presque 55 % dans les communes de moins de 1 000 hab.). Dans le Périgord vert, par exemple, cela a posé un problème puisque nombre de maires ne se sont pas représentés alors que les « vocations » se font de plus en rares. Seconde réalité les catégories socio-professionnelles (CSP) : le pourcentage de maires retraités issus des urnes en 2020 s’élève à 39,4 %. C’est de loin la première CSP suivie par les cadres et professions intellectuelles supérieures et les agriculteurs. Le nombre de ces derniers décroît mais demeure néanmoins important dans les petites communes rurales.

Or, depuis une vingtaine d’années la technicité des affaires municipales, qu’il s’agisse de gestion, de droit, d’assainissement, d’urbanisme, de numérique, etc., n’a fait que croître (« qu’empirer », diront certains). Se pose donc avec acuité le problème de la formation des édiles qui, non seulement ont à traiter des questions de plus en plus complexes mettant en jeu – souvent aux prises avec – un grand nombre de parties prenantes, et en outre, se retrouvent placés aujourd’hui en position d’« acteur majeur de la sortie de crise » !

Sans être un expert de l’urbanisme, le maire doit néanmoins posséder des bases solides pour avoir les réflexes et la démarche appropriés afin que des « subtilités », notamment en matière d’étude de sol, ne se retournent pas contre lui et qu’il soit attaqué en justice. Il doit également être mesure de se poser en médiateur notamment en cas de projet d’implantation d’une éolienne qui aujourd’hui cristallise les tensions. Il doit enfin, s’il veut bâtir un projet de territoire solide qui inclut un volet prospectif à vingt ou trente ans, agir en visionnaire et en animateur – et non plus simplement en gestionnaire – co-construisant ce projet avec les habitants, « experts en usages », et concernés au premier chef. Pourtant, combien d’élus des petites communes rurales participent à des cycles de formation chaque année ? Combien suivent les séminaires thématiques organisés par mairie-conseil, par exemple ? Poser la question c’est y répondre : trop peu !

Les sciences humaines et sociales si présentes dans les années 1970 semblent avoir aujourd’hui disparu du paysage de la décision publique.

Étonnement donc, cette question de la formation des maires – souvent évoquée jamais résolue – est la grande absente du programme « Petites villes de demain », alors que l’offre sur le marché semble ne pas satisfaire bon nombre d’élus. Les universités pourraient fort bien développer à l’attention des élus des cursus de formation continue adaptés à leur rythme en droit administratif des collectivités territoriales, en sociologie, en médiation, en prospective, puisque le soutien aux territoires à travers l’aide et l’accompagnement des associations et des collectivités territoriales fait désormais partie de leur mission.

On nous rétorquera que le plan du Gouvernement, dans son volet « ingénierie », a prévu d’aider les communes par le recrutement d’un chef de projet dédié au projet de territoire, agissant aux côtés du maire ou du président d’intercommunalité en transversalité aux différents services. Ce recrutement sera financé pendant deux ans par la Banque des territoires. Certes cette mesure est intéressante car cela peut effectivement permettre aux élus du monde rural, dont le quotidien est très prenant, de pouvoir « sortir la tête du guidon », d’accéder à de la matière grise extérieure afin d’élargir les réflexions relatives au projet de territoire et, au passage, d’atténuer les querelles de clocher.

Toutefois, pour s’avérer bénéfique au territoire et à ses habitants tout dépendra, d’une part, des compétences du manager recruté. Si c’est un profil purement technique les questions sociales liées aux usages de vie sur le territoire passeront à la trappe. Des profils de type géographes, qui étudient les espaces et les territoires, me semble bien plus appropriés. D’autre part, le contexte local sera déterminant pour ce manager. Si les élus ne s’impliquent pas ou peu dans le projet de territoire, qui est avant tout un projet politique, alors le recrutement du manager n’aura guère de sens.

En fin de compte soit les élus se saisiront de ce « programme d’appui » pour ce qu’il est, à savoir un outil intéressant où chacun pourra y prendre ce qui lui convient afin de nourrir un véritable projet de territoire ; soit cet outil sera considéré comme une simple opportunité pour financer certaines réalisations physiques (salles polyvalentes, médiathèques, pistes cyclables, nouvelles places de villages, etc.) mais sans réflexion de fond sur le devenir à moyen et long terme de la commune au sein du territoire. Un État animateur, plutôt que gestionnaire, incitateur plutôt que normatif, serait bien inspiré de contribuer à apporter, renouveler, mettre à niveau un ensemble de compétences qui paraissent désormais indispensables aux édiles pour assurer leurs missions.

  1. Crozier M., On ne change pas la société par décret, 1979, Grasset.
  2. Barthes R., Comment vivre ensemble. Cours et séminaires au Collège de France (1976-1977), 2002, Seuil.
  3. Gourault J., « La crise sanitaire a mis en évidence l’efficacité des territoires », La tribune des petites villes sept. 2020, n231,

  4. Lemarc F., « La carte d’identité des maires de 2020 », AMF oct. 2020,
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