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Dossier

La diversité des parcours des préfets confrontés à la crise sanitaire

Les préfets en 2020
Horizons publics – Jean-Marie Lagnel.
©Les préfets en 2020
Le 14 juin 2021

Le corps préfectoral évolue progressivement (féminisation, diversification des trajectoires) malgré une faible mixité sociale du point de vue de la formation initiale (suprématie des grandes écoles comme l’École nationale d’administration [ENA]). C’est ce que montre l’analyse quantitative des 101 préfets en poste durant la crise sanitaire. La territorialisation du plan de relance remet au centre du jeu les préfets, mais nécessitera de nouvelles compétences (management et questions de développement et d’aménagement du territoire).

Résumé

L’étude du parcours des hauts fonctionnaires de l’État démontre que ceux qui ont eu à gérer la crise sanitaire en 2020 ont des profils relativement variés, même si quelques tendances de fond se dégagent. En s’appuyant sur les données brutes publiées par le ministère de l’Intérieur (voir infographie, p. 36), il a été possible de réaliser un bilan statistique de la formation et du parcours professionnel des préfets de département et de région en fonction au 15 décembre 2020. La vocation généraliste des préfets se retrouvent dans l’analyse de leur parcours de formation initiale. Sur 79 profils observés sur ce point, 32 ont suivi des études de droit. Très peu de préfets ne disposent pas d’un bagage universitaire solide ou bien n’ont pas effectué leur scolarité dans une grande école. 48 % d’entre eux ont été formés au sein de l’École nationale d’administration (ENA). En croisant cette donnée avec l’âge et le sexe de ces agents de l’État, on observe que le taux d’énarques est sensiblement plus faible non pas chez les plus jeunes d’entre eux mais chez les femmes. La tranche d’âge 50-60 ans est la plus intéressante car elle est la plus diversifiée : elle compte 54 % de non-énarques et davantage de préfètes.

Cette diversité observée dans les cursus de formation initiale ou continue des préfets se retrouve dans leurs parcours professionnels. Si certains ont réalisé une grande partie de leur carrière dans les services préfectoraux, la majeure partie des préfets n’a pas suivi ce parcours. Force est de constater que la nomination de préfets sans expérience passée au sein du corps préfectoral est une exception. Parmi les tendances observables à partir des données disponibles, on constate un élargissement du vivier préfectoral aux femmes : alors qu’on dénombre un quart de femmes à être préfètes, elles sont 38 % à être nommées en 2020 pour la première fois à ce grade, contre 25 % des hommes.

Ces multiples expériences préfectorales n’empêchent souvent pas une carrière diversifiée. Certes nombreux sont ceux qui ont réalisé tout ou partie du reste de leur parcours au sein du ministère de l’Intérieur, notamment de la police nationale (60 %). Le ministère de la Défense est également fréquemment cité. On remarque toutefois qu’une dizaine de préfets a travaillé à la direction générale des collectivités locales (DGCL ; longtemps rattachée au ministère de l’Intérieur) ou que 11 ont été, par exemple, secrétaire général pour les affaires régionales (SGAR) ou intégrés dans ces services. Le ministère des Finances publiques est le troisième grand secteur évoqué par les préfets lorsqu’ils évoquent leur parcours professionnel au sein des services centraux ou déconcentrés de l’État. 61 préfets ont également intégré un ou plusieurs cabinets ministériels dans une vie antérieure.

Cette analyse quantitative des parcours des préfets montre que le corps préfectoral évolue progressivement, en dépit d’une faible mixité sociale au moins du point de vue de leur niveau de formation initiale. Les enjeux de la crise sanitaire à moyen terme interrogent également sur la place et l’évolution du périmètre d’intervention et des nouvelles compétences des préfets dans les territoires.

Les conclusions du cinquième comité interministériel de la transformation publique (CITP) illustrent la volonté au plus haut sommet de l’État de faire du préfet, notamment du préfet de département, le chef d’orchestre de l’action territorialisée de l’État. Ces travaux qui devaient permettre de « tirer les enseignements de la crise pour transformer l’État durablement » ont conduit le Premier ministre à avoir comme « première priorité, [de réarmer] les services de l’État dans les territoires. En leur donnant plus de marges de manœuvre, notamment aux préfets, qui bénéficieront d’une plus grande latitude en matière budgétaire et de ressources humaines. C’est le pari de la confiance. Dès cette année, 2 500 emplois seront créés dans les services départementaux. » 1

Cette crise tend à la fois à mettre en avant l’action devenue indispensable des collectivités territoriales mais aussi le besoin de disposer d’un État fort dans les territoires. L’expression « couple maire-préfet » couramment utilisée lors de cette période de crise sanitaire liée au covid-19, cache en réalité le souhait d’avoir enfin une action étatique complémentaire de celle des collectivités locales.

Ce couple État-collectivités est également au cœur de la mise en œuvre du plan de relance national déployé à l’occasion de cette crise et qui doit « préparer la France de 2030 » 2. Dans une circulaire adressée aux préfets le 23 octobre 2020, le Premier ministre affirmait en ce sens que « la territorialisation du plan de relance est un gage d’efficacité, d’adaptabilité, d’équité et de cohésion. Elle sera l’un des facteurs de sa réussite, en accompagnant les dynamiques territoriales et en rendant possible la consommation rapide des crédits ». Ce souhait de s’appuyer sur les acteurs de terrain pour mettre en œuvre France relance se concrétise actuellement avec l’élaboration des « contrats de relance et de transition écologique » (CRTE). Ces contrats permettront à chaque préfet de département de contractualiser avec une ou plusieurs intercommunalités afin de définir dans quelle mesure l’État accepte de participer à la mise en œuvre du projet de territoire. Cette nouvelle génération contractuelle à vocation à faire du préfet de département le porte-voix des différents services et agences de l’État vis-à-vis de l’ensemble des acteurs locaux. Les préfets auront été des acteurs stratégiques pour faire face à la crise sanitaire et ils ont donc également vocation à occuper, de façon plus structurelle, un rôle pivot dans l’action territorialisée de l’État.

Pour qui s’intéresse à l’action publique locale, il devient indispensable de faire coïncider l’action de l’État avec celle des acteurs locaux mais également d’inciter les services déconcentrés de l’État à parler d’une seule voix. L’avant-projet de loi dit « 4D » (pour différenciation, décentralisation, déconcentration et décomplexification) transmis au Conseil d’État en début d’année 2021 propose quelques avancéeslégislatives en la matière. Mais chacun sait qu’au-delà des textes, ce sera surtout une culture administrative ancienne qu’il faudra faire évoluer. Et là encore, les préfets auront un rôle stratégique à jouer en la matière.

Les préfets en 2020

Horizons publics – Jean-Marie Lagnel.

L’étude du parcours de ces hauts fonctionnaires de l’État démontre que ceux qui ont eu à gérer la crise sanitaire en 2020, ont des profils relativement variés même si quelques tendances de fonds se dégagent. En s’appuyant sur les données brutes publiées par le ministère de l’Intérieur, il a été possible de réaliser un bilan statistique de la formation et du parcours professionnel des préfets de département et de région en fonction au 15 décembre 2020, c’est-à-dire en pleine crise sanitaire et après que le président de la République ait choisi de procéder, pour la première fois depuis le début de son quinquennat, à de nombreuses nominations au sein du corps préfectoral, en septembre 2020.

La tranche d’âge 50-60 ans est la plus intéressante car elle est la plus diversifiée : elle compte 54 % de non-énarques et davantage de préfètes.

Des cursus de formation non uniformes

Une formation initiale élevée mais variée selon les disciplines

La vocation généraliste des préfets se retrouvent dans l’analyse de leur parcours de formation initiale. Il est vrai que sur les 79 profils observés sur ce point, 32 ont suivi des études de droit. Toutefois, même dans cette discipline, plusieurs branches sont représentées : droit public, droit public international, droit communautaire, droit des affaires, etc. L’histoire, les sciences de l’ingénieur, l’économie et les sciences politiques sont également bien représentées mais dans des proportions moindres.

Dans tous les cas, en dehors de quelques profils exceptionnels, très peu de préfets ne disposent pas d’un bagage universitaire solide ou bien n’ont pas effectué leur scolarité dans une grande école.

Grandes écoles : un passage fréquent mais non généralisé

Durant la crise des Gilets jaunes, un certain « formatage des élites » a été dénoncé. Pour répondre à cette critique forte du système de formation des hauts fonctionnaires français, le président de la République a finalement annoncé le 8 avril 2021 vouloir supprimer l’ENA3.

En ce qui concerne les préfets en poste à la fin de l’année 2020, 48 % d’entre eux ont été formés au sein de cette école, c’est-à-dire moins de la moitié. En croisant cette donnée avec l’âge et le sexe de ces agents de l’État, on observe que le taux d’énarques est sensiblement plus faible non pas chez les plus jeunes d’entre eux mais chez les femmes. Parmi les préfets de moins de 50 ans, une seule n’a pas réalisé sa scolarité à l’ENA. À l’inverse, chez les plus de 60 ans, il y a autant d’énarques que de préfets qui n’ont pas suivi ce cursus de formation. On observera d’ailleurs que les résultats sont très proches lorsqu’on étudie la part des hauts fonctionnaires ayant réalisé une partie de leur formation initiale au sein de l’école Sciences Po. La tranche d’âge 50-60 ans est la plus intéressante car elle est la plus diversifiée : elle compte 54 % de non-énarques et davantage de préfètes. Un zoom sur les préfets de région, en métropole, permet d’illustrer ce propos. On comptait fin 2020 seulement deux préfètes de région. Or, sur les trois préfet·es de région qui ne sont pas énarques, on ne compte qu’un seul homme.

En dehors de ces deux grandes écoles, une part non négligeable de préfets a effectué une partie de sa scolarité dans une autre institution. L’école militaire Saint-Cyr est fréquemment citée. On retrouve dans une moindre mesure, et par ordre décroissant, l’ENA, l’École polytechnique, l’École nationale des finances publiques (ENFIP) et l’Institut national des études territoriales (INET).

Toutefois, 28 % des préfets en fonction fin 2020 n’ont jamais intégré une telle institution. Nombreux sont ceux, en revanche, qui dans le cadre de leur formation continue, ont pu intégrer des cycles de formation supérieurs, au premier rang desquels figure l’Institut des hautes études du ministère de l’Intérieur (IHEMI)4. Au travers de leur participation à ces temps de formation continue, les préfets démontrent qu’au-delà de leur vocation généraliste, chacun développe une expertise propre. Ainsi, au-delà de ces aspects sécuritaires, certains ont davantage un profil « aménageur » ou « développeur ». Dans ce cadre, la participation à l’Institut des hautes études de développement et d’aménagement territorial en Europe (IHEDATE) ou au cycle des hautes études de développement économique (CHEDE) n’est pas rare même si beaucoup moins fréquent.

Cette diversité observée dans les cursus de formation initiale ou continue des préfets se retrouve dans leurs parcours professionnels. Si certains ont réalisé une grande partie de leur carrière dans les services préfectoraux, la majeure partie des préfets n’a pas suivi ce parcours.

Des parcours professionnels hétéroclites

Un élargissement du vivier préfectoral aux femmes

Force est de constater que les nominations de préfets sans expérience passée au sein du corps préfectoral est une exception. Parmi les 30 préfets en fonction au 15 décembre 2020 et qui n’avaient jamais exercés cette mission auparavant, seuls 13 n’avaient jamais été ni sous-préfet, ni secrétaire général de la préfecture. À l’inverse, à cette même date, on comptait un quart des préfets qui avaient déjà été nommés à ce poste plus de trois fois. 48 préfets étaient nommés pour la deuxième ou troisième fois.

Alors qu’on dénombre un quart de préfetes, elles sont 38 % à être nommées en 2020 pour la première fois à ce grade, contre 25 % des hommes. On notera d’ailleurs que 42 % des femmes ont été nommées préfète sans avoir été auparavant sous-préfète, contre 21 % des hommes. Toutefois et en dépit des limites de ce critère, la taille démographie des départements dans lesquels des femmes sont nommées à ces fonctions est relativement moindre que celle observée pour les hommes, avec respectivement 439 000 et 750 000 habitants.

Ministères de l’Intérieur, de la Défense et des Finances

Ces multiples expériences préfectorales n’empêchent souvent pas une carrière diversifiée. Certes nombreux sont ceux qui ont réalisé tout ou une partie du reste de leur parcours au sein du ministère de l’Intérieur, notamment de la police nationale (60 %). Le ministère de la Défense est également fréquemment cité. Nous retrouvons le profil davantage « sécuritaire » de certains préfets. On remarque toutefois qu’une dizaine de préfets ont travaillé à la DGCL (longtemps rattachée au ministère de l’Intérieur) ou que 11 ont été, par exemple, SGAR ou intégrés dans ces services. Cette expérience a d’ailleurs pu avoir lieu en amont ou en aval d’un parcours en collectivité territoriale. Un quart des préfets ont travaillé au moins une fois au sein d’une collectivité. Certains ont commencé leur carrière dans la fonction publique territoriale mais ont ensuite intégré (plus ou moins rapidement) la fonction publique d’État. Plusieurs ont également été directeur général des services d’une région ou d’un département.

Le ministère des Finances publiques est le troisième grand secteur évoqué par les préfets lorsqu’ils évoquent leur parcours professionnel au sein des services centraux ou déconcentrés de l’État. Ces mobilités ont assez fréquemment été réalisé dans les territoires d’outre-mer, voire de façon exceptionnelle dans des pays étrangers (ambassades et Commission européenne principalement).

La territorialisation du plan de relance et l’élaboration en cours des CRTE vont nécessiter un important travail en transversalité. Si la qualité de généraliste des préfets sera sans doute précieuse pour cet exercice, leurs capacités managériales vont probablement être requises alors que cela ne relève plus depuis plusieurs années de leur coeur de métier.

61 préfets ont également intégré un ou plusieurs cabinets ministériels dans une vie antérieure. Si une large majorité d’entre eux n’ont vécu qu’une seule expérience en la matière, certains au contraire, même s’ils sont très peu nombreux, y ont passés de nombreuses années. La part de préfètes ayant intégré un cabinet ministériel (42 %) est sensiblement moins élevée que celle des hommes (67 %).

Seuls neuf préfets indiquent ne pas avoir travaillé dans la fonction publique d’État avant leur entrée en fonction. Une quinzaine de ces hauts fonctionnaires a travaillé une partie de sa carrière dans le secteur privé, souvent dans des grands groupes notamment dans le BTP ou dans la communication et l’audiovisuel.

Perspectives

L’analyse quantitative des parcours des préfets en fonction à la fin de l’année 2020 démontre que le corps préfectoral évolue progressivement, en dépit d’une faible mixité sociale au moins du point de vue de leur niveau de formation initiale.

La mise en parallèle du profil dégagé dans cette étude statistique avec les enjeux de la crise sanitaire à moyen terme interroge à plusieurs égards. La territorialisation du plan de relance et l’élaboration en cours des contrats de relance et de transition écologique (CRTE) vont nécessiter un important travail en transversalité. Si la qualité de généraliste des préfets sera sans doute précieuse pour cet exercice, leurs capacités managériales vont probablement être requises alors que cela ne relève plus depuis plusieurs années de leur cœur de métier. De même, alors que leur mission en matière de sécurité ne peut, bien entendu, pas être passée au second plan, force est de constater que les préfets vont certainement devoir s’investir encore davantage dans les questions de développement et d’aménagement de leur territoire. Il sera à cet égard intéressant d’analyser le contenu des feuilles de route interministérielles qui leur seront confiées pour définir leurs missions, comme l’évoquait le Premierministre à Mont-de-Marsan, lors du cinquième comité interministériel de la transformation publique.

  1. Éditorial du Premier ministre, Jean Castex, dossier de presse, 5CITP, 5 févr. 2021.
  2. Éditorial du président de la République, Emmanuel Macron, dossier de présentation du plan France relance, sept. 2020.
  3. Gatinois C. et Floc’h B., « Emmanuel Macron annonce la disparition de l’ENA, remplacée par l’ISP », Le Monde 8 avr. 2021.
  4. L’IHEMI a été créé en 2020 et est issu de la fusion entre le Centre des hautes études du ministère de l’Intérieur (CHEMI) et l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ).
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