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Le préfet dans tous ses états : trois regards sur la fonction préfectorale

Le 24 juin 2021

Didier Cultiaux, préfet de région honoraire, Jérôme Gutton, ancien préfet et chargé d’une mission interministérielle aux contrats de relance et de transition écologique (CRTE) auprès de l’Agence nationale pour la cohésion des territoires (ANCT) et Florence Ravel, directrice générale des services (DGS) de la communauté de communes du Pays Mornantais (COPAMO) et secrétaire générale adjointe de l’Assemblée des communautés de France (ACdF), ont accepté de partager leurs expériences, leurs visions et leurs pratiques du corps préfectoral. Évolution du métier, gestion de la crise sanitaire et de la sécurité, difficultés de la fonction, nouvelles compétences et valeurs, relations avec les élus et les médias, gestion de la crise écologique et des médias sociaux, etc., ils ont accepté de se confier à Horizons publics et de réagir au dossier.

Florence Ravel :
« Les préfets ne sont pas des surhommes ! »

Directrice générale des services (DGS) de la communauté de communes du Pays mornantais (COPAMO) et secrétaire générale adjointe de l’Association des directeurs généraux des communautés de France (ADGCF), Florence Ravel souligne l’évolution positive des rapports entre les préfectures et les collectivités. Il semble bien loin le temps où l’État imposait sa marque dans les territoires. « Dans un climat de confiance, le principe de la co-construction des projets caractérise désormais les relations de travail entre les agents des deux bords, assure-t-elle. »

La gestion de la crise à l’échelle des territoires a été à géométrie variable. Dans les territoires ruraux, l’État est plutôt passé par les intercos.

Comment s’opère, au quotidien, le travail avec le corps préfectoral et les services de la préfecture ?

C’est une relation au long cours, ancré dans l’histoire. Elle ne cesse d’évoluer dans le temps. Sur le contrôle de légalité, les relations sont bien établies, nous opérons à partir d’un bon climat de confiance. Le mouvement législatif étant permanent, nous vérifions généralement en amont si tel ou tel acte répond bien à la légalité. Les services de la préfecture jouent un rôle de garde-fous bien identifié. Il faut se mettre à la place des services de l’État, ne serait-ce qu’en termes de ressources humaines, ils ne peuvent répondre à tout dans des délais contraints, ce ne sont pas des surhommes. Il ne faut pas perdre de vue que les services préfectoraux ont été soumis à de nombreuses réorganisations récemment, au nom de la rationalisation financière. Ces dernières années, nous ne sommes plus dans une relation verticale. Les manières de faire sont plus humaines. Quand une difficulté est identifiée, j’ai le sentiment que nous cherchons ensemble la solution. Les réponses n’arrivent pas toujours dans les délais espérés mais nous échangeons, nous nous tenons informés. Enfin, les Maisons France services (MSF) sont, dans les territoires intercommunaux, les vrais relais de l’État, notamment vis-à-vis des citoyens. Nous sommes plus en lien que l’État avec les citoyens et ce dernier n’hésite pas à nous confier ce rôle de proximité, à travers des services que nous rendons à la population, relevant généralement des prérogatives de l’État.

Il faut clairement dire et redire que l’on ne produit plus aujourd’hui du service public seul, dans son coin. Du privé à l’État en passant par les collectivités, nous sommes dans une hybridation permanente.

Quels sont les autres domaines où cette relation avec la préfecture évolue dans le bon sens ?

Le travail de contractualisation sur les finances relève désormais d’automatismes bien établis. Nous sommes dépendants de l’État et ce dernier a fait ce qu’il fallait pour fluidifier cette contractualisation. En matière d’ingénierie aussi, nous travaillons de plus en plus avec les directions départementales techniques (DDT). Sur l’instruction du droit du sol, sur la construction des documents d’urbanisme, nous sommes confrontés à cette difficile équation consistant à veiller à une approche plus sobre de l’occupation des sols tout en faisant en sorte de construire des équipements, des logements, des zones pour continuer à être attractifs. Cette complexité se travaille de plus en plus en amont avec les services préfectoraux. On a le sentiment, en fait, que l’État n’est plus tout à fait en haut de la pyramide, qu’il n’est plus uniquement là pour nous taper dessus, comme cela pouvait être le cas à une époque, mais plutôt pour co-construire avec nous les territoires de demain. L’État assure une forme de continuité sur les territoires, à travers les préfets et les sous-préfets. Ces relais-là sont indispensables à la réalisation de nos projets.

Quels enseignements tirer de la période pandémique ? Le préfet a-t-il été remis au centre du jeu ? Les maires ont-ils été les bons relais ? L’échelle intercommunale peut-elle être pertinente ?

La gestion de la crise à l’échelle des territoires a été à géométrie variable. Dans les territoires ruraux, l’État est plutôt passé par les intercos, ce qui peut s’entendre, pour éviter de multiplier les coups de fils. Dans les départements urbains, les mairies des grandes et moyennes villes étaient naturellement les relais sur le terrain. Le message est plutôt bien passé. Au milieu de tout ça, nous avons eu les élections municipales. Les élus qui n’ont pas été reconduits ou qui avaient décidé de ne pas se représenter ont continué à gérer la crise. À l’échelle des intercommunalités comme les nôtres, la crise économique était au cœur de nos préoccupations, pour permettre aux entreprises et aux particuliers de faire face. Nous avons beaucoup travaillé sur la relance économique, dès le début de la crise. Là aussi, le travail avec l’État a été facilité.

Comment envisagez-vous l’évolution du rôle des préfets au cours des prochaines années et des modes de coopération avec les territoires ? La responsabilisation des préfets à l’aune du plan de relance et du contrat de relance et de transition écologique (CRTE), la désignation des sous-préfets à la relance, la montée en puissance des préfets de région, etc. N’est-ce pas une manière de piloter à distance les territoires ?

Je préfère parler plutôt de copilotage et d’insister sur l’évolution en cours. Des deux côtés, nous avons été confrontés à la nécessité d’être dans une constante adaptation. Il faut clairement dire et redire que l’on ne produit plus aujourd’hui du service public seul, dans son coin. Du privé à l’État en passant par les collectivités, nous sommes dans une hybridation permanente. L’État est le premier partenaire avec lequel on construit. Je note cependant un paradoxe : plus l’État est présent, plus il nous délègue des compétences à assumer ! Les préfets savent désormais que les territoires savent faire, tout en étant de plus en plus respectueux des deniers publics. On nous donne cette liberté de faire parce que l’État n’est pas dupe, qu’il sait très bien qu’il ne peut plus faire à notre place.

Les services de l’État et ceux des collectivités ont-ils appris à mieux se comprendre ?

Oui, c’est une évidence. Derrière les sigles, il y a des relations humaines. Dans la relation de confiance que l’on établit, dans les habitudes de travail qui se créent, se dégagent des convergences. Tel ou tel agent ne représente ni l’État ni une collectivité mais incarne l’envie de faire avancer les choses. C’est indéniable. L’État et les collectivités se connaissent mieux, donc les dossiers avancent plus vite.

On se parle en direct et en confiance, on tente d’alléger les procédures. Avec des projets qui sortent plus rapidement et donc des conséquences concrètes dans la vie de tous les jours ! Le dialogue descendant, c’est fini, l’État le sait. Sur les appels à manifestation d’intérêt, certaines collectivités ont du mal à suivre, ce qui entraîne des rivalités territoriales, notamment là où l’ingénierie manque. L’État essaie de faire en sorte que tout le monde soit concerné et renseigne mieux ceux qui ont moins les moyens techniques de répondre aux attentes.

Jérôme Gutton : « Le jeu d’acteur s’est complexifié »

Chargé d’une mission interministérielle aux CRTE auprès de l’ANCT, Jérôme Guton a été préfet de l’Indre (2012-2014), des Deux-Sèvres (2014-2017) et de Saône-et-Loire (2017-2020).

Les préfets travaillent généralement main dans la main avec les élus locaux. Ce travail étroit avec les élus est la condition de leur efficience sur place : le préfet doit disposer d’une grande capacité d’écoute de ceux qui sont là depuis et pour longtemps.

Comment avez-vous été amené à embrasser la carrière préfectorale ?

À la suite d’une agrégation en histoire, j’ai rapidement intégré Sciences Po puis passé l’École nationale d’administration (ENA). Cette école m’a offert la possibilité d’effectuer un stage en préfecture comme je le souhaitais. En réalité, l’envie de devenir préfet remonte à mon enfance durant laquelle j’avais eu l’occasion de découvrir son rôle dans un manuel d’éducation civique. Ce stage à la préfecture de la région Languedoc-Roussillon m’a convaincu et il faut dire également que j’éprouvais une grande admiration pour le préfet qui m’encadrait.

Ensuite, mon parcours préfectoral peut sans aucun doute être qualifié de « classique » : j’ai eu l’occasion de travailler à la fois en métropole et en Outre-mer, en province et en région parisienne mais également d’exercer des missions variées. Lorsque vous êtes successivement, directeur de cabinet, trois fois secrétaire général, secrétaire général pour les affaires régionales (SGAR), sous-préfet d’arrondissement et trois fois préfet (Indre, Deux-Sèvres et Saône-et-Loire), vous disposez d’une véritable boîte à outils qui vous permet de remplir des missions variées.

Pourquoi parlez-vous d’une « mission » et non d’un « métier » ?

L’administration préfectorale est bien plus qu’un métier. Je parle d’une « mission » car elle emporte la représentation de l’État et de la République dans les moments difficiles. Nous le voyons clairement durant cette crise sanitaire mais aussi lors des derniers attentats en France. Il s’agit d’incarner l’État et la République et cela relève donc bien plus de la vocation que du métier. D’ailleurs, dans l’administration préfectorale, il y a beaucoup de métiers différents : lorsque nous travaillons sur les problématiques agricoles cela est bien loin de notre travail sur la sécurité. De même, l’immigration a bien entendu une dimension régalienne forte mais aussi souvent sociale…

Est-ce cette diversité des missions qui vous a amené à faire votre carrière dans l’administration préfectorale ?

Cette variété est très stimulante mais je crois qu’avant tout, notre rôle nous oblige à établir un lien très proche et familier avec chaque territoire où nous sommes nommés. Cette richesse est formidable. Pour devenir préfet, il faut aimer la France et les gens. J’aime profondément cette notion de territoire qui pour la faire vivre nous oblige à établir des liens étroits avec tous les publics possibles et imaginables : bien évidemment les élus locaux mais aussi les chefs d’entreprise puisqu’un préfet doit beaucoup se soucier de développement économique et d’emploi. Il est également indispensable d’entretenir des contacts très réguliers avec les associations qui sont les bras séculiers des collectivités et contribuent activement à la vie citoyenne. Nous devons quotidiennement échanger avec tous ces acteurs et souvent sur les sujets les plus difficiles. Notre rôle est de trouver des compromis pragmatiques entre eux, allant dans le sens de l’intérêt général.

Il y a des acteurs nouveaux qui apparaissent. Les régions ont bousculé les choses, tout comme les intercommunalités.

Tous les préfets sont loin d’avoir le même parcours. Comment peut-on alors leur confier les mêmes missions ?

Un préfet doit être un généraliste et chacun, ensuite, a sa dominante. Certains sont plus à l’aise avec l’ordre public, d’autres préfèrent accompagner des mutations économiques. L’idéal est, toutefois, d’avoir les mêmes capacités sur tous les sujets, afin de passer facilement de l’un à l’autre tout au long d’une journée.

Heureusement, le préfet n’est pas seul : il peut s’appuyer sur les services de la préfecture, des sous-préfectures, des directions ministérielles, des services régionaux pour les préfets de département, le réseau des finances publiques, les établissements publics de l’État, etc. Si cette multiplicité d’acteurs étatiques est bien entendu une force, elle soulève sur le terrain des enjeux de coordination.

Concrètement, comment se déroule le quotidien d’un préfet ?

À partir du moment où nos missions sont aussi diversifiées que le territoire, il faut faire preuve d’une grande capacité d’adaptation, d’écoute mais aussi d’humilité. Chaque département est une petite France où se côtoient des sociologies, des forces et des faiblesses différentes. En Saône-et-Loire, entre Mâcon et sa viticulture, et les contreforts du Morvan, il y a peu de choses en commun. Notre quotidien, et c’est ce qu’il y a de plus passionnant, est d’essayer de faire travailler tout le monde ensemble. C’est d’ailleurs ce qu’on retrouve dans la territorialisation du plan de relance. Cette mission représente donc énormément de travail : les journées de quatorze heures ne suffisent généralement pas et les difficultés ne s’arrêtent pas le vendredi soir… Par ailleurs, un préfet est généralement en représentation le week-end. On ne peut connaître un territoire qu’en rencontrant les gens chez eux.

Et en ce qui concerne le lien avec les autres acteurs publics ?

Le partage des rôles entre les différents services déconcentrés est extrêmement important avec notamment les réunions de coordination du matin et du soir où ils doivent tous marcher de concert. Ces réunions sont organisées à l’échelle de cercles plus ou moins larges, en fonction des sujets. En période de crise, comme pour le maintien de l’ordre public, des centres opérationnels sont activés jour et nuit ce qui crée progressivement une alchimie très forte entre services. Cela a été parfaitement illustré par la crise du covid-19 : il est indispensable de reconnaître la complémentarité entre les services déconcentrés. Les services généralistes ne peuvent pas tout et les spécialistes non plus.

En ce qui concerne les élus locaux, les préfets travaillent généralement main dans la main avec eux. Ce travail étroit avec les élus est la condition de leur efficience sur place : le préfet doit disposer d’une grande capacité d’écoute de ceux qui sont là depuis et pour longtemps.

Sur ce point, la montée en puissance des collectivités a-t-elle fait évoluer la fonction préfectorale ?

La continuité est plus forte dans le jeu des acteurs que l’évolution du paysage. Les responsabilités d’un préfet ne sont pas très différentes de celles qu’elles étaient il y a deux siècles. La relation avec les élus a toujours été très forte, même avant la décentralisation. Les élus les plus influents du département étaient plus souvent à Paris, et proches des plus hauts lieux du pouvoir, que le préfet car ils étaient souvent parlementaires.

Il y a, en effet, des acteurs nouveaux qui apparaissent. Les régions ont bousculé les choses, tout comme les intercommunalités. Les interlocuteurs ont donc évolué donc mais n’ont pas modifié la relation entre le préfet et les maires. L’intercommunalité est devenue un outil de travail commun dont on ne peut plus se passer mais elle ne change pas la relation maire-préfet car ils ont deux points communs majeurs : l’élection et l’ordre public.

En revanche, force est de constater que les grandes régions ont renforcé le niveau départemental. Les préfets de département se sont sentis confortés avec cette réforme. L’échelon régional dispose de moyens moins diminués que l’échelon départemental mais plus éloignés. Le jeu d’acteur s’est donc complexifié mais il est finalement assez immuable.

Quelles que soit les réformes entreprises, c’est la volonté de chacun d’entre nous qui fait que nous nous obligeons à être présent sur un certain nombre de missions. Cela pondère les évolutions. La culture régule nos organisations.

Si la fonction préfectorale a beaucoup évolué, elle a cependant gardé une grande permanence dans ses missions et son esprit.

Didier Cultiaux : « Les préfets se retrouvent en première ligne pour gérer la transition écologique »

Didier Cultiaux est préfet de région honoraire et conseiller-maître honoraire (SE)prèsla Cour des comptes. Ancien élève de l’ENA, il a fait sa carrière au sein du corps préfectoral et a été rédacteur en chef de la revue préfectorale Administration, éditée par l’Association du corps préfectoral et des hauts fonctionnaires du ministère de l’Intérieur (ACPHFMI).

Avec la crise du covid-19, on a vu des préfets surbookés face à des vagues de contamination imprévisibles…

Quelles sont les motivations à l’origine de votre trajectoire dans la préfectorale ?

J’ai eu ma révélation du corps préfectoral au moment des évènements de mai 1968. À l’époque, je terminais mon service militaire dans les Ardennes puis j’entrais à l’ENA pour suivre ma formation à Paris dans un contexte mouvementé (grèves et émeutes de mai 1968, démission du général de Gaulle en avril 1969, blocage des usines et des mines, etc.). À la sortie de l’ENA, je suis chargé de mission pour le préfet de Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) puis des Bouches-du-Rhône avec la mission de l’aménagement de Fos-étang de Berre (1er juin 1971). Je me souviens notamment d’un premier cas de gestion de crise avec des dépôts de Fos-étang de Berre bloqués par des grévistes. Le préfet de l’époque me demande une note de sortie de crise pour débloquer la situation et se projeter dans l’avenir. Je poursuis par la suite dans le corps préfectoral au service de plusieurs préfets, ce qui me permet de rencontrer alors Jérôme Monod qui deviendra le directeur de cabinet de Jacques Chirac. J’ai refusé à trois reprises de servir dans des cabinets ministériels pour rester dans la préfectorale. Car c’est un métier de passion, de relations sociales, de rencontres humaines, ancrés dans les réalités locales. Avec un périmètre d’action très large : l’économie locale, l’aménagement urbain, la sécurité et le maintien de l’ordre. Je cite souvent la devise suivante : « L’honneur de la fonction publique, c’est servir mais ne pas se servir. » Bref, la passion de servir a été le moteur de mon engagement dans la préfectorale.

Quelles sont les difficultés auxquelles font face les préfets aujourd’hui ?

Le maintien de l’ordre – on a pu le voir avec la crise des Gilets jaunes, la gestion de la sécurité (catastrophes naturelles, crise sanitaire complexe, etc.), les relations parfois tendues avec les élus ou les médias locaux, sans oublier la prise en compte des réseaux sociaux, font partie des difficultés auxquelles sont confrontés les préfets. Tout d’abord, les relations entre élus et préfets sont devenues plus complexes. Tout dépend du type d’élus que vous avez en face : un élu ouvert au dialogue ou un élu réfractaire. Les conflits avec les élus font partie du quotidien des préfets.

En matière de gestion de crise, la crise sanitaire imprévisible dans son essence a rendu l’exercice peut être plus délicat. Lorsque j’étais préfet, j’ai vécu deux catastrophes naturelles : les tempêtes de 19891 à Lorient et de décembre 19992 à Clermont-Ferrand. Avec des arbres abattus sur 150 kilomètres de long, l’urgence de dégager des routes en coupant des arbres, en faisant l’inventaire des poteaux électriques, des générateurs, etc. Ce type de crise se prépare : lors de mon arrivée dans une préfecture, la première chose que je faisais était de vérifier le bon fonctionnement du générateur (pour assurer l’électricité) et d’actualiser les plans de crise. Quand la crise éclate, le préfet est en première ligne et peut être associé à la cellule interministérielle de gestion de crise. La multiplication des crises et de leur intensité expose les territoires à des risques systémiques (pollution de l’air, inondations, canicule, feux de forêts, catastrophes industrielles, risques sécuritaires, pandémies, etc.).

Sur la relation avec les médias, le préfet doit nouer des relations personnelles avec les journalistes, apprendre à les connaître en les rencontrant, créer des complicités pour pouvoir, si besoin, les appeler directement en cas de crise, pour accélérer la diffusion des informations plus rapidement. Un bon préfet est un préfet informé pour anticiper. Avec les réseaux sociaux, cette relation de confiance, qui se construit dans le temps et sur le terrain, sera peut-être plus difficile à mettre en œuvre. Une autre difficulté que je vois aussi, c’est que le préfet ne choisit pas ses équipes lorsqu’il arrive dans une préfecture, il doit composer avec les hommes et les femmes déjà en place.

Quel rôle les préfets ont-ils joué dans la crise sanitaire ?

Avec la crise du covid-19, nous avons vu des préfets surbookés face à des vagues de contamination imprévisibles… Les préfets n’ont pas la responsabilité de la crise sanitaire, mais celle de l’état d’urgence à appliquer (maintien du couvre-feu, gestion du ravitaillement, garantie du transport, relation avec les EHPAD, les hôpitaux, etc.). J’utilise souvent la métaphore du chef d’orchestre : le préfet est un chef d’orchestre, la partition change en fonction des situations. Il faut faire jouer les bons musiciens au bon moment. Parmi les qualités requises en cas de crise, le préfet doit garder son sang-froid et avoir l’esprit d’équipe. Le chef doit être aussi en capacité de se mettre à l’abri lors d’une tourmente.

Comment envisagez-vous l’évolution de la fonction dans les prochaines années ?

Si la fonction préfectorale a beaucoup évolué, elle a cependant gardé une grande permanence dans ses missions et son esprit. L’État doit pouvoir projeter ses missions régaliennes (sécurité, aménagement, développement, éducation) sur les différents territoires de la République. Le pouvoir central a besoin de mettre en œuvres ses politiques. Il a aussi besoin d’être alerté, le préfet joue ce rôle aussi, il assure ce lien descendant et ascendant. La pérennité de ce lien, et la manière dont il peut évoluer, constitue un enjeu fort aujourd’hui pour l’avenir de la fonction préfectorale, car on ne peut plus administrer aujourd’hui comme hier. Le préfet se retrouve aussi en première ligne pour gérer la transition écologique. Ce sera l’un des défis majeurs des prochaines années : la lutte contre le réchauffement climatique.

Un bon préfet est aussi un préfet informé, pour anticiper : avec la suppression de la moitié des postes du renseignement territorial sous l’ère Jospin, nous avons perdu un réseau d’informateurs de première main dans les mosquées, le secteur agricole, le monde de l’éducation, les quartiers difficiles). Il faut maintenant retrouver un réseau d’information. Nos concitoyens attendent de tous les administrateurs territoriaux l’écoute, la disponibilité, l’efficacité, l’autorité et la responsabilité : répondre à leurs attentes est au cœur des métiers exercés par les trois acteurs publics dont le témoignage vient d’être recueilli.

  1. Du 16 au 18 décembre 1989, une tempête, principalement sur les côtes de la Manche et de l’Atlantique, fait 9 morts.
  2. Les 26 et 27 décembre 1999, deux tempêtes exceptionnelles, avec des rafales à 200 km/h, font 92 morts et des dégâts estimés en dizaines de milliards de francs. La première, le 26 décembre, balaie la moitié nord de la France. La seconde, le 27, frappe principalement le Limousin et les régions Poitou-Charentes, Aquitaine, Auvergne et Franche-Comté. Ladite « tempête du siècle » prive 3,4 millions de foyers de lumière ou de chauffage et 270 millions d’arbres sont détruits.
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