Le Bassin Minier, future destination de voyages apprenants sur la résilience ?

Le 23 août 2023

Comment les Voyages apprenants peuvent-ils être à la fois un outil au service des transitions, du développement économique et du changement d’image d’un territoire ? Et en quoi le Bassin minier peut-il devenir une destination de tourisme culturel sur le thème de la résilience et de la transition ? Retour sur l'une des tables-rondes organisées les 28 et 29 juin 2023 à l'occasion de l'évènement Loos-en-Gohelle, itinéraires d’une ville en transition.

Les résultats en matière de transition à Loos-en-Gohelle questionnent et donnent envie à d'autres territoires. Les demandes pour venir visiter la ville et rencontrer l’ancien maire, Jean-François Caron se sont multipliées. Rapidement, un écosystème s’est créé autour de lui pour répondre à toutes les demandes mais la cadence était trop élevée. C’est ici qu’apparaissent les DDTour, pour Développement Durable Tour. L’organisation est réalisée en fonction de la demande. En général, la visite dure une journée. Elle commence par 1h de présentation par Jean-François Caron, puis, les participants sont amenés sur le terrain. “Nous avons un produit intéressant. Il décolle.”, précise Geoffrey Mathon, le nouveau maire. Aujourd'hui, le temps est à la réflexion. La mairie souhaite développer une offre plus spécifique en s’appuyant sur d'autres acteurs. L'objectif ? Faire du bassin minier une destination touristique, au sens apprenant du terme. Pour que d'autres territoires “puissent engager une résilience plus forte et anticipée que ce qu’on a pu faire”, encourage Geoffrey Mathon.

Le Cerdd, l’office du tourisme de Lens et la mission Bassin minier pour créer une offre

Pour créer le modèle économique des DDTour, la ville de Loos-en-Gohelle a associé le Cerdd (Centre Ressource du Développement Durable) et l’office du tourisme de Lens. Le Cerdd possède une offre plus large, avec des DDTour dans plusieurs villes des Hauts-de-France. Loos-en-Gohelle est la plus visitée. “Ce qu’on porte dans le DDTour, précise Emmanuel Bertin, directeur du Cerdd, c’est l’approche transversale et optimiste des transitions. On tient à être exigeant. Ce sont des endroits où on transforme le modèle, on change la vie des gens par l’approche globale et systémique. On passe la parole aux salariés dans les organisations et aux habitants.”

Depuis 2014, le DDTour compte plus de 500 visites et presque 9 000 visiteurs. 50% des visites sont effectuées dans les Hauts-de-France, 40% dans le reste de la France et 10% en Europe. La majeure partie des visiteurs (47%) viennent de l'enseignement supérieur (écoles d’ingénieur, de communication, etc). Suivent les collectivités et institutions (32%) et enfin les groupes mixtes (associations, citoyens en transition, entreprises, etc).

Pour réaliser les DDTour, Loos-en-Gohelle ne s’appuie pas que sur les partenaires financiers, mais sur tout un écosystème. Comme la mission Bassin Minier par exemple. Catherine Bertram est la directrice : “Nous faisons partie des outils d'aménagement du territoire.” La Mission Bassin minier a appuyé toutes les politiques publiques et leur coordination sur les 20 dernières années, pour passer de l'après mine à de nouvelles logiques de développement. Pour organiser des visites sur le territoire, elle est épaulée par une constellation d’acteurs.

Des voyages apprenants pour devenir acteurs du changement systémique

Emmanuel Bertin, lie le voyage à l’idée de transformation. “On dit souvent que les voyages forment la jeunesse. Ils permettent d’apprendre et de se transformer.” Mais le directeur du Cerdd insiste sur le fait que les voyages apprenants doivent être pensé : dans la manière d’accueillir, de concevoir les moments. Car les pas de côté se font parfois entre pairs, au fond du bus qui les emmènent vers une visite.

L’idée du voyage apprenant n’est pas de répliquer mais de chercher à s’inspirer, à attraper des argumentaires, se laisser toucher par l’émotion - qui met en mouvement, qui motive -  et ça se prépare pour amorcer une mise en mouvement.

Le voyage, pour Laurent Fussien, DGS de Malaunay, comporte aussi une question de nature et de durée. Il s’explique : “Sur une demi-journée, vous ne transformez que le regard. Sur une journée, vous vous transformez. Sur 2 à 3 jours, vous commencez à devenir un acteur du changement, vous vous mettez au travail, vous comparez vos trajectoires… Au-delà de 10 jours, quand vous créez du lien humain, vous devenez acteur du changement systémique.”

Effets sur les territoires concernés

Laurent Fussien peut en témoigner puisque la ville de Malaunay a visité Loos-en-Gohelle au début de sa politique de transition. « En 2017, nous avons été audités par Jean-François Caron dans le cadre d’une étude que portait l’ADEME pour regarder comment fonctionne le code source Loossois dans un autre territoire. Ça nous a plutôt secoué. » Un an plus tard, Malaunay revient en délégation de 40 personnes visiter Loos et monter sur le terril. Un an après encore, c’est au tour de Loos de venir à Malaunay en délégation. « Nous sommes devenues des villes sœurs, on se reconnaît. »

Le DGS voit plein d’effets utiles des voyages apprenants au-delà de l'évaluation. “On parle beaucoup de désir, mais ce que le DDTour, le voyage apprenant, offre, c’est la possibilité d’une alternative qui rend le désir bien plus puissant. On sort des logiques de cercle vicieux, avec le couple sidération/impuissance, et on va vers un cercle vertueux avec le couple puissance d’agir et désir.”

Mise en récit, implication habitante, nouveaux modèles économiques, management de la transition, conduite du changement, principe directeur de conduite du changement, invariants… tous ces éléments issus du code source Loossois ont permis à Malaunay de construire, solidifier ses acquis et en tirer sa propre trajectoire. Depuis, Malaunay est aussi devenue terre d'accueil des voyages apprenants pour d'autres territoires. “Nous avons énormément appris, résume Laurent Fussien. Ça a été une école et on continue de partager avec les autres. Nous sommes très sollicités, mais il y a de plus en plus de Loos et de Malaunay qui inspirent. On est encore au tout début.”

Catherine Bertram ajoute que le voyage apprenant peut également avoir un effet positif sur les partenaires. Pour elle, le fait qu’ils viennent à Loos-en-Gohelle, voir les terrils est important : “Tout le monde n’est pas convaincu. Le voyage apprenant c'est aussi un miroir à nos partenaires. Ça aide à mieux se connaître, à faire groupe pour progresser. Car le voyage apprenant c’est montrer, offrir, apprendre de l’autre, mais c’est aussi localement se dire qu’on peut mieux faire”.

La directrice de la mission bassin minier précise aussi un point important : il faut parler des échecs. “Ça humanise de montrer qu’on n’a pas réussi.” Car lors d’un voyage apprenant, la question de la transférabilité des actions sur son propre territoire se pose. Voir un projet politique de transition qui réussit peut paraître impossible à certains lorsqu’ils transposent cela sur leur territoire. Les temps collectifs sont importants à ce niveau pour que les visiteurs ne se sentent pas découragés avant même de revenir sur leur territoire.

Laurent Fussien abonde : “Tous les labels mettent en évidence ce qu’on a réussi mais on a beaucoup échoué, on s’est pris des portes fermées et on s’y est mal pris plein de fois. Sauf que sur un format court, on n’a pas le temps de développer ça. Il faut gérer les « oui mais » avant d’aller se balader, comme ça, ils voient que c’est possible, que ça existe.” Des temps de questions/réponses qui sont d’ailleurs autant utiles aux territoires visiteurs que visités.

Les limites à combler

Plusieurs difficultés et limites apparaissent au cours de la table ronde. Dont celle de la rupture avec les territoires. “Récemment, j’étais à la Louvière, une ville en Belgique, raconte Claire Roumet, l’animatrice. C’est la même veine de charbon qui passe en dessous, mais ils n’ont jamais entendu parler de Loos.” Quelques minutes plus tard, Catherine Bertram répond : “Dans la fraternité, dans la culture des liens, il y a des ruptures. Dans le voyage apprenant c’est un problème. Nous avons déjà accueilli Bois du luc, qui se trouve à la Louvière. Nous avons fait un itinéraire de la culture industrielle en 2011. Ils sont venus à Loos-en-Gohelle.”

Autre point abordé, comment valoriser le temps de tous les partenaires ? Emmanuel Bertin explique que malgré le fait qu’ils essaient d’avoir des parcours très organisés pour gagner du temps (pour cela, ils s’inspirent des acteurs du tourisme), l’usage fait qu’ils organisent souvent du sur-mesure. Maintenir les hôtes des visites, qui dégagent du temps pour cela, est très important. Il faut savoir leur rendre pour maintenir l’implication. Le facteur humain est aussi à prendre en compte. Le directeur du Cerdd donne l'exemple de DDTour qui étaient très forts, mais “une personne, qui était leader, qui tenait le récit, part, et les choses tombent”.

Sur Loos-en-Gohelle, Emmanuel Bertin félicite l’office du tourisme de Lens, qui s’occupe des guidages. “C’est une niche touristique mais ça s’apparente à du tourisme d’affaire et ça produit de la richesse”.

Autre défi souligné par le directeur du Cerdd : maintenir le fil pédagogique. Savoir raconter une histoire n’est pas simple. “Quand on est organisateur de ces voyages, c'est un souci permanent. Faire des retours sur la manière dont ça a été raconté, présenté.” Il est aussi nécessaire de maîtriser le fond et la forme organisationnelle. Vient alors la question de la multiplicité des compétences.

Et enfin, le modèle économique. Il comporte une part de don, des subventions publiques (pour permettre à ces voyages d’exister) et une partie liée au marché, que le Cerdd finance. Derrière, il y a un cercle vertueux selon Emmanuel Bertin. Car les visites engendrent des nuitées, des repas, des petits-déjeuners, qui sont la pierre angulaire de l'économie touristique. “Il faut essayer d’aller vers des voyages qui aillent au-delà des demi-journées. L'idéal c’est de faire passer une nuit car ça génère un double effet : retombée sur l’économie et sur la transformation des individus.”

Changement d’échelle à l'international

Les DDTour ont vocation à essaimer en France. C’est déjà le cas en Normandie. Ils sont portés par l’agence normande de biodiversité et de développement durable. D'autres projets, un peu détournés, ont vu le jour dans le sud. Geoffrey Mathon voit plus loin : ​​“Nous avons un rôle à jouer. Nous ne pouvons pas vouloir parler de transition sans le prendre à l’échelle internationale. L'enjeu est devant nous, nous en avons les capacités.”

En plus de l’essaimage au niveau national, le maire de Loos-en-Gohelle vise l’international.

Un des déclencheurs de cette démarche : la rencontre avec le conseiller diplomatique de l'État français. “Des territoires en Angleterre ou en Allemagne organisent ces visites-là mais n’ont parfois pas autant de projets aboutis que nous. Peut-être que mutuellement, nous ratons des opportunités. Comment faire briller, au-delà du bassin minier, le territoire national en apportant des réponses et en inspirant.”

Geoffrey Mathon souhaite mettre son énergie dans cette lignée. Pour cela, il faut trouver un écosystème d'acteurs pour piloter ce projet. Cela nécessite une ingénierie, une pensée. “Et on a de la chance, ajoute le nouveau maire, nous avons les ressources sur notre territoire : le Cerdd, la mission bassin minier, plein d'acteurs capables de venir avec nous, pour nous aider.”

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