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À Paulmy, les producteurs locaux vendent leurs produits dans une épicerie libre-service grâce à la mairie

PAULMY
Le maire de Paulmy, en Indre-et-Loire (37), a eu l'idée de créer un local contenant des casiers automatiques grâce auxquels six producteurs du territoire (dont un boulanger) viennent vendre leur marchandise.
©Territoires audacieux
Le 16 février 2021

Dans le village de Paulmy, en Indre-et-Loire (37), plus aucun commerce n’était présent depuis la fermeture d’un bar en 2012. Pour réussir à dynamiser ce village, le maire a décidé de proposer une épicerie avec des produits locaux. Son concept ? Un local contenant des casiers automatiques grâce auxquels six producteurs du territoire (dont un boulanger) viennent vendre leur marchandise. Ouvert sur une grande amplitude horaire, cette initiative vient de terminer sa première année et dresse un bilan positif. Pour en savoir plus, nous avons interviewé Dominique Frelon, le maire de Paulmy.

D’où est venue cette initiative ?

J’ai été élu en 2014. Je souhaitais réussir à ré-ouvrir un commerce pour animer le centre-bourg. Nous n’en avions plus depuis deux ans. Le dernier était un bar. J’avais une idée de comment monter ce projet mais je n’avais pas les atouts. Je souhaitais créer un commerce sans personne pour le gérer. Nous savons bien qu’aujourd’hui c’est le personnel qui coûte cher. Je pensais que cela pouvait être un bon projet au niveau communal. Le système des casiers automatiques existe déjà depuis des années mais il est surtout utilisé dans le domaine privé.

Quel était le besoin de votre territoire ?

Je ne sais pas s’il y avait véritablement besoin d’un commerce sur le territoire. C’était plutôt un pari sur l’avenir. Le premier supermarché est à six kilomètres. Mais notre objectif, c’était d’animer le centre-bourg. Il fallait trouver le système et l’inventer avec les producteurs locaux. Ainsi, c’était l’appel des administrés et une réponse des producteurs. C’était aussi une demande de la part du conseil municipal. Nous n’avons déjà plus grand chose dans la commune. Par exemple, il n’y a pas d’école. Il fallait que nous trouvions une solution pour animer. En plus de nos casiers, nous avons réussi à monter une garderie avec douze enfants. Quand il y a pôle d’activités, d’autres personnes peuvent venir se greffer autour. C’est l’idée d’enclencher un cercle vertueux.

« J’ai pris mon bâton de pèlerin pour aller voir les producteurs locaux. Il fallait réussir à proposer une grande diversité et proposer tous les produits utiles à la vie de tous les jours. Cela n’a pas été une étape facile », explique Dominique Frelon, le maire de Paulmy.

Quelles ont été les différentes étapes de mise en place ?

De 2014 à 2016, le projet est resté à une dimension personnelle. J’ai essayé de le concevoir et d’y réfléchir. En 2017, j’ai commencé à le proposer à mon conseil municipal. Puis il a fallu trouver un local. Nous avons racheté l’ancien bar du village à un privé. Puis nous avons réalisé les travaux en 2018. En mars 2019, nous avons réussi à ouvrir notre épicerie.

Comment s’est déroulé le travail avec les producteurs ?

Pour le pain, nous passons par un boulanger d’un village voisin. Il était motivé. C’est même lui qui a acheté la machine qui stocke son pain. C’était important pour nous, car la boulangerie c’est le produit d’appel. En parallèle, j’ai pris mon bâton de pèlerin pour aller voir les producteurs locaux. Il fallait réussir à proposer une grande diversité et proposer tous les produits utiles à la vie de tous les jours. Cela n’a pas été une étape facile. Je connaissais certains producteurs. Mais certains ont refusé. Ils étaient perplexes. Ceux qui ont voulu nous suivre ont fait un pari sur l’avenir. Ils ont aussi pu s’adapter en supprimant leurs horaires d’ouverture pour réunir leurs produits dans un point unique de distribution.

Quelle était la proposition qui leur était faite ?

Je leur ai exposé le projet. J’ai bien précisé que la commune prenait en charge la construction du lieu avec une chambre froide, la clim et les caméras de surveillance. De leur côté, je leur demandais de monter une société à laquelle j’ai pris part personnellement. Nous étions huit à participer. Six producteurs, un adjoint au maire et moi. Chacun a mis 1 000 euros dans le capital de départ. C’est cette société (SA) qui s’est chargée d’acheter les casiers. La communauté de communes et leur service économique nous ont apporté beaucoup d’aide pour monter ce projet.

C’est un engagement au-delà de votre mandat de maire…

Oui la collectivité a géré tout le bâtiment et les travaux. Ensuite, c’est vrai que c’est engagement en plus. C’est parfois le rôle d’un élu rural. C’est un engagement. Dans nos petites communes, tout est un engagement. Nous faisons des paris et il faut essayer de ne pas non plus emmener la commune à perte. Dans ce cas-là, si le projet ne persiste pas, la commune pourra récupérer le local.

« Les habitants étaient très sceptiques au départ. Nous sommes à la campagne. Le dernier commerce à s’être installé n’a pas fonctionné. Il a duré un an avant de fermer. Mais je m’aperçois qu’ils sont nombreux aujourd’hui à se servir au magasin », confie le maire.

Qu’avez-vous dit aux agriculteurs pour les convaincre ?

Je les connaissais presque tous. Mais je pense que certains ont suivi avec ma hargne et mon pari un peu fou. Ils sont contents aujourd’hui car ça marche. J’ai essayé d’être le plus honnête possible sur la démarche.

Aujourd’hui, comment votre initiative fonctionne-t-elle pour les habitants ?

Notre local avec les casiers est ouvert sept jours sur sept de 6 h 00 à 23 h 00. Les habitants viennent se servir. Ils peuvent payer le pain via un monnayeur et tout le reste peut se payer via une carte bleue. Les producteurs viennent recharger une fois par jour. Le boulanger passe lui trois fois par jour. Mais il lui arrive de charger les casiers vides des amis producteurs pour leur éviter de se déplacer. C’est la même chose pour moi. Quand je passe au commerce, si je vois qu’il y a besoin de charger des casiers je m’en occupe. La secrétaire de mairie donne un petit coup de main également.

Pour les casiers, comment fonctionnent-ils ?

Dans chaque casier, vous trouvez un produit. Nous avons de tout. Le boulanger fourni des baguettes mais aussi du pain de campagne, des viennoiseries. Nous avons également des jus de pomme et des œufs. Puis chaque producteur apporte ses spécialités. Nous avons un producteur de volailles avec des pâtés, des rillettes, des poulets mais aussi de la saucisse de volaille. Ensuite, nous avons ce qui concerne le fromage et le lait de vache avec, par exemple, des yaourts. Nous avons aussi des produits à base de lait de chèvre comme des fromages. Il y a également des fruits et légumes.

C’est aussi complet qu’une épicerie…

Nous avons acheté une centaine de casiers en 2019. Nous venons d’en remettre une cinquantaine. Le système est très simple, vous choisissez votre produit et indiquez le numéro du casier puis vous payez et les casiers s’ouvrent progressivement. Quand il n’y a plus de produits, les producteurs sont prévenus automatiquement sur leur téléphone portable. Ainsi chacun peut gérer son approvisionnement. Nous avons également des gîtes sur notre territoire. Ce sont des Parisiens qui viennent. Nous leur proposons de commander un repas complet à leur arrivée. Ainsi, ils ont plusieurs produits (tous locaux) qui les attendent dans un casier.

Ce ne sont que des produits locaux ?

Oui. Il faut que ce ne soit que des produits locaux. Sinon le concept ne peut pas marcher. Si vous mettez des produits extérieurs, vous devez les acheter. Il faut dégager une petite marge pour pouvoir supporter les charges. Vous êtes donc obligatoirement plus chers que dans les grandes surfaces. Nous en avons une à cinq ou six kilomètres de chez nous. Ils iront là-bas. Là nous créons du lien avec les producteurs locaux. Et nos casiers permettent à ceux qui allaient avant chez les agriculteurs pour acheter leurs produits, de se rendre ici plus facilement. Nos horaires sont beaucoup plus flexibles.

Il y a une prise en main des acteurs du territoire…

Exactement et c’est une force pour notre projet. Cela plaît et il y a un retour. Nos producteurs vendent déjà aux grandes surfaces. Mais pour le même prix qu’en supermarché, vous pouvez acheter le même produit tout en donnant une marge plus importante à l’agriculteur. Tout le monde est gagnant.

Les agriculteurs y trouvent-ils leur compte ?

Les producteurs sont très contents. Celui qui s’en sort le mieux, c’est le boulanger. C’est notre produit d’appel et il a très bien compris aujourd’hui comment fonctionner. Par exemple, il a proposé des galettes des rois pendant le mois de janvier 2020… Le chiffre d’affaires (CA) annuel pour le premier exercice s’élève à 49 932,56 € de mars 2019 à février 2020. Le bilan est un bon indicateur à évoquer avec notre communauté de communes. Elle nous a beaucoup aidé et nous avons été son laboratoire d’expérimentation. Je pense que cela va permettre l’ouverture d’autres petites structures sur d’autres territoires.

Que vous disent les habitants ?

Ils étaient très sceptiques au départ. Nous sommes à la campagne. Le dernier commerce à s’être installé n’a pas fonctionné. Il a duré un an avant de fermer. Mais je m’aperçois qu’ils sont nombreux aujourd’hui à se servir au magasin. C’est important. Même ceux qui étaient contre finissent par venir chercher leur pain ou d’autres produits locaux. Nous avons gagné. C’est une satisfaction. Je pense qu’il y a eu un changement de comportement. Il y avait des producteurs aussi qui étaient méconnus et dont le travail peut aujourd’hui être plus valorisé. Notre producteur de volailles ne faisait que des gros marchés pour pouvoir vendre, par exemple. Maintenant qu’il est disponible dans notre local, les gens du coin savent qu’ils peuvent faire travailler un acteur du territoire.

Est-ce que le projet a installé du dynamisme sur le territoire ?

Je pense que oui. L’accès aux casiers peut se faire tous les jours. Dès l’ouverture, nous avons des personnes qui prennent ce dont elles ont besoin pour la journée. Le soir en rentrant, c’est pareil. Notre commune est située sur un lieu de passage. Et certaines personnes s’arrêtent pour prendre leurs produits. Depuis mars à août 2020, soit six mois, nous avons un CA de 50 171,67 euros. C’est une très grosse augmentation car le confinement a beaucoup développé l’activité.

Quel a été le retour des personnes sur l’absence de vendeurs ?

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, cela n’a choqué personne. Il y a quinze ans, nous étions restés sur l’échec d’une épicerie avec un dépôt de pain. Il était tenu par une personne. Les habitants n’ont donc pas été surpris par notre proposition. Pour l’entreprise, c’est tout de même de réelles économies. Il y a beaucoup moins de charges. C’est très bénéfique pour les producteurs. La municipalité et les producteurs sont en partenariat. Nous avons réussi à créer un esprit de groupe. C’est très important pour la réussite du travail.

Quel a été le coût pour la mairie ?

Nous avons acheté le local sans aucune aide. Cela représente 65 000 euros. Par la suite, les travaux pour l’aménagement du local avec la chambre froide ont coûté environ 30 000 euros. Nous avons été subventionnés à hauteur de 60 % par le conseil régional et la communauté de communes. Enfin la société de producteurs est propriétaire des casiers et a reçu une aide de 85 % de la part d’acteurs locaux comme la communauté de communes et le chambre des métiers pour cet achat.

Et pour les producteurs ?

Sur le montage de la société, les six producteurs et les deux apporteurs ont chacun mis 1 000 euros de fonds de commerce. Le reste a été un emprunt qui a été remboursé en partie par les aides reçues. Ensuite, chaque producteur a un nombre défini de casiers. Ils ont une petite location (environ 15 centimes par casier et par jour). Cela nous permettra de renouveler les casiers et de payer nos charges (électricités, etc.). Pour l’instant, la commune prête gracieusement le local pour les deux premières années.

Quelles difficultés avez-vous rencontré ?

Quand vous êtes les premiers, ce n’est jamais simple de faire adhérer toutes les administrations extérieures. Pour avoir de l’aide, il a fallu convaincre. Dans notre communauté de communes, comme un partout en zone rurale, nous savons qu’il est difficile d’ouvrir un commerce. Il y avait donc un peu de scepticisme. Avec les habitants en revanche cela a été assez simple. Mais c’est peut-être dû au fait que les administrés m’ont fait confiance.

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