POLAU : quand l'art inspire l'aménagement du territoire

POLAU
Chantier ouvert du Point H^UT, avec 1024 Architecture.
©Aurélien Dupuis
Le 14 août 2018

Crée en 2007, le POLAU (pôle arts et urbanisme) a recours à la créativité des artistes pour repenser les territoires. Une approche originale qui vise à intégrer des stratégies artistiques et culturelles dans les projets d’aménagement des collectivités ou des opérateurs. Une démarche qui peut se mettre en place sur des thématiques comme la transition énergétique, les mobilités douces ou encore les frontières internes.

Les artistes de l’espace public sont des acteurs habiles de la transformation des territoires. Au-delà d’animer ou d’embellir l’espace public, ils ouvrent des pistes d’intervention créatives, ascendantes et contextuelles.

De nouveaux contrats se formulent, entre offre artistique nouvelle génération1 et l’actualité de la demande des maîtrises d’ouvrage2. Des démarches intermédiaires (temporaires, transitoires, intercalaires) apparaissent pour faire exister le projet avant le projet. Ces méthodes agiles cochent les cases nécessaires à une bonne intégration d’un aménagement urbain : participation citoyenne, préfiguration d’usages, fédération d’acteurs, acceptation sociale des projets, originalité des programmes, démarches tout terrain, débrouillardes et frugales, réemploi créatif, etc. Elles ont souvent recours aux « forces » artistiques, plus qu’aux formes de l’art.

Au-delà de leurs propres créations, les artistes ont un talent pour déceler les signes avant-coureurs de la modernité. En investissant des lieux en transition, par exemple, ils pointent volontiers les attitudes, les pratiques, les espaces de demain. Dès lors leur fonction de dénicheur et de propulseur est convoitée.

Sur ce sujet, l’art et la culture permettent de sortir d’une logique purement fonctionnaliste d’occupation de la vacance, ou de besoin d’animation urbaine. Ils apportent des audaces, des idées, proposent des croisements inédits qui permettent de reconsidérer un site inoccupé et d’enrichir sa singularité du projet d’aménagement à venir. L’art et la culture offrent en cela des points de vue inventifs sur nos environnements. Ils décèlent de la qualité ou il n’y en a plus. Ils invitent à porter plus loin le regard. Ils construisent de la distinction, voire de l’émancipation des individus. En chaussant des lunettes métaphoriques, ces derniers pourront épaissir leur perception et réhabiliter mentalement leur cadre de vie.

Cela dit, associer ces puissants talents dans le fil du projet, suppose des compétences particulières, de part et d’autre. Du côté des artistes, pour saisir les enjeux de l’urbain en train de se jouer, autant que du côté des propriétaires, que des maîtres d’ouvrage.

Le POLAU, (créé en 2007 avec le soutien du ministère de la Culture, palmarès « Jeunes urbanistes » en 2010), favorise ces alliances originales entre créateurs, aménageurs et pouvoirs publics. Pôle ressource et production3, arts et ville, le POLAU travaille dans deux directions :

- il accueille en résidence des artistes et des concepteurs qui développent un projet personnel en lien avec l’urbain ;

- il aide les maîtres d’ouvrage (collectivités, opérateurs, etc.) à intégrer des stratégies artistiques et culturelles dans leurs projets d’aménagement.

En travaillant l’ensemble de la chaîne professionnelle, son objectif est de proposer aux territoires des outils souples de requalification et/ou d’animation contemporaine.

Le POLAU est cet acteur de la réconciliation entre divers milieux artistiques liés à l’espace public et acteurs urbains en quête de nouveaux vocabulaires.

Les approches subjectives, les façons de repérer les valeurs d’un espace, les capacités à identifier des ressources inédites, à associer des éléments hétérogènes, voire conflictuels, à développer des interactions avec les publics, à être tout terrain, astucieux, parfois même à la lisière de ce qui est autorisé, sont des qualités rares dans le champ de la production urbaine. Celles-ci, en prise avec le vivant des territoires ouvrent la voie à un art d’utilité sociale notamment dans le champ de la concertation et de la sensibilisation des publics aux enjeux urbains. Le projet « Nuage vert » du collectif français « Héhé », n’a-t-il pas permis de sensibiliser la population d’Helsinki à sa production de déchets (un rayon luminescent marquait visuellement le volume du nuage de fumée issu de l’incinérateur, s’épaississant ou se rétractant selon la quantité de déchets brûlés) ?

Des capacités artistiques pour repenser les territoires

POLAU
Reconquête urbaine
©Maria Spera Apertura

Le territoire est un contexte riche pour l’acte de création. En réciprocité la démarche de création peut enrichir le territoire. Les langages artistiques ont pour vocation à réintroduire de l’imaginaire qui permettent de décadrer les points de vue et d’accompagner le changement.

Aujourd’hui le POLAU conduit des projets spécifiques sur des thématiques telles que la transition énergétique, les mobilités douces, les frontières internes, en convoquant l’audit sensible (approches chrono-topiques, psychanalyse urbaine, détections spécifiques, etc.). Pour la mission « Métropole de Paris », le POLAU a récemment été commissaire urbain de l’opération « Reconquête urbaine », soit l’investissement temporaire par des projets scénographique et paysager de trois sous-faces de portes du périphérique (Montmartre, Villette, Ourcq) pour annoncer les réhabilitations à venir.

Ces démarches pour repenser le territoire passent également par des ateliers publics, des parcours d’innovation. Le POLAU a fait, par exemple, de la révision d’un PPRI l’occasion d’une création, Jour inondable, par le collectif « la Folie kilomètre », soit 24 heures d’immersion dans le risque inondation à travers la mise en scène d’une exploration urbaine (marche sur les limites du PPRI, nuit dans un gymnase d’évacuation, musée des objets sauvés, etc.).

Ce type de productions permet d’innover dans les actions de prévention des risques et se généralise (voir le programme d’actions innovantes du plan Rhône).

De façon plus globale, le POLAU travaille aux transferts méthodologiques entre savoir-faire issus des démarches artistiques et mécano de projet d’aménagement ou de sensibilisation des publics. Auprès de collectivités, ou de leurs opérateurs, il a ainsi développé le métier d’urbaniste culturel4.

L’urbanisme culturel au-delà de l’urbanisme transitoire

Pour revenir à l’incroyable multiplication des occupations temporaires en phase amont des projets urbains, l’art et la culture ont démontré qu’ils étaient des leviers de re-découverte d’espaces délaissés (hangars désaffectés, demeures abandonnées, etc.), de réinitialisation de lieux. Ces sites réinvestis permettent aux créateurs (parfois expansifs) de travailler et créer librement. De l’espace, de la lumière, des environnements non contraints (bruit, règles, etc.), les caractéristiques de ces friches sont attirantes pour en faire des ateliers ou sites d’expérimentation peu dispendieux. Les artistes, qu’ils soient plasticiens, scénographes, collectifs artistiques, ont une manière d’habiter ces délaissés, de donner vie à ces espaces en y inventant des formes, des décors spontanés, mais aussi en imaginant des invitations originales en direction de tous les publics. Ils savent créer les conditions d’ouverture selon des modalités dérogatoires et souvent sur des énergies qui composent avec l’intensité de l’éphémère.

Depuis que la demande des opérateurs urbains s’est déclarée à travers de multiples appels à manifestation d’intérêt de préfiguration, les choses ont un peu changé. Ces derniers ont décelé dans ces modes informels, des sources d’économies ou de transfert de charges – notamment de gardiennage –, des possibilités de rentabilisation de sites inoccupés, des dérogations multiples, des stratégies de communication alternatives, etc.

Alors que le logiciel artistique et culturel est un agent de changement avéré, il se retrouve associé aux projets de requalification urbaine soit pour ses capacités et ses réflexes, soit pour sa simple utilité d’activation situationnelle.

Il serait regrettable de voir ces occupations intermédiaires se réduire à de simples décors et animations standardisées ; il serait dommage d’utiliser l’habillage esthétique en laissant la force conceptuelle artistique de côté.

Demain des clauses culture ?

Il est aujourd’hui innovant de savoir mobiliser et organiser des dynamiques artistiques et culturelles, de les incorporer dans l’étoffe même du projet, et non de les cloisonner à gérer des phases de préfiguration déconnectées de la suite.

Mais ces liaisons entre art et aménagement ne vont pas toujours de soi. Il semble qu’il y ait une nécessité à accompagner des maîtres d’ouvrage dans l’appréhension des potentialités créatrices. Il y a clairement une place à établir pour intégrer dans la matrice des projets urbains, des actes ouverts, inclusifs, non totalement maîtrisés pour en tirer des enseignements sur la définition des futurs programmes.

De plus ces phases ont un caractère politique déterminant car ces temps de préfiguration produisent autant de plus-value que de « plus-valeur » pour l’ensemble des bénéficiaires de projets.

Une hypothèse de travail serait de fixer une obligation pour les maîtres d’ouvrage à délibérer de la possibilité d’un accompagnement artistique et culturel des projets urbains et proposer des clauses culture dans les appels d’offres des différents intervenants du projet d’aménagement.

1. Une nouvelle offre artistique (créations urbaines, art contextuel, site spécifique) conçue souvent de façon pluridisciplinaire, associant talents artistiques (plasticiens, scénographes, metteurs en scène, écrivains, réalisateurs, etc.) et compétences de conception (architectes, paysagistes, designers, etc.).
2. Une nouvelle demande des territoires (maîtres d’ouvrage, aménageurs, collectivités territoriales, associations, maîtrise d’usage, groupement d’habitants, etc.) dans un contexte de crise politique, économique et écologique.
3. « Le plan-guide arts et aménagement des territoires », étude nationale commandée par le ministère de la Culture (DGCA) en 4 tomes, 508 p. ; disponible sur demande contact@pOlau.org ; www.arteplan.org
4. Le POLAU a fondé l’académie de l’urbanisme culturel en mars 2018.

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