Quel service public territorial en 2030 ?

Quel service public territorial en 2030 ?
Le 25 novembre 2021

Digitalisation, modernisation, recrutement, etc., les défis de la fonction publique à horizon 2030 sont multiples. L’association Experts & Territoires organisait le 30 septembre 2021 un webinaire sur le service public territorial en 2030 en présence de Sabine Geil-Gomez, présidente du centre de gestion de Haute-Garonne (CDG 31), de Clémence Lapuelle avocate spécialisée en droit de la fonction publique, de la sociologue Irène Gaillard et des consultants Adrien Czako et Laurent Rey. Anicet Le Pors, ministre de la Fonction publique entre 1981 et 1983, qui a participé à la réforme de la fonction publique, a assisté à la table ronde en tant que grand témoin.

Sabine Geil-Gomez introduit la table ronde en rappelant l’importance du centre de gestion (CDG), en particulier en période de pandémie : « Les collectivités ont fait appel à nous pour répondre à la crise, aux agents, pour organiser le télétravail. Nous avons été réactifs et proches à ce moment-là. Cela a révélé des mutations dans les méthodes et services, déjà bouleversés par des évolutions successives. C’est le moment d’imaginer le service public de 2030 », a-t-elle affirmé.

Les contractuels, agents publics de demain ?

En matière de droit, la complexité et le nombre de directives, de circulaires et l’absence d’un Code de la fonction publique, rend la tâche très complexe aux élus : « Même en tant qu’avocate ma principale source c’est Google ! », explique Clémence Lapuelle avant de rappeler que le Code de la fonction publique, actuellement en cours de rédaction devrait permettre d’intégrer le droit concernant la fonction publique territoriale et hospitalière ainsi que les réformes engendrées par la loi du 6 août 20191 : « La mesure la plus surprenante, c’est la possibilité d’avoir recours à la rupture conventionnelle. Le but de cette loi était d’avoir recours à des contractuels, ce qui peut paraître antinomique avec le statut de la fonction publique. » Cela soulève la question de la satisfaction du service public versus celle de l’efficacité et du rendement. À cela s’ajoutent des disparités entre les agents, un manque de lisibilité concernant le droit applicable aux contractuels et de possibles dérives. En théorie, les élus doivent recruter des agents pour les emplois permanents, le recours aux contractuels étant limité aux emplois temporaires.

Interrogé sur le regard qu’il porte sur cette loi de 2019, Anicet Le Pors est très critique : « Cette loi introduit une fonction publique autoritaire. On a annihilé les organismes traditionnels de consultation des représentants du personnel. C’est une conception qui convient au marché car elle lui laisse les mains libres. Le terme de déontologie se distingue du droit positif qui, lui, formule des normes. Les déontologies fabriquent des recommandations, des codes qui conviennent beaucoup plus aux relations contractuelles. »

Pour Irène Gaillard, la fonction publique est dans une trajectoire de réformes amorcée depuis longtemps. En tant qu’ergonome, elle participe à la réflexion sur l’évolution du cadre de travail, sur le sens à donner au travail, et la manière de répondre aux évolutions technologiques : « La loi donne des marges de manœuvre notamment en matière de recrutement. Tout en s’inscrivant dans la loi, les ressources humaines (RH) vont choisir leur conception du service public. Les élus se retrouvent en tant qu’employeurs. L’originalité propre à la fonction publique territoriale a un impact sur les conditions de travail. » Concernant la polyvalence, souvent vécue comme source de stress, elle rappelle qu’elle peut être positive si elle correspond à une montée en compétence et/ou permet une diminution des risques dans le cas d’un travail physique. Quant à la direction générale de la santé (DGS), sa manière d’incarner la fonction sera déterminante dans l’organisation du travail des services.

« D’un point de vue contractuel ce qui pourrait poser un problème à l’avenir, c’est la fiche de poste des agents », interpelle Clémence Lapuelle, avocate en droit public et administratif à Toulouse.

Selon Adrien Czako, directeur de la société Wiling, la possibilité de recourir aux contractuels est une manière d’attirer des compétences, pour répondre aux demandes des usagers : « Les agents en place ne disposent pas toujours des outils. Les temps de formation et les demandes des usagers évoluent différemment. » À cela s’ajoute le fait que la « culture projet » n’est pas encore très ancrée dans la fonction publique. Les transferts de compétences, de métiers entre les collectivités, les régions, les départements, les communes, se sont parfois faits à marche forcée, avec des services fonctionnant différemment d’une ville à l’autre. Un travail d’harmonisation s’impose : « Une collectivité qui a plusieurs modes de fonctionnement pour des sujets identiques cela ajoute une complexité en termes de management, de système d’information, de gestion des agents. »

Vers une organisation du travail plus hydride ?

Pour Laurent Rey, consultant en pratiques managériales, la fonction publique doit faire face à trois défis : le numérique, l’inter-générationnel et le développement durable. Il rappelle aussi l’importance de deux lois, la loi n2019-828 du 6 août 2019 et la loi PACTE2 : « La loi PACTE invite fortement les entreprises à intégrer dans leurs statuts leur responsabilité sociale et environnementale. Dans le cas des collectivités, la raison d’être, ce sont les agents, leur satisfaction. Une collectivité sert un usager, mais elle doit aussi servir ses agents, sa ressource humaine et la société civile à travers la traduction des objectifs de développement durable », indique-t-il.

« Des instances pour écouter les agents existent dans les collectivités », ajoute Sabine Geil-Gomez qui estime que leurs attentes et besoins sont pris en compte notamment par le biais de groupes de travail aussi appelés groupes miroirs : « Les agents sont les mieux placés pour faire des propositions et continuer à améliorer le service rendu au public. »

À la question de savoir si la relation de confiance peut être menacée par le paramètre économique et budgétaire, Irène Gaillard, répond qu’il faut s’organiser dès aujourd’hui pour 2030 : « Il faut aligner le travail demandé aux agents et les missions de service public rendues aux citoyens. Je constate que les dirigeants et les encadrants sont embarqués dans les mêmes problématiques que les agents. »

Pour continuer à rendre des services au même niveau voire les améliorer, les gains de productivité en interne sont-ils un passage obligé ? Adrien Czako reconnait qu’une organisation se réfléchit à l’avance et que les collectivités ont dû s’organiser dans l’urgence : « Des marges de manœuvre demeurent. Mais ce n’est pas simple de les identifier et cela demande du courage au niveau de l’encadrement. Cela nécessite de prendre des décisions, parfois d’arrêter des activités qui n’ont plus de valeur pour l’usager et d’accompagner les agents vers de nouvelles activités. » Cette réorientation implique un travail de reclassement à mener au niveau des ressources humaines.

La digitalisation pose également la question de la suppression d’un certain nombre de postes de travail. Pour Alain Rey la question va au-delà du digital : « Nous sommes dans des organisations qui bougent en permanence. La crise sanitaire l’a démontré. Les modes de fonctionnement et de management ont changé, les agents ont goûté à de nouveaux modes de travail. Une autre problématique réside dans le fait que 90 % des métiers de 2030 ne sont toujours pas créés. » Parmi les nouveaux métiers, on peut imaginer la création de départements développement durable. Face à ces nouveaux bouleversements, la formation sera un facteur clé et nécessitera d’y consacrer des ressources : « La première ressource c’est l’humain. Quand on met en mouvement les agents on se rend compte qu’ils sont très créatifs. Il faut créer les conditions pour cela, libérer du temps. La deuxième ressource est partenariale, le CDG est un partenaire des collectivités, la collectivité doit travailler avec son écosystème. Enfin il faudra bien sûr des ressources financières pour faire évoluer les compétences des agents. »

« D’un point de vue contractuel ce qui pourrait poser un problème à l’avenir, c’est la fiche de poste des agents », interpelle Clémence Lapuelle. Réalisée lors de la prise de fonction, la fiche de poste évolue peu dans le temps : « Cela peut constituer un frein et peut-être faudrait-il intégrer les possibilités d’évolution dès le départ. Sur certains postes on sait que les agents ne pourront pas rester toute leur carrière en raison d’une fatigabilité importante. On les a identifiés il faut donc entrevoir des possibilités d’évolution et de reconversion. Mais tout cela est très nouveau dans la fonction publique et perçu différemment selon les générations d’agents. Il faut ouvrir le champ des possibles aux agents pour qu’ils puissent avoir un certain épanouissement professionnel. »

L’enjeu de la formation des agents face à l’accélération numérique

La certification des comptes des collectivités locales et l’introduction de contrôles internes, des manières de fonctionner plus proches du secteur privé pourraient accélérer le changement de la fonction publique territoriale, selon Adrien Czako : « Lorsque l’on certifie des comptes et l’on s‘engage sur des chiffres, on travaille sur des dispositifs de contrôle interne sérieux, des procédures rédigées. Cela va amener les collectivités à se repenser, à faire évoluer leur culture, la culture du contrôle n’étant pas très ancrée dans la fonction publique. Elles vont devoir réfléchir aux compétences, à la structuration des fonctions de contrôle interne, à la maîtrise des risques. »

« Nous sommes dans des organisations qui bougent en permanence. La crise sanitaire l’a démontré. Les modes de fonctionnement et de management ont changé, les agents ont goûté à de nouveaux modes de travail. Une autre problématique réside dans le fait que 90 % des métiers de 2030 ne sont toujours pas créés », selon Laurent Rey, consultant pratiques managériales et sociétales.

Concernant l’usage des outils numériques, comment une collectivité peut-elle répondre à la demande en parallèle de présence physique ? Pour Laurent Rey, c’est tout l’enjeu de la proximité et de l’inter-générationnel : « La demande de l’usager est hétérogène. Un jeune consomme du service public vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept. Mais la proximité physique est aussi importante. Il faut être agile avec cette notion de proximité. »

Ainsi, Anicet Le Pors estime qu’il n’y aura pas de réussite possible si la réalité historique, collective et structurelle de la fonction publique n’est pas reconnue : « Nous avons fait le choix en 1946 et 1983 du fonctionnaire citoyen, un statut qui comporte toutes les garanties d’impartialité, de neutralité et d’efficacité, un statut qui s’est efforcé de faire un équilibre entre les principes constitutionnels d’unité de la République et de libre administration des collectivités territoriales. » Cette réalité collective concerne 5,5 millions de personnes et doit, selon Anicet Le Pors, être portée par tous les fonctionnaires. Enfin, la réalité structurelle concerne les transformations engendrées notamment par les nouvelles technologies, auquel il faut répondre par un système de formation continu ambitieux.

1. L. n2019-828, 6 août 2019, de transformation de la fonction publique.

2. L. n2019-486, 22 mai 2019, relative à la croissance et la transformation des entreprises.

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