Vers un financement public sensible au sexe ?

égalité femmes-hommes
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Le 23 août 2022

Dans un plaidoyer publié en juin 2022, le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes préconise la mise en œuvre d’un financement public au service de l’égalité entre les femmes et les hommes de sorte qu’il n’y ait plus d’argent public sans égalité. Dans cette optique, ce plaidoyer vise à mettre en évidence et faire adopter différents dispositifs et mécanismes vecteurs d’égalité entre les femmes et les hommes. Précisément, trois axes d’engagement pour un financement public sensible au sexe sont déterminés.

L’idée d’instaurer un financement public au service de l’égalité entre les femmes et les hommes est né d’un double constat. En premier lieu, les finances publiques ne sont pas neutres tant elles orientent les politiques publiques et, plus largement, la société pour inciter le développement de certaines pratiques soutenues par les pouvoirs publics. Dans ce cadre par exemple, la transition écologique est la thématique qui illustre le mieux l’incidence des dispositifs de finances publiques sur les comportements des acteurs publics et privés[1]. En second lieu, malgré une politique d’égalité entre les femmes et les hommes pourtant portée au sommet de l’État[2], les inégalités au détriment des femmes persistent et même se creusent à certains niveaux. À cet égard, le Haut conseil retient que, au cours de la crise de la Covid-19, l’État a injecté près de 470 milliards d’euros dans l’économie, au titre du plan de soutien pour protéger les entreprises et les salariés ainsi que 100 milliards d’euros dans le cadre du plan de relance, mais « aucune donnée genrée ne permet de vérifier si l’ensemble de ces aides a été aussi bien dirigé envers les femmes qu’envers les hommes »[3].

Pas d'argent public sans égalité

Le Haut conseil préconise trois axes d’engagement pour un financement public sensible au sexe : l’égaconditionnalité, la prime égalité et le budget sensible au genre.

De la sorte, eu égard aux grands enjeux sociopolitiques auxquels il répond et aux dispositifs existants dans l’action publique, un financement public sensible au sexe est non seulement possible, mais se doit également d’être poursuivi, selon le Haut conseil. Cette démarche « doit [même] impérativement devenir un moyen de lutter contre les stéréotypes et égaliser les conditions de chacun dans l’économie »[4].

Pour y parvenir, le Haut conseil a déterminé trois axes d’engagement : l’égaconditionnalité, la prime égalité et le budget sensible au genre.

L’égaconditionnalité

Défendu par le Haut conseil depuis 2013, l’égaconditionnalité consiste à conditionner l’attribution de financements, d’autorisations administratives ou la conclusion de contrats, …, au respect de principes et de pratiques égalitaires entre les femmes et les hommes. De la sorte, ce dispositif doit permettre ainsi d’inciter les bénéficiaires à respecter leurs engagements en faveur de la parité entre les femmes et les hommes et ainsi à prévenir les inégalités en amont davantage qu’à les corriger en aval.

Ce mécanisme n’est pas inédit dans l’action publique. Par exemple, les collectivités territoriales et établissements publics de coopération intercommunale de plus de 20 000 habitants ont l’obligation de mettre en œuvre un plan pour l’égalité entre les femmes et les hommes[5]. En l’absence d’un plan, des sanctions financières sont infligées.

Dans l’objectif d’agir au profit de l’égalité en faveur des femmes, le Haut conseil propose de « systématiser tous ces dispositifs en inscrivant des critères d’égaconditionnalité dans l’ensemble des aides et financements publics directs ainsi qu’à travers l’ensemble des grands canaux de financement existants via des clauses contractuelles : contrats d’objectifs et de moyens ou de performance, subventions des associations, autorisations administratives, commandes à prestataires »[6].

La prime égalité

Cette prime égalité « repose sur l’introduction de dispositifs incitatifs (bonus aux subventions, majorations, primes, crédits d’impôts, niches fiscales et sociales) à destination d’acteurs particulièrement engagés dans la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes, l’égalité salariale ou dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, au-delà du respect des seules dispositions légales »[7].

L’action publique n’est pas sans mécanismes visant à soutenir, par l’intermédiaire de primes et autres exonérations fiscales notamment, différents secteurs et comportements. Des incitations financières sont en effet consenties par les autorités publiques, nationales et locales, dans le cadre de la transition écologique ou dans le domaine de l’économie sociale et solidaire avec des prêts spécifiques et des avantages fiscaux au profit des entreprises ayant l’agrément « entreprise solidaire d’utilité sociale ».

Partant de ces aides conditionnelles existantes, le Haut conseil propose de les compléter ou de les majorer « par des mécanismes incitatifs quand l’engagement d’une structure pour l’égalité entre les femmes et les hommes est manifeste »[8]. Dans la politique de l’emploi, le Haut conseil prend ainsi pour exemple de prévoir une majoration à hauteur de 25 % de l’aide au recrutement des personnes en situation de handicap ou de jeunes apprentis ou alternants, …, en cas de recrutement de femmes.

Au-delà des mécanismes existants, des dispositifs nouveaux peuvent être créés, à l’instar de bonus ad hoc pour les acteurs créant des crèches sur le lieu de travail de leurs agents ou pour les acteurs adoptant un plan de recrutement paritaire avec des objectifs précis et contraignants[9].

Le budget sensible au genre

Cet ultime mécanisme se caractérise par l’intégration de façon transversale d’une perspective de genre dans le processus budgétaire, c’est-à-dire de la préparation à l’adoption définitive jusqu’à l’exécution du budget. Précisément, l’objectif est de déterminer et d’étudier l’impact des mesures budgétaires de dépenses et de recettes sur l’égalité afin de garantir « une distribution équitable des ressources entre les sexes et d’égaliser les conditions et les opportunités entre les femmes et les hommes »[10]. Ce faisant, en fonction des résultats, certaines dispositions pourraient être modifiées ou ajustées pour promouvoir l’égalité.

Cette prise en compte d’un sujet déterminé dans le processus budgétaire est une manière de plus en plus recherchée dans l’action publique. Depuis 2021, le ministère du budget cherche à élaborer un « budget vert » dans le sens où sont identifiées les mesures qui ont une incidence favorable ou non sur l’environnement. Les collectivités locales et EPCI adoptent également de plus en plus cette démarche[11].

Pour le Haut conseil, le budget sensible au genre permet de répondre à plusieurs enjeux : lutter contre les discriminations, assurer une plus grande égalité dans notre structure fiscale, garantir une bonne gouvernance, encourager l’évaluation des politiques publiques à l’instant T.

Afin de s’approprier la démarche du budget sensible au genre, le Haut conseil propose une méthodologie qui repose sur plusieurs étapes : l’appropriation du concept, l’élaboration du budget, l’évaluation et la modulation des financements publics.

 

[1] Il existe en effet de nombreuses subventions et financements concernant l’isolation des bâtiments et logements, l’installation de dispositifs d’énergies propres ou encore l’achat de véhicules électriques ou mêmes de vélos, …

[2] Sous le premier mandant d’Emmanuel MACRON, l’égalité entre les femmes et les hommes avait été déclarée comme étant « grande cause nationale ».

[4] Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, Pas d’argent sans égalité. Plaidoyer pour un financement public au service de l’égalité, op. cit., p. 2.

[5] L. n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique codifiée dans le code général de la fonction publique aux articles L. 132-1 à L. 132-4.

[6] Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, Pas d’argent sans égalité. Plaidoyer pour un financement public au service de l’égalité, op. cit., p. 8.

[7] Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, Pas d’argent sans égalité. Plaidoyer pour un financement public au service de l’égalité, op. cit., p. 13.

[9] Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, Pas d’argent sans égalité. Plaidoyer pour un financement public au service de l’égalité, op. cit., p. 14.

[10] Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, Pas d’argent sans égalité. Plaidoyer pour un financement public au service de l’égalité, op. cit., p. 17.

[11] Tramontin L., « Bilan climat des budgets locaux : les cas d’Olso, Paris et Strasbourg », Horizons Publics, n° 22, juillet-août 2021, p. 16 – 19.

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