L’utopie de la territorialisation de l’action publique ?

Décentralisation mairie avec drapeaux
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Le 2 novembre 2022

Dans un rapport déposé le 29 septembre 2022, des sénateurs sont partis à la recherche de l’État dans les territoires. Faisant le constat d’un État éloigné et distant des territoires, les sénateurs appellent à consacrer un État territorial et une territorialisation de l’action publique assumés en s’appuyant sur les services déconcentrés étatiques et des collectivités territoriales et établissements publics locaux. Cet appel s’inscrit dans la continuité de nombre de discours et de rapports sur la décentralisation ou sur une action publique territoriale à repenser plus largement et d’autant plus à la suite de la Covid-19. La gestion de la crise sanitaire née de l’épidémie de la Covid-19 a considérablement relancé toute la nécessité et l’utilité d’une territorialisation de l’action publique. Les déconfinements et le plan de relance avaient du reste démontré sa manifestation évidente et son efficacité.

 

Pourtant, elle n’a, comme à l’accoutumée, pu aboutir totalement, l’État centralisé reprenant le pas en imposant des décisions sans consultation des territoires et en les instrumentalisant au gré des contextes, budgétaires notamment. Les discours récents d’Élisabeth Borne et d’Emmanuel Macron traduisent à nouveau une prise de conscience sur la place et le rôle de l’État à repenser par le prisme des territoires. Mais vont-t-il se concrétiser par des actes permanents ou ne rester qu’à l’état de mots ?

« L’administration territoriale de la République est assurée par les collectivités territoriales et par les services déconcentrés de l’État ». Telles sont les dispositions de l’article 1er de la loi dite ATR pour « administration territoriale de la République » [[1]]. Cet article traduit ainsi avec force le lien indéfectible au travers de l’État territorial entre, d’une part, l’État et ses services déconcentrés et, d’autre part, les collectivités territoriales et leurs groupements.

C’est justement par ces dires que les sénateurs introduisent leur rapport À la recherche de l’État territorial. Or, ils ne peuvent que constater un État à la peine et une territorialisation de l’action publique qui essuient des réformes successives sans efficacité et sans association des acteurs principalement intéressés.

Au titre de la déconcentration, les réformes ne traduisent qu’un recul évident de l’État par le biais de la fusion de services et de la diminution des effectifs pour des motifs principalement budgétaires [[2]].

Au titre de la décentralisation, les réformes ne proposent pas une conception approfondie et pertinente du processus de décentralisation. Celui-ci n’est en effet systématisé que par une répartition complexe des compétences entre collectivités sans lien avec les attributions étatiques et les politiques publiques ; par une organisation territoriale éloignée des territoires avec la place prédominante de grandes régions et des intercommunalités au détriment des départements et des communes ; par une maîtrise financière et budgétaire ; par des mouvements de planification et de contractualisation.

La gestion de la crise sanitaire née de l’épidémie de la Covid-19 et de la sortie de crise a considérablement bousculé la logique de la territorialisation de l’action publique, au point que celle-ci est désormais devenue un nouveau paradigme et idéal à atteindre. Les différents discours des élus locaux et ce rapport sénatorial visent à cet égard à concrétiser cette dimension, d’autant plus essentielle dans le contexte récurent de crises.

Cette dimension est à chaque fois confirmée dans les discours des gouvernements successifs. Dans son discours de politique générale devant le Sénat, Jean Castex avait prononcé à 24 reprises le terme de « territoires » et se présentait comme « le Premier ministre des territoires » et appelait à une nouvelle méthode pour « réarmer nos territoires, investir dans nos territoires, nous appuyer sur nos territoires » [[3]].

Dans son discours de politique générale au Sénat, Elisabeth Borne s’est inscrite dans la même lignée que celle de son prédécesseur, malgré une posture plus relative. Elle a martelé l’importance d’agir avec les collectivités territoriales et les intercommunalités par des concertations et des partenariats, les élus locaux étant les « meilleurs connaisseurs de leur territoire » [[4]].

Dans une déclaration dans le cadre d’un déplacement en Mayenne pour la création d’une nouvelle sous-préfecture, le président Emmanuel Macron a tenu des propos qui ont agréablement surpris les élus locaux [[5]]. Il a en effet appelé à rechercher :

  • d’une part, une « vraie décentralisation » en réussissant « partout où c’est raisonnable à confier des fonctions aux collectivités avec, pour fil conducteur, le partenariat pragmatique » ;
  • d’autre part, un État local renforcé ;
  • enfin, un rapprochement de l’État en se fondant à la fois sur la déconcentration et la décentralisation.

Dans une déclaration d’Élisabeth Borne en ouverture du congrès de l’Assemblée des départements de France, la Première ministre a confirmé les propos du président Macron en évoquant une « vraie décentralisation » qui doit se caractériser, après un état des lieux et le bilan des lois Notre et Maptam, par quatre conditions : transférer des compétences, attribuer des ressources dynamiques et adaptées, donner une capacité de différenciation et porter les responsabilités qui vont avec » [[6]].

D’aucuns semblent ainsi partager l’idée d’une territorialisation de l’action publique à la fois caractérisée par la déconcentration et la décentralisation. Elle « révèle une nouvelle organisation de l'État et une nouvelle méthode de conduite de l'action publique. Elle bouscule l'État historiquement centralisé et jacobin. L'action publique doit être pensée et menée avec, par et dans les territoires, ceux-ci devant renvoyer aux collectivités locales et leurs groupements ainsi qu'aux services déconcentrés de l'État » [[7]]. De la sorte, elle vise « à définir un espace dynamique de gestion des problèmes publics caractérisé par la diversité des situations, la contingence des solutions et la variabilité de son emprise géographique » [[8]].

Or, les discours ne se traduisent généralement pas par des actes ou ne se manifestent que partiellement par une mise en œuvre sans envergure. En effet, soit la territorialisation de l’action publique se concrétisera par une association des territoires encadrée et limitée, soit elle révèlera une instrumentalisation des territoires.

Afin d’éviter ces écueils récurrents, le président du Sénat, Gérard Larcher, a indiqué qu’un groupe de travail sénatorial sur la décentralisation serait créé. Ce groupe de travail aura pour missions de définir les propositions de la Haute Assemblée sur le thème de la décentralisation et d'approfondir le projet d’un nouvel équilibre entre les pouvoirs locaux et le pouvoir central. Pour ce faire, il procèdera à :

  • l’examen des 50 propositions sénatoriales pour le plein exercice des libertés locales, formulées à la mi-2020, afin de vérifier si elles ont trouvé depuis une traduction concrète ;
  • des travaux porteront sur les relations financières entre l’État et les collectivités et sur l’approfondissement de la différenciation territoriale ;
  • des engagements sur les ressources stables, sécurisées et planifiées, la réévaluation régulière des compensations versées au titre des transferts de compétence et une contractualisation partagée et non subie.

Alors que la territorialisation de l’action publique dans la gestion de la Covid-19 et le plan de relance a confirmé son efficacité et à l’heure des crises récurrentes que surmontent les territoires, les élus locaux et autres responsables territoriaux exhortent ainsi à repenser, enfin, structurellement l’action publique par un État territorial. Le rapport sénatorial s’inscrit dans cette tendance.

Longtemps cantonnée à des réformes successives sur la décentralisation et, dans une moindre mesure, sur la déconcentration, la territorialisation de l’action publique a revêtu une nouvelle dimension dans le cadre de la gestion de la crise de la Covid-19 et du plan de relance. Amorcée par le gouvernement Philippe et concrétisée par le gouvernement Castex, une « territorialisation Covid-19 et relance » a ainsi été assumée et pensée. Or, cette territorialisation a, non sans péricliter, perdu en effectivité et a même été, à certains égards, instrumentalisée.

Une « territorialisation Covid-19 et relance » assumée et assurée

Fort du constat de la réelle efficacité des territoires dans la gestion de la Covid-19 au cœur de la crise pendant le premier confinement [[9]], l’État avait entendu mener une réelle territorialisation de l'action publique pour assurer les déconfinements et la relance du pays. Cette territorialisation fut animée sans considération budgétaire et alliait déconcentration et décentralisation.

Au titre du gouvernement Philippe, les territoires ont été associés à la préparation des déconfinements par une collaboration institutionnalisée avec les préfets et par la prise de décisions locales adaptées aux territoires. Précisément, la territorialisation de l’action publique reposait essentiellement sur le couple maire-préfet de département et sur la recherche timide d’une différenciation territoriale.

Au titre du gouvernement Castex, la territorialisation de l’action publique a été inscrite au cœur du projet porté par le « Premier ministre des territoires » pour gérer la sortie de crise sanitaire et la relance du pays avec le plan France relance. Elle devait être une nouvelle méthode de travail. Dans ce cadre, la territorialisation s'est traduite par une relance associée des processus de décentralisation et de déconcentration.

  • La décentralisation fut recherchée par la renaissance de la Conférence nationale des territoires, l’élaboration du projet de loi « 3 D » (devenu « 4D » puis « 3DS » [[10]] non sans difficultés), l’adoption d’une loi organique relative à la simplification des expérimentations mises en œuvre sur le fondement du 4è alinéa de l'article 72 de la Constitution [[11]].
  • La déconcentration fut recherchée par le rôle accru des services préfectoraux, et notamment de département, par la gestion de la sortie de crise et par le pilotage de la décision et des crédits ainsi que l'animation du plan de relance ; par la création exclusive d’emplois dans les services déconcentrés.

Plus encore, les processus de décentralisation et de déconcentration étaient mis en œuvre de manière associée et non indépendante. Ainsi, les services préfectoraux travaillaient en partenariat constant avec les élus locaux, avec notamment l’institutionnalisation du couple maire-préfet [[12]] et la contractualisation avec les accords régionaux de relance pour des crédits à court terme, des contrats de relance et de transition écologique au niveau infra-régional (en complément des contrats de ruralité, de transition écologique, des pactes État-métropoles, …).

Une territorialisation ralentie et instrumentalisée

Si ses résultats étaient ambitieux et satisfaisaient de manière générale les élus locaux, la territorialisation de l’action publique a connu des obstacles dès le gouvernement Castex, lesquels ont été confirmés et accrus sous le gouvernement Borne.

Au titre du gouvernement Castex, plusieurs freins à la territorialisation de l’action publique ont pu être constatés [[13]].

D’une part, le Gouvernement semblait privilégier la déconcentration au détriment de la décentralisation, alors que les élus locaux demandaient plus de reconnaissance et davantage de prérogatives. En effet, le préfet était l’acteur principal de la gestion de sortie de crise sanitaire et du plan de relance. Premièrement, il est apparu que, dans le cadre du couple maire-préfet, seul le préfet semblait décider, les élus locaux étant exclus. L’épisode de l’élaboration des plans État-métropoles de lutte contre la Covid-19 l’a démontré. Deuxièmement, la circulaire du Premier ministre Castex du 23 octobre 2020 sur la mise en œuvre territorialisée du plan de relance [[14]] mettait principalement l’accent sur le terme « déconcentré », si bien que les appels à projets et les crédits du plan de relance étaient totalement gérés par les préfets et les sous-préfets à la relance, créés pour l’occasion.

D’autre part, l'État semblait rechercher l'instrumentalisation de l'action publique locale par le biais du recours à la contractualisation et aux appels à projets [[15]]. Ces techniques n’étaient pas nouvelles, mais elles ont constitué un support indéniable d’association et d’implication des collectivités territoriales. Mais subordonner des crédits du plan de relance à des appels à projets et des contrats a généré des exclusions et des inégalités entre collectivités. Les petites communes par exemple avaient des difficultés à répondre à ces appels et à bénéficier des crédits.

Enfin, le Gouvernement n’est pas parvenu à relancer le processus de décentralisation comme l’attendaient les élus locaux. En effet, la conférence nationale des territoires, finalement intitulée « Rencontre État-Collectivités », avait été à plusieurs reprises reportée et n’avait abouti sur rien de concret. De plus, alors que la crise sanitaire s’aggravait, le Gouvernement avait imposé la prise de décisions à l’instar notamment de l’instauration de couvre-feux et d’un reconfinement sans consultation des territoires concernés. Par ailleurs, la loi promise sur la décentralisation avait également maintes fois été reportée, si bien que son adoption avant les élections présidentielles semblait compromise. Finalement, la loi a été adoptée et a été somme toute saluée, même si les élus locaux auraient espéré davantage [[16]].

Au titre du gouvernement Borne, les propos ambitieux et encourageants au profit d’une territorialisation ont été entachés de plusieurs griefs souvent invoqués par les élus locaux.

D’une part, d’un point de vue institutionnel, la place des collectivités dans l’action publique par rapport à l’État est dans la continuité des réformes successives.

Premièrement, le conseil national de la refondation a été compris comme une nouvelle instance d’association des élus locaux et de discussion en trompe l’œil, au même titre que la conférence nationale des territoriales. Du reste, les élus locaux avaient décidé dans un premier temps de boycotter cette instance avant, dans un second temps, de changer d’avis après l’appel du entendu du président Macron. Réuni pour la première fois le 8 septembre, le président a assuré que ce premier rendez-vous serait le point de départ d'une démarche inédite visant, en croisant les visions d'acteurs différents, à dégager des solutions nouvelles sur différentes politiques. Le président a également fait savoir que cette démarche serait rapidement déclinée territoire par territoire par l'organisation d'échanges entre acteurs locaux sur chacun de ces thèmes privilégiés. Or, la démarche de ce conseil n’est pas encore précisément connue dans sa globalité, et notamment sur sa durée, son organisation, ses déclinaisons territoriales ni comment ses travaux s'articuleront avec les réformes déjà annoncées par l'exécutif ou les diverses concertations engagées par ailleurs. Il n’y a guère, pour l’heure, que le cadre des concertations locales concernant l’école qui a été précisé par le ministère de l’Éducation nationale [[17]]. La démarche de concertation s’effectuera ainsi sur la base du volontariat et sous la responsabilité du directeur d’établissement scolaire, lequel pourra associer l’ensemble des partenaires dont les communes et intercommunalités. Il s’avère ainsi que la concertation n’est pas imposée et que les collectivités ne seront associées qu’à l’initiative du directeur d’établissement.

Deuxièmement, l’instruction du Gouvernement du 19 septembre 2022 qui détermine les politiques publiques prioritaires du Gouvernement et sa nouvelle méthode de travail [[18]] ne laisse pas présager la mise en œuvre du nouveau logiciel de l’action publique pourtant tant espéré par les élus locaux.

Tout d’abord, le pilotage et le suivi de ces politiques ne seront assurés que de manière indirecte et subsidiaire par les services déconcentrés de l’État au sens où les services déconcentrés feront remonter les difficultés.

Ensuite, les préfets de région et leur secrétariat général aux affaires régionales seront en charge de ce suivi au niveau déconcentré, alors que l’échelon pertinent avait été le préfet de département par la circulaire du 24 juillet 2018 relative à l'organisation territoriale des services publics et dans le cadre de la territorialisation de l’action publique à la suite des confinements liés à la Covid-19.

Enfin, les modalités d’association des élus locaux et des autres partenaires de terrains ne sont pas davantage explicitées.

Troisièmement et dans une autre mesure, la Première ministre a, dans son discours lors de la Convention des intercommunalités de France, valorisé l’intercommunalité au détriment des collectivités territoriales, dont les communes [[19]]. C’est du moins le ressenti des élus locaux concernés, alors que la loi Engagement et proximité et la loi 3 DS tendent à renforcer les communes face aux intercommunalités. En effet, dans ce discours, Élisabeth Borne a indiqué que l’intercommunalité était l’ « échelon du quotidien » et l’ « échelon des projets structurants » et avait la « capacité d’agir à l’échelle du quotidien ». Elle a également précisé ses deux « convictions » face à l’intercommunalité : tout d’abord, garantir une forme de stabilité institutionnelle et dans les compétences ; ensuite, prolonger la démarche de contractualisation, « cet exercice [ayant] permis, dans beaucoup de territoires, de renforcer le tandem entre le préfet et le président d’intercommunalité » concluant même que ce couple est « moteur pour l’action publique ».

Le constat est partagé par la Cour des comptes qui, dans le second fascicule de son rapport sur les finances locales a tiré le bilan de l’intercommunalité [[20]]. Dans ce cadre, les juges de la rue Cambon prônent l’accroissement de l’intercommunalité et invite à positionner la coopération intercommunale comme « la locomotive du bloc communal » et comme « l’interlocuteur privilégié des autres niveaux ».

Ces positions ne peuvent que conforter l’idée selon laquelle les établissements publics de coopération intercommunale doivent être considérés comme des collectivités territoriales de plein exercice. C’est justement le fossé qu’est désormais prêt à franchir le président de l’association Intercommunalités de France [[21]]. En effet, Sébastien Martin met en avant quatre motifs :

  • les EPCI ne sont pas identiques aux autres établissements publics locaux, à l’instar des CCAS, en termes de compétences, d’agents publics et de budget ;
  • ils sont toujours consultés par le Gouvernement et les préfets lors de groupes de travail en vue des réformes ;
  • ils ne souffrent plus d’illégitimité démocratique depuis que les membres des EPCI sont élus au suffrage universel direct concomitamment aux élections municipales ;
  • ils exercent de réelles compétences, dont certaines sont mêmes imposées par la législation du fait des compétences que doivent obligatoirement être transférées les communes.

D’autre part, le Gouvernement a multiplié les annonces supposant un effort budgétaire toujours plus oppressant des collectivités et intercommunalités. Ces derniers devraient en effet participer à hauteur de 10 milliards d’euros.

Premièrement, l’idée d’une contractualisation dans la lignée des contrats de Cahors a été confirmée, alors que le contexte de crise inflationniste et de l’énergie rend la gestion des finances publiques complexe et tendue. Fortement opposés, les élus locaux n’avaient pas accepté les contrats de Cahors qui fixaient à 322 collectivités et établissements publics un objectif d’évolution des dépenses de fonctionnement compris entre + 0,75 % et + 1,65 %, tenant compte des spécificités locales. Les nouveaux contrats envisagés par le Gouvernement et qui devraient être prévus dans la loi de finances pour 2023 ont un objet différent qui inquiètent d’autant plus les élus locaux et des parlementaires. Ainsi, ces contrats sont considérés comme « une déclaration de guerre avec les communes » selon le député Sébastien Jumel et comme des « contrats de méfiance » selon Alain Laignel.

Et pour cause, ces contrats dits "de confiance" imposeront aux administrations locales concernées de modérer l’augmentation de leurs dépenses de fonctionnement à hauteur de l’inflation moins 0,5 %. En cas de manquement, il serait prévu que les collectivités défaillantes feront l’objet d’une analyse financière et budgétaire de leur situation, puis d’une étude de trajectoire financière de maîtrise des dépenses de fonctionnement par le préfet avant d’être sanctionnées en ne bénéficiant pas, par exemple, des crédits disponibles dans le cadre des différentes dotations à l’instar de la DSIL ou de la DETR, …

Deuxièmement, après la réduction des impôts de production à la suite de la Covid-19 par les différentes lois de finances rectificative pour 2020 et la loi de finances pour 2021, le Gouvernement entend supprimer la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) [[22]]. Le Ministère de l’Économie explique cette suppression par la lourdeur considérable des impôts de production en France et de la nécessité de favoriser le développement de l’industrie et de l’activité économique. Or, les élus locaux considèrent que cette suppression n’est pas justifiée au motif qu’elle les prive de recettes considérables et qu’elle n’aura pas pour effet de concourir au développement de l’industrie et de l’activité économique. Les acteurs locaux prônent davantage la suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) afin de renforcer la compétitivité, ne pas pénaliser les collectivités et alléger la compensation pour les comptes publics.

Troisièmement, lors d’une audition par la commission des Affaires économiques de l'Assemblée nationale, le Ministre de l’Économie et des Finances a laissé entendre que le Gouvernement aidera financièrement les collectivités territoriales du fait de la hausse considérable des prix de l’énergie à la condition qu’elles soient bien gérées d’un point de vue budgétaire. Le Ministre explique qu’il y a « des collectivités bien gérées et d'autres qui sont moins bien gérées. Quand je vois des collectivités qui ont embauché massivement et qui viennent ensuite demander à l'État, parce qu'elles ne peuvent pas faire face à des factures énergétiques, de payer à la place des collectivités, ça peut poser une difficulté ». Il distingue ainsi entre celles qui auraient été « bien gérées au cours des années passées » et celles qui auraient été « mal gérées » et « qui ont engagé des dépenses de fonctionnement très lourdes ». Cette annonce a fait l’objet d’une bombe et a été vivement critiquée par les élus locaux, certains arguant du fait que le recrutement d’agents publics était parfois une nécessité pour assurer la continuité du service public, surtout après le rôle joué par les collectivités dans la gestion de la crise sanitaire.

Une territorialisation effective à rechercher

Compte tenu de l’insuffisance des réformes successives et du rôle majeur des territoires dans la gestion des crises au détriment de l’État, les élus locaux et d’autres acteurs exhortent inexorablement à repenser ou à instaurer un véritable État territorial.

L’Élysée et le Gouvernement eux-mêmes appellent à construire une véritable territorialisation de l’action publique.

D’une part, le discours de politique générale au Sénat d’Elisabeth Borne sonnait comme une sorte d’ode à la territorialisation [[23]]. Le terme « territoire » a été utilisé 16 fois et la notion de « collectivités territoriales » a été mentionnée à 8 reprises. Au-delà de la sémantique, la Première ministre n’a fait que marteler qu’il fallait agir avec, par et pour les territoires. « Nous agirons, surtout, en lien avec les élus locaux », « avec les collectivités nous agirons », … Elisabeth Borne a même indiqué que les collectivités devaient avoir de la visibilité, de la stabilité, des moyens d’agir et surtout qu’elles puissent prendre des décisions adaptées au contexte local.

D’autre part, dans son instruction du 19 septembre 2022 sur les politiques prioritaires du gouvernement [[24]], la Première ministre a expliqué que la mise en œuvre de ces politiques prioritaires devait résider par une nouvelle méthode de travail qui repose sur trois principes : la transparence sur les objectifs, les contraintes et les résultats ; l'écoute et la recherche de compromis en associant les parties prenantes ; l'efficacité avec une culture de l'exécution renforcée et orientée vers l'impact concret que ces politiques produisent dans le quotidien des Français. Dans ce cadre, la méthode de travail doit se manifester notamment par une déclinaison territoriale jusqu’au dernier kilomètre de chaque département, dont le pilotage sera mené par les préfets de région qui seront chargés de mobiliser l’ensemble des acteurs, dont les élus locaux et autres partenaires publics et privés. Les préfets de région et les secrétariats généraux aux affaires régionales seront en relations régulières avec le délégué interministériel de la transformation publique pour un suivi des politiques.

Enfin et surtout, le président Macron lui-même souhaite rechercher une territorialisation de l’action publique en consacrant une « vraie décentralisation », en renforçant l’État local et en rapprochant l’État par le biais de la déconcentration et la décentralisation.

Pour les auteurs du rapport sénatorial précité, l’État territorial doit être repensé car, jusqu’à présent, les réformes successives n’associaient pas les acteurs locaux et n’étaient pas comprises, les compétences et les moyens de l’État étaient inadaptés avec les besoins des territoires, notamment avec une diminution drastique des agents publics d’État dans les services déconcentrés, des opérateurs étatiques (telles que les agences) trop nombreux qui créent une diversité de positions illisible au détriment des services préfectoraux, une décentralisation de projet générant des inégalités et des exclusions de collectivités, une ingénierie en berne et un contrôle de légalité inefficace.

Aussi, Agnès Canayer et Éric Kerrouche appellent à repenser l’État territorial « autour de la mise en œuvre de quelques grands principes au cœur de l’action publique : la subsidiarité, la différenciation territoriale, la contractualisation et une meilleure représentation des élus locaux dans la gouvernance des opérateurs de l’État ». Plus précisément, ils formulent quatre recommandations, dont certaines semblent déjà avoir été adoptées dans les discours des membres du Gouvernement, tandis que d’autres paraissent s’en détacher.

D’une part, les auteurs veulent que le préfet de département soit ancré au cœur de l’État territorial. Traduisant le lien indéfectible avec les élus locaux, le préfet de département doit en effet constituer l’acteur privilégié des politiques publiques. Dans ce cadre, ils prévoient que le préfet :

  • soit nommé pour une durée minimum d’affectation d’au moins quatre ans, avec une feuille de route sur cette période ;
  • soit nommé comme délégué territorial de toutes les agences de l’État et faire du sous-préfet leur représentant au plus près des territoires :
  • soit placé sous l’autorité directe du Premier ministre ;
  • ait une autorité effective sur l’ensemble des directions régionales et départementales ;
  • ait une autorité en période de crise sur l’ensemble des services de l’État.

Si la loi 3 DS, dans son volet déconcentration, prévoit le renforcement de leurs pouvoirs [[25]], l’instruction de la Première ministre sur les politiques publiques prioritaires tend au contraire à mettre l’accent sur le préfet de région plutôt que sur le préfet de département. Par ailleurs, le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'Intérieur a pour objet notamment de renforcer le rôle du préfet en cas de crise. Or, le préfet de département ne pourra diriger l’action que sur autorisation du préfet de zone de défense et de sécurité.

D’autre part, les auteurs souhaitent instaurer une relation de confiance avec les élus locaux en :

  • rendant impérative une concertation nationale avec les associations d’élus en amont du lancement d’une politique ministérielle se chevauchant avec des compétences décentralisées ;
  • rendant effective l’obligation d’information des élus locaux en amont de toute évolution des services de l’État dans leur territoire ;
  • instaurant plus de transparence dans l’attribution des subventions de l’État (DETR, DSIL notamment) pour les projets des collectivités territoriales et abaissant à 20 000 euros le montant des projets soumis à l’avis de la commission ;
  • procédant à une évaluation régulière des préfets par les maires, les présidents d’intercommunalité et les présidents des conseils départementaux ;
  • passant d’une logique de contrôle de légalité à celle de conseil aux collectivités territoriales ;
  • expérimentant l’auto contrôle de légalité pour les communes et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) les plus peuplés.

Sur cette dimension, des signaux positifs ont été donnés par le Gouvernement, même si des précisions sont attendues à titre de confirmation ou, au contraire, d’instrumentalisation. Premièrement, le conseil national de la refondation et le recueil de l’avis des élus locaux par l’exécutif tendent à caractériser la concertation et l’information des acteurs locaux. Deuxièmement, le Gouvernement a indiqué que les crédits du fonds vert, destiné à financer des projets de transition écologique, seraient nouveaux et transparents.

En outre, les auteurs préconisent de garantir les moyens de l’État dans les territoires avec notamment :

  • l’adaptation de la répartition des effectifs en fonction des réalités territoriales ;
  • la sortie de la logique systématique des appels à projet ;
  • la fixation des critères d’évaluation de l’offre d’ingénierie ;
  • la cohérence des ressources du CEREMA en phase avec les objectifs qui lui sont assignés en matière d’appui aux collectivités territoriales ;
  • l’augmentation des capacités de redéploiement des fonctionnaires de l’État par le préfet (au-delà de 3 %), sans doublonnage au sein de l’État.

Sur ce point, l’État entend s’inscrire dans cette logique comme le démontrent le processus d’installation de certains services centralisés (notamment ceux de la Direction générale des finances publiques) dans de nouveaux territoires autres que la capitale ; la mise en œuvre du nouveau statut du CEREMA en application de la loi 3 DS [[26]] et la fin de la technique de l’appel à projets dans le cadre du fonds vert pour permettre à toutes les collectivités de pouvoir bénéficier de ces crédits.

Enfin, les auteurs entendent assurer une présence territoriale adaptée en :

  • repensant les schémas départementaux d’amélioration de l’accessibilité des services au public pour assurer un objectif d’équilibre territorial ;
  • transformant l’organisation du corps préfectoral sur certains postes en expérimentant : le dédoublement des fonctions de préfet de région et de département ou, alternativement, expérimentant la transformation du secrétaire général de la préfecture de région en préfet du département chef-lieu avec ajout d’un sous-préfet chargé de l’arrondissement centre ; le dédoublement des fonctions de secrétaire général de préfecture et de sous-préfet d’arrondissement ;
  • proscrivant les fermetures simultanées de services déconcentrés sur le territoire d’une même commune, d’un même EPCI, voire d’un département (pour ceux de moins de 250 000 habitants) ;
  • évaluant et encadrant le développement des procédures dématérialisées avec le maintien d’un espace d’accompagnement à l’accès aux services dématérialisés de l’État dans les préfectures et les sous-préfectures ;
  • encourageant l’attribution de fonctions thématiques au sous-préfet d’arrondissement et renforçant son rôle de conseil ;
  • maintenant les sous-préfectures, faisant évoluer la carte des arrondissements pour tenir compte des transformations récentes de périmètres (notamment des intercommunalités) ;
  • assurant des moyens suffisants de fonctionnement pour chaque sous-préfecture.

En l’état, ce rapport sénatorial met principalement, pour ne pas dire exclusivement, l’accent sur le volet déconcentration. En effet, il ne formule pas de propositions sur la place et les compétences des collectivités territoriales et établissements publics locaux. Il indique seulement, dans son diagnostic, que les compétences d’État dans les territoires doivent être mieux réparties par le biais de la subsidiarité et de la différenciation territoriale.

Or, l’État territorial ne peut être effectif et l’action publique ne peut être efficace que si l’État s’appuie à la fois sur ses services déconcentrés et sur les collectivités territoriales. Les différentes crises ont justement démontré que les collectivités jouaient un rôle fondamental et pouvaient même être précurseurs.

Tel était en partie l’objet du rapport de Terra Nova qui appelait à refonder la décentralisation et à repenser les rôles de l’État et des collectivités territoriales [[27]]. Sur ce dernier point, le rapport préconisait de repenser les rôles de l’État et des collectivités à l’aune des enjeux de la cohésion sociale territoriale et de la transition écologique en recentrant et renforçant l’État sur ses missions de solidarité et de régulation nationales et en faisant des collectivités les garantes de la solidarisation des territoires [[28]].

Les différents discours d’Emmanuel Macron et d’Élisabeth Borne tendent du reste à se focaliser davantage sur le volet décentralisation en appelant à une « vraie décentralisation ».

En somme, les discours politiques, aussi bien nationaux que locaux, exhortent tous unanimement à repenser l’élaboration et la conduite de l’action publique en se concentrant principalement sur les opérateurs déconcentrés et les collectivités territoriales et leurs groupements, l’État central devant trouver sa place et son rôle dans ce nouveau schéma. La fréquence et la portée des discours des membres du Gouvernement, et notamment du Président de la République lui-même et de la Première ministre, et le contexte de crises successives, peuvent laisser augurer davantage que des mots. Il y a en effet matière et même utilité à repenser le logiciel de l’action publique pour des politiques publiques territorialisées qui seraient élaborées et conduites par les territoires et impulsées et accompagnées par l’État central.  Il reste ainsi à voir si les discours se concrétiseront.

 

[[1]] Loi n° 92-125 du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République.

[[2]] Avec notamment la révision générale des politiques publiques (RGPP) sous le président Sarkozy et la modernisation de l’action publique (MAP) sous le mandat Hollande.

[[5]] Public Sénat, « Collectivités : Emmanuel Macron ‘’souhaite ouvrir un nouveau chapitre de la décentralisation’’ », 10 octobre 2022, https://www.publicsenat.fr/article/politique/collectivites-emmanuel-macron-souhaite-ouvrir-un-nouveau-chapitre-de-la.

[[6]] Borne E., « Discours au 91è congrès de l’Assemblée des départements de France », 14 octobre 2022, https://www.gouvernement.fr/actualite/discours-delisabeth-borne-au-91e-congres-de-lassemblee-des-departements-de-france.

[[7]] Beyney G., « Déconfinement et relance : vers une territorialisation de l'action publique effective et continue ? », Horizons Publics : https://www.horizonspublics.fr/deconfinement-et-relance-vers-une-territorialisation-de-laction-publique-effective-et-continue.

[[8]] Duran P., « Territorialisation », Dictionnaire des politiques territoriales., SciencesPo Les Presses, coll.                 « Références », 2020, 2è éd., p. 531.

[[9]] Pour des développements, v. notre article, « Brèves observations sur les collectivités territoriales et intercommunalités à l'épreuve du Covid-19 », Horizons Publics : https://www.horizonspublics.fr/breves-observations-sur-les-collectivites-territoriales-et-intercommunalites-lepreuve-du-covid-19.

[[11]] Loi organique n° 2021-467 du 19 avril 2021 relative à la simplification des expérimentations mises en œuvre sur le fondement du quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution.

[[12]] Sur ce point, v. not. Rallu B., « Maire-préfet : le lien indéfectible de la République », Maires de France, septembre 2021, n° 393, p. 66 - 69.

[[13]] Pour des approfondissements, v. notre article, « Déconfinement et relance : vers une territorialisation de l'action publique effective et continue ? », Horizons Publics, 23 novembre 2020, https://www.horizonspublics.fr/deconfinement-et-relance-vers-une-territorialisation-de-laction-publique-effective-et-continue.

[[14]] Castex J., Circulaire du 23 octobre 2020, Mise en œuvre territorialisée du plan de relance, https://www.legifrance.gouv.fr/download/pdf/circ?id=45069.

[[15]] Brisson J.-F., « Décentralisation et contractualisation », AJDA, 2019, n°41, p. 2435-2443.

[[16]] Loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale.

[[17]] Maires de France – La lettre des maires et des présidents d’intercommunalité, octobre 2022, n° 405.

[[18]] Borne E., Instruction n° 63/73/SG du 19 septembre 2022 sur les politiques prioritaires du Gouvernement, https://www.legifrance.gouv.fr/download/pdf/circ?id=45366.

[[19]] Borne É., « Discours à la 32ème Convention des intercommunalités de France », 7 octobre 2022, https://www.gouvernement.fr/upload/media/content/0001/04/5901bacee341425d4aae71ac2c7bbad79176b50b.pdf.

[[20]] Cour des comptes, Les finances publiques locales 2022 - Fascicule 2 - Rapport sur la situation financière et la gestion des collectivités territoriales et de leurs établissements, octobre 2022, p. 41 - 134, https://www.ccomptes.fr/system/files/2022-10/20221026-rapport-Fipulo-2022-fascicule-2.pdf.

[[21]] Martin S., « L’intercommunalité doit être une collectivité à part entière », La Gazette des communes, 30 septembre 2022, .

[[22]] Cette suppression est prévue en deux fois, sur 2023 et 2024, et devrait être actée dès la loi de finances pour 2023.

[[23]] Borne É., « Déclaration de politique générale au Sénat », 6 juillet 2022, https://www.gouvernement.fr/upload/media/content/0001/03/98f5385ac10862f123f61b3b5543d625ef3987e0.pdf

[[25]] Articles 155 et 156 avec la possible délégation de signature des décisions d’attribution de la DSIL et l’information des élus sur les fermetures ou déplacements des services déconcentrés et des services des autres collectivités territoriales.

[[26]] En application de l’article 159 de la loi 3 DS et du décret n° 2022-897 du 16 juin 2022, toutes les collectivités territoriales peuvent faire appel à l’ingénierie du CEREMA a par la conclusion de marchés publics de service sans obligation de mise en publicité et de concurrence. Auparavant, le recours au CEREMA était principalement réservé aux organismes d’État.

[[27]]  Béhar D. et Delpirou A., Après la décentralisation – 15 propositions pour refonder l’action territoriale, op. cit..  

[[28]] Pour des développements, v. notre article « 15 propositions pour refonder l’action territoriale et passer à ‘’l’après-dé-centralisation’’ », Horizons Publics, 10 mars 2021, https://www.horizonspublics.fr/territoires/15-propositions-pour-refonder-laction-territoriale-et-passer-lapres-de-centralisation.

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