Les Conventions citoyennes nationales et régionales : des « pépites encore imparfaites » de la démocratie de demain

Convention citoyenne pour le Climat
La Convention citoyenne pour le Climat s'est déroulée au siège du Conseil économique, social et environnemental (Cese), au Palais d'Iéna, à Paris.
©Katrin Baumann / Convention citoyenne pour le climat
Le 16 mars 2021

Le 25 février, la Chaire Transformations de l'action publique de Sciences Po Lyon organisait un séminaire en ligne sur les conventions citoyennes avec pour témoins Mathilde Imer et Armel Le Coz de l’association Démocratie ouverte. Ces échanges se sont tenus la veille du démarrage de la huitième session de la Convention citoyenne pour le climat au CESE, au cours de laquelle les citoyens ont manifesté leur désapprobation devant la première mouture de la loi climat et résilience. Horizons publics a participé à ce séminaire et vous fait part de sa contribution au bilan et à la réflexion sur l’avenir des Conventions citoyennes.

Christian Paul, ancien député de la Nièvre et co-fondateur de la 27e Région, anime la Chaire Transformations de l’action publique depuis janvier 2020. Elle s’organise autour de trois axes principaux : démocratie, data et design. « La question de la participation est abondamment commentée en France comme ailleurs. Ceux qui en défendent le principe savent bien qu’il y a un cimetière des bonnes idées, que certaines initiatives sont des opérations de communication voire même d’instrumentalisation. Pour autant, il y a de la part des citoyens, des services publics et d’une partie des élus, un désir profond d’aller de l’avant. C’est un paradoxe intéressant entre un désir très fort et beaucoup de créativité d’un côté, et de l’autre, des résultats qui sont à améliorer très largement. Une lecture critique de l’existant est à faire, notre chaire y contribue », nous explique Christian Paul. « On a vu aussi que la Convention citoyenne pour le climat engendrait une sorte de postérité à l’échelle des régions. C’est ce qui nous a conduit aussi à nous intéresser à la Convention organisée en Occitanie et à prendre comme témoin deux de leurs initiateurs ». Une vingtaine de personnes parmi lesquels des étudiants, chercheurs, acteurs de territoires et une responsable de la SNCF participaient à ce séminaire.

La Convention citoyenne pour le Climat : épopée et devenir

Mathilde Imer intervient pour rappeler la genèse de la Convention et son processus, dans l’esprit de l’entretien qu’elle avait accordé à Horizons publics en juin 2020. Elle revient sur la création du collectif Gilets citoyens visant à remettre « la balle au centre entre les Gilets jaunes, les écologistes et le gouvernement ». C’est au sein de ce collectif que naît l’idée de créer une Convention citoyenne avec l’idée de déboucher notamment sur un référendum et une plus grande justice fiscale. Proposition est faite au Président qui à l’issue de six réunions préparatoires confie l’organisation de la Convention au CESE.

Arguant de la déconnexion entre les élus et les citoyens, Mathilde Imer défend en préambule le choix du tirage au sort.

« Pourquoi le tirage au sort ? Quand vous regardez l’Assemblée nationale, vous vous rendez compte qu’il y a zéro ouvriers. Alors que c'est entre 15 et 20 % de la société. Forcément, cette catégorie se sent mal représentée aujourd’hui. Donc le tirage au sort permet de mieux représenter les classes populaires, les jeunes, et les femmes ». Elle défend par ailleurs le concept de référendum à choix multiple et pense que les citoyens sont à ce jour en avance sur les élus en matière d’aspirations écologiques. Elle rappelle que ces derniers ont « pris une claque » lors de la première séance de la Convention après notamment l’intervention de Valérie Masson-Delmotte du GIEC. « Les 3/4 avaient conscience qu’il y avait un problème avec le climat, mais pas du tout du niveau d’urgence. Ils pensaient qu’en triant et avec un peu de vélo, on aurait réglé le problème ». La suite est connue. Les sept sessions débouchent sur 149 propositions. Emmanuel Macron a promis de les soumettre « sans filtre » au gouvernement et au Parlement. Il fait néanmoins usage de « trois jokers » lors de son retour aux citoyens à l’Elysée le 29 juin 2020. Une partie des mesures est retraduite par voie règlementaire pendant l’été et la Loi Climat est présentée le 10 février 2021. « On voit que les mesures sont détricotées par le gouvernement. La loi est très critiquée. Elle est très loin des ambitions des 150. L’étude d’impact montre qu’on est loin de l’objectif des 40 % » explique Mathilde Imer.

Vincent, étudiant à Sciences Po Lyon revient sur le processus et se demande pourquoi les participants ont été divisés en cinq groupes thématiques, contrairement à la convention irlandaise. « Cela engendre une asymétrie d’information, car les citoyens n’ont pas accès aux mêmes experts » s’interroge-t-il. Mathilde Imer répond que cette expérience française allait pour la première fois jusqu’à la rédaction de la loi avec des citoyens et qu’il fallait répartir le travail même si « dans un monde idéal, il faudrait en effet tout faire en plénière ». Mais « ce qui a le moins bien marché », ajoute-t-elle, « c’est que l’on a fait entrer trop tard les juristes. Cela aurait évité des répétitions de ce qui a avait déjà été débattu en séance ».

Ce choix de faire écrire la loi à des citoyens non spécialistes et donc dépendants des experts et des juristes en dernier ressort pose question.

« Ce niveau de détail (rédaction législative) n'est-il pas un critère de délégitimation de la convention citoyenne ? Et cela revient à devenir comme un parlementaire » remarque Jules, étudiant à Science Po. De l’avis de Mathilde Imer, le niveau de diplôme est désormais suffisamment élevé dans la population pour qu’on y parvienne. « Je pense que ça nous amène vers une nouvelle forme de démocratie. Cela répond à un besoin. Quand vous lisez Pierre Rosanvallon, le populisme s’explique en grande partie par le fait que les gens ont envie de débat démocratique et ne trouvent pas de processus à leur portée ».

Une discussion s’engage sur les transformations futures de la démocratie à l’aune de cette expérience. Mathilde Imer entrevoit désormais trois scénarios. Le premier est de mettre une troisième chambre de la participation citoyenne tirée au sort à la place du CESE. « Elle serait en capacité, quand une pétition obtient un million de signataires, de déclencher une assemblée citoyenne. C’est ce qu’on appelle un RIC délibératif. Les citoyens mettraient sur la table un nouveau texte de loi ». Il s’agirait d’une sorte de synthèse institutionnelle entre la demande principale des Gilets jaunes et la démocratie délibérative. « L'autre manière ce serait d’avoir une assemblée citoyenne du futur composée de 150 citoyens tirés au sort, qui tournerait tous les six mois. Ils seraient formés par des experts pour avoir la capacité de mettre un véto suspensif sur le Parlement ».

Enfin la troisième option consisterait à remettre au goût du jour le « Commissariat au plan, dont le rôle serait de programmer des Conventions citoyennes sur toutes les grandes questions de société. C’est un moyen de lutter contre une tendance de plus en plus oligarchique de la démocratie » souligne-t-elle, face aux lobbies qui « ont dézingué les propositions de la Convention alors qu’ils n’existaient pas lorsque la démocratie a été mise en place » rappelle-t-elle.

Pour Christian Paul, ces approches ne nous exonèrent pas de constater le travail que fait le Parlement et de réfléchir aussi à sa réhabilitation. « L’ayant vécu de l’intérieur, je serais un peu moins sévère que Mathilde sur le diagnostic de départ. Il y a des parlementaires qui font un travail sur la durée et ont une vraie capacité d’expertise » remarque-t-il.

Les participants s’accordent sur le fait que les Conventions ne peuvent pas être l’alpha et l’oméga de la démocratie du futur et que « les parlementaires ne méritent pas le niveau actuel de défiance dont ils sont parfois l’objet ».

Quant à l’avenir des Conventions, Mathilde Imer défend l’idée de leur donner une existence juridique afin de ne pas dépendre du bon vouloir du président de la République et de leur faire traiter des thèmes à controverses comme la réduction de la consommation de viande dans le pays.

L’expérience encore mitigée sur la Convention citoyenne régionale d’Occitanie

Armel Le Coz de l’association Démocratie ouverte relate cette fois-ci l’expérience de la Convention citoyenne régionale organisée en Occitanie entre septembre et octobre 2020. Cette fois-ci l’objectif est de faire des propositions pour la modification du SRADDET. Pour ce faire 100 citoyens sont tirés au sort et trois garants sont nommés ; David Prothais de la CNDP, Agnès Maurin présidente du Club de la presse en Occitanie et Pauline Vaissière, juriste. Pour Armel Le Coz la promesse faite est la suivante : « Vous allez avoir un impact sur la décision, sur la révision du SRADDET et le budget 2021 (…) modifier le schéma des schémas de la Région ». Trois sessions de deux à trois jours se tiennent tenir et la votation a lieu au mois d’octobre. Il en ressort 52 propositions, dont 45 seront finalement retenues.

En ce qui concerne les enseignements positifs, Armel Le Coz note que le contexte régional était moins politique que le contexte national.

« Les mesures ont globalement été reprises, sur un calendrier plus court et le processus de construction d’une délibération régionale est plus rapide qu’une loi ». En revanche cette démarche a été moins à même d’intéresser les médias et la population. « Je rêve d’une Convention citoyenne télé-réalité (…) de voir des gens pas d’accord sur un sujet. Il y a un objet télévisuel intéressant à imaginer. On a testé des choses avec la Convention citoyenne pour le Climat avec le média Accropolis et on est prêts (…) ». En ce qui concerne le fond des propositions, pour Armel Le Coz, « le mandat était sans doute trop large en Occitanie, donc le résultat a été un peu décevant, consensuel et facile à reprendre. C’est une déception assez forte sur cet aspect-là ».

Convention citoyenne Occitanie

La Convention citoyenne régionale organisée en Occitanie a eu lieu entre septembre et octobre 2020. L’objectif est de faire des propositions pour la modification du SRADDET. 100 citoyens sont tirés au sort et participent à cette convention. Il en ressort 52 propositions, dont 45 seront finalement retenues.

Inspiré par ces réflexions, nous demandons si des Conventions citoyennes régionales composées d’agents tirés au sort à tous les niveaux de hiérarchie ne permettraient pas aussi de faire avancer la démocratie interne et l’élaboration des politiques publiques. « Ma petite inquiétude, c’est la logique de l’entre-soi et la peur de perdre l’aspect citoyen. Après une Convention citoyenne interne ne peut être qu’intéressante. Mais elle ne devrait pas que définir la politique de la région (…) il faudrait le combiner avec autre chose » répond le cofondateur de Démocratie ouverte.

Enfin Christian Paul demande comment l’opposition s’est comportée et si un débat a été engagé autour des élections régionales à travers cette Convention. Pour Armel Le Coz, l’opposition a été assez absente du processus et plutôt critique sur le résultat final, notamment sur le coût d’une telle opération (ndlr un peu plus de 500 000 euros selon la 27e Région). Armel Le Coz explique que l’association est à ce jour assaillie de demandes émanant de communes et craint un phénomène de mode ou « l’impression d’une baguette magique », qui n’aurait plus la rigueur et la méthodologie en appui. « Il est important désormais d’avoir cette exigence, auquel cas, il y a un gros risque d’aller vers du citizen-washing » alerte-t-il.

Les conventions citoyennes, pépites encore imparfaites de la démocratie de demain

Pour Christian Paul, ce qui apparaît d’intéressant dans ces expériences « est la manière dont on construit la légitimité d’une telle assemblée, composée par le travail sociologique en amont, puis avec la formation, l’éclairage par les experts, et la qualité et la sérénité des débats ».

Pourtant les Conventions entrent dans une période à haut risque. Elles sont critiquées pour être téléguidées que cela soit par le commanditaire ou les encadrants et se retrouvent d’ores et déjà au milieu du gué. Pour Christian Paul, cela pose la question des « inputs » et notamment de la commande initiale, qui gagnerait à être indépendante de l’exécutif.

« Étant donné le contexte, on n’assiste pas à la construction pure et parfaite d’une vérité citoyenne en un jour. Il peut y avoir des tensions, mais cela ne tue pas le produit. C’est pour cela que je considère qu’un tel processus ne tourne jamais rond tout de suite. La deuxième Convention devra être améliorée, mais il y a déjà beaucoup d’enseignements à garder. La question de l’institutionnalisation des conventions peut être un beau débat en vue des présidentielles. La Convention, c’est donc une pépite imparfaite dans un moment de crise démocratique qui n’a pas de précédent depuis la fin de la guerre. Ce qui me frappe, en attendant c’est que quand on discute avec les citoyens, plus personne ne pense que l’on peut faire l’impasse sur la participation citoyenne, même sur les chantiers les plus modestes ».

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