La Convention Citoyenne pour le Climat, ou l'antichambre de la VIème République ?

Convention citoyenne pour le Climat
Les 149 propositions de la Convention citoyenne pour le climat sont votées par les 150 citoyens le 21 juin 2020.
©Loïc Blondiaux (compte twitter)
Le 26 juin 2020

La Convention Citoyenne pour le Climat s'est achevée dimanche 21 juin et a déjà fait l'objet de nombreux commentaires. Les 150 citoyens volontaires et tirés au sort auront travaillé dans l'enceinte du CESE pendant 9 mois, à travers 7 sessions de trois jours entourés de spécialistes de la participation, d'experts de tous les domaines impliqués dans la question climatique, afin de formuler des mesures répondant à la question : « Comment réduire d'au moins 40% les émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030 (par rapport à 1990) dans un esprit de justice sociale ? ».

 

On retient dans les grandes lignes que 149 mesures ont été votées, réparties dans cinq ensembles thématiques : se nourrir, se loger, travailler et produire, se déplacer, consommer. Quelques mesures marquantes retiennent l'attention, comme le fait de rendre obligatoire la rénovation énergétique globale des bâtiments d’ici 2040, la renégociation des accords du libre-échange du CETA, la limitation à 110 km/h sur autoroute, la limitation des vols aériens intérieurs, le rejet en définitive du passage aux 28h de travail pour les salariés. Alors que la Convention est jugée « extrémiste » par les uns, elle est perçue comme trop timorée par les autres, en ayant fait l'impasse sur la taxe carbone, la politique nucléaire, l'interdiction des pesticides (qui devront être réduits de moitié d'ici 2030), ou encore une meilleure prise en compte de la politique européenne sur le climat.

 

Le Président de la République s'était engagé à passer ces mesures « sans filtre » à l'Assemblée nationale, par la voie réglementaire ou au référendum. Ce dernier est d'ailleurs venu rencontrer les citoyens au cours de la session n°4 du 10 janvier afin de préciser les modalités de prise en compte de ces mesures par l'exécutif et de souligner notamment l'enjeu de l'après-Convention nécessitant un suivi des citoyens. La possibilité de recours à un référendum pour soumettre les mesures aux français est annoncée dès le départ comme une forme de réponse au RIC (Référendum d'Initiative Citoyenne) exigé par les Gilets jaunes. Or, les citoyens décident à l'issue d'un âpre débat, de ne pas soumettre tout ou partie des 149 mesures techniques au référendum, mais plutôt les réformes constitutionnelles (en partie proposées par Nicolas Hulot lors de son intervention à la session 3), concernant l'inscription dans le préambule et l'article 1 de la constitution d'une « garantie » de défense par l'Etat de la biodiversité et de l'environnement, mais encore le crime d'écocide.

 

Encore au milieu du gué, cette Convention est déjà appelée à marquer l'histoire récente de la démocratie. Elle représente, comme nous l'avions décrit dans notre enquête de novembre 2019 un exercice grandeur nature de démocratie délibérative réalisé avec des citoyens non élus, préfigurant ce que serait une « nouvelle chambre » venant compléter, ou contrebalancer la démocratie représentative. Cet objet politique apparaît de plus en plus comme l'élément novateur, voire même l'alpha et l'oméga d'un futur projet de VIe République. Pendant la Convention, un citoyen fait explicitement référence au Serment du jeu de Paume ayant eu lieu le 20 juin 1789, soit 231 ans plus tôt jour pour jour, laissant transparaître l'immense ambition de réforme démocratique portée par une partie des citoyens mais aussi par les experts et personnalités de la société civile les accompagnant.

 

Avant de revenir en détail sur les enjeux climatiques et institutionnels soulevés par cette démarche dans les prochains mois, nous avons décidé de faire un retour sur le processus de cette Convention avec Mathilde Imer, coprésidente du collectif Démocratie ouverte, ayant participé à la conception de ce projet et qui faisait partie du collège des garants. Cette dernière nous livre une version personnelle et éclairante des enjeux sous-jacents de cette Convention, et ce, avant l'intervention très attendue du Chef de l'Etat lundi 29 juin, en réponse aux propositions des 150 citoyens.

Mathilde Imer : « une Assemblée citoyenne est la brique manquante pour mettre à jour notre démocratie »

Mathilde Imer
Mathilde Imer

Mathilde Imer, pouvez-vous rappeler comment est né ce projet de Convention et le rôle que vous avez pu jouer dans sa mise en place à travers « Démocratie ouverte » ?

Je suis militante écologiste et suis arrivée à la question de la démocratie lorsque je travaillais dans l’équipe de Laurence Tubiana pendant la COP 21, car j'ai pu constater que l'argument principal des États pour ne pas être plus ambitieux à l’échelle internationale face à la crise climatique était de dire : « Le peuple n'est pas prêt ». Après la COP 21, je suis partie à la découverte d'innovations démocratiques qui accélèrent la transition écologique.

Je crois profondément que l’écologie et la démocratie se sauveront ensemble ou périront ensemble.

Il y a un certain nombre de gens qui y croyaient et le portaient depuis un certain temps, dont Cyril Dion à travers les Colibris, mais aussi bon nombre d’acteurs de la participation citoyenne. Soudain, il y a un peu plus d'un an, le mouvement des Gilets jaunes apparaît en France. Il porte extrêmement fort la question du référendum d'initiative citoyenne, le RIC, et aussi celle des Assemblées citoyennes. Or il y a eu un moment où les démarches climat et le mouvement des Gilets jaunes ont été mis en opposition, y compris par le gouvernement. On entendait fréquemment dans les médias l'opposition entre « fin du monde et fin du mois ». Nous avons commencé à avoir des échanges entre Gilets jaunes et écologistes et nous sommes dit : « Une chose nous rassemble, c'est cette idée d'une démocratie à réinventer, à commencer par une assemblée de citoyens tirés au sort ». Nous nous sommes réunis dans un collectif appelé « Gilets citoyens » dont l'acte fondateur est une lettre ouverte parue dans Le Parisien du 23 janvier 2019 dans laquelle nous disions que le grand débat comportait énormément de biais méthodologiques. Nous proposions d'organiser une véritable Assemblée citoyenne, avec des principes méthodologiques solides. L’objectif serait de traiter trois sujets : la transition écologique, le RIC et la justice fiscale. Dans cette lettre adressée au Président de la République nous disons que s'il ne le fait pas, nous le ferons par nous-mêmes. Du coup on a commencé à concevoir le processus dans ses détails avec l'aide de chercheurs, en s'inspirant beaucoup du modèle des Assemblées citoyennes en Irlande. Cette démarche rencontre un autre processus : L'affaire du siècle, autour de quatre ONG qui déposent un recours en justice contre l'État pour une action climatique. Suite à cela, Marion Cotillard intervient sur France Inter en disant qu'elle ne comprend pas que le Président oppose la justice sociale et la justice climatique. Le Président la contacte pour lui proposer un rendez-vous, auquel elle accepte de se rendre, accompagné de Cyril Dion qui présentera la lettre ouverte au chef de l’État au nom du collectif des Gilets Citoyens. Cela va faire mouche dans la tête du Président. S'en suivent plusieurs rendez-vous avec l'Elysée, auxquels je participe. Entre chaque réunion nous posons les lignes rouges et ces échanges sont suivis dans la presse pour plus de transparence. Le CESE accepte d'être l'organisateur officiel de la Convention en déléguant le pilotage de la Convention à un comité de gouvernance indépendant avec trois experts « climat », « démocratie participative », « social et économique », deux co-présidents, Laurence Tubiana et Thierry Pech ainsi qu’un secrétaire général Julien Blanchet.

Les 150 citoyens étaient globalement des personnes intéressées par ces questions, et beaucoup de critiques reviennent sur la représentativité de ce panel, qu'en pensez-vous ?

Pour moi il y a quand même une représentativité forte. Dans le Grand débat, on ne cochait pas du tout les cases. Selon les chercheurs de l’Observatoire des Débats, les participants étaient des personnes de CSP+ venant de grandes villes, très loin de représenter les Gilets jaunes. Dans le tirage au sort de la Convention Citoyenne, on a voulu qu'ils ne soient pas pris sur les listes électorales mais sur les bases de données téléphoniques pour que les personnes non inscrites et abstentionnistes puissent participer.

Les critères ont permis d'avoir une mini-France représentative sur 6 critères : l'âge, le sexe, le niveau de diplôme, la CSP, l'origine géographique, vivant dans les milieux urbains, ruraux. Il y a autant d'ouvriers dans la Convention que dans la population française, ce qui n'est pas du tout le cas à l'Assemblée nationale. Idem pour le nombre de femmes. Le seul biais envisageable est que ce sont des gens qui ont accepté de participer, donc potentiellement plus intéressés par la question écologique que la moyenne.

Cet élément est néanmoins à nuancer car on a eu quelques climato-sceptiques et le premier week-end les deux tiers des citoyens ont dit s’être pris “une claque” lors de la session de présentation du diagnostic scientifique sur les enjeux climatiques.

Quels éléments les plus positifs tirez-vous du processus en lui-même et de cette expérience ?

Ce qui est le plus positif et marquant c'est le fait que quand on fait confiance et que l'on donne un bon niveau d'information et une qualité d'espace de délibération à des citoyens, cela aboutit à un socle de mesures ambitieux et cohérent. Il y a aussi le niveau d'engagement qui a été créé. Pour beaucoup de citoyens, cela a complètement changé leur mode de vie, leur perception de l'urgence de ce qu'il fallait faire et de la radicalité vers laquelle ils étaient prêts à aller. Cela se voit dans leur engagement à aller rencontrer leurs maires, faire des réunions publiques pour expliquer ce qu'est la Convention. Le chemin qu'on leur proposait était de partir d'eux autour de questions : se nourrir, consommer, travailler et produire, se déplacer, se loger, car c'est le quotidien. Ils ont réussi en partant de leur vécu au niveau local à remonter ce qu'il fallait faire au niveau national. Ils sont loin d'être devenus des experts de la question climatique mais collectivement ils ont atteint un niveau d'expertise élevé.

À chaud, quels seraient d'après-vous les éléments perfectibles de la démarche ?

Je pense que le sujet de la Convention était vaste et qu'il y a peut-être d'autres manières de le traiter. Notamment je me demande ce que cela aurait donné de partir de grandes controverses, de sujets qui font débat dans la société. Par exemple : « Faut-il manger moins de viande pour sauver le climat ? ». Manger moins de viande qu'est-ce que cela veut dire pour les cantines, les éleveurs, comment on fait pour qu'ils vivent bien demain, pour le reste de l'agriculture, comment elle fonctionne ? Par ailleurs la plus grosse faille de la Convention est qu'elle n'a pas d'existence juridique forte. Il y a une Lettre de mission adressée au CESE, mais elle ne repose pas sur la loi. Elle repose sur un engagement politique du Président de la République qui valide l'adoption d'un référendum, du passage au parlement, ou par voie règlementaire. À ce stade je considère que l’enjeu est moins juridique que politique.

Demain, j'espère que ce type de processus sera institutionnalisé à minima par une loi au parlement et idéalement un changement de Constitution pour qu'il y ait une prise juridique. L'autre sujet perfectible est que l'on aurait dû avoir plus de formats pédagogiques, autres que l'écrit. On a eu des vidéos, des dessins, mais globalement c'est quelque chose de très écrit.

Il y avait tout de même des binômes de personnes qui s’entraidaient mais aussi l'effet « Grande gueule » dans l'hémicycle avec les mêmes qui parlent. Pour tout cela, je pense qu'il y a une amélioration à avoir. Le dernier sujet est que nous aurions pu faire intervenir les experts juridiques plus tôt dans le processus afin que les citoyens puissent davantage s'approprier la place du droit dans leur travail. Car c'est un mandat qui oblige à réaliser un niveau de précision et de technicité élevé, ce qui est rare dans ce genre de processus.

Le rapport final fait près de 500 pages et les 149 mesures votées sont rédigées dans un langage plutôt technique. Est-ce que la question technique de départ n'a pas éloigné la Convention d'un débat de fond sur le changement de modèle et de société nécessité par le dérèglement climatique ?

Oui et non, je pense que c'est une question de présentation. Dans le rapport final, c'est en effet présenté sous forme de mesures. Cela peut donner cette impression. Néanmoins dans les chapeaux de chaque objectif on voit plus clairement le monde dans lequel ils veulent vivre. Comment mieux manger demain, avoir des boulots qui ont plus de sens, comment on sort de ce monde de surconsommation, de la bagnole, pour aller vers le train, le vélo, et que l'on diminue drastiquement l'avion. Pour moi ce débat sociétal, ils l'ont eu dans les groupes.

Ce que je regrette c'est qu'il n'y ait pas eu lieu assez d'échanges transversaux entre les groupes. Mais au tout début du deuxième week-end, il y a eu des prises de parole sur le fait qu'il fallait remettre en cause la place de l'économie dans notre modèle. C'est aussi l'une des raisons du choix de la réforme constitutionnelle par le référendum.

Le choix est bien de demander aux citoyens français de trancher le cap et où placer l'écologie par rapport à l'économie. Donc une fois que l'on a eu le diagnostic scientifique et ce débat sur « quel monde nous voulons ? » et « quelles sont les priorités », cela se décline sur les différentes thématiques et les aspects opérationnels.

Pourquoi n'y a-t-il pas de chiffrage économique et d'impact environnemental des réformes associées au rapport ?

Dès le premier week-end, les citoyens ont questionné le mandat. Assez vite, la question des 40% de baisse des émissions de GES au niveau national leur a paru, non pas absurde, mais incomplète. Ils ont assez rapidement eu envie de réfléchir en terme « d'empreinte carbone », qui a l’avantage de prendre en compte les émissions des produits fabriqués en Chine mais que l'on consomme en France. Sur l'évaluation de l'impact carbone des mesures, ils en ont eu une, mais pas sous un format chiffré. Il y a trois gradations : est-ce que l'impact carbone est fort, moyen, ou peu important. Il y a eu cette évaluation pour chaque proposition, assorti d’un commentaire explicatif quand c'est nécessaire. Mais certaines dispositions sont incalculables. Si l'on considère la réduction de la publicité par exemple : quel expert est capable de calculer l'impact carbone de cette mesure ? C'est pareil pour les accords commerciaux comme le Ceta. Ils souhaitent demain que les futurs accords commerciaux soient soumis à des contraintes environnementales plus fortes : comment calculer l’impact carbone de cette proposition ? Sur le passage au 28h de travail, leur raisonnement était : « Pour polluer moins, il faut produire moins, donc travailler moins ». C'est simple. Sauf, que le jour libre que les gens ont en plus, ils peuvent le passer à faire leur potager, du bénévolat dans une association écolo, ou alors acheter de nouvelles fringues et consommer plus. Dans un cas c’est bénéfique pour le climat, dans l’autre c’est une catastrophe. Comment évaluer ce genre de mesure ? L'évaluation a donc plus servi à les aider à réfléchir qu'à chiffrer une réalité, très difficilement chiffrable.

Pourtant, si l'on part de l'idée qu'un français consomme en moyenne 11 tonnes de CO2 par an et devrait en consommer 2 pour atteindre les objectifs de la COP 21, de telles données de base n'appellent-elles pas un changement de paradigme culturel bien plus radical ?

Je pense que cela aurait pu être intéressant, comme le dit Jean-Marc Jancovici par exemple, de réfléchir à partir de ce à quoi nous sommes prêts à renoncer. C'est une démarche qui peut être intéressante à mener. Mais quand je vois la réception de leurs propositions, je pense que politiquement cela ne serait jamais passé. Pour moi c'est une première mouture. Nous savions d'entrée de jeu que les conclusions des citoyens seraient beaucoup plus ambitieuses que ce que font les élus, même si ce n'est pas à la hauteur de la révolution du modèle qu'appellent les militants écologistes. Et c'est là où cela devient intéressant. Car si on met en place ce qu'ils proposent, il y a une amorce de révolution. Il s'agit de demander aux gens de changer profondément leur mode de vie sur l'ensemble des thématiques quotidiennes. Mais ils n'ont pas à le faire du jour au lendemain. C'est pourquoi le mandat est sur 2030 et non pas sur 2050 et l'objectif de la neutralité carbone.

Le fait de mettre en mouvement la société vers des changements de mode de vie, cela peut amorcer les normes dont on a besoin. La plupart des ONG saluent d'ailleurs aujourd’hui le travail qui a été effectué.

Lors du débat final des citoyens ont exprimé clairement leur refus de soumettre les mesures au référendum, de crainte qu'elles soient rejetées. N'assiste-t-on pas dans ce cas à une forme de déni démocratique contraire à l'ambition initiale ?

J'ai été choquée moi aussi par certains arguments. J'ai même pleuré le jour où j'ai entendu des arguments qui étaient exactement ceux de certains élus, quand on poussait pour la mise en place d'une Assemblée citoyenne. Mais il y avait un grand nombre d’arguments contraires, et la décision finale qu'ils ont prise est de passer trois éléments au référendum avec la modification du préambule de la constitution, de l'article 1 et l'écocide. Si certains citoyens ont clairement eu des arguments de déni démocratique, le choix collectif a été de faire confiance aux citoyens pour fixer le cap autour des grandes lignes, afin de savoir où l'on place les priorités entre l'écologie et l'économie. Leur souhait est de faire sortir le débat à l'échelle de la société. Cela me paraît important de le dire. Après, il s'agit pour eux de faire confiance aux élus, à partir du moment où les français ont fixé le cap et qu'ils n'ont plus l'argument de dire : « les français ne sont pas prêts ». Faire confiance mais sans naïveté, c’est aussi pour cela qu’ils créent une association des 150 pour faire le suivi de leurs mesures. Il y a un autre élément qui a beaucoup joué. Un certain nombre d'entre eux, nous ont fait remonter que le Président de la République, quelques jours avant la Convention s'est dit prêt à un référendum à questions multiples dans lequel il y a aurait moins la rénovation énergétique des bâtiments. Leur choix de ne pas le faire est aussi un signe d'indépendance, vis-à-vis du Président de la République.

Convention citoyenne pour le Climat
Convention citoyenne pour le Climat
©Katrin Baumann / Convention citoyenne pour le climat

Certains citoyens se sont parfois présentés comme « les représentants des français ». Ne peut-on pas voir apparaître confusion entre la démocratie représentative issue du suffrage universel et cette nouvelle forme de représentation ?

Je pense qu'il y a deux formes de représentations légitimes. Quand les citoyens envoient au parlement un certain nombre de leurs mesures, cela montre un geste de confiance vis-à-vis des parlementaires. Ils ont rencontré ces dernières semaines l'ensemble des groupes parlementaires. Au tout début de la Convention il y avait une défiance énorme. On avait beau le savoir, cela a été difficile. On a vu les citoyens évoluer et se rabibocher avec la politique. Certains ne votaient plus et revotent aujourd'hui. Certains ont dit qu'ils avaient compris la complexité de la mise en place d'une politique publique et l'impact sur leur quotidien. Une citoyenne est même devenue maire. Ce sentiment de faire de la politique autrement, ils l'ont fortement. Certains ont demandé la réduction des indemnités des élus, l'argument des Gilets jaunes, mais globalement aujourd'hui il ne se voient pas en opposition frontale aux élus. Cela dépend beaucoup de ce que feront élus de leurs propositions.

Si demain Emmanuel Macron ne tient pas son engagement, qu'il n'y a pas de référendum, ou que les élus modifient toutes leurs lois, je pense que la défiance peut au contraire augmenter fortement.

La Convention n’est-elle pas nourrie par le mythe actuel « d'un citoyen pur » qui serait plus à même d'accéder à l'intérêt général que les élus ? En quoi le mode délibératif évite-t-il cet écueil ?

Je trouve absurde d'opposer les deux légitimités. La démocratie représentative va très mal parce qu'elle a refusé de se mettre à jour. Aujourd'hui la population française a un niveau de diplôme et d'éducation beaucoup plus élevé qu'a l'époque où elle a été mise en place. Les citoyens ont pris l'habitude par les réseaux sociaux, la télévision, d'avoir un niveau d'information plus important, et aussi de pouvoir participer. Il y avait une époque où l'on avait une chaîne de télévision et on devait écouter De Gaulle. Aujourd'hui dans les médias sociaux, les hommes politiques s'expriment et juste après il y a des réactions sur la manière dont cela est perçu. C'est un aller-retour que la démocratie représentative n'intègre pas encore suffisamment dans ses fondamentaux. Nos élus ne sont pas « toutes de mauvaises personnes ou tous pourris » comme on le dit parfois pour les diaboliser. Mais vous ne trouvez pas que c’est trop facile ?

Il me semble qu’aujourd’hui, au-delà des hommes, ce sont certaines règles du jeu qu’il faut changer. L'enjeu est d'arriver à changer certaines règles pour que les citoyens se sentent écoutés, reconnus et aient l'impression d'avoir une prise sur les décisions politiques.

Les assemblées tirées au sort comme la Convention sont un outil pour le faire. Et c'est pour cela que je suis pour les processus de délibération. Les processus de consultation citoyennes sont largement insuffisants. Je souhaite profondément que l'on sorte de ce que j’appelle la “démocratie sondage”. Les consultations doivent être les premières étapes qui doivent se poursuivre par un processus de délibération. La démocratie c'est déjà la délibération au parlement avec nos représentants élus, mais que nous n'avons plus au niveau citoyen. Je rêverais que demain cela soit presque une obligation. Un peu comme avec les jurés d'assise tirés au sort. Cela éviterait certains biais dont on a parlé au début. L'idée est qu'une fois au moins dans sa vie on puisse passer dans une assemblée de ce type-là et que l'on vive la démocratie délibérative, la démocratie réelle, dans sa chair et dans son corps. Pour moi c'est très différent que de croire, que par nature le citoyen a forcément plus raison que l'élu.

La Convention ressemble nettement à un tour de chauffe pour un nouveau modèle démocratique intégrant davantage ce processus délibératif. Comment voyez-vous l'évolution de notre modèle démocratique ?

Je n'ai pas de réponse sur l'avenir de la démocratie mais j'aimerais que la prochaine Convention se tienne sur la question du renouveau démocratique. Si nous n'osons pas nous poser la question maintenant, nous allons comme beaucoup d'autres pays, y compris Occidentaux, sombrer dans le populisme. Je pense que c'est quelque chose qui est à décider à l'échelle de la société.

L'un des éléments qui me parle beaucoup et permet de mettre le citoyen à une place plus centrale dans un processus délibératif et en même temps d'avoir les enjeux du long terme et du vivant présent, est de décider d'avoir une troisième ou quatrième Assemblée.

Elle serait composée de citoyens tirés au sort, nourris par des experts, des corps intermédiaires, et aurait un pouvoir d'initiative, comme l'ont les parlementaires, mais aussi de droit de véto suspensif, afin de pouvoir renvoyer à l'Assemblée nationale et au Sénat les propositions qui ne seraient pas respectueuses de l’environnement. Ce serait la brique manquante à l'échelle nationale, comme à l'échelle locale d’ailleurs. J'aurais donc très envie qu'une Convention citoyenne soit organisée sur le renouveau démocratique. Ce serait une sorte de Constituante.

Convention citoyenne pour le Climat
La Convention citoyenne pour le Climat s'est déroulée au siège du Conseil économique, social et environnemental (Cese), au Palais d'Iéna, à Paris.
©Katrin Baumann / Convention citoyenne pour le climat

Des citoyens non élus ayant un droit de véto sur des lois, cela ressemble à un mandat impératif, actuellement interdit par la Constitution. Pensez-vous qu'il faille aller dans cette direction ?

Non je ne crois pas. Je pense en revanche qu’il faut des mécanismes pour que les citoyens aient plus de prises sur les décisions politiques entre deux élections. Le mandat impératif n'est pas l'alpha et l'oméga de l'amélioration de notre démocratie. Je crois beaucoup plus à des éléments qui viennent compléter la représentation, afin que des citoyens participent à la vie démocratique, la comprennent et la vivent. Je suis plus sur cette ligne-là aujourd'hui. Mais encore une fois, je pense que ce sont des éléments, que les Gilets jaunes ont mis sur la table, en formulant une volonté de démocratie directe, qui mérite débat. Je suis pour un RIC délibératif par exemple. Pierre Rosanvallon dans son dernier livre dit bien qu'il y a un besoin de mise à jour de notre démocratie, sans forcément parler de mandat impératif. Je pense que ce qu'expriment les Gilets jaunes est une envie de « plus de démocratie ». Cette envie est extrêmement forte dans la société, d'autant plus, pour les catégories mal représentées à l'Assemblée nationale. Il y a un seul parlementaire de la classe ouvrière alors qu'ils sont 20% dans la population française. Alors évidemment il y a un problème. Ils n'ont pas de prise, ne se sentent pas écoutés. Et quand ils vont manifester dans la rue, c'est leur moyen de faire de la politique. En retour, ils se font gazer. Il faut donc sortir de cette idée que la démocratie se réduirait à la simple élection. J'aurais énormément de plaisir à discuter dans une Assemblée avec des Gilets jaunes favorables à un mandat impératif et avec des personnes vent debout contre cela. Cela mérite un vrai débat de savoir ce qui se cache au fond de cette demande-là. La bonne nouvelle c’est que cela dénote une envie de plus de démocratie, mais une démocratie différente de celle que nous vivons aujourd’hui.

 

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