Rencontres nationales de la participation : Et si la transformation des institutions démocratiques et de l’école étaient indissociables ?

Rencontres nationales de la participation citoyenne
La 4e édition des Rencontres nationales de la participation ont eu lieu du 19 au 21 octobre à Mulhouse avec pour fil conducteur « La démocratie bousculée », l'occasion de dresser un bilan de la culture participative, de ses impacts et ses limites, en pleine crise sanitaire.
©Catherine Kohler - Décider ensemble
Le 13 novembre 2020

Les quatrièmes Rencontres nationales de la participation ont eu lieu du 19 au 21 octobre à Mulhouse. Elles étaient organisées par l'Association Décider Ensemble, l'Agence de la participation citoyenne de la ville de Mulhouse et la Région Grand-Est autour d’experts, personnalités politiques et acteurs du champ de la participation en France.

 

En pleine crise sanitaire, sociale et démocratique, la tonalité de ces rencontres, placées sous le thème de « La démocratie bousculée », s'est apparentée à un moment de bilan de la culture participative, de ses impacts, ses limites et perspectives politiques et méthodologiques. Retour sur les principaux échanges de ces rencontres et pistes de réflexions.

La démocratie représentative face la vague participative

Malgré les mesures sanitaires, une centaine de personnes a pu assister physiquement à ces rencontres et quelques dizaines par l’intermédiaire des réseaux sociaux. Le menu était copieux, avec de nombreux ateliers, visites, moments créatifs comme une comédie musicale proposée par les agents de Mulhouse, et une série de débats inspirants. Ils ont porté sur le bilan des concertations citoyennes autour du « monde d’après », la crise sanitaire, la transition écologique, la « démocratie bousculée », l’inclusion numérique. Y sont intervenues des personnalités telles que Chantal Jouanno directrice de la CNDP, Bertrand Pancher, député et président de l’Association Décider ensemble, Armel Le Coz, cofondateur de Démocratie ouverte, le chercheur en science politique et animateur du GIS Démocratie et Participation Loïc Blondiaux, mais encore Eric Piolle, maire de Grenoble, et Laurence Tubiana, directrice de la Fondation Européenne pour le Climat (ECF).

Plusieurs interventions ont été l’occasion de témoigner de la demande participative.

Peguy Bourdin de la Métropole Européenne de Lille (MEL) explique qu’une enquête menée entre mai et août sur la gouvernance après la Covid a permis de faire apparaître que 92 % des sondés expriment une envie de changement, avec des demandes de transparence, de clarté des outils, de référendums locaux notamment.

Chantal Jouano apporte des éléments positifs sur la participation, en signalant que 152 procédures participatives ont été engagées l’année passée par la CNDP et que le nombre de saisines a été multiplié par sept en trois ans. En ce qui concerne la participation « Nous n’avons aucun problème de remplissage des salles » explique-t-elle. « On arrive à débattre de sujets très conflictuels. Honnêtement c’est génial ce que l’on voit sur le terrain, en terme de démarches portées par des acteurs, des associations, des entreprises. Il y a donc une appétence qui est énorme ».

Lorsqu’on interroge Eric Piolle, le maire de Grenoble, à propos des effets bénéfiques de la participation constatés sur le terrain, il répond que les processus participatifs volontaristes permettent une meilleure coproduction du trinôme constitué des élus, des services et citoyens et produisent des résultats durables. « Dix mois consacrés à la concertation sur l’implantation des écoles nous a fait gagner du temps » explique-t-il.

Pour Loïc Blondiaux, chercheur en science politique « La vague participative existe. Elle est d’une ampleur inconnue jusqu’à présent dans un pays comme la France (...) Beaucoup de gens font le constat qu’il faut changer de mode de gouvernance (…) Et puis, on a les élections municipales avec des listes qui se sont converties à la participation ».

Le ressac démocratique ou les obstacles actuels de la participation   

Si la Convention citoyenne pour le climat est présentée comme le modèle actuel de démocratie délibérative, au fil des échanges diverses limites et obstacles au développement de cette culture, apparaissent. Armel Le Coz évoque la démarche de concertation citoyenne Nous les premiers lancée par Démocratie ouverte autour du « monde d’après ». Les centaines de témoignages ont été remontés au gouvernement afin d’être pris en compte notamment dans le plan de relance, mais sont laissés lettre morte à ce jour. « Pour moi, il y a une déception, car on sent bien que ce n’est pas dans le logiciel des instances nationales d’intégrer ce genre de consultation. Il n’y a pas encore d’intégration de cela dans le cycle de la loi » explique Armel Le Coz. La résonance de ces actions auprès du grand public reste limitée. Le coordinateur de Démocratie Ouverte propose de travailler plus en amont avec les journalistes. « Ce sont des choses abstraites. On est en dehors des clivages de partis politiques. La société civile propose une méthode de transformation, ce n’est pas facile à raconter ».

Plus profondément, le défi de la prise en compte des expressions de citoyens, appelé « redevabilité » va traverser plusieurs débats. L’organisation des Grands débats consécutifs à l’émergence du mouvement des Gilets jaunes en 2019 est un exemple flagrant de déficit collectif sur « l’art de rendre compte ».

Pour Bertrand Pancher, Président de Décider ensemble « Il faut dire les choses concernant le Grand débat (…) il y a une déception. J’ai expliqué qu’il fallait faire remonter et ensuite traiter, pour aboutir à des processus de décision. On a consulté, mais qu’est-ce que l’on a fait de tout cela ? Bien peu de personnes peuvent le dire ».

Une intervenante dans le public estime que si des réponses à court terme ne sont pas apportées aux propositions de la Convention citoyenne pour le climat « tout est fini pour la démocratie participative ». Pour Chantal Jouano « La participation fonctionne si vous avez la certitude que le décideur va prendre en compte et va vous répondre ». En s’appuyant sur les méthodes de la CNDP, elle explique que le décideur doit expliquer pourquoi il refuse une proposition, « le non est une méthode de reddition des comptes ». Aussi à ce stade, « Ce n’est pas la participation qui est malade, c’est le politique ».

En dehors de l’expérience d’une urgence sanitaire contraire à toutes les règles de la co-construction, d’autres signaux envoyés par l’État soulèvent au gré des débats le scepticisme de certains acteurs. La loi ASAP est évoquée, (Accélération et Simplification de l’Action Publique) qui permettrait à terme et sous prétexte de simplification, le contournement de l’enquête publique de terrain. Bertrand Pancher exprime des réserves concernant une réforme pas assez volontariste du CESE (Conseil Économique Social et Environnemental), chargé d’engager des débats avec la société civile et de transmettre au parlement. « Il faut que le CESE soit une chambre qui contrôle les processus de décision, qui explique au législateur l’analyse des textes. Si le travail n’est pas bien fait, on censure. Ce n’est pas aberrant. C’est ce qui se passe dans d’autres pays ».

Une limite endogène à la culture participative revient sans cesse. Ce sont les fameux TLM (Toujours les Mêmes), ces communautés d’acteurs émergeant sur un territoire et figeant en quelque sorte la participation. Pour Julien Talpin, chercheur et membre du GIS « Évidemment que l’on a besoin des TLM. Ce que l'on dit c'est que les autres ne sont pas là ». La question de représentativité des consultations ainsi que des méthodes employées par les collectivités et prestataires est posée. On s’accorde à dire que le numérique ne suffit pas et qu’il faut aller chercher les citoyens là où ils sont, mais le phénomène participatif est encore loin d’être massif. La question de l’approche souvent « individualisante » de la participation est aussi soulevée, et mise en regard avec l’affaiblissement des corps intermédiaires, des syndicats, mais encore la trop grande inféodation des associations aux collectivités publiques. Manque d’intérêt ou manque de volonté ? En attendant Chantal Jouano, diplômée de l’ENA rappelle qu’aucune formation à la participation n’y est dispensée à ce jour.

Une jeune femme prend la parole pour aborder la question de l’école : « J'étais au collège et au lycée, il y a 10 ans et je me demande pourquoi on ne nous a jamais enseigné tout ce qui est la démocratie participative (…) On ne nous a pas montré que l'on était légitimes ». Elle explique qu’à défaut de repères, ce qui fait désormais référence pour sa génération « Ce sont les Gilets jaunes, les mouvements violents, la désobéissance civile », et s’interroge sur la manière de faire évoluer l’instruction civique à l’école. Pour le chercheur Loic Blondiaux « L'éducation est la mère de toutes les batailles (…) Je rejoins Chantal Jouano sur l'éducation à l'argumentation, à la controverse, l'apprentissage de l'écoute...il y a quelque chose qui manque dans nos pédagogies (…) Il y a aussi l'éducation par l'expérience (…) il faut permettre aux enseignants de construire, de faire, d'expérimenter leurs savoirs. Cela changera les choses ».

Le mouvement participatif actuel et ses ambitions politiques

Au-delà des potentiels et des limites de la culture démocratique, et sans doute pour en tirer les conséquences, le mouvement participatif actuel laisse apparaître de plus en plus clairement son propre « projet politique ». Le chercheur Julien Talpin se dit favorable au RIC (Référendum d’Initiative Citoyenne) défendu notamment par les Gilets jaunes, qui tend à l’instauration d’un mandat de type impératif. « Je pense qu’il faut faire démocratie directe » et « partager le pouvoir ». Julien Talpin rappelle notamment que le vote du Traité constitutionnel européen aura joué un rôle éminent dans la délégitimation des élites politiques.

Armel Le Coz de l’association Démocratie ouverte défend l’idée d’un autre type de contre-pouvoir. « Le scénario que l'on a commencé à détailler est un modèle dans lequel on vient ajouter à la légitimité de la démocratie représentative, qu'on ne remet pas en cause (…) une légitimité de la démocratie délibérative, de construction ». Il explique qu’à travers le tirage au sort « On va chercher une diversité de citoyens qui n’est pas la même qu'à l'Assemblée nationale, où il y a des inégalités fortes entre le nombre de cadres versus ouvriers, de femmes versus hommes. Cela permet de palier à cela, d'avoir des gens qui partent de nulle part. Ce que l’on propose est que ce que type de dispositif soit rattaché à la construction de la loi ». La chambre citoyenne pourrait ainsi « bloquer le processus et dire aux parlementaires : revoyez votre copie, car ça va pas dans le bon sens (...) ». Dans cette idée, le référendum pourrait être déclenché par le processus délibératif.

Bertrand Pancher défend pour sa part l’idée d’un renforcement du pouvoir législatif, avec une proportionnelle « la plus large possible » à l’Assemblée nationale, qu’il voit à ce jour comme « Une machine à créer de la bêtise collective ».

Une révolution girondine est ensuite nécessaire, à travers de nouveaux actes de décentralisation, car il n'est « pas normal d'avoir des élus avec des pouvoirs si dilués ». Il croît enfin au développement des référendums à choix multiples, initiés par des pétitions en amont.

Loïc Blondiaux se rallie davantage à l'hypothèse d'une Assemblée citoyenne tirée au sort. « J'ai plus de craintes quant à la possibilité d'imaginer une révolution comme la conçoit Bertrand Pancher. N'oublions pas que ceux qui peuvent mener cette révolution sont au pouvoir. Le Sénat ne me paraît pas être un lieu où l'idée même de participation fasse l'unanimité. Je ne pense pas qu'on puisse faire sauter le verrou, sauf alternance politique ».

La transformation démocratique pourra-t-elle se faire sans l'école ?

Le mouvement participatif actuel est orienté autour de l’idéal d’un plus grand partage de la décision et du « pouvoir » politique entre les « élites » et le « peuple ». Malgré le volontarisme affiché de nombreux élus, le phénomène culturel et historique de « captation politique et administrative » de la puissance publique et en regard « du décrochage et de distanciation civique » d’un grand nombre de citoyens, sera sans doute peu contesté. On peut se demander en attendant si le projet politique consistant à faire monter en puissance une nouvelle « classe citoyenne », choisie parmi des électeurs supposés « sans mandats et sans pouvoir », ne fait pas trop tôt vite l’impasse sur les conditions mêmes de renforcement de l’action publique face aux défis de société. Car il est frappant de constater que nombre de consultations territoriales aboutissent aux mêmes inventaires d’attentes depuis des années : lisibilité, transparence, meilleure prise en compte, co-décision, résultats ; comme si la culture de la participation, à force d’exister comme la principale réponse au déficit de la représentation, finissait par tourner sur elle-même, en devenant son propre objet, son argumentaire principal.

Pour sortir du risque de cette boucle ou tautologique participative, ne faudrait-il pas s’atteler à construire une culture publique et politique fondée sur un meilleur « entendement commun » des enjeux locaux et sociétaux, à mieux comprendre les rôles possibles de chacun dans son contexte, à partager les expériences et découvertes au-delà des territoires et des temporalités, à se fixer pour objectif de repartir d’un peu plus loin après chaque étape d’exploration, et à requestionner l’esprit de continuité de l’action publique ? Il s’agit d’une action sur les origines même de la « culture » civique et politique. Or pourra-t-elle se faire sans l’expérimentation à l’école, et par les premiers concernés, d’un apprentissage civique de nouvelle génération ?

De là, ces rencontres peuvent inspirer une réflexion quelque peu disruptive au regard des discours actuels  : et si, pour prévenir un éventuel échec d'un mouvement démocratique bien plus ouvert et efficient, il fallait considérer que « les batailles de l’école » et de la transformation des institutions politiques, étaient en réalité indissociables ? Et si en définitive, l'une ne pouvait pas aller sans l'autre ?

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