Yvan Lubraneski : « Les citoyens doivent rester maîtres de leur destin »

©Daniel Brochier
Le 25 juillet 2019

Yvan Lubraneski est maire de la commune des Molières (Essonne). Sur ce territoire rural, de moins de 2 000 habitants, il a développé de nombreuses méthodes favorisant la participation citoyenne. Une initiative reconnue et qui a des résultats très concrets. Membre d’aucun parti politique, il est à l’origine de la plateforme descommunesetdescitoyens.fr qui, autour de la naissance de projets, souhaite favoriser l’engagement des citoyens dans la campagne municipale de 2020. Il est également co-auteur du livre du même nom Des communes et des citoyens #ENGAGEZVOUS1. L’Association des maires ruraux de France lui a également confié la Commission nationale « Démocratie ». Nous sommes allés à sa rencontre dans son village des Molières pour le faire réagir à l'actualité des derniers mois.

1 – La transformation du CESE en Conseil de la participation citoyenne

Quelle réaction avez-vous eu suite à la conférence de presse, donnée par Emmanuel Macron, le 25 avril 2019, à l’issue du Grand débat national, notamment la transformation du Conseil économique, sociale et environnementale (CESE) en conseil de la participation citoyenne en intégrant 150 citoyens tirés au sort ?

Sur l’aspect démocratique, ce discours a été particulièrement décevant. À plusieurs titres. Si on commence par le positif, nous avons été plusieurs à demander qu’une partie des membres du Conseil économique, social et environnemental (CESE) soit tirée au sort. C’est revenu dans les propositions d’Emmanuel Macron, ce qui a été une satisfaction. Mais nous nous apercevons que le groupe tiré au sort est susceptible d’être à part. C’est dommage car nous souhaitions installer cette démarche dans la durée et sur l’ensemble des thèmes analysés par le CESE. Pas uniquement sur une mission spécifique sur la transition écologique. Il y en a déjà eu de nombreuses sur ce thème et nous avons même eu un ministre, Nicolas Hulot, qui a démissionné. Les professionnels et les experts ont eu l’occasion de s’exprimer sur les mesures à prendre. Mais derrière, il a manqué les faits. Il faudrait réellement instaurer une chambre civile avec une partie des personnes qui viendraient d’horizons très différents grâce à un tirage au sort. Cela compléterait la société civile composée des syndicats (salariés et patrons) et de diverses associations.

Sur l’aspect démocratique, le discours lors de la conférence de presse, donnée par Emmanuel Macron, le 25 avril 2019, à l’issue du Grand débat national, a été particulièrement décevant.

Je pense donc que nous avons ici une proposition qui semble plutôt relever d’un coup de communication que d’une trajectoire durable. Il aurait vraiment fallu instaurer une révision des statuts du CESE en incorporant un tiers de citoyens tirés au sort à qui nous donnerions les moyens de travailler. C’est la même chose que ce que nous faisons dans le cadre d’un jury de cours d’assise. Pendant le Grand débat national, j’ai été très attentif à ce qu’il se passait. Quand les citoyens ont été convoqués pour les conférences régionales, ils étaient tirés au sort. Neuf sur dix ont décliné l’invitation. Pourquoi ? Car aucun moyen n’était mis en œuvre pour qu’ils puissent venir. Sur le plan local, quand vous faites un exercice de participation citoyenne, il est certain que si vous convoquez les gens toujours à la même heure, vous avez toujours les mêmes. Il faut donner les moyens aux gens de participer. Cette volonté, je ne l’ai pas observée par des actes concrets de la part du Gouvernement. Pour l’instant, ce sont des coups de communication.

2 – La démocratie participative à l’épreuve du pouvoir

En dehors du CESE, les annonces sont-elles à la hauteur ?

Au-delà des décisions du CESE, il fallait également aller plus loin. Si on prend la réduction du nombre de parlementaires, je trouve que c’est une déception beaucoup plus grave. Quand on fait vivre la démocratie localement, et notre livre, Des communes et des citoyens #ENGAGEZVOUS, le montre bien, on sait bien qu’il y a un paramètre irremplaçable : le nombre. Diminuer le nombre, c’est faire baisser la démocratie. Il n’y a rien à faire. La démocratie coopérative comme nous l’appelons fait appel à la co-construction avec les citoyens. Nous ne disons pas que la représentation n’a plus de sens. Bien au contraire. Nous voulons juste lui donner du sens. La légitimité d’un élu ne vient pas de l’élection ou du jugement qui sera fait de son action cinq ou six ans plus tard. Elle provient de la capacité à prendre des décisions en coopération avec les habitants durant l’ensemble du mandat. Je parle bien des décisions qui ont un impact sérieux sur leur vie.

3 – La méthode du Grand débat national

Vous pensez qu’il y a eu un problème de compréhension de cette problématique chez Emmanuel Macron ?

Au minimum un problème d’écoute. Il a considéré qu’il y avait un besoin de débat et il a voulu écouter tout le monde. Mais le résultat, c’est qu’Emmanuel Macron et ses équipes font quand même ce qui les intéressait au départ. C’est le cas, par exemple, avec la réduction du nombre de parlementaires. Si je fais le parallèle avec les comités consultatifs que nous avons créés dans mon village : nous avons 200 personnes qui participent à travers cet outil à la vie de notre territoire. Sur 2 000, c’est 10 %. Il est bien évident qu’il ne faut pas une telle proportion au parlement. Mais, s’il faut retravailler le rôle, il ne faut pas réétudier les circonscriptions. La répartition sur le territoire français permet aux députés d’aller à la rencontre des habitants. Que ce soit, avec les outils numériques ou dans le cadre de réunions publiques. À l’occasion d’une réforme constitutionnelle, pourquoi ne pas regarder le fonctionnement global du parlement ? En regardant le Sénat, qui m’intéresse particulièrement, on peut voir que les sénateurs sont élus par une petite portion des conseillers municipaux. Les listes présentées lors de ces élections sont validées par des partis politiques. Et c’est un véritable problème. Cela favorise les élus qui passent du temps à courir les couloirs des « lieux où il faut être » plutôt que leur territoire. Pour résumer même si cela pourra en blesser quelques-uns : il y a de très belles exceptions mais nous envoyons au Sénat les pires d’entre-nous. Ceux qui ont échoué sur leur territoire mais qui viennent, à l’échelle nationale, expliquer ce qu’il faut faire. Si on veut avancer et régler le problème de la fracture territoriale qui s’est révélée lors de la crise des Gilets jaunes, nous devons agir là-dessus. Il faut concerner l’ensemble des conseillers municipaux pour avoir une base plus large et plus indépendante des partis politiques. Il faut marteler que notre République est portée par 90 % d’élus locaux qui sont sans étiquette. Le cirque que nous voyons à la télévision, c’est 5 à 10 % du personnel politique pendant que la France est portée à bout de bras par des gens (quasi) bénévoles sur le terrain.

4 – Le rapprochement entre élus et citoyens

Cela permettra de résoudre un problème qui est très cité dans l’actualité ces derniers mois de la déconnexion entre les élus et les citoyens ?

Nous voyons la progression de la démocratie sur notre commune. Elle vient d’un plus grand nombre de personnes impliquées. Tout le monde ne le devient pas. Mais chacun a un rôle ou sait qu’il peut en avoir un. Cela redonne confiance ! Et cela crée un consentement. Plus les gens sont impliqués, plus ils apprennent les freins et les faiblesses. Cela permet de mieux comprendre les difficultés des communes ou de mieux se saisir de certaines problématiques. Et quand on est nombreux, on peut aboutir à de meilleures décisions car on est plusieurs à réfléchir ! La base d’une démocratie réelle, c’est le nombre. La réforme constitutionnelle doit permettre aux députés de réfléchir à leurs va-et-vient en circonscriptions pour pouvoir y mener une démocratie plus continue. Un exemple tout simple : est-ce que vous avez déjà vu un député passer une semaine dans l’hôpital de son territoire avant de voter une loi sur la santé la semaine d’après ? C’est dommage car il y a des choses à voir et des gens à rencontrer. C’est un changement de culture très important qui concerne les élus mais aussi les habitants. La légitimité s’acquiert durant tout le mandat et non le jour de l’élection. Un autre point important se situe sur la durée des mandats. Durant le Grand débat, il y a eu des propositions de remettre le mandat présidentiel sur sept ans pour qu’il puisse s’inscrire dans la durée. Mais dans ce cas, il faut mettre les mandats des parlementaires sur quatre ans. On pourrait s’assurer que le président donne un cap et s’inscrit dans la durée mais il doit revisiter la façon dont le peuple l’accompagne pendant ce mandat. Tout cela, ce sont des projets dont notre président, Emmanuel Macron, n’a pas su se saisir et c’est bien dommage. J’ai l’impression que cette réforme constitutionnelle sera plutôt une nouvelle diminution démocratique plutôt qu’une amélioration de la constitution.

5 – Le rôle des partis politiques

Par rapport à ce que vous dîtes sur les partis politiques, vous pensez qu’ils ont pollué les enjeux liés aux élections européennes ? Les partis politiques ont-ils du mal aujourd’hui à faire remonter les idées des citoyens ?

Oui. Simone Weil, la philosophe, disait que « dans les parlements des pays occidentaux, le seul fait qu’il y ait la possibilité de créer des groupes politiques était un danger pour la démocratie ». Elle a tout dit avec cette phrase. Je ne remets pas personnellement en cause les partis politiques. Nous en avons besoin pour participer à organiser la vie politique. Ils doivent être des laboratoires et des lieux d’échanges entre des citoyens qui se retrouvent autour de valeurs communes. Moi, je ne suis plus dans aucun parti car je trouve qu’ils remplissent mal ce rôle. Ils sont concentrés sur d’autres objectifs pernicieux. Ma vision de l’élu c’est une personne qui a le soutien des citoyens pas celui de son parti politique. Les partis politiques sont concentrés sur le partage du pouvoir en surjouant des différences qui ne sont pas si sérieuses que ça.

On sait bien qu’il y a un paramètre irremplaçable : le nombre. Diminuer le nombre, c’est faire baisser la démocratie. Il n’y a rien à faire. La démocratie coopérative comme nous l’appelons fait appel à la co-construction avec les citoyens.

Tout n’est pas noir. Nous avons quand même la construction de nombreuses lois. Je crois que le Gouvernement se tourne vers les territoires car il a compris que les élus locaux sont importants. Un président, on peut l’aimer ou le détester le lendemain. Un maire, c’est autre chose, on vit avec lui. On apprend à vivre avec lui. Et même pour ceux qui ont le plus de volonté, on peut exécuter le pouvoir avec lui. Les élus locaux sont le ciment qui fait notre république. Quand on regarde les territoires, on en a 95 % des élus qui sont à la disposition de leurs concitoyens. Ce sont eux, par exemple, qui font avancer la transition écologique, le zéro déchet et des tas d’autres domaines. Il serait intéressant de remettre en cause le rôle du groupe politique. Les députés qui ne font pas partis d’un groupe n’ont parfois même pas la parole. Ce n’est plus possible. Il y a un décalage. 95 % des élus de France sont sans étiquette et à l’Assemblée nationale 95 % des élus en ont une. Ce n’est pas représentatif.

6 – Les élections municipales 2020

Démocratiquement, nous allons rentrer, avec les municipales de 2020, dans des mois très intenses… Ces élections vont-elles faire ressortir les différences ou permettre à vos idées de s’imposer ?

La première observation intéressante, c’est que certains groupes, comme La France insoumise et En marche, utilisent un vocabulaire de la participation. Chez Jean-Luc Mélenchon, par exemple, la plupart des listes qui vont se constituer vont s’appeler avec le nom de la ville et « en commun ». Cela fait appel à un « tous ensemble ». Mais c’est la France insoumise qui pilote. Si vous n’êtes pas d’accord avec eux, vous allez voir ailleurs. De la même façon, et cela commence déjà à émerger, il va y avoir des listes pro-Macron qui vont afficher une « démarche participative ». Mais c’est impossible d’en avoir une si vous avez un pilote politique au-dessus de vous. C’est ce que nous revendiquons dans notre ouvrage2. Il faut une démarche où le parti politique est à mettre sur le même plan que la religion. La religion amène un grand nombre de valeurs. Sur quelques sujets, ces valeurs peuvent être intéressantes. Pourquoi pas. Mais je considère que, comme le fait de pratiquer une religion, l’appartenance à un parti politique ou un mouvement d’idées doit rester au vestiaire quand on s’occupe des affaires municipales. Chacun vient avec ses valeurs. Mais le groupe va déterminer ce que l’on peut faire ensemble. Ce qui fait consensus dans le bon sens du terme. C’est-à-dire ce qui permet de créer une majorité.

Chez nous, nous cherchons une majorité sur les projets et pas sur la couleur politique. On ne peut pas applaudir tout ce qui est fait par une personne car elle provient du même parti politique. Le vrai sujet, c’est une extension du domaine de laïcité au domaine municipal en mettant l’opinion politique au même niveau que l’opinion religieuse. Si vous décidez de co-construire un projet à l’échelle d’une commune, il faut mettre de côté les individualités. Pas les valeurs. Il y a quelque chose de nouveau qui se joue. Ce qui est dans la loi, on le respecte. Ce qui n’y est pas, on l’invente. Il y a de nombreuses choses que l’on peut faire si on sort de la gestion quotidienne. Cela demande beaucoup d’investissements mais cela en vaut la peine. La loi NOTRe a exacerbé les rivalités entre les élus alors qu’elle aurait dû nous pousser vers une meilleure collaboration. Les personnes doivent être élues sur des projets et non des rapports de force. Je pense que nous allons gagner du terrain pendant ces élections municipales. Nous sommes en train de nous battre pour y arriver. Nous avons dans notre démarche le soutien de l’Association des maires ruraux de France. Une motion a été votée à l’unanimité lors de la dernière grande réunion pour dire que l’on est d’accord sur le fait qu’il faut mettre de côté les démarches politiques pour avancer. Nous oublions parfois que nous avons de la chance. Je m’en aperçois à chaque fois que je reçois une délégation chinoise. Leurs représentants locaux sont nommés par le Gouvernement. Ils administrent un territoire et ont un droit de vie et de mort sur les citoyens. Ici, nous sommes en démocratie car nous avons une libre administration des communes par les citoyens. C’est intéressant. Le rendez-vous de 2020 sera donc important.

7 – La formation des élus

Y a-t-il besoin de plus de formations pour les élus ?

Il y a déjà de nombreuses choses qui ont été faites dans ce domaine. C’est le rôle des associations d’élus d’agir là-dessus. Le conseiller municipal, les adjoints et les maires ont un droit individuel à la formation qui permet d’accéder à un certain nombre de formations dans l’année. Ce n’est pas forcément un réflexe. Il faut que cela le devienne. Aujourd’hui, l’enjeu, c’est plutôt qu’il ne faut pas se recroqueviller autour de gens qui seraient de prétendus experts. Ce souffle, qui nous dicte que le citoyen reste le maître à bord et que ce n’est pas l’administration qui décide de tout, doit rester présent. Les citoyens doivent rester maîtres de leur destin. Après certaines idées peuvent les aider. Sur notre site, par exemple, si deux citoyens d’une même ville font une demande pour se lancer dans une démarche de construction citoyenne nous les mettons en relation. Nous espérons donc qu’il y aura beaucoup plus de listes souhaitant renouveler le processus démocratique à l’échelle du territoire. Si cela n’aboutit pas sur le plan électoral, cela renforcera le tissu associatif. Car ce n’est pas parce qu’on n’est pas élu qu’on ne peut pas faire des choses. L’élection municipale est un moment majeur et un catalyseur de l’engagement sur un territoire.

8 – Les maisons France services

Sur un autre thème, l’annonce d’Emmanuel Macron des maisons France services en remplacement des maisons de services publics vous semble-t-elle une bonne idée ?

La question d’un guichet en proximité est évidemment toujours d’actualité, n’était-ce pas déjà un peu le rôle des communes ? L’idée est donc bonne, elle est le prolongement des MSAP, compétence dont peuvent s’emparer les intercommunalités. Cependant, nous serons attentifs à ce que l’État donne réellement des moyens et des effectifs pour assurer ces accueils en proximité. Nous pouvons craindre en effet qu’il soit plus confortable pour lui de laisser l’essentiel du poids de ces services à mettre en place, sur les épaules des EPCI… Tout cela mérite d’être rapidement clarifié, car les services de l’État ont commencé à nous interroger sur ces sujets.

9 – La transformation numérique des collectivités locales

Dans ce numéro d’Horizons publics, nous parlons beaucoup de transformation numérique des collectivités locales. Vers où doivent-elles se diriger selon vous ?

Pour les usagers, le numérique est la clé essentielle de la relocalisation d’activités en milieux ruraux et périurbains, c’est un élément essentiel des rééquilibres à mener dans les territoires, pour sortir d’une vision limitée aux métropoles, oubliant de nombreux territoires. L’usage de l’intelligence artificielle dans l’approche nouvelle que l’État peut avoir des services publics et de leur accessibilité, ainsi que du soutien qui peut être apporté aux territoires, est une nouvelle intéressante. Elle l’est cependant à une condition : sortir de la vision étriquée depuis trop longtemps, centrée sur le critère démographique. Ce dernier est un instantané qui ne veut rien dire et ne nous projette pas dans l’avenir. L’intelligence artificielle doit permettre de nous aider à apprécier d’autres critères : l’espace géographique, le dynamisme, les PLU, les SCoT, etc.

  1. Lubraneski Y., Lacroix F., Cueff D., Perdrix J. et Lamour A., Des communes et des citoyens #ENGAGEZVOUS, op. cit.
  2. Lubraneski Y., Lacroix F., Cueff D., Perdrix J. et Lamour A., Des communes et des citoyens #ENGAGEZVOUS, op. cit.
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