25 lieux qui changent l’innovation en France

25 lieux qui changent l'innovation en France
Le 27 octobre 2022

À l’heure du métavers, du télétravail et de l’intelligence artificielle, les lieux physiques pour innover sont-ils encore utiles ? Une étude publiée en juillet 2022, 25 lieux qui changent l’innovation en France (France urbaine, la Banque des territoires, le groupe Patriarche et JLM Conseil), explore cette question.

« A-t-on encore besoin du physique et de lieux pour se rassembler ? Quelles sont les fonctions de ce lieu ? Comment animer un écosystème ? Comment avoir un dispositif qui soit véritablement vertueux et générateur de projets ? » Des tentatives de réponse(s) ont été apportées lors de la conférence organisée au Hub des territoires, suivie de trois tables rondes, le mardi 12 juillet, visant à présenter le recueil 25 lieux qui changent l’innovation en France.

Un lieu d’exception

Le Hub des territoires – lieu donné pour la conférence composée de trois tables rondes – est situé dans le XIIIe arrondissement, en face du groupe Le Monde, dans le quartier Paris rive gauche, non loin de la Station F de Xavier Niel. Ce lieu est symbolique et chargé de significations. Pour rappel, le XIIIe arrondissement est un ancien quartier ouvrier et a été réaménagé notamment par l’architecte urbaniste Christian Devillers et plus particulièrement par l’architecte Patrick Céleste pour l’avenue Pierre Mendès-France. Comme le rappelle Blandine Calcio-Gaudino, responsable Pôle écosystème et développement de la Banque des territoires, dans le Hub des territoires lancé en mai 2021, « il y a cette dimension du lieu, totalement vitré qui donne sur les deux gares, la gare d’Austerlitz et la gare de Lyon, un lieu de passage […] et qui se veut être résolument ouvert vers l’externe ». Cet enjeu du bâti a été également souligné par cette dernière : « Il y a l’enjeu du bâti, l’enjeu du lieu en tant que tel, de l’architecture, du patrimoine. » Elle parle de « rôle(s) de lieu(x) de totem(s) au sein du territoire ». De plus, ce lieu a été mis en valeur dans la courte vidéo de présentation diffusée avant la conférence. Il est ainsi présenté comme « une maison conviviale, accueillante avec de nouvelles façons de faire, différentes, des méthodologies innovantes ».

Un recueil sur les lieux innovants en France

L’objectif de cette conférence était de présenter le recueil 25 lieux qui changent l’innovation en France. Cet ouvrage, qui vient compléter une précédente étude publiée en 2020, au début de la crise sanitaire, a été réalisé par le Hub des territoires, accompagné par France urbaine1, le groupe Patriarche2 ainsi que la société JLM Conseil.

En outre, « on assiste au développement de nombreux types de dispositifs […] : accélérateurs, tiers-lieux3, technopoles, hubs d’innovation, fablabs qui se multiplient et qui vont jouer un rôle déterminant », comme le souligne Blandine Calcio-Gaudino.

La démarche et la sélection

Tout d’abord, l’objectif de la Banque des territoires est d’« initier un débat sur le rôle, l’organisation, les services, les modèles d’exploitation, les modalités d’ancrage immobilier et territorial de ces lieux qui changent l’innovation en France ». Ensuite, son second objectif est de « partager de bonnes pratiques et des perspectives sur ces structures qui contribuent si activement à l’animation des écosystèmes territoriaux ».

L’« approche [de la Banque des territoires] a été d’identifier parmi plus de 300 lieux identifiés initialement, une sélection de 25 qui, par leur organisation, leur modèle, leur offre de services » se différencient des autres lieux. Par conséquent, comme l’indique le site Internet de ce recueil4, « cette sélection des 25 premiers lieux n’est qu’une première étape de la démarche qui a vocation à s’actualiser tous les deux ans ». Un seul tiers-lieu a été sélectionné en Île-de-France, la maison Raise·Lab, alors même qu’il y a une inflation de clusters dans le domaine des industries culturelles et créatives, comme nous l’avons déjà montré5.

Pour le dire plus directement, Jean-Louis Meynet indique qu’ils ont opté pour « un parti pris, [celui] non pas de faire un inventaire, un annuaire complémentaire au travail qui avait déjà été réalisé par la Banque des territoires, mais un parti de choix pour faire cette promotion, pour aller dans la machinerie, pour dialoguer avec les responsables de sites ».

Ont été retenus divers projets tels que la Cité de l’innovation et des savoirs Aix-Marseille (CISAM) à Marseille, H7 à Lyon, Bliiida à Metz, Darwin Eco-système à Bordeaux, Le Wip à Colombelles ou encore MoHo à Caen. Seuls quelques-uns ont été présentés à l’occasion de la conférence, comme KMØ à Mulhouse, le Louvre-Lens Vallée à Lens et le Laval Virtual Center à Laval.

Des lieux rénovés

Les lieux innovants recensés dans le recueil et exposés lors de la conférence présentent, pour la grande majorité d’entre eux, la caractéristique d’être des lieux d’exception, chargés d’une histoire atypique, parmi lesquels une ancienne ligne de chemin de fer, d’anciens ateliers de la Marine nationale, etc.

Une ancienne ligne de chemin de fer

Un catalyseur de projets selon son directeur général, Patrick Rein, ou une énorme « machine à café de 11 000 m2 », située à Mulhouse en Alsace. L’incubateur KMØ est implanté à l’intérieur d’une grande friche industrielle dans un édifice « tout-briques » typique pour une architecture atypique. Pour Patrick Rein, « KMØ, c’est un lieu de départ ». C’était la gare de la 3e ligne de chemin de fer (Mulhouse-Thann) construite en France en 1839 et ça a donné naissance à l’industrie ferroviaire française ». KMØ est un écosystème de 11 500 m2 dédié à la transformation digitale de l’industrie qui réunit les acteurs du territoire : entrepreneurs, étudiants et startupeurs, grosses entreprises industrielles, des incubateurs permettant de créer un environnement favorable à l’émergence de projets innovants. Depuis son ouverture en 2019, cette énorme « machine à café » est le lieu de rencontres, de partage et d’expérimentations dans lequel ces acteurs inventent l’avenir ensemble. KMØ propose un ensemble de services complet et diversifié pour les entrepreneurs (appui à la création de start-ups ; développement de produits via les nouvelles technologies ; accès aux formations numériques ; mises en relation industries – entreprises du numérique – étudiants – start-ups ; utilisation de laboratoires d’expérimentations ; un restaurant : le Pantographe, et des espaces dédiés à la détente et à la convivialité. Leur objectif est de « réduire à 0 la distance entre tous ses acteurs », mais également ils se revendiquent comme étant « le kilomètre 0 de ces start-ups ».

Des anciens ateliers de la Marine nationale et de Naval Group

Pour le directeur général des Ateliers des Capucins à Brest, Alain Lelièvre, ces ateliers « c’est la seule chose qui reste pratiquement après la guerre [à Brest] ». Pour lui, « c’est extrêmement important, et c’est un lieu de patrimoine, mais qui a pendant pratiquement deux siècles servi à construire des bâtiments de la Marine [soit] un lieu de production industrielle, très fermé, très réservé, [où] ne pouvaient accéder que les militaires ou les ouvriers d’État ». Dans les années 2000, la question du rachat de ces anciens ateliers se pose avec le déplacement des activités de Naval Group vers le site de Lannion. L’objectif est de « faire quelque chose » de ce bâtiment et « par effet d’essais, c’est devenu un grand lieu extrêmement hybride avec une place publique […], avec des services publics […], des espaces de coworking […] et des commerces implantés autour de la culture, autour de la restauration, et autour du sport et du ludique ».

Projet du Louvre-Lens Vallée depuis 2013

De l’initiative de la communauté d’agglomération de Lens-Liévin (CALL), ce cluster (ou incubateur) s’est installé au sein d’une ancienne école rénovée dès 2013. Le Louvre-Lens Vallée se veut être l’« outil de transformation du bassin minier ». Cette transformation avait d’ores et déjà été entamée par l’ouverture du musée Louvre-Lens en décembre 2012 ainsi que par l’inscription du bassin minier du Nord-Pas de Calais sur la liste des monuments du patrimoine mondial de l’UNESCO la même année.

Mais aussi une ancienne friche industrielle, une ancienne caserne.

Sans multiplier les exemples, le rapport cite d’autres lieux d’exceptions, tels qu’une ancienne friche industrielle pour Bliiida, un ancien atelier électrique de l’usine historique SMN (société métallurgique de Normandie) pour Le Wip, ou encore la rénovation d’une caserne pour Darwin. Ce dernier exemple est bien connu des Bordelais, qui réunit, selon le rapport, diverses activités : « skatepark, ferme urbaine, coworking, restauration, ateliers, magasins responsables, accueil de publics fragiles, lycée expérimental, activités culturelles ».

Vous avez dit « déterritorialisé » ? L’humain à l’ère du métavers

« Déterritorialisation » fut le mot clé de la conférence tenue par le Hub des territoires, bien que souvent mal prononcé par les invités.

« Aujourd’hui dans un monde de plus en plus dématérialisé, […] du métavers », Jean-Louis Meynet, fondateur de JLM Conseil, se demande « comment est-ce possible d’imaginer qu’on ait besoin de lieux physiques qui sont des lieux de rencontres, qui sont difficiles à construire […], difficiles à gérer, à rentabiliser et à organiser ». Il met en évidence qu’« il y a une essentialité dans la relation physique entre les gens et on découvre à la faveur du post-covid, qu’on a quand même besoin de cela ».

Cependant, le dématérialisé ou le métavers peuvent être utiles. En effet, l’association Laval Virtual a été contrainte d’annuler un évènement qui devait se tenir en physique en raison de la crise sanitaire. Comme le raconte Laurent Chrétien, « s’il y a bien un organisme dans le monde qui doit virtualiser totalement son évènement, c’est Laval Virtual ». Ils ont eu « plus de 6 000 avatars » lors dudit évènement.

Thibault Nugue, Managing Partner du groupe Patriarche (partenaire de l’étude et de l’évènement), synthétise les échanges des trois tables rondes en indiquant qu’« il y a eu beaucoup de témoignages qui montrent que les lieux physiques ne s’opposent pas à la déterritorialisation et au monde virtuel. On s’inscrit vraiment dans une complémentarité d’échanges. On a toujours besoin de lieux physiques […], et le virtuel […] les encourage à s’interconnecter entre eux » grâce à la déterritorialisation.

Une nécessaire collaboration avec les collectivités

Pour Jean-Louis Meynet, « ces lieux sont toujours et très fréquemment aussi des objets qui sont voulus, en tout cas en corrélation forte avec les collectivités ». Il ajoute que « la relation avec la collectivité est aussi un élément fondamental, voire même le lieu devient un élément de restructuration d’un site ». Pour cela, il s’appuie sur l’exemple des Ateliers des Capucins à Brest.

Cette corrélation se trouve également pour le projet MoHo situé à Caen. Pour son cofondateur, Nicolas Geray, MoHo, ils n’auraient « rien pu faire sans les collectivités, [ils n’ont] pas les poches profondes pour porter l’immobilier, [et ils se sont appuyés] sur la collectivité, qui elle-même a des intérêts […], avec de vrais enjeux pour la ville de Caen ». Un projet soutenu par la communauté urbaine Caen la mer et par la région Normandie.

Laurent Chrétien, directeur général de Laval Virtual, confirme les propos de Nicolas Geray en expliquant que « c’est effectivement grâce au soutien des collectivités [qu’ils ont] pu construire le Laval Virtual Center, c’est un projet public. Le Laval Virtual Center continue d’appartenir à l’agglomération de Laval ».

Dans ses propos conclusifs, Yann Guével, vice-président de Brest Métropole et de France Urbaine, relève que « les défis auxquels font face nos territoires […] font de l’innovation un impératif en constant renouvellement, depuis une vingtaine d’années et maintenant les politiques d’innovation, longtemps définies et déclinées à l’échelle européenne et nationale, ont été rejointes par des dispositifs et des outils qui sont proposés et accompagnés par nos collectivités locales ». Il montre, par ailleurs, que « la montée en puissance des régions, des intercommunalités comme pivot du développement économique territorial s’est traduite par leur implication constante […] dans les technopoles, les pôles de compétitivités, dans les clusters ».

« Nous croyons que le rôle des collectivités […] est de générer ou d’accompagner ces lieux qui permettent d’éviter une privatisation intégrale de l’innovation, parce que celle-ci […] relève clairement […] de l’intérêt public », estime-t-il.

Finalement, Yann Guével considère que « l’innovation ne peut pas s’organiser sur la base de frontières institutionnelles et de périmètres administratifs. C’est le sens de nos mains tenues, nous collectivités locales à l’État ».

Pour aller plus loin

 

  1. https://franceurbaine.org/
  2. https://www.patriarche.fr/
  3. Consulter sur ce sujet notre hors-série hiver 2022 : « Tiers-lieux : quand les pouvoirs publics s’en mêlent… »
  4. https://www.25lieuxinnovation.fr/la-demarche/
  5. Chemla S., « Les tiers-lieux de Seine-Saint-Denis en perpétuel mouvement », horizonspublics.fr 29 mars 2022.

 

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