Antoine Courmont : «Il est important que les villes puissent se doter de compétences pour maîtriser les données»

Le 3 octobre 2019

Antoine Courmont est responsable scientifique de la chaire Villes et numérique au Centre d’études européennes et de politique comparée de Sciences Po. Il vient de co-diriger, avec Patrick Le Galès, directeur de recherche au CNRS et doyen de l’École urbaine de Sciences Po, l’ouvrage collectif Gouverner la ville numérique.

Quel est le fil conducteur de votre livre ?

L’ouvrage porte sur la recomposition de la gouvernance urbaine à l’ère du numérique et des big data. Nous avons voulu examiner ce qui se passe sur le terrain, en Europe et dans le monde. Quelles sont les difficultés rencontrées par les villes face à l’arrivée des plateformes numériques ? Comment s’organisent-elles pour réguler ces nouveaux acteurs urbains ? Les institutions publiques sont, en effet, déstabilisées par le numérique, leur capacité de régulation est clairement défiée, mais elles disposent de moyens d’action. Depuis 2008, l’accumulation de données par les acteurs privés met à l’épreuve le pouvoir des institutions. Nous situons le changement en 2008 car c’est une année de convergence de ces transformations numérique et urbaine : l’apparition des smartphones, qui ont transformé nos pratiques urbaines, les premières smarter cities portées par IBM dans une logique marketing et le lancement des plateformes américaines Airbnb et Uber, sur fond de crise financière.

Comment les autorités publiques ont-elles réagi à cette nouvelle donne ?

Il n’y a pas de réponse unique. Ce qu’il faut retenir, c’est que les modes de régulation varient en fonction des choix politiques, des villes et des territoires. Il faut clairement distinguer l’usage de ces technologies numériques pour améliorer des services urbains (par exemple, l’utilisation de capteurs pour prévenir les fuites dans la voirie) et les difficultés par rapport aux nouvelles plateformes proposant de nouveaux usages aux citoyens tout en déstabilisant les acteurs déjà en place. Uber est, par exemple, très encadré dans plusieurs villes conduisant la plateforme à changer de posture et à être plus coopérative.

Quel rôle joue les données et les algorithmes dans la gouvernance urbaine ?

Il est important que les villes puissent se doter de compétences et d’expertises pour maîtriser les données, à l’exemple de la métropole de Lyon qui a su utiliser les données de transport pour améliorer sa politique de mobilité. Sur la question des algorithmes, l’article de Dominique Cardon et Maxime Crépel1 montrent bien que les algorithmes qui suivent un certain nombre de lignes de codes ont un caractère très procédural. Ils ne prennent pas en compte la réalité des territoires et peuvent conduire à des effets néfastes comme en témoigne le cas de Waze. Bilel Benbouzid2 montre également que les technologies prédictives utilisées par la police pour prédire les lieux et les types de délits servent plutôt à manager l’activité policière (meilleur suivi des tournées, par exemple). La ville numérique ne peut pas se réduire à la smart city et les actions individuelles contribuent à faire évoluer la gouvernance.

  1. Cardon D. et Crépel M., « Les algorithmes et la régulation des territoires », in Courmont A. et Le Galès P., Gouverner la ville numérique, 2019, PUF, coll. La vie des idées, p. 83-101.
  2. Benbouzib B., « La police prédictive : technologie gestionnaire de gouvernement », in Courmont A. et Le Galès P., Gouverner la ville numérique, 2019, PUF, coll. La vie des idées, p. 69-81.
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