Attractivité de la fonction publique, comment ça se passe dans les autres pays ?

Tour du monde des innovations RH
©Profil public
Le 2 août 2022

Dans un monde du travail requestionné, notamment avec des jeunes qui n’entendent pas se faire dicter leur manière de travailler, la fonction publique et son image poussiéreuse peuvent-elles tirer leur épingle du jeu ? Qu’est-ce qui fait réellement sens dans la tête d’un agent public ? La plateforme Profil public poursuit son exploration de ces questions et a publié en mai dernier une étude sur les pratiques RH dans le secteur public à l’international. L’herbe est-elle vraiment plus verte ailleurs ?

Se comparer peut être rassurant ou effrayant. Après la crise sanitaire, comment l’emploi public se porte-t-il ? Est-il à l’aube d’une nouvelle ère ? Porte-t-on sur lui un regard moins caricatural ? Sigrid Berger1 s’est lancée dans l’aventure entrepreneuriale en 2018 en créant Profil public, qui se définit comme « une plateforme à mi-chemin entre un site média pour explorer le secteur public et un site d’emploi pour aider [les visiteurs du site] à trouver un job au service de l’intérêt général ». Beau défi vertueux sur le papier, mais dans les faits cette plateforme très dynamique ne se contente pas d’auto-prophéties glorifiantes et préfère regarder les choses en face pour valoriser ce qu’il y a de meilleur. Elle propose régulièrement des études pour poser les jalons d’un secteur public renouvelé. Car à l’heure de l’après-covid-19, l’innovation dans le secteur public reste encore à inventer, tant les bonnes volontés se heurtent aux résistances managériales : le monde d’avant est de retour, parce qu’il rassure, mais aussi parce que l’audace, dans cette fonction publique si mécaniquement structurée, n’est pas payée en retour. La pertinence de Profil public se situe dans le fait qu’elle n’hésite pas à aller voir ce qui se passe ailleurs, dans l’optique de bousculer un regard très franco-centré sur ces questions-là. Ainsi, la dernière étude porte un intitulé éloquent : Attractivité du secteur public : quelles innovations RH à l’international ? « Nous en sommes persuadés, l’attractivité du service public est un défi international. Alors, en tant que plateforme d’emploi dédiée à l’attractivité RH du secteur public, nous avons réalisé une étude, Tour du monde des innovations RH, pour partir à la découverte des expérimentations internationales les plus audacieuses. Car développer sa marque employeur va bien au-delà d’un simple enjeu d’image : c’est également une question de transformation. Cette étude est articulée autour de quatre grandes thématiques RH : formation et concours, recrutement, mobilité, méthodes de travail », peut-on lire sur le site de Profil public.

Regarder ailleurs ce qu’il se passe…

Un webinaire de présentation de l’étude a été organisé juste avant sa publication. Sigrid Berger, Dónal Mulligan, analyste au sein de la direction de la gouvernance publique de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et Bastien Lapalud, consultant en transformation et gestion du changement en France et au Canada, ont ainsi successivement pris la parole. Sigrid Berger a d’abord expliqué les raisons qui ont poussé Profil public à se pencher sur ce sujet : « Chaque année, nous proposons une étude poussée sur un aspect de l’innovation publique. Nous nous sommes ainsi intéressés aux leviers pour attirer les talents ou encore aux modalités pour rejoindre le service public. Cette année, nous nous sommes tournés vers l’international.

La transformation des pratiques RH est un chemin sûr pour améliorer la marque employeur. Nous avons décortiqué dix grands projets internationaux, susceptibles de pouvoir inspirer les services publics français, explique Sigrid Berger, la fondatrice de Profil public.

Ainsi, au Brésil, le dispositif Rénova BR prépare les responsables politiques de demain, un peu comme l’École nationale d’administration (ENA) le faisait et le fera désormais l’Institut national du service public (INSP) : « On peut faire un parallèle avec ce qui se passe en France puisque Rénova BR est parti du constat d’une crise de confiance entre les gouvernants et la population et que ce dispositif vise justement à combler ce déficit », précise Sigrid Berger. Le projet Impact Canada vise à intégrer des experts en sciences comportementales pour mieux accompagner le recrutement et dépasser ainsi le cadre trop strict du seul CV. En Belgique, Talent Exchange (voir encadré, p. 18) permet à un agent de tester pendant douze mois un désir de mobilité dans une autre collectivité : « L’agent peut ainsi diversifier son parcours et les collectivités ont la possibilité de recruter de nouveaux profils. » Enfin, en Estonie, Accelerate Estonia optimise le rapprochement public-privé en misant sur une culture commune : « Ces expériences novatrices font le pari de la prise de risque. Elles s’appuient sur des échanges plus nourris avec le secteur privé et de grosses structures numériques. »

Dans le privé comme dans le public, en France, mais aussi à l’étranger, les difficultés de recrutement sont réelles. C’est à la fois une inquiétude et une chance puisque les innovations RH sont de plus en plus fréquentes.

La nécessaire valorisation des services publics

Dónal Mulligan rassure les Français : « Dans le privé comme dans le public, en France, mais aussi à l’étranger, les difficultés de recrutement sont réelles. C’est à la fois une inquiétude et une chance puisque les innovations RH sont de plus en plus fréquentes. Comment attirer les jeunes vers la fonction publique à l’heure où un nombre important d’agents vont partir à la retraite ? » Pour Bastien Lapalud, en Amérique du Nord, « le déficit d’attractivité des services publics est réel, mais pas pour les mêmes raisons. Le Canada est confronté à une grosse pénurie de main-d’œuvre. Dans les domaines des technologies, de la santé ou encore de la fiscalité, le marché est si tendu que certaines collectivités n’hésitent pas à débaucher les agents d’autres collectivités. L’imaginaire de la fonction publique n’est pas le même au Canada qu’en France, l’attachement aux services publics est moins prononcé. Le Canada a presque découvert l’importance des services publics lors de la crise sanitaire. De plus, les sociétés nord-américaines sont plus inégalitaires, la prise en charge des personnes vulnérables est plus défaillante qu’en France. Les salariés font des allers-retours entre le public et le privé. Il n’y a pas de concours d’entrée. » Il rappelle par ailleurs que « les jeunes n’entrent plus dans la vie professionnelle avec le désir de s’inscrire dans la durée. Ils acceptent l’idée de fragmentation dans leur carrière. À l’OCDE, nous avons mené plusieurs études sur l’absence de visibilité de la fonction publique et donc l’absence concomitante d’une valorisation de ces métiers. La population a une relation très consumériste aux services publics. Elle paie ses impôts, sait que la vaccination massive est organisée par l’État et les collectivités. Mais elle ne va pas au-delà, elle ne saisit pas les services publics dans leur globalité », assure-t-il.

Talent Exchange : un réseau pour favoriser la mobilité professionnelle des agents publics belges

Talent Exchange est le premier réseau de mobilité temporaire du secteur public belge. Il vise à capitaliser sur le talent des agents publics en leur permettant, via la plateforme numérique, de réaliser un détachement jusqu’à douze mois pour aider une autre organisation publique à lancer un projet spécifique ou impulser une dynamique de changement dans une logique proche de celle du mécénat de compétences.

Le défi à relever était donc d’attirer de nouvelles compétences pour impulser des dynamiques de changement au cœur des institutions partenaires. Et cela, en développant les mobilités entre organisations publiques de manière flexible, dynamique et avec le moins de freins budgétaires et administratifs possible.

Les agents publics sont eux-mêmes en recherche de changement. Ils sont de plus en plus nombreux à souhaiter varier leurs missions, sans devoir changer de métier ou quitter le secteur public. Ces talents en quête de nouveaux défis souhaitent diversifier leurs environnements de travail et découvrir de nouvelles politiques publiques.

Les talents existent, il suffit de leur faire confiance

De même, les métiers de la fonction publique ne sont pas valorisés : « Quand les candidats entrent dans la fonction publique, cette dernière ne sait pas comment valoriser les parcours, les expériences. La question reste entière : comment créer des viviers de talents au sein de la fonction publique ? De nouvelles compétences RH doivent émerger pour aller chercher dans le privé, du côté des universités, de nouveaux profils. Il vaut mieux vendre la fonction publique, mettre l’accent sur la transversalité des métiers et la possibilité de mener plusieurs carrières dans une vie professionnelle. Il faut donc encourager les pratiques RH vers autre chose que la gestion de la paperasse, qui est assez chronophage. Par exemple, les responsables RH savent-ils au juste ce qu’attendent les jeunes ? Des tas de données existent dans les études, il faut savoir se les approprier », explique Dónal Mulligan.

Contexte franco-français est différent, que les possibilités de mobilité dans la fonction publique d’État sont bien plus contraintes que dans les fonctions publiques hospitalière et territoriale.

Le défi stratégique des RH

La question du bonheur au travail devient ainsi essentielle pour donner du sens aux agents publics et à ceux qui souhaitent épouser la carrière : « Il y a un niveau d’exigence à prendre en compte sur les valeurs et la culture de l’organisation où l’on travaille. Les jeunes ne sont pas prêts à tout encaisser. Ils veulent être traités avec justice, pouvoir agir avec autonomie, en confiance. Ce sont des éléments à prendre en compte pour les attirer dans le giron public. C’est une nouvelle donne, les salariés comme les agents ont besoin de se projeter dans un avenir prometteur, le fait d’être mieux respectés va forcément exercer une influence sur l’implication des agents dont je rappelle qu’ils sont généralement habités par le sens du service public. Il est donc nécessaire de repositionner les RH dans une visée plus stratégique, à l’heure où les paramètres du travail sont requestionnés. Au Québec, deux experts, Michel Tremblay et Gilles Simard, ont mis en évidence les effets positifs de cette plus grande mobilisation des agents. Une organisation plus soucieuse de ces paramètres aura un effet mobilisateur sur ces agents. Cette sécurité psychologique influe sur la qualité de vie au travail », confirme Dónal Mulligan.

Le concours, un frein majeur ?

Au cours du webinaire de présentation, une question a été posée sur le statut protecteur de la fonction publique et le frein qu’il pourrait former. Dans sa vision plus nord-américaine, Dónal Mulligan a plutôt tendance à croire qu’il peut être au contraire un « accélérateur de carrière si toutes les possibilités de promotion interne sont bien exposées ». Sigrid Berger pense de son côté que le « contexte franco-français est différent, que les possibilités de mobilité dans la fonction publique d’État sont bien plus contraintes que dans les fonctions publiques hospitalière et territoriale. L’évolution du concours peut être une piste à explorer, pour adapter ce mode de recrutement aux nouvelles attentes des candidats et d’évoluer vers des procédures de recrutement plus rapides et plus fluides. Au Canada, les concours n’existent pas, les passerelles entre privé et public sont plus actives. À l’évidence, l’attractivité de la fonction publique repose en France sur une nouvelle façon de percevoir l’engagement des agents », conclut la fondatrice de Profil public.

  1. Nessi J.,  « Sigrid Berger : “Le recrutement dans le secteur public doit faire sa révolution” », Horizonspublics.fr, 22 nov. 2018
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