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DossierBaronnies provençales : « On fait le pari que le paysage permet de parler aux gens du changement climatique de manière concrète »
Émilie Ruin est directrice du syndicat mixte du PNR des Baronnies provençales situé dans le massif alpin, entre les départements des Hautes-Alpes et de la Drôme. Les programmes Espaces valléens et Avenir montagnes ingénierie ont permis au PNR de créer un poste de chargée de mission afin de mettre en place un plan de paysage qui doit servir de cadre stratégique partagé avec les partenaires du territoire, impulser une ingénierie paysagère opérationnelle au service de l’attractivité touristique et anticiper les objectifs de qualité paysagère qui seront intégrés dans la future charte du parc naturel régional.
En 2015, le PNR des Baronnies provençales était le 51e à être créé en France, sur les 59 existants aujourd’hui. Puis, en 2016, vous avez élaboré votre charte. Quelles sont vos ambitions ?
L’ADN des PNR, tel qu’il est inscrit dans le Code de l'environnement, est de concilier l’activité humaine avec la protection des patrimoines naturel, culturel et paysager. L'idée n’est pas d'exclure l’activité humaine, mais d’en permettre la pérennisation en consolidant de nouveaux modèles de développement, respectueux de l'environnement et économes en ressources.
Ensuite, chaque PNR élabore, avec les acteurs de son territoire, un projet de territoire : la charte. C’est notre feuille de route, construite sur quinze ans. Elle nous relie entre PNR et nous permet de mettre en avant nos particularités territoriales.
Chez nous, elle s'organise autour de trois grandes ambitions qui portent sur l'amélioration de la connaissance des patrimoines naturels culturels et paysagers, un développement économique local respectueux des ressources du territoire (principalement dans les secteurs de l'agriculture et du tourisme durable), et un aménagement cohérent et solidaire (développement maîtrisé des énergies renouvelables, préservation et valorisation des paysages, maillage du territoire en services publics et culturels, etc.).
Vous partagez donc des enjeux communs à tous les PNR ? Quels sont-ils ?
Nous avons déjà un enjeu autour de la pérennisation des coopérations entre PNR. Nous essayons de plus en plus de développer un discours commun entre PNR alpins. Nos enjeux communs sont liés à l'accessibilité du fait de nos reliefs, notamment l’accessibilité aux services. Nous avons aussi un fort enjeu autour de la préservation de la biodiversité. S’ajoutent des enjeux plus globaux qui ont des conséquences locales comme le changement climatique, la globalisation économique et la digitalisation.
Comment cela se traduit-il dans les Baronnies provençales ?
Nous sommes un territoire de moyenne montagne, entre 700 et 1 200 mètres d’altitude. Nous sommes la partie septentrionale de la Provence, sous influence alpine et provençale. Nous sommes donc un territoire d’interface institutionnelle et géographique. De fait, nous voyons apparaître des problématiques liées au changement climatique que connaissaient déjà nos collègues plus proches de la Côte d’Azur, mais que ne connaissent pas encore nos collègues du Nord. Nous sommes une ligne de front du changement climatique. Par exemple, le risque incendie était peu prégnant il y a encore quatre ans, mais aujourd'hui c’est une vraie préoccupation, car il est plus récurrent et les dégâts plus importants quand ça arrive.
Grâce au Groupe régional d'experts sur le climat en région Provence-Alpes-Côte d'Azur (GREC-SUD), nous comprenons mieux de quelle manière le changement climatique nous impacte. Nous élaborons d’ailleurs un livret du changement climatique dans les Baronnies provençales avec eux.
Nous constatons une augmentation globale des températures. Entre 1960 et 2020, la température a augmenté de deux degrés chez nous. Nous remarquons aussi une réduction du cumul annuel des précipitations. En parallèle, les épisodes méditerranéens augmentent. La pluie intense fait alors gonfler les cours d'eau rapidement. S'ajoute à cela le fait que les précipitations changent de saisons. Par exemple, la neige tombe sous forme d’eau, donc les saisons auxquelles se remplissent les rivières évoluent et ça impacte les usages.
Notre territoire est peu doté en eau de superficie, donc la pression sur la ressource s'accroît. Les besoins sont plus importants pour une ressource moins importante.
Nous observons aussi un accroissement des canicules et des vagues de chaleur. Et cela va encore augmenter.
Enfin, nous retrouvons aussi des enjeux similaires aux territoires ruraux. Nous rencontrons des difficultés d’accès aux services et aux équipements. Nous sommes en moyenne à 32 minutes d’une gare ou d’un aéroport. La population est très peu dense (18 hab./km2) et vieillissante. Mais en face de ça, depuis 2013, nous avons une nouvelle dynamique d’augmentation de la population. Elle se caractérise non pas par des naissances, mais par une arrivée de nouvelles populations : plutôt des jeunes cadres supérieurs.
Pourquoi être entré dans les programmes Espaces valléens et Avenir montagnes ingénierie ?
Ce sont des outils et des dispositifs qui permettent de mettre en œuvre des choses concrètes sur le terrain. Mais le lien n’est pas direct entre ces outils et les enjeux, puisqu’entre les deux il y a la charte. Pour mettre en œuvre notre charte, nous activons des leviers comme ces deux programmes.
Espaces valléens est le volet touristique d’un dispositif plus global : la convention interrégionale du massif des Alpes. Sa particularité est qu’elle se fonde sur des dynamiques de territoires. Le cadre n’est pas défini par les régions ou l’État. Ils attendent que le territoire leur fasse remonter ses enjeux. Sur notre territoire, nous avons deux espaces valléens qui se chevauchent et la Communauté de communes du sisteronais-Buëch en porte un aussi. Ça se complète.
Nous sommes dans le programme Espaces valléens depuis trois générations. Les élus considéraient que c’était un outil précieux et cohérent avec notre charte pour mettre en place une stratégie de développement du tourisme durable sur le territoire.
Sur Avenir montagnes ingénierie, nous avons vu l’opportunité de renforcer un sujet très présent dans notre charte, que l’on avait peu exploré en tant que syndicat mixte de parc : le paysage. Nous prenons la problématique du paysage comme socle d’attractivité touristique. Et le dispositif permet de développer une ingénierie paysagère.
Qu’est-ce que ces deux dispositifs vous apportent concrètement ?
Espaces valléens est porté par une chargée de mission éco-tourisme au PNR. Son poste est financé intégralement par le syndicat mixte du parc. Elle anime le dispositif qui comprend deux volets. Le premier est la dimension territoriale. Nous avons co-construit avec nos partenaires la stratégie et le plan d’action d’Espaces valléens (reprendre l’air dans les Baronnies provençales). Le second est la déclinaison opérationnelle et financière qui montre que nous sommes sur un dispositif concret de mise en œuvre avec une animation territoriale dynamique et un pilotage du volet financier.
Appel à manifestation d'intérêt (AMI) est un dispositif également proposé par l’État, nous sommes en lien avec le commissariat de massif régulièrement sur ce dispositif. Il est porté par une chargée de mission aménagement-paysage depuis 2022. Même si le dispositif a vocation à accompagner la transition touristique des territoires, nous appuyons sur la problématique paysagère, car, dans notre charte, la qualité paysagère est le socle de plusieurs enjeux, dont l’attractivité touristique. La beauté du territoire attire et résulte d’un certain nombre de choses : la mosaïque agricole, les couverts forestiers, etc.
La protection et la valorisation de la qualité paysagère forment un socle pour travailler sur la transition touristique. On fait aussi le pari que le paysage permet de parler aux gens du changement climatique de manière concrète. Ce sont des concepts souvent larges et techniques. Nous émettons l'hypothèse que le paysage est le vecteur via lequel on touche la sensibilité des gens. Nous expliquons que, si on n’agit pas, leur cadre de vie va évoluer de telle manière. En revanche, si on agit, que veulent-ils préserver ? Corriger ?
Comment travaillez-vous sur la préservation des paysages ?
Notre chargée de mission aménagement-paysage accompagne les acteurs qui vont avoir un impact paysager pour que ce soit le plus qualitatif possible. Nous ne voulions pas donner l’image à nos partenaires que nous organisions une grande planification paysagère. Nous voulions une dimension concrète et opérationnelle. Comment aide-t-on les maîtres d’ouvrage à intégrer la qualité paysagère dans leurs préoccupations ?
Autre pan du projet structurant : l’élaboration d'un plan de paysage. Il est financé par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), dans le cadre d’un appel à projets, et par le Fonds vert. Il s'agit d'un diagnostic partagé sur les éléments paysagers que les habitants, élus et professionnels des Baronnies provençales veulent conserver et valoriser à l'avenir. Cela va donner naissance à des objectifs partagés de qualité paysagère et à un plan d'action qui permettra de travailler sur des sujets précis, par exemple les énergies renouvelables ou la signalétique.
Notre ambition est que notre ingénierie opérationnelle rencontre le plan d’action du plan de paysage pour que tout soit cohérent.
Quelles sont les gouvernances en place pour ces deux programmes ?
Sur Espaces valléens, nous avons eu à cœur qu’elle soit efficace pour faire de la programmation financière et qu’elle soit ouverte pour animer la stratégie territoriale. Il y a un comité technique de pilotage où on retrouve les élus, l'État sous toutes ses formes, les conseils régionaux et départementaux.
Ensuite, nous avons un deuxième niveau de gouvernance avec le comité de suivi. Nous réunissons une fois par an tous ces acteurs avec les porteurs de projet pour suivre les avancements de fonds. C’est important que les porteurs de projets aient conscience de la stratégie globale territoriale. Le dernier niveau de gouvernance permet d'intégrer plus largement des acteurs du territoire. Nous organisons un ou deux groupes de travail par an, ce sont des espaces de discussions sur des thèmes choisis.
La gouvernance de l'AMI est une quasi-juxtaposition de la gouvernance d’Espaces valléens.
Comme le plan de paysage est une action structurante de l’AMI, la gouvernance du plan de paysage va venir se greffer dessus. Ce sera une gouvernance spécifique car on cherche à mobiliser des habitants, c’est une maille plus fine.
Et au niveau des financements ?
Sur AMI, le financement principal est un poste de cheffe de projet, financé à 100 % sur les deux premières années. Ça se poursuit jusqu'à l'été 2025. L’autre grand intérêt est le catalogue de services qui est proposé. Nous avons mobilisé l’outil « atelier flash », les financements d’études préalables sur des projets, etc. Nous avons aussi porté un programme de recherche-action sur la santé dans le dispositif Plateforme d'observation des projets et stratégies urbaines (POPSU).
Espaces valléens, c’est un coût global d’opération programmé à plus de 8 millions d’euros, dont un million provient de l’État et de la Région.
Nous nous rendons compte que le côté temporaire d’AMI nous fragilise dans nos projets, notamment pour le déploiement de notre plan de paysage. Ça fragilise les dynamiques d'animation territoriale. Créer du lien entre les gens, devenir crédible, concevoir des projets ensemble, ça prend du temps. Quand on réussit ça, les dispositifs se terminent. J’interpelle, mais je sais aussi que tout le monde est contraint, que les dispositifs ont juste l’objectif de lancer les opérations. Mais cette non-pérennisation fragilise nos modes de fonctionnement. Surtout quand l'essentiel de notre valeur ajoutée se trouve dans notre ingénierie. Ce qui est un atout : nous pouvons assurer une prise de risque sur des projets innovants.