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Bousculer le cadre de pensée pour agir sur les enjeux de transition

Le 27 juillet 2022

La première journée du parcours s’est tenue le 15 octobre 2021 à Paris. Toutes les délégations étaient réunies pour travailler sur le cadre de pensée et faciliter l’interconnaissance des participants.

Notre démocratie est traversée par des crises. C’est sur ce constat qu’a débuté la journée. Selon Pierre Calame, membre de l’Association de promotion de la Fabrique des transitions (APFDT) et auteur de La démocratie en miettes et Essai sur l’Oeconomie, ce sont avant tout des crises de relations. Les relations entre l’humanité et la biosphère d’abord. Puis, les relations entre les personnes et enfin, les relations entre les sociétés. Pour le citer : « Les acteurs de l’avenir seront ceux qui parviendront à recréer les relations, en particulier entre l’économique, l’écologique et le social. Deux grands types d’acteurs sont ainsi candidats à devenir les nouveaux acteurs pivots de la société du xxie siècle en lieu et place de l’État et des grandes entreprises. Ce sont d’un côté les territoires, et de l’autre les filières mondiales de production : ce ne sont pas des institutions au sens traditionnel du terme mais des acteurs collectifs associant entre eux un très grand nombre d’acteurs. »

Conscientes de leur rôle déterminant pour l’avenir, les délégations des dix territoires pilotes ont été attentives à cette introduction. Chaque délégation étant composée d’un élu, un agent, un acteur socio-économique et un agent décentralisé de l’État, la salle était comble à Paris en ce 15 octobre. L’objectif pour les accompagnateurs ? Les bousculer. Déstabiliser leurs représentations et faire une journée de lancement du parcours et d’intégration des participants. C’est la première fois qu’ils se rencontrent et le programme est chargé.

Poser le cadre

Première étape, replacer le contexte et poser les grandes limites du modèle actuel. Pour ce faire, Benoît Thévard, membre de la coopérative ARTEFACTS et allié de la Fabrique des transitions, a animé un temps d’intelligence collective. Il a mis en lumière la grande accélération de l’extractivisme, ses conséquences sur la biodiversité, l’impossible décorrélation entre production d’énergie et PIB, etc. Frédéric Weil s’est concentré sur l’analyse de certains points comme les changements démographiques (avec une augmentation significative de la population mondiale et le vieillissement de la population européenne) ou les transformations numériques (qui vont se poursuivre et s’insinuer dans tous nos usages du quotidien, notamment via des entreprises privées) par exemple. L’Homme a maîtrisé les techniques d’extraction, mais les conséquences induites font entrer l’humanité dans une forme d’incertitude qui remet en cause jusqu’à sa capacité à maîtriser son développement harmonieux. Les ajustements technologiques ne sont plus suffisants pour enrayer ce système.

Pour Barbara Nicoloso, également alliée de la Fabrique des transitions et directrice de l’association Virage Énergie, c’est un enjeu de récits plus que de technologie : « Comment va-t-on à contre-courant du récit global actuel ? Qui est celui de la consommation, de l’abondance, de la réussite par la consommation, pour aller sur un récit, un imaginaire, qui est celui de consommer moins mais vivre mieux. Je comprends bien que ce ne soit pas audible pour des gens qui ont envie de remporter des élections ou des chefs d’entreprise qui sont encore sur un modèle du profit économique. Mais plus la crise environnementale va avancer, plus ce modèle de sobriété va être, je pense, perçu comme désirable parce que, de toute façon, on n’aura pas le choix et au bout d’un moment, on sera dans une sobriété forcée. Cela étant dit, avec des territoires comme ceux qui sont accompagnés par la Fabrique des transitions, c’est l’occasion d’expérimenter et de montrer que ça peut être une alternative qui est tout à fait pertinente et qui peut générer toute une série de cobénéfices. »

Se projeter

Pour aider les territoires à se projeter et à expérimenter, Frédéric Weil, prospectiviste chez Futuribles, est intervenu pour appréhender les mutations à l’œuvre dans un horizon à quinze ans en ouvrant à d’autres grandes tendances prospectives. Localement, les territoires vont être touchés par les changements structurants qui opèrent dans le monde. Les crises se superposent au niveau local (écologique, sociale, économique, sanitaire), mais elles seront aussi marquées par un foisonnement de projets et d’initiatives des acteurs locaux en faveur de la transition. Frédéric Weil s’est concentré sur l’analyse de certains points comme les changements démographiques.

L’horizon est également marqué par des incertitudes. L’environnement deviendra plus fragile et plus instable dans un monde de plus en plus connecté avec des conséquences qui, pour certains territoires, sont assez prévisibles, mais dans d’autres cas, plus difficiles à anticiper.

Ces interventions ouvrent les réflexions des délégations, déjà sensibilisées ou non à ces sujets. « J’ai trouvé cela très pertinent, témoigne Nadège Noury, directrice Ville en transition dans la commune de Saint-Jean-de-Braye. Ce sont des choses avec lesquelles il faut que l’on compose donc c’était très intéressant mais très dense. Il faut réussir à digérer… C’est un peu ma crainte, digérer tout ce qui est dit et réussir à contribuer suffisamment dans un temps limité. »

Pour mettre en écho la présentation de Futuribles avec leurs territoires, les membres des délégations ont replacé leurs démarches de transitions écologiques actuelles dans la dynamique évolutive plus vaste présentée par Frédéric Weil. Ils se sont également regroupés par zones géographiques pour identifier les menaces, les vulnérabilités et les opportunités créées par ces tendances clés sur leur territoire et sa transition.

« Nous voulions faire atterrir ce qui avait été dit et raconté par Frédéric. Comment les territoires s’approprient-ils ces grandes tendances et en identifient une ou deux majeures ? L’idée était aussi d’identifier les trous dans la raquette, car souvent, les enjeux démographiques ou numériques ne sont pas intégrés dans la vision de la transition », précise Anne-Louise Nègre, chargée de mission à l’APFDT.

Réflexions collectives et interconnaissance

Plusieurs animations et temps d’échanges ont eu lieu lors de la journée. Une animation ludique a permis de débattre (en se situant dans l’espace) des « relations d’échelles » entre l’individu, la collectivité et le territoire. Si les participants ont exprimé un sentiment de réelle prise en compte des enjeux de transition sur le plan individuel, celui-ci s’amenuise généralement à mesure qu’on parle de « la collectivité » ou du « territoire vécu ». Il en ressort la nécessité de mieux coopérer entre les parties prenantes du territoire pour réussir à transformer les modes de vie sur le plan territorial.

Puis, les participants ont pu se situer géographiquement par rapport à leur ancrage territorial, et en fonction de leur rôle dans l’écosystème territorial (élu, agent, acteurs socio-économiques, État, alliés du parcours). Les alliés ont pu présenter leurs diverses fonctions : facilitation, positionnement du référentiel de diagnostic, recherche-action sur l’économie sociale et solidaire comme levier de transformation des organisations/du territoire, référente pédagogique du parcours, journaliste et évaluateur embarqués.

Au cours de la journée, des rapprochements entre pairs ont été observés. Des agents, des élus, ont témoigné de la richesse de se retrouver « entre eux » pour partager – ne serait-ce qu’informellement à ce stade – leurs expériences.

En guise de conclusion, Jean-François Caron a partagé son regard sur l’exercice : les mots clés « bienveillance », « invention collective d’une ingénierie de la transformation systémique », « pas de recette miracle ni de boîte à outils toute faite », « saut qualitatif énorme », « communauté apprenante à l’œuvre » sont ressortis pour mettre en lumière la qualité d’un collectif en cours de constitution et l’état d’esprit convivial, productif ayant animé cette rencontre. « C’est la première rencontre de terrain physique, donc pour chaque territoire c’est une gigantesque inconnue. Ils sont montés dans le bateau avec des intentions générales. Il commence à se constituer quelque chose qui est de l’ordre d’un capital de confiance entre les acteurs et ça, c’est très précieux. De mon expérience, c’est presque la plus grande richesse de ce type de rencontre. »

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