Revue

Dossier

Cœur de Chartreuse : « Ancrer nos réponses sur la base de nos moyens, de nos ambitions et de nos ressources »

Le 3 février 2025

Wilfried Tissot (maire de Saint-Pierre d'Entremont et vice-président chargé de la transition écologique de la communauté de communes Cœur de Chartreuse) et Emmanuel Heyrman (responsable du service tourisme de la communauté de communes Cœur de Chartreuse et chef de projet Avenir montagnes ingénierie) discutent des efforts de transition écologique menés dans leur collectivité.

 

Face aux difficultés financières de la station de ski, accentuées par le changement climatique, ils ont contribué le changement de modèle de gestion, désormais associatif, en intégrant citoyens et acteurs locaux. Ils soulignent l'importance de la valorisation des patrimoines locaux et du développement d’activités touristiques durables, tout en prenant en compte les réalités agricoles et forestières. Enfin, ils constatent une évolution positive dans l'engagement des habitants, transformant la transition écologique en un sujet attractif et collectif.

Pourquoi et comment avez-vous engagé une politique de transition sur votre territoire ?

Wilfried Tissot (W. T.) – L’élément moteur a été que nous ayons à exploiter une station de ski d’une trentaine de kilomètres de pistes qui nous posait énormément de soucis financiers. Depuis de nombreuses années, le budget n’était pas à l’équilibre. La chambre régionale des comptes a travaillé sur le sujet et il nous fallait trouver des solutions.

Emmanuel Heyrman (E. H.) – La difficulté était structurelle, mais aussi accentuée par le changement climatique. Nous avons le Centre d’étude de la neige, au col de Port, à quelques kilomètres de la station, et les données observées confirment la baisse de l'épaisseur du manteau neigeux, du nombre de jours de neige au sol et l'élévation des températures.

W. T. – Nous avons voulu entrer en transition pour faire évoluer la station, l’ouvrir sur d’autres activités en intégrant les citoyens. Pour tester cette nouvelle voie, nous avons eu l'opportunité de bénéficier d’un accompagnement de la Fabrique des transitions dans le cadre du plan Avenir montagnes ingénierie. En tant qu’experts de la facilitation, leurs outils nous ont permis de faire en sorte que tous les gens qui gravitent autour de la station comprennent les difficultés, acceptent la nécessité de changer de modèle et d’entrer dans une autre façon de penser pour  s’engager dans ce changement.

Cet accompagnement a-t-elle permis une mise en mouvement collective des acteurs du territoire ?

W. T. – C'est un long processus qui se base sur la confiance. Petit à petit, nous avons créé un lien entre les différents acteurs, qu’ils soient élus, acteurs socio-économiques, habitants, etc.

Pour mettre le pied à l'étrier et avoir une méthode pour fédérer les habitants et les acteurs socio-économiques, nous avons organisé des ateliers autour de l’avenir de la station de ski. C’est toute une organisation : apports d'informations par des chercheurs, interventions de clowns analystes, ateliers de co-construction, compte rendus partagés. Et travailler ensuite pour que les idées des participants deviennent concrètes, que ce ne soit pas que de la communication.

Ces outils de facilitation ont permis d’accepter la situation telle qu’elle est, sans déni et de regarder les choses en face pour trouver collectivement un chemin vers nouveau modèle.

E. H. – Nous sommes partis d’un sujet crispant : retrouver un équilibre économique par la restriction du périmètre d'exploitation de station de ski, voire si nécessaire sa fermeture. Aujourd'hui, les participants aux ateliers nous disent qu’ils ont plaisir à venir travailler ensemble à construire l’avenir de la station. Le sujet de la transition peut être anxiogène, mais on peut, peut-être, en faire un sujet attractif où les gens se retrouvent pour construire leur avenir.

W. T. – Nous avons passé un cap, car la gestion de la station de ski se fait sous forme associative, avec un mélange de bénévoles et de salariés. Cette saison (2024-2025), les comptes sont à l’équilibre malgré un très faible enneigement. Forcément, la station n’est plus ce qu’elle était, le périmètre est réduit, il n’y a plus de téléporté. Elle est moins ambitieuse, mais équilibrée.

E. H. – Il est aussi important de souligner que les élus ont changé de postures. C’est en partie lié à un renouvellement politique à l'issue des élections de 2020. Pour beaucoup, c’était leur premier mandat politique. Ils avaient une vision relativement lointaine de la station. Ils ont vite assumé qu’ils ne pouvaient pas trouver de solutions seuls, cela a ouvert les portes à d'autres acteurs et brisé le tabou selon lequel la collectivité avait les moyens de maintenir la station en état alors qu’elle était déficitaire.

Cette méthodologie de facilitation et d’implication citoyenne vous est-elle utile pour d'autres projets que la station de ski ?

W. T. – Oui, nous en avons profité pour élargir les discussions. Aujourd'hui, nous organisons des ateliers pour trouver de nouvelles activités à proposer en toutes saisons, en accord avec les valeurs de la communauté de communes. Nous sommes accompagnés par un bureau d’étude touristique et par une facilitatrice pour cadrer les échanges entre les acteurs. Ils échangent et on voit des projets se dessiner. C’est tout un nouveau modèle qui se construit en se basant sur notre patrimoine naturel et culturel.

Le travail avec les citoyens volontaires est certainement la clé de réussite de la transition écologique. Nous y avons été forcés car nous n’avions pas les moyens de faire autrement. Notre seule possibilité était de se remonter les manches, et de demander à tout le monde de l’aide pour faire survivre l’outil et se projeter sur autre chose.

En parallèle du travail sur la station de ski, vous avez œuvré sur d'autres projets autour de vos patrimoines naturels et culturels. La transition en montagne ne tourne pas qu’autour des activités de neige…

W. T. – La porte d'entrée était la station de ski. En revanche, très vite, on s’est dit qu’il fallait avoir une vision globale et intégrer les citoyens. En Chartreuse, nous avons des zones en surfréquentation touristique. Certains habitants prennent ça comme un inconvénient, surtout lorsque les touristes viennent trop peu longtemps pour consommer local. Aussi, nous nous positionnons en pensant le tourisme comme une plus-value, mais en réalisant les aménagements pour les habitants d'abord. Il faut être humble et ne pas vouloir développer de nouvelles stations, même si c’est sur d'autres activités que le ski. Nous comprenons bien que la nature, nos paysages et nos patrimoines sont notre avenir. Autant se positionner là-dessus plutôt que sur une forme de station hors-sol.

E. H. – Nous vivons une situation particulière car les terrains utilisés pour le ski sont aussi agricoles, voire forestiers. Des conventions historiques permettaient à l'exploitant de l’activité ski de les utiliser dès le mois de novembre. Mais aujourd'hui, les vaches peuvent être dans les prés jusqu’à la fin du mois de décembre car la neige arrive plus tard. De même pour les forêts, quand il y a un mètre de neige au sol, les forestiers ne peuvent pas travailler. Mais sans neige, si. Donc, si on veut diversifier nos activités de tourisme, on se doit d’engager des discussions avec ces acteurs, de se réunir pour trouver des activités qui ne soient pas en conflit avec d'autres. L’avenir se construit avec un modèle sociétal commun.

Des projets sont-ils ressortis des ateliers de concertation avec les citoyens ?

E. H. – Il semble se dessiner la création d’un itinéraire ludique et pédagogique sur le secteur du Planolet. Il comprendra des activités basées sur les ressources locales. Il doit permettre l'acculturation des visiteurs aux enjeux et aux évolutions de la montagne. Nous constatons une fréquentation de plus en plus importante de primo-pratiquants de la montagne, donc nous voulons leur offrir de bonnes bases afin qu’ils vivent une expérience agréable et enrichissante sur  notre territoire et ainsi qu’ils se créent de beaux souvenirs.

Vous réfléchissez aussi à la création d’un itinéraire du patrimoine chartreux. En quoi la valorisation du patrimoine peut-elle aider les projets de transitions ?

W. T. – L’histoire de la Grande Chartreuse et l’implantation du monastère principal de la Grande Chartreuse ont marqué notre paysage. Des milliers de personnes y viennent tous les ans. Nous voulons faire profiter tout le monde de ce patrimoine, pour comprendre ces moines qui vivent dans le silence. Et autour, nous avons un patrimoine naturel avec une forêt labellisée « Forêt d’exception », une rivière labellisée « Rivière sauvage », etc. Nous pourrions développer un sentier et des aménagements qui feraient le lien entre la vallée et la montagne en passant par tous ces patrimoines naturels et culturels. Il s’agirait d’une offre touristique unique, donc autant utiliser ce qu’on possède et ce qui fait notre singularité.

E. H. – Jusqu’à présent, nous n'avons pas réussi à tisser une histoire entre tous ces éléments. Les Chartreux sont sur le territoire depuis près de 1 000 ans, quelques personnes peuvent conter leur histoire, mais les visiteurs ont peu d'éléments de compréhension sur ce qui se joue là. Il s’agit donc de co-écrire cette histoire pour lier et donner du sens à tous ces éléments, et ainsi proposer une expérience de visite unique respectueuse des autres usages, dont le recueillement. Cette singularité de notre territoire peut être attractive.

Pour constituer ces projets, vous avez rédigé une charte des valeurs de la communauté de communes. Comment l'utilisez-vous ?

W. T. – Cette charte est un cadre. Derrière les mots, nous n'avons pas tous la même représentation.

Si nous souhaitons développer une activité de tourisme autour de la nature, certains pensent à des circuits équestres et d'autres à des quads. Nous avons besoin d’être précis sur nos objectifs. La charte est un cadre de valeur sur lequel nous nous sommes mis d’accord et qui nous aide à travailler sur certains projets ou à aiguiller de manière différente d’autres projets.

E. H. – Aujourd'hui, il n'y a pas de solution toute faite sur les enjeux de transition. L'idée est de se dire : il faut qu’on ait un outil de pilotage des actions de transitions pour ancrer nos réponses sur la base de nos moyens, de nos ressources et de nos ambitions.

W. T. – Par exemple, le sentier pédagogique sur le secteur du Planolet correspond aux critères de la charte. Il permet de valoriser de nombreux savoir-faire, ce n’est pas trop coûteux et ça permet de développer le tourisme, etc. Le bureau d'études spécialisé sur le tourisme nous aide ensuite au niveau du business plan pour garder notre ligne et être en phase avec la réalité économique.

Quelles sont vos prochaines étapes ?

W. T. – Nous sommes conscients que nous en sommes aux prémices. Mais nous avons déjà commencé à intégrer les habitants, à animer des ateliers ou encore à cadrer les idées pour développer des projets… Nous avons une base méthodologique pour travailler avec les acteurs socio-économiques et les habitants. Il va falloir élargir pour que ça prenne de l’ampleur sur toute la communauté de communes. Nous devons aussi intégrer davantage la notion de mobilité, tout en continuant à travailler sur l'énergie et sur l'agriculture. C’est de l’ordre de l’expérimentation à chaque fois. J’ai l’impression qu'on est sur le bon chemin… mais il y a encore plein d’embûches.

×

A lire aussi