Comment lutter contre la mal-inscription électorale, véritable bug démocratique ?

Le 3 mai 2022

7,6 millions de personnes sont mal-inscrites sur les listes électorales en France, en majorité des jeunes et des étudiants. Pour lutter contre ce phénomène, l’organisation non-gouvernementale (ONG) A voté, indépendante et apartisane, cible les jeunes. Chatbot sur WhatsApp pour vérifier l’inscription des utilisateurs sur les listes électorales, partenariat avec Tinder pour « matcher avec la démocratie », etc. Rencontre avec Dorian Dreuil, cofondateur de A voté.

Dorian Dreuil

Dorian Dreuil est co-président de l'ONG A Voté et expert associé à la Fondation Jean Jaurès.

Pourquoi avoir décidé de lancer un chatbot en janvier 2022 ?

Depuis sa création, A voté travaille avec un conseil scientifique de haut niveau regroupant experts, universitaires, spécialistes des enjeux de l’abstention et de la participation électorale et nous avons identifié ensemble, la question de la mal-inscription électorale. Ce phénomène de sociologie du vote se produit lorsque la personne n’est pas inscrite dans le bureau de vote correspondant à son domicile. Il a un réel impact sur l’abstention : être mal inscrit c’est trois fois plus de chances de s’abstenir, selon une enquête réalisée par Jean-Yves Dormagen et Céline Braconnier1. Il s’agit d’un des enjeux prioritaires dans notre mission consistant à lever les freins de la participation électorale et à faciliter le vote. Ce sujet est particulièrement intéressant pour les élections présidentielle et législatives de 2022. Quand on observe la sociologie des mal-inscrits, l’on constate qu’il s’agit en majorité de jeunes ou d’étudiants, dans une société encourageant la mobilité. C’est pourquoi nous voulions proposer un outil numérique, facile, réunissant au même endroit les informations ressources, des liens ainsi que d’éventuels rappels des dates des scrutins. Or, la messagerie la plus utilisée est celle du groupe Meta, WhatsApp. C’est ainsi qu’est née l’idée du chatbot en partenariat avec Meta, Ouest France et 20 minutes.

Que se passe-t-il quand une personne est mal-inscrite ?

Lorsque le service public ne donne pas de réponse, parce que la question est un peu trop technique, le chatbot propose à l’utilisateur de contacter nos équipes. Nous prenons le temps d’envoyer un message plus personnalisé, pour indiquer les points d’entrée et les questions administratives ou plus techniques à poser aux différents interlocuteurs. On peut notamment proposer à la personne de se rapprocher de sa mairie pour trouver une solution à ce problème particulier. Nous nous présentons comme des facilitateurs, des accompagnateurs, pas comme des intermédiaires.

Quels sont les retours des utilisateurs ?

Ils sont très positifs, il y a le sentiment d’avoir un assistant personnel tout au long du parcours de votant : l’inscription, le rappel des dates de scrutin. Ils n’ont plus à ne se perdre dans les méandres du service public. Tout est condensé dans un même outil, gratuit, dont on connaît les codes.

Quelles sont les ambitions de ce chatbot ?

Toucher le plus de monde. Nous voulons également faire de la mal-inscription un véritable sujet de cette présidentielle. En médiatisant cet outil, on montre le bug démocratique autour de cet enjeu. Nous voulons que tout le monde en parle et nous inviter dans les discussions des gens, aux repas de famille, etc.

Quels seront les indicateurs de réussite ?

Le premier n’est pas quantifiable, il concerne la visibilité donnée au sujet, la manière de l’imprimer dans les débats à venir. Le deuxième est le nombre d’utilisateurs du chatbot. Enfin on mesurera le nombre de visiteurs sur notre page dédiée aux informations sur les élections.

Comment A voté se positionne-t-elle sur les autres causes de l’abstention ?

Nous sommes persuadés qu’il y a autant de raisons qui motivent l’abstention que d’abstentionnistes eux-mêmes. Parmi les causes assez profondes qui expliquent cette démobilisation électorale, il y a des causes politiques et d’autres relevant de ce rôle de lanceur d’alerte de la société civile. Nous avons fait le pari de créer une organisation qui manquait dans le paysage associatif français, apartisane, indépendante. Pour convaincre un non inscrit, il faut un discours très politique. Nous ne faisons campagne que pour la démocratie.

Nous nous fions aux recherches menées sur le sujet et aux experts qui s’accordent à dire que « plus il est simple de voter, plus on vote ». Régler la question de l’inscription évitera la frustration de ne pas pouvoir voter et encouragera donc les abstentionnistes.

Ne pensez-vous pas que le vote électronique soit presque un passage obligé pour la nouvelle génération ?

C’est un sujet que l’on souhaite explorer, parmi les modalités de scrutin favorisant une démocratie plus inclusive. Nous avons la conviction qu’une seule solution ne suffira pas à régler le problème de l’abstention, qu’il faut « appuyer sur tous les boutons en même temps », la sensibilisation, la communication, il ne faut s’interdire aucune piste de réflexion pour moderniser notre démocratie.

  1. Braconnier C. et Dormagen J.-Y., La démocratie de l’abstention. Aux origines de la démobilisation électorale en milieux populaires, 2007, Gallimard, Folio.
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