Revue
L'actualité vue par...Corinne Desforges, Inspectrice générale de l’administration au ministère de l’intérieur
Corinne Desforges est inspectrice générale de l’administration au ministère de l’Intérieur. Auteure d’un rapport sur l’attractivité de la fonction publique territoriale en janvier 2022, elle est intervenue lors de la convention 2022 de l’association Intercommunalités de France. Nous en avons profité pour lui demander sa vision de l’actualité. L’occasion d’évoquer ses idées pour valoriser les fonctions publiques, mais aussi de bénéficier de son éclairage de membre du bureau des anciens de l’École nationale d’administration (ENA) sur les changements au sein de cette institution.
1 - L’ATTRACTIVITÉ DE LA FONCTION PUBLIQUE
J’ai réalisé deux rapports sur l’attractivité de la fonction publique. Le premier concerne la fonction publique d’État et le second la fonction publique territoriale. Si les problèmes ne sont pas exactement les mêmes, il y a, en revanche, un point commun : celui du sens de l’intérêt général dans le métier exercé. Au niveau de l’État, il y a un problème géographique d’affectation des agents : certaines régions paraissent peu attractives et l’État peut obliger à y prendre un poste. Ce n’est pas le cas avec la territoriale, vous pouvez choisir.
Il y a un problème de méconnaissance totale de ce qu’est la fonction publique territoriale. Nous avons réalisé un sondage avec la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) : pratiquement un tiers des jeunes Français ne savent pas quelles sont les compétences des collectivités locales. Ils pensent qu’il y a un suivi des fédérations sportives mais aussi de la météo et des écoles ! C’est une difficulté qu’il faut surmonter, notamment en informant dans les collèges et les lycées.
Il y a également un problème de rémunération. C’est dans la fonction publique que les rémunérations de début de carrière sont les plus faibles. Il est difficile de vivre avec des petits salaires. Géographiquement, il y a des villes où les loyers sont trop chers pour habiter et d’autres qui sont trop isolées. Beaucoup de jeunes ne souhaitent pas aller dans des communes où il n’y a pas d’activités culturelles ou sportives.
Depuis vingt ans – et même probablement un peu plus – un problème nouveau est apparu avec les deux membres d’un couple qui travaillent. Il faut donc un emploi pour le conjoint. Pour trouver les deux emplois en même temps dans certaines petites villes, c’est compliqué ! C’est l’intérêt de l’échelle intercommunale.
Les élus doivent prendre conscience que les agents de la fonction publique sont leur richesse.
Je crois aussi que les employeurs publics doivent se regrouper pour réfléchir. Il y en a 50 000. Certaines associations d’élus travaillent sur les problématiques communes, mais rarement sur la question ressources humaines (RH). C’est pourtant un sujet très important.
Quand les élus ont des droits à la formation, il n’y en a pas 10 % qui prennent des cours sur la fonction publique. Ils ne connaissent pas le statut, les règles d’avancement, le régime indemnitaire ou la protection sociale complémentaire. Ainsi, ils traitent mal leurs agents. Il faut absolument que les élus aient conscience que les agents de la fonction publique sont leur richesse. Depuis des années, il est dit du mal des fonctionnaires : c’est du « fonctionnaire bashing ». Forcément, à un moment, les jeunes se disent « qu’est-ce que j’irais faire là-dedans ? » Notre rapport disait qu’il fallait changer la méthode, donner du sens et que les communes sachent se vendre.
Un secrétaire administratif, un attaché, qu’est-ce que cela veut dire ? Que sont leurs journées ? Il faut faire du marketing. Les élus locaux ne le font pas, contrairement aux entreprises privées. Nous sommes très en retard. Il faut réussir à donner envie aux jeunes de venir travailler. Ils sont attachés à l’intérêt général, à l’écologie et aux enjeux de la transition. Cependant, s’occuper de la planète, cela peut aussi être s’occuper des mobilités urbaines à Lyon, de créer des tramways qui ne polluent pas ou des cars scolaires pour aller à l’école. Cela fait partie des compétences des collectivités locales, mais personne ne le sait. Les élus doivent se tourner vers les jeunes. En prendre en stage, par exemple, dès la troisième. Nous devons les faire venir. Et sur l’ensemble des métiers, il n’y pas que des besoins en bac +3.
Des universitaires ont fait des études pour regarder les mandats détenus par les premiers et les seconds adjoints dans les collectivités locales. Cela ne concerne jamais les RH, considérées comme un sujet technique. Cela ne les intéresse pas, car le statut de la fonction publique n’est pas facile à saisir. Toutefois, c’est la même chose pour les finances locales, mais le « cordon de la bourse », c’est plus chic. Pourtant, les RH permettent de faire tourner la boutique. Cela valorisera les personnels que les élus s’intéressent à eux, car c’est une demande des salariés. C’est important, cela crée une boucle vertueuse : aujourd’hui, les enfants des membres de la fonction publique n’y vont pas car leurs parents ne les y incitent pas et c’est dommage. En revanche, tout se sait : les collectivités où il y a des bonnes rémunérations, des bons emplois du temps ou des responsabilités intéressantes n’ont pas de mal à recruter.
Les salariés de la fonction publique sont très souvent dévoués à l’intérêt général. S’ils choisissent ces métiers, c’est qu’ils ont le sens des autres. Il faut les remercier et arrêter de leur dire qu’ils coûtent cher. Il est impératif de ne plus penser qu’aux coûts pour réfléchir à la richesse apportée. Tous les candidats à la présidentielle disent qu’il faut diminuer le nombre de fonctionnaires. Non ! Il faut les mettre à la bonne place et leur donner un vrai métier. Expliquer ce qu’ils font et à quoi cela sert. C’est la première fois au projet de la loi finances 2023 que l’on va créer des postes de fonctionnaires. Cela montre bien que l’on s’est rendu compte, avec le covid-19, que ces gens sont essentiels. Il existe du mépris alors que l’on a besoin des fonctionnaires.
Les ministres de la Fonction publique et des Collectivités territoriales doivent comprendre qu’il n’y a pas qu’un problème de dotations. Il y a aussi des problèmes de personnel. Les agents font du lien et nous en avons besoin actuellement, ils répondent aux questions des habitants
2 - LA SUPPRESSION DE L’ENA
L’École nationale d’administration (ENA) a été transformée en Institut national du service public (INSP). Le symbole était fort de supprimer l’ENA. On nous a fait croire que c’était une demande très forte des Gilets jaunes. Le Conseil d’État a fait lire page à page les revendications portées sur les cahiers mis à disposition en mairie. Une quinzaine de personnes ont demandé à supprimer l’ENA. Pas plus. C’est symbolique, mais c’est dommage car c’était une image de marque qui fonctionnait très bien, notamment vis-à-vis des étudiants étrangers.
L’ENA avait évidemment des défauts, mais supprimer son nom est une perte. La notoriété a un prix et ce nom valait cher. L’INSP a tout juste un an. Les programmes n’ont pas été bouleversés. Nous ne sommes donc qu’au début du chemin. Il faut une école de formation pour les hauts fonctionnaires. Nous avons cette chance, en France, d’avoir cette Haute fonction publique. On critique les énarques, mais on critique surtout les quatre ou cinq par promotion qui se font connaître en politique ou dans les affaires. Pour les autres, nous travaillons comme tout le monde et accomplissons des missions de service public.
Pour ce qui est de l’avenir de cette école, j’espère que les programmes ne seront pas trop modifiés. Il faut que la formation reste attractive pour que les jeunes ne se détournent pas de la Haute fonction publique, sinon nous aurons un trou d’ici une quinzaine d’années. Quand on s’en apercevra, il sera trop tard. C’est ce qui est arrivé au Canada. Nous devons garder la sélectivité tout en s’ouvrant à plus de diversité. Mais il faut des connaissances pour rentrer à l’ENA, car, derrière, ce sont des métiers où les responsabilités sont lourdes. Je veux bien que l’on nous parle de la tête bien faite, mais la tête bien pleine a du sens aussi.
La question posée est aussi celle de la Haute fonction publique. Jusqu’à présent, c’était une perspective de carrière. Vous grimpiez les échelons pour aboutir à des postes de préfets, d’ambassadeurs ou de directeurs. La vision du président de la République est différente. C’est une vision liée aux métiers. On peut venir exercer un métier pendant un temps, par exemple, cinq ou dix ans, comme cela se fait dans d’autres pays.
L’idée serait également que l’on peut prendre des personnes du secteur privé pendant quelques années pour enrichir la matière du secteur public. Je ne sais pas si la greffe prendra. Si c’est très limité, oui, cela peut fonctionner. Mais s’ils sont très nombreux cela va bouleverser un équilibre. Ce que je crains, c’est que des gens repartent dans le secteur privé avec toute notre formation et ce que l’on aura appris.
La neutralité compte beaucoup pour la fonction publique. Les personnes qui arrivent en étant nommées, sans concourir avec d’autres de manière anonyme, pour moi, cela crée un doute et ce n’est pas toujours favorable à la diversité car « l’entre soi » peut l’emporter. J’ai un a priori. Il faudrait que cela soit très sûr sur le plan déontologique pour que cet apport, qui doit être limité, se déroule bien.
Il y a un certain mépris des fonctionnaires alors que l’on a tous besoin d’eux au quotidien.
On peut comprendre l’attrait du privé. J’ai des camarades qui y sont allés. Ceux qui sont honnêtes disent que ce n’est pas si terrible que ça. Ils ne peuvent pas le dire trop fort, car cela serait un échec que de confesser que l’ambiance intellectuelle peut y être moins stimulante. Mais de temps en temps, il est certain que cela peut être très agréable de changer. Il ne faut pas, non plus, comme l’avait dit Amélie de Montchalin, ancienne ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, « changer sans arrêt ». Nous avons des métiers d’expertise. Quelqu’un qui a fait des finances toute sa vie, on en a besoin ! J’ai fait, il y a quelques années, une mission sur les délégations régionales de l’écologie. Il y avait des hydrologues et des géologues. L’administration voulait faire un seul corps pour avoir moins de spécialités. Toutefois, lorsqu’il y a une question hydrique, si vous appelez un ingénieur en écologie car un géologue ne peut pas la résoudre…
Le corps diplomatique est l’exemple le plus marquant. Dans tous les pays du monde, il y a une filière diplomatique. Personnellement, je ne serais pas capable de devenir ambassadrice. Ce sont des compétences qui s’apprennent au contact des dossiers au quotidien. Notre corps diplomatique était remarquable. On ne va plus être aussi bon et on va perdre notre stature alors que l’on était très reconnu. Je pense que c’est dangereux, même si nous ne sommes qu’au début. Et il va falloir voir comment cela va s’organiser. Il n’y a rien de simple.
Au départ, les Français faisaient toute leur carrière dans une même entreprise. Puis la mode a été aux changements multiples. On voit déjà que cela s’inverse dans le secteur privé. Il y a notamment besoin d’expertise. Un peu comme toujours la fonction publique prend le train légèrement en retard. Elle a un rôle de colonne vertébrale non politisée. Les préfectures en sont le bon exemple. Nos métiers ne sont pas des métiers comme les autres. Le mien, par exemple, inspectrice générale, est quasi-universitaire. On vous donne trois mois pour réfléchir à un sujet, analyser et faire des propositions en toute indépendance. Cela me convient, mais cela peut ne pas être le cas pour d’autres. Les hauts fonctionnaires ne sont pas tous interchangeables.
Au sein du bureau des anciens de l’ENA, nous avons eu des discussions et nous ne sommes pas tous d’accord. Globalement, nous pensons que, puisque la réforme est là, il faut l’accepter et l’accompagner, mais en restant vigilants. D’ici deux ou trois ans, si nous sommes moins attractifs, qu’il y a moins de gens au concours, ou que l’on fait appel à beaucoup de contractuels, nous devrons y réfléchir. Nous ne devons faire pas fuir les talents.
La question du conflit d’intérêt n’est pas simple. Par exemple, si vous avez été au ministère de l’Écologie, et que vous souhaitez dans la foulée aller dans une association liée à l’écologie ou dans une entreprise en charge de l’eau, c’est compliqué. Ceux qui feront des allers-retours ne devront pas exporter les connaissances et secrets de l’administration. Cela ne va pas être facile. Les commissions de déontologie interdisent certains postes en fonction du passé de l’agent mais plus il y aura de cas, plus ce sera compliqué à gérer. S’ils sont compétents, pourquoi n’iraient-ils par mettre leurs compétences au service du privé ? C’est vrai, mais faire rayonner le secteur privé au détriment du secteur public, cela ne va pas !
3 - LA FONCTION PUBLIQUE FACE AUX TRANSITIONS
La transition écologique sera difficile pour la fonction publique car c’est, en fait, très inattendu, même si certains « verdissements » de l’administration avaient commencé. Comme avec la crise sanitaire, il faut changer toute notre manière d’être. Tout s’est accéléré depuis l’été 2022, de la lumière dans les rues aux piscines, en passant par le chauffage ou les écoles. Au niveau de l’État, nous devons réfléchir à nos manières de travailler. Par exemple, comment nous chauffons nos locaux ou transportons les habitants ? Si on nous demande de rester chez nous pour ne pas chauffer les locaux, je le comprends, mais comment garder le lien professionnel ? J’ose espérer que les collectivités y réfléchissent, car cela va prendre du temps de changer. Ce n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît… Il vaut mieux miser sur une réflexion globale, et systémique. Qui peut porter cela ?
La fonction publique a des habitudes et les agents ont des modes de vie auxquels ils tiennent. S’il faut changer, il est nécessaire que quelqu’un nous y aide, nous y pousse et nous récompense si on le fait bien. Cela n’existe pas actuellement. Les fonctionnaires comprennent bien la notion d’intérêt général, mais il faut accompagner, psychologiquement surtout. Nous voyons bien la difficulté dans laquelle est notre pays.
La fonction publique territoriale porte de nombreuses expérimentations à l’échelle locale, nous devons trouver un moyen de faire transiter les informations pour que tout le monde en profite.
Il va falloir penser différemment, chercher autre chose, ne pas hésiter à aller regarder ce qui se fait à l’étranger. Certains pays sont plus en avance que nous sur ces sujets. Il faut innover et pour cela, il y a des laboratoires d’innovation dans tous les ministères. Nous devons lancer des pistes et des appels à concours pour trouver des idées qui soient acceptables. Il faut le faire vite, car nous n’avons que quatre ou cinq ans pour agir.
La fonction publique territoriale porte de nombreuses expérimentations à l’échelle locale. Je l’avais vu lors de mon étude sur l’attractivité. Mais les réussites, comme les échecs, circulent mal. On voit des projets très intelligents, mais le reste de la France ne le sait pas. Il faut trouver un moyen de faire transiter l’information afin que tout le monde puisse profiter de l’expérience positive tentée quelque part. Sinon on perd de l’énergie ! Les élus doivent se parler plus. S’autoriser à rater et à expérimenter n’est pas dans notre culture. La fonction publique territoriale le fait mieux que la fonction publique d’État. Il y a plus de gens qui osent des choses, notamment car l’échelle est moins large et vous pouvez plus facilement voir le résultat de ce que vous faites.
4 - ÉGALITÉ FEMMES-HOMMES
C’est un sujet qui me tient à cœur. J’ai été Haut fonctionnaire à l’égalité des droits au ministère de l’Intérieur. Notamment au moment de la loi Sauvadet de 20121 qui a introduit des quotas dans les trois fonctions publiques. Cela fait dix ans. Je trouve qu’il y a eu une évolution, dans les faits et les pensées. Certes, il y a des nominations de femmes dans la Haute fonction publique par crainte du paiement de pénalités. Mais la pensée des Français sur la place des femmes a également changé. Aujourd’hui, s’il n’y a pas de femmes sur un projet, tout le monde se rend compte que ça ne va pas. Cela a fini par phosphorer. Ce ne sont pas les femmes en tant que femmes. C’est juste que n’importe quelle femme ou n’importe quel homme n’a pas reçu les mêmes choses pendant les vingt premières années de sa vie. À l’école, dans notre famille, avec nos amis ou à la télévision, tout ce qu’on reçoit fait qu’un homme et une femme ne pensent pas la même chose et que donc nous n’avons pas le même point de vue. C’est pour cela que les femmes, dans la société, sont aussi importantes que les hommes. Ce qu’elles voient de la société, les femmes doivent le donner aux hommes qui avaient actuellement le pouvoir pour que la décision publique soit meilleure. Cela fonctionne dans le secteur privé donc cela fonctionnera chez nous.
Les collectivités sont de plus en plus fortes avec des moyens humains renforcés. Les administrateurs territoriaux sont devenus excellents. Il faut laisser ce système fonctionner pendant dix ou quinze ans.
Les femmes sont aussi un levier intéressant pour parler du temps de travail, des congés ou d’une quantité de sujets. Si j’ai une grande satisfaction de ce qui s’est passé depuis dix ans pour les femmes dans la Haute fonction publique, ce n’est pas parfait encore, mais elles sont beaucoup plus visibles. Il faut se méfier, car c’est une dynamique qui peut retomber. Nous avons fait un pas de géant, mais il ne faut pas reculer. J’ai créé l’association Femmes de l’intérieur au ministère de l’Intérieur. Nous y trouvons des métiers en commun et c’est très intéressant. Dans ce ministère, nous sommes la seule association transversale alors qu’il y a les sous-préfets, les policiers, les gendarmes, etc., chacun dans sa filière. Quand je parle avec une gendarme, nous nous apportons mutuellement et cela permet de casser les silos. Le rôle des femmes a fait évoluer la fonction publique. Avec l’association, nous proposons aux femmes du coaching pour les aider à mieux parler d’elles-mêmes ou intervenir dans des débats, notamment pour qu’elles puissent avoir confiance en elles.
Je trouve que l’on n’aurait pas pu avancer aussi vite sans la notion de quotas. Encore aujourd’hui, pour des commissions de sélection, il faut trois profils et obligatoirement une femme. On en inclut parfois une, car c’est une obligation, en sachant que ce ne sera pas elle qui finalement sera choisie. C’est regrettable si cette femme n’est qu’un alibi, mais ça lui permet de se faire connaître.
Certaines femmes expriment qu’elles n’ont pas besoin de quotas : j’espère pour elles que cela sera vrai toute leur vie. J’en croise parfois qui ont ce discours à leur sortie de l’ENA. Je me méfie, car les femmes portent encore très souvent la charge familiale. Les quotas protègent.
Le changement est progressif mais réel, y compris pour les hommes qui osent demander une meilleure conciliation vie professionnelle/vie privée. Par exemple, de partir à 18 h 00 ou prendre un congé parental. Cela change la mentalité du travail et même si c’est encore marginal au sein du monde professionnel, on sent qu’il y a un souffle.
Le processus de décision a également changé. Les femmes n’ont pas le même regard sur la société. Pour la première fois, quand une femme s’est occupée de la sécurité routière, elle s’est intéressée aux problèmes d’accidentologie des citoyens. Il n’y a pas que la vitesse dans la vie !
Nous ne voyons pas les choses de la même manière. Globalement, les femmes sont moins avides de pouvoir. Elles voient plus l’intérêt général que leur carrière. Tout le monde s’est enrichi ces dernières années du renforcement de leur rôle dans les processus de décision. Mais s’il n’y avait que des femmes pour prendre des décisions, cela ne serait pas bon non plus ! Je crois qu’il y a un besoin de modèles de femmes, et des modèles accessibles. Les femmes « extraordinaires », ça ne parle pas aux jeunes fonctionnaires. Il faut des femmes « ordinaires » qui réussissent, en ayant une famille et des activités à l’extérieur. Les modèles déclencheront des vocations. Nous devons les mettre en avant.
Les principales propositions du rapport sur L’attractivité de la fonction publique territoriale2
Les principales propositions de la mission sont les suivantes :
- responsabiliser davantage les exécutifs territoriaux de façon collective (et pas seulement individuelle) sur leur fonction d’employeurs. Pour cela, il leur revient de mettre en place une organisation à même de conduire le dialogue social au niveau national de façon « proactive » – à égalité avec l’employeur État et les employeurs hospitaliers – et de tenir un discours favorable au service public local ;
- mettre en place une politique de rémunération plus attractive et développer des incitations à l’attractivité à travers un fond dédié et lancer une étude relative à la création d’une prime d’attractivité et de fidélisation ;
- communiquer sur une marque « service public » propre aux métiers de la fonction publique territoriale pour en accroître la notoriété ;
- développer toutes initiatives pour promouvoir l’emploi de secrétaire de mairie ;
- réfléchir à l’évolution de certains concours (expérimentation de concours sur titres pour les apprentis, réexamen périodique de la nature des épreuves et organisation plus fréquente de certains concours en tant que de besoin) ;
- élargir la base des recrutements permettant une promotion de fonctionnaires en y incluant les contractuels sur emploi permanent ;
- mieux prendre en compte les personnes en situation de handicap, notamment en les associant aux décisions les concernant ;
- améliorer les conditions de travail des agents territoriaux en les rapprochant de celles du secteur privé.
Mais toutes ces analyses et préconisations doivent être portées au plan politique en mettant fin au « fonctionnaire bashing » que portent trop de responsables nationaux alors même que les métiers de la territoriale sont essentiels à la vie quotidienne des citoyens.
5 - 1982-2022, QUARANTE ANS DE DÉCENTRALISATION
Les collectivités ont pris un poids considérable avec les lois de décentralisation et sont autonomes. Pour autant, je suis toujours frappée, lorsqu’il se passe quelque chose de voir les citoyens et les maires se tourner vers l’État car cela pose la question de la responsabilité de chacun.
La décentralisation n’est pas terminée et l’État a une place très importante en France par l’histoire de ce pays. Les collectivités sont de plus en plus fortes avec des moyens humains renforcés. Les administrateurs territoriaux sont devenus excellents et les collectivités ont des financements, toutefois la question se pose de la multiplication de différents niveaux. Les Français n’y comprennent rien. Nous avons créé un modèle réservé aux quelques spécialistes. Qui fait quoi ? C’est une difficulté à lever car on croit que l’État fait tout alors que les compétences juridiques sont ailleurs.
Il faudrait peut-être faire une pause : les réformes se succèdent trop vite et ces transformations coûtent cher (la création des grandes régions en est un exemple). Il y a plein de choses que l’on souhaite changer en permanence. Il faut laisser ce système fonctionner pendant dix ou quinze ans même s’il a des défauts. Il faut aussi être vigilants à la concurrence entre les collectivités car les plus « malins » gagnent toujours les appels à projet. Cela peut aussi être les plus politiques. Les élus ne doivent pas être en concurrence et il faut mettre plus de calme dans les relations. Les maires ont été aux premières loges pendant le covid-19 et les Français se sont reconnus dans l’action des communes. Il y a également une question de moyens. Comment finance-t-on les collectivités ? C’est une véritable question. Certains maires sont très sérieux, d’autres sont beaucoup plus dispendieux mais on ne peut pas revenir sur l’autonomie des collectivités locales. Il faut que l’État soit vigilant et continue à appuyer les territoires. Les relations entre l’État et les collectivités territoriales sont compliquées, cependant les élus sont utiles dans les prises de décisions de l’État. Il faut de l’écoute et que ce soit l’intérêt du pays qui l’emporte.
Les préfets sont des éléments essentiels de notre pays car il est organisé autour de l’État et de sa représentation. Le préfet a des compétences et des responsabilités très lourdes. Nous devons nommer à ces postes des personnes très compétentes et dévouées. Le couple préfet-maire fonctionne mieux que celui ministre-élu, car ils partagent le même quotidien. J’ai l’impression que le Gouvernement souhaite donner plus de pouvoirs à ce couple, que les préfectures essayent de porter de l’innovation publique et qu’il faut faire confiance.
- L. no 2012-347, 12 mars 2012, relative à l’accès à l’emploi titulaire et à l’amélioration des conditions d’emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique, dite « loi Sauvadet ».
- Extrait de la synthèse du rapport de Philippe Laurent, président du CSFPT, Corinne Desforges, inspectrice générale de l’administration, et Mathilde Icard, présidente de l’association des DRH des grandes collectivités, janvier 2022.