Démocratie participative à Nancy : la voie et les vertus ?

Le 13 janvier 2023

Souvent brandie et mise à toutes les sauces, mais rarement traduite en acte reconnu par les citoyens, la démocratie participative peine à convaincre de son existence et de sa crédibilité. Nancy, qui a adopté en 2021 rien moins qu’une constitution municipale, aurait-elle trouvé le dispositif approprié ?

En octobre 2021, Horizons publics s’était entretenu avec Laurent Watrin, adjoint à la démocratie coopérative, à l’innovation des politiques publiques et à la ville numérique de Nancy. La cité lorraine a en effet été la première ville de plus de 100 000 habitants à s’être dotée d’une constitution municipale de démocratie locale, révisable chaque année. Une démarche inédite de collaboration entre élus et citoyens pour permettre à tous de participer à la prise de décision et à la mise en œuvre des politiques de la municipalité. Dans un climat de défiance généralisé entre la société civile et les élus -y compris au niveau local- cette initiative visait à tenter de retisser les liens entre les habitants, les élus mais aussi les agents de la collectivité territoriale, un tryptique indispensable au bon fonctionnement de la démocratie locale.

14 mois plus tard, Horizons publics a souhaité revenir sur cette initiative afin de mesurer le chemin parcouru au niveau de l’organisation de cette coopération citoyenne et surtout sa traduction concrète en termes de projets co-construits dans le cadre du budget participatif. En effet, sans améliorations visibles du quotidien des habitants, « ce mouvement se transformera en un accélérateur de défiance ce qui serait fort grave », avait alors prévenu Dominique Valck, président du conseil de développement durable du Grand Nancy.

Si l’Assemblée citoyenne a connu des débuts compliqués en raison de la crise sanitaire, elle a tout de même pu s’atteler aux questions juridico-techniques afin de mettre notamment en place la méthode d’élaboration du budget participatif. Ce dernier affecte jusqu’à 1 million d’euros du budget d’investissement de la ville qui se monte à environ 130 millions d’euros. 251 projets ont été présentés, soit à titre collectif (associations,  conseils de quartiers…), soit à titre individuel, dont une grande partie portait sur la végétalisation de la ville mais aussi sur des aires de jeux ou encore des salles de change pour handicapés. 105 projets ont, dans un premier temps, été retenus par un comité de pilotage qui a étudié la faisabilité technique de chacun d’eux. Finalement, suite à des regroupements, 46 projets se sont vus déclarés éligibles au budget participatif et ont été lancés.

« Cet exercice de démocratie locale est d’un grand intérêt pour la circulation, le travail et la mise à niveau de l’information. Il permet aux citoyens de comprendre ce qui peut -ou pas- être fait sur le territoire, porté par le budget de la ville et quels sont les délais de réalisation des projets en fonction de différentes contraintes. Il ouvre également un espace de dialogue entre les habitants sur un sujet telle que la végétalisation qui divise sur la manière dont on vit avec le vivant. En outre, il facilite la transmission de l’information entre les citoyens et les agents municipaux », détaille Laurent Watrin qui poursuit : « Il peut aussi faire émerger des questions nouvelles comme celles des communs*. En fait, grâce à la pédagogie qu’il véhicule le budget participatif est un moyen de retrouver la confiance entre les citoyens et les élus », 

Selon Jacques Lacan, le réel, c’est quand on se cogne. C’est bien à des réalités techniques, financières, juridiques et sociales que plusieurs milliers de citoyens de Nancy, qui ont participé -à travers les 11 ateliers de vie de quartiers ou encore les votes, papiers et électroniques, sur les projets- à l’élaboration de ce budget participatif, se sont parfois heurtés, mesurant ainsi que l’on ne peut pas tout faire, tout de suite. Outre la faisabilité technique, un projet peut buter sur des obstacles juridiques, par exemple lorsqu’il sort de l’espace géré par la collectivité territoriale (un bord de canal, géré par VNF, ou une parcelle privée).

Il peut aussi soulever l’opposition d’une partie des habitants comme c’est le cas pour la végétalisation de la ville qui ne va pas sans désagréments. Implanter des mares naturelles au cœur des villes ne signifie-t-il pas le développement des moustiques ? Végétaliser les murs des écoles ne va-t-il pas attirer trop d’insectes et mettre les enfants en danger ? Dans un contexte de dérèglement climatique et face à la nécessité de préserver la biodiversité, c’est tout notre rapport au vivant que nous avons longtemps éloigné de nos cités qui doit être repensé tout en entendant les objections... « Vivre ensemble dans une démocratie signifie aussi dialoguer et avancer y compris avec des personnes que l’on n’aime pas », souligne Laurent Watrin.

Par ailleurs, pour la réalisation de certains projets de végétalisation le recours à des fournisseurs extérieurs s’avère nécessaire, même si la ville fait beaucoup de choses en interne. Les citoyens impliqués dans les projets du budget participatif sont alors confrontés aux hausses des prix des produits, inflation oblige, et aux retards de livraison.

Mais quoi qu’il en soit, après plus d’un an de fonctionnement, le dispositif de démocratie participative imaginé par Nancy semble avoir porté ses fruits notamment parce que les projets retenus et lancés en constitueront autant de traductions concrètes dans le quotidien des habitants.

« Nous avons effectivement engendré une dynamique de participation. Elle illustre cette expertise d’usage des citoyens que nous voulons prendre en compte, y compris provenant de la part de ceux qui ne votent pas mais peuvent avoir de bonnes idées et dont nous souhaitons inclure la parole », constate Laurent Watrin.

Même si les retours des habitants sont pour le moment plutôt positifs, l’élu se garde bien de crier victoire : la démarche participative de Nancy s’inscrit en effet dans le temps long et ce n’est qu’à cette échelle qu’un véritable bilan pourra être dressé.

Le renouvellement de l’assemblée citoyenne (par tirage au sort sur les listes électorales et appel au volontariat) va permettre d’aborder de nouveaux sujets concernant le quotidien des habitants tel que le partage de l’espace public, en lien avec la transition écologique et solidaire. Les mobilités, la piétonisation, la place de la voiture, l’animation de quartier, la création de guinguettes en ville seront autant de sujets qui seront examinés tant du point de vue des bienfaits que des éventuels problèmes et nuisances. « Si la première assemblée a été consacrée à des questions juridico-techniques, la seconde va résolument s’inscrire dans le concret. C’est dans ce rôle de réflexion sur l’amélioration du quotidien et du bien-être des habitants que réside sa valeur ajoutée. Beaucoup de travail reste à accomplir », conclut Laurent Watrin.

* Si un particulier coupe un arbre sur la parcelle dont il est propriétaire, il a certes le droit de le faire mais cela n’est-il pas contraire à l’intérêt général compte tenu du réchauffement climatique et de ses effets notamment en ville. Voilà qui renvoie à la question des communs et interpelle sur la notion de propriété privée. Mais pour le moment le législateur n’a rien prévu pour de telles situations.

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