L’Insee décrypte les mutations de la société française

Le 2 décembre 2019

L'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) a publié le 19 novembre son étude «France, portrait social 2019» retraçant 40 ans d’évolution de la société française.

 

Cette étude apporte un éclairage concernant la démographie (la France a gagné 12 millions d'habitants supplémentaires pour atteindre 65 millions de personnes en 2019), le temps de travail (diminution de la durée annuelle effective du travail de 350 heures, temps partiel multiplié par trois parmi les salariés), la mobilité sociale (la mobilité sociale des femmes a nettement progressé pour atteindre celle des hommes), les inégalités de vie et de redistribution (le niveau de vie médian après redistribution a augmenté de + 56% ; les niveaux de vie avant redistribution des retraités ont dépassé ceux des actifs depuis 2012, alors qu’ils leur étaient inférieurs d’un tiers il y a quarante ans...) et les opinions des Français (notamment l’idée que la société française a besoin de se transformer continue de progresser : c’est devenu l’opinion de 83 % des Français en 2019, contre 76 % en 1979).

 

Au moment où les mots de « crise », de « colère sociale », de « conflits » reviennent sans cesse dans l’actualité, ce nouveau Portrait social de la France peut surprendre les lecteurs attentifs au temps présent, tant il est rare de prendre le recul nécessaire pour prendre conscience des évolutions forcément lentes d’une société.

 

Le tableau globalement positif d’une société française plus peuplée et plus âgée, mais où le niveau de vie a sensiblement augmenté nonobstant une diminution sensible du temps de travail, où la réduction des inégalités a été bien réelle, heurte sans doute la perception instantanée du quotidien.

 

Mais il faut se rendre aux évidences établies par le travail très dense produit par les équipes de l’Insee avec 40 ans de recul : le rapport de l’Institut national retrace avec rigueur plusieurs évolutions majeures de la société française qui l’ont marqué quant à sa démographie, la mobilité sociale, la durée du travail, le niveau de vie et la réduction des inégalités ainsi que les opinions des français sur ces évolutions.

 

L'étude revient aussi sur le bilan des réformes sociales et fiscales intervenues en 2018 sur le niveau de vie des ménages et sur les inégalités, avec un constat : les personnes les plus aisées sont celles qui bénéficient le plus des mesures socio-fiscales mises en oeuvre en 2018, principalement du fait des réformes qui concernent les détenteurs de capital.

 

La population vieillit, mais la fécondité a-t-elle vraiment baissé ? Qui sont les immigrés d’hier et d’aujourd’hui ? Quels facteurs ont contribué à la diminution du temps de travail ? La mobilité sociale des femmes et des hommes a-t-elle progressé ou est-elle en recul ? Les inégalités de niveau de vie ont-elles évolué de la même manière avant et après redistribution ? Comment se sont transformées les opinions et préoccupations sur les grands sujets de société ? Cette étude de l'Insee apporte des éléments de réponse à toute ces questions.

12 millions d'habitants en plus en quarante ans

L’évolution démographique a été considérable : en quarante ans, la population française (de métropole) s’est accrue de 12 millions d’habitants pour atteindre 65 millions de personnes en 2019, au lieu de 53 en 1975 ; 78 % de cette hausse provient du solde naturel et 22 % du solde migratoire.

Ce point du rapport chiffre deux autres caractéristiques de la société française contemporaine : les femmes donnent naissance à leurs enfants de plus en plus tard : 30,7 ans en moyenne en 2018 contre 26,7 ans en 1975. La seconde évolution est que 60% des naissances surviennent désormais hors mariage, au lieu de 10% en 1975. Les familles monoparentales représentent 23 % des familles comprenant au moins un enfant mineur en 2016, contre seulement 12 % en 1990. (et 84 % de ces familles sont des femmes résidant seules avec des enfants mineurs).

L’espérance de vie a progressé de manière spectaculaire au cours des dernières quarante années : si en 1975, une femme pouvait espérer vivre 77 ans dans les conditions de mortalité de l’année et un homme 69 ans, en 2018, l’espérance de vie a atteint 85,4 ans pour les femmes et 79,5 ans pour les hommes.

La part des immigrés représente actuellement 9,7% de la population contre 7,3 en 1975, avec une diversification des origines : pour l’essentiel, le Maghreb et l’Afrique subsaharienne ont remplacé l’Europe du Sud et les autres pays d’Europe.

Le solde migratoire – autre point sensible - s’établit à + 61 000 personnes en moyenne par an entre 1975 et 2015. Depuis les années 2000, le solde migratoire des immigrés (personnes nées étrangères à l’étranger) s’est accru : de 65 000 personnes en moyenne par an entre 1975 et 1999, il passe à 145 000 par an jusqu’en 2010, puis à 168 000 par an entre 2010 et 2015. La population immigrée est plus féminine, plus âgée et plus diplômée qu’il y a quarante ans.

Le vieillissement de la population française s’est aussi accéléré :  en 2019, le pays compte 20,3 % de personnes âgées de 65 ans ou plus, contre 13,4 % en 1975. La part des personnes âgées de 85 ans ou plus atteint aujourd’hui 3,3 % de la population contre 0,9% en 1975.

La mobilité sociale des femmes a nettement progressé

Si la mobilité sociale[1] s’est globalement poursuivie de 1977 à 2015, celle des femmes a nettement progressé, pour dépasser celle des hommes, restée quasi stable.

L’INSEE note que la société française a connu une décroissance de l’emploi non salarié, mais on compte toujours plus d’ascensions sociales que de déclassements. La mobilité sociale des femmes a augmenté : par rapport à leur mère, les femmes sont beaucoup plus nombreuses à connaître une ascension sociale plutôt qu’un déclassement : elles sont bien plus souvent en mobilité ascendante par rapport à leur mère sur la période, et ce quelle que soit leur origine sociale. Le rapport note que les destinées sociales des femmes salariées se rapprochent nettement de celles des hommes.

Chez les hommes, le taux de mobilité ascendante a progressé entre 1977 et 2015, et ce quelle que soit leur origine sociale. Mais les inégalités sociales d’accès aux professions de cadres demeurent encore élevées.

Une diminution de temps de travail

S’agissant du travail, sa durée annuelle a connu une baisse considérable et son organisation a évolué. L’INSEE enregistre une diminution globale de 350 heures depuis 1975 ( - 17%), pour atteindre 1 609 heures en moyenne en 2018 avec des changements notables intervenus dans l’organisation du travail (des horaires plus irréguliers et plus contrôlés). La baisse de la durée du travail annuel est moins sensible chez les cadres (impact du forfait jour).

Le fort mouvement de baisse provient d’abord de celle du temps de travail des salariés à temps complet (effet des mesures législatives sur la durée effective du travail), mais aussi du développement du temps partiel qui apparaît comme la seconde composante de la baisse de la durée globale ; la part du travail à temps partiel au sein du salariat a triplé en quarante ans. Cette forme de travail s’est accrue chez les femmes, les jeunes et les étrangers ; quatre emplois à temps partiel sur cinq sont occupés par des femmes en 2018.

Si les horaires de travail se sont flexibilisés, le rapport note la diffusion du travail du dimanche (pour les employés et les jeunes). Plus d’un quart des salariés (28 %) déclarent avoir travaillé le dimanche en 2016, contre 12 % en 1974.

Une progression du niveau de vie, surtout pour les retraités

En quarante ans, la société française a connu une autre évolution majeure : le niveau de vie médian après redistribution a augmenté de + 56% entre 1975 et 2016. Avant redistribution, le niveau de vie médian a aussi progressé de façon quasi continue de 1975 au milieu des années 2000 mais stagne depuis la crise de 2008. En 2016, il est supérieur de 69 % à celui de 1975.

Dans cette évolution, un phénomène remarquable apparaît : les niveaux de vie avant redistribution des retraités ont dépassé ceux des actifs depuis 2012, alors qu’ils leur étaient inférieurs d’un tiers il y a quarante ans. En effet, le niveau de vie médian avant redistribution a progressé plus de deux fois plus vite pour les retraités que pour les actifs au cours des quarante dernières années.

Les auteurs notent sur la période l’augmentation du taux des prélèvements directs (impôt sur le revenu, taxe d’habitation, contributions sociales) ainsi que la diminution de leur progressivité.

Le poids moyen des prestations sociales dans le revenu des ménages a diminué d’un quart entre 1978 et 2016, mais celles – ci sont devenues plus concentrées vers les bas revenus (alors que les 10% de ménages les plus modestes avant redistribution recevaient 25% du total des prestations en 1975, ils en perçoivent 46% en 2016).

Trois lignes de force concernant les opinions des Français

Ultime exercice délicat, le rapport explore les opinions des français sur leur société et son évolution. Parmi les principales lignes de force qui se dégagent, trois paraissent mériter d’être relevées :

  • En 10 ans, et dans tous les milieux, l’opinion s’est complètement retournée à propos du travail des femmes : aujourd’hui, 8 personnes sur 10 y sont favorables, alors qu’en 1979, on n’en comptait que 3 sur 10). On retient que la liberté des femmes de travailler quand elles le désirent, y compris lorsqu’elles ont des enfants en bas âge, est devenue progressivement la norme, alors que cette opinion était minoritaire quarante ans plus tôt.
  • Les Français ont une opinion plus réservée sur l’évolution de leur niveau de vie aujourd’hui qu’auparavant : en 1979, 46 % d’entre eux estimaient qu’il s’était amélioré depuis une dizaine d’années ; ils ne sont plus que 24 % en 2019.
  • Enfin, l’idée que la société française a besoin de se transformer continue de progresser : c’est devenu l’opinion de 83 % des Français en 2019, contre 76 % en 1979.

Au final, ce bilan technique que beaucoup de pays aimeraient pouvoir afficher, suscite au moins une interrogation plus politique au regard du personnel politique - qui au cours des dernières décennies a œuvré pour la réalisation de ces évolutions – mais qui ne parvient guère à en récupérer le bénéfice. Des explications sont sans doute à trouver dans une certaine fuite en avant de l’action publique, jointe au refus d’assumer l’héritage des équipes précédentes.

Les réformes socio-fiscales de l'ère Macron ont bénéficié aux personnes plus aisées

Le rapport 2019, très dense, comporte aussi trois dossiers particuliers qui analysent de manière approfondie le niveau de vie des familles monoparentales entre 2010 et 2015, l’imposition conjointe des couples mariés et pacsés ainsi que les mesures socio-fiscales mises en œuvre en 2018. Les personnes les plus aisées sont celles qui bénéficient le plus des mesures socio-fiscales mises en oeuvre en 2018, principalement du fait des réformes qui concernent les détenteurs de capital, précise l'Insee.

 

Par ailleurs, une quarantaine de fiches techniques prolongent utilement les analyses générales sur le cadrage économique, la population et le marché du travail, les niveaux de vie et la redistribution, la qualité de vie ainsi qu’un cadrage européen permettant de resituer la société française dans ce contexte plus large.

 

[1]  La mobilité sociale caractérise des situations où la catégorie socioprofessionnelle de l’individu est différente de celle du parent auquel il est comparé. Elle est mesurée pour les hommes âgés de 35 à 59 ans par rapport à leur père et les femmes âgées de 35 à 59 ans par rapport à leur père ou à leur mère.

France : portrait social, édition 2019

L’Insee Références France, portrait social s’adresse à tous ceux qui veulent mieux connaître la société française. Dans cette édition 2019, l’Insee propose quarante ans d’évolution de la société française concernant la démographie, le temps de travail, la mobilité sociale, les inégalités de vie et de redistribution et les opinions des français. Trois dossiers analysent ensuite de manière approfondie certains aspects de la société française avec l’évolution du niveau de vie des familles monoparentales, les effets de l’imposition conjointe sur le niveau de vie des couples mariés ou pacsés comparés à une situation où il serait individualisé et l’effet des reformes socio-fiscales intervenues en 2018 sur le niveau de vie des ménages.

Pour en savoir plus : France, portrait social, Collection INSEE Référence. Edition 2019, 290 pages

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