Une nouvelle loi «mosaïque» pour accélérer et simplifier la transformation de l’action publique

Assemblée nationale
L’examen du projet de loi ASAP a été inscrit à l’ordre du jour de 8 séances, du lundi 28 septembre jusqu’au vendredi 2 octobre ; le vote sur l’ensemble du texte le 6 octobre en fin de la première lecture a permis l’adoption du texte par 332 voix contre 113 et 86 abstentions.
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Le 13 octobre 2020

Le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique (dite loi « ASAP ») constitue une étape importante de la transformation engagée dans le prolongement du Grand débat national, suite à la crise des Gilets jaunes. Avec pour objectif initial de « rapprocher l’administration du citoyen, simplifier les démarches (…), faciliter le développement des entreprises », le projet de loi a été adopté par le Sénat puis l'Assemblée nationale le 6 octobre dernier. Il a été transmis le 7 à la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion. Une saisine du Conseil constitutionnel étant ensuite vraisemblable, il est intéressant de dresser d’ores et déjà un bilan provisoire de cette élaboration perturbée par la crise sanitaire.

 

Ce qu'il en ressort, c'est un projet au contenu disparate, qui s'apparente aux lois mosaïques, « ces conglomérats de dispositions disparates », selon Francis Delperee, professeur à l’Université de Louvain. Bâti de manière classique autour de suppressions de commissions administratives, de déconcentration de décisions administratives individuelles, de simplification des procédures applicables aux entreprises ainsi que d’inévitables « dispositions diverses » de simplification et de suppressions de « surtranspositions » de directives européennes en droit français, le texte a triplé de volume en 7 mois de vie parlementaire, passant de 50 à 146 articles.

 

Intervenu au début de l’été, le changement de Premier ministre ainsi que des ministres en charge du projet, n’a pas entamé la volonté de voir le texte promulgué bien avant la fin de l’année. Le concept de « transformation » a fait son apparition dans les décrets relatifs à l’organisation du gouvernement, où il succède à la « réforme administrative » utilisée (en association avec la fonction publique) de la IVème République aux débuts de la V° République, puis à la « réforme de l’État » employée à partir de 1995 jusqu’en 2020, avec parfois l’adjonction significative des termes de « décentralisation » ou de « simplification ».

 

Parmi les ministres défendant le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique devant les parlementaires, Mme Amélie de Montchalin, chargée de la transformation et de la fonction publiques dans le gouvernement de Jean Castex, a pris sa place avec un champ de compétences qui mérite l’attention pour sa partie « transformation ».

 

Bien qu’apparemment dépourvu d’enjeux politiques majeurs, consensuel par nature, le projet ASAP a cependant fait apparaître des clivages au sein de la majorité, au point d’obliger le gouvernement à faire preuve d’autorité. Ce fut le cas pour l’article 25 à propos de la consultation du public pour les projets soumis à autorisation ne faisant pas l’objet d’une évaluation environnementale. Décryptage de la genèse et du contenu du texte, avant sa promulgation prochaine.

« Qu’il est compliqué de simplifier ! ». La formule du député Thierry Benoit[2] s’applique bien à la future loi qui s’inscrit dans le programme Action Publique 2022. Dès le début de son quinquennat, le président Emmanuel Macron avait souhaité engager des actions de transformation profonde du pays, avec la volonté d’imposer à la « sphère publique » le même niveau d’ambition que celui fixé aux acteurs économiques.

Dans cette perspective, Action Publique 2022 visait trois objectifs principaux : assurer un meilleur service public aux usagers et améliorer l’exercice des métiers d’agent public, tout en réduisant la dépense publique. Depuis octobre 2017, cinq actions interministérielles sont déclinées dans des plans de transformations ministériels ; elles portent sur la simplification et l’amélioration de la qualité des services, la rénovation des ressources humaines, la transformation numérique et la modernisation de la gestion budgétaire et comptable ainsi que l’organisation territoriale des services publics.

Comme souvent pour des textes législatifs à l’intitulé très large, le contenu du projet de loi ASAP s’est fortement étoffé depuis son dépôt. La procédure suivie n’est guère séparable de la diversité de son contenu (encore provisoire).

La reconnaissance de la transformation publique au niveau gouvernemental

Intervenu au début de l’été, le changement de Premier ministre ainsi que des ministres en charge du projet, n’a pas entamé la volonté de voir le texte promulgué bien avant la fin de l’année.

Le concept de « transformation[3] » vient de faire son apparition dans les décrets relatifs à l’organisation du gouvernement, où il succède à la « réforme administrative » utilisée (en association avec la fonction publique) de la IVème République aux débuts de la V° République, puis à la « réforme de l’État » employée à partir de 1995 jusqu’en 2020, avec parfois l’adjonction significative des termes de « décentralisation » ou de « simplification ».    

Parmi les ministres défendant le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique devant les parlementaires, Mme Amélie de Montchalin, chargée de la transformation et de la fonction publiques dans le gouvernement de Jean Castex, a pris sa place avec un champ de compétences qui mérite l’attention pour sa partie « transformation ».

Outre un bloc d’attributions relatives à la fonction publique (art. 3), le décret n° 2020 - 882 du 15 juillet 2020 détaille ce qui relève de la transformation de l'action publique. On notera l’inflexion apportée au concept de transformation par le premier article du texte qui revient au concept de modernisation : « Le ministre de la transformation et de la fonction publiques prépare et met en œuvre, en lien avec les ministres intéressés, la politique du Gouvernement en matière de modernisation de l'action publique et de fonction publique ».

La transformation de l’action publique revêt d’abord un volet numérique que la ministre est chargée d’accélérer en développant et en améliorant les services numériques ainsi que l'ouverture et la circulation des données. Elle doit apporter un appui aux ministères et opérateurs dans la conception, la mise en œuvre et l'évaluation des mesures visant à améliorer la qualité et l'efficacité des services publics tout en animant leur action dans ce domaine.

En lien avec le ministre de l'économie, des finances et de la relance, la ministre de la transformation publique anime les travaux de modernisation du cadre de la gestion budgétaire et comptable publique. Elle est associée à la politique d'administration territoriale de l'État et à la coordination des initiatives favorisant l'accès des usagers aux services publics.

Le décret du 15 juillet prévoit qu’elle coordonne la préparation et le suivi des mesures de simplification des procédures et d'allègement des contraintes administratives et qu’elle contresigne les décrets relatifs à l'organisation des administrations centrales, des services à compétence nationale, des services déconcentrés et des établissements publics placés sous la tutelle de l'Etat.

Sur le plan des services de l’État, on notera que la ministre de la transformation et de la fonction publiques a désormais autorité sur la direction interministérielle de la transformation publique[4] et la direction interministérielle du numérique.

Outre Mme de Montchalin, la défense du projet de loi ASAP au Parlement a mobilisé Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée chargée de l'Industrie, M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ainsi que et Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée chargée du logement. 

Un projet au contenu disparate

Pour illustrer le caractère disparate du texte voté par l’Assemblée nationale, il suffit de citer quelques - unes de ses dispositions comme l’intéressement dans les très petites entreprises, la libéralisation du marché des pièces détachées pour l’automobile, la comparution par visioconférence des personnes détenues, le périmètre des marchés globaux pour la Société du Grand Paris, la lutte contre les « mines orphelines », la dématérialisation des actes de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ou la suppression de la base de données « Implantations des commerces de détail »…

L’origine de cette disparité est assez simple. Comme le rappelait à l’Assemblée nationale le rapporteur, M. Guillaume Kasbarian, « l’action publique souffre de lenteur et de lourdeur en raison de règles complexes et de contraintes croissantes » et le recours à la loi s’impose pour réaliser des mesures pour lesquelles l’emploi d’un simple règlement ne suffit plus.

À la fin de la première lecture, le projet de loi ASAP comporte des mesures ponctuelles, d’effet immédiat, et des réformes plus profondes, à moyen et long terme. Clair et assez homogène à l’origine, le projet s’est alourdi sous l’effet des amendements.

Bâti de manière classique autour de suppressions de commissions administratives, de déconcentration de décisions administratives individuelles, de simplification des procédures applicables aux entreprises ainsi que d’inévitables « dispositions diverses » de simplification et de suppressions de « surtranspositions » de directives européennes en droit français, le texte a triplé de volume en 7 mois de vie parlementaire, passant de 50 à 146 articles.

Autour des grands axes précités, les parlementaires ont pu facilement introduire au fil des séances des modifications ou des suppressions, voire des compléments. M. Bruno Duvergé, président de la commission spéciale chargée d’examiner le projet ASAP, avait indiqué aux députés que, compte tenu de la très grande diversité des sujets traités par le projet de loi, il considérait que « présentait un lien indirect avec celui-ci tout amendement concourant à simplifier les relations entre l’administration, quelle qu’elle soit, et les usagers, ainsi que les amendements visant à simplifier des procédures et l’organisation administrative et, d’une façon générale, à faciliter l’action publique ou à simplifier les démarches des particuliers et des entreprises ».

Dans ces conditions, si la suppression de commissions administratives et la déconcentration de décisions administratives individuelles n’ont attiré qu’assez peu d’amendements, les autres titres ont été abondamment visés.

S’agissant des suppressions de commissions, le Gouvernement s’était engagé, lors du dernier comité interministériel de la transformation publique, à supprimer 86 commissions consultatives. Après le recours à la voie réglementaire (décrets des 18 et 30 décembre 2019), le projet de loi supprime ou regroupe une vingtaine de ces commissions pour lesquelles une disposition législative était nécessaire.

Plusieurs disparitions ont été facilement actées comme la suppression de la commission consultative paritaire nationale des baux ruraux (qui ne s’était plus réunie depuis 2011), du comité central du lait, de la commission nationale d’évaluation des politiques de l’État outre-mer.

D’autres avec davantage de résistances, comme pour la commission de suivi de la détention provisoire, le conseil national de l’aide aux victimes, l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice, l’observatoire national de la sécurité et de l’accessibilité des établissements d’enseignement et du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, ou encore le Conseil supérieur de la mutualité.

Simultanément, pour que les décisions administratives individuelles soient désormais prises au niveau déconcentré, le gouvernement a ajouté de nouvelles décisions dans les domaines de la culture et de la santé, relatives notamment :

  • au règlement de différends en matière d’archéologie préventive ;
  • à la délivrance des certificats de conformité aux bonnes pratiques pour les laboratoires d’essais;
  • à l’agrément des dispositifs de traitement dans les installations d’assainissement non collectif ;
  • à des interdictions de divulgation et de libre exploitation des brevets ainsi qu’à leur prorogation.

La suppression de justificatifs de domicile, de formalités pour des pratiques sportives, l’allègement de l’inscription à l’examen pratique du permis de conduire, visent à faciliter des démarches de la vie quotidienne.

Les simplifications visant à accélérer l’implantation de sites industriels en France et développer l’activité et l’emploi, ont été une étape plus délicate des débats, notamment pour :

  • L’allègement de contraintes pour les porteurs de projets industriels ; ces dispositions ont mobilisé les défenseurs de la sécurité des sites industriels, amenant la ministre chargée de l’industrie à préciser que les évolutions proposées concernaient les procédures d’instruction et non le fond du droit de l’environnement, l’archéologie préventive ou du droit de l’urbanisme ;
  • L’assouplissement de la commande publique par l’introduction des « circonstances exceptionnelles[5] » ;
  • Le relèvement - jusqu'à fin 2022 – du seuil de dispense de publicité et de mise en concurrence pour la conclusion des marchés publics de travaux[6] ;
  • Ou encore l’habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance pour prolonger tout ou partie des dispositions de l’ordonnance du 12 décembre 2018 relative au règlement du seuil de revente à perte et à l’encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires.

Les débats parlementaires ont été vifs à propos de l’éolien et ont même duré plus d’une séance pour un article élargissant la définition du domicile aux résidences secondaires ou occasionnelles et prévoyant l’intervention du préfet sans délai quand il est saisi d’une demande d’évacuation forcée du local.

La dernière partie du projet de loi ASAP a moins suscité de débats. Elle vise à corriger des « écart de transposition » de directives européennes qui allaient au-delà des exigences de ces textes, comme :

  • la suppression de l’interdiction faite aux assureurs de participer à la négociation des honoraires des avocats intervenant en protection juridique ou celle des obligations de mise en conformité d’équipements radioélectriques, de publicité en matière d’actions en restitution de biens culturels ;
  • la sortie d’archives publiques courantes et intermédiaires du champ des trésors nationaux.

Les répercussions politiques du projet de loi

Bien qu’apparemment dépourvu d’enjeux politiques majeurs, consensuel par nature, le projet ASAP a cependant fait apparaître des clivages au sein de la majorité, au point d’obliger le gouvernement à faire preuve d’autorité.

Ce fut le cas pour l’article 25 à propos de la consultation du public pour les projets soumis à autorisation ne faisant pas l’objet d’une évaluation environnementale, laquelle a suscité – à l’Assemblée nationale - le recours à une seconde délibération : après avoir  été supprimé dans un premier temps par 55 voix contre 53 (majorité absolue des suffrages exprimés) le mardi 29 septembre, l’article a finalement été rétabli in extrémis le vendredi 2 octobre, en fin de première lecture, alors que le nombre des députés favorables à sa suppression s’était sensiblement réduit. 

Des parlementaires ont expliqué ce regain de tensions notamment par la procédure suivie pour le projet ASAP : des mesures nouvelles ont été introduites dans le texte sans véritable étude d’impact ni avis du Conseil d’Etat, surtout sans avoir trop de rapport direct avec l’objectif initial du projet de loi. La critique porte sur des réformes plus larges comme l’amendement du gouvernement ajoutant l’intérêt général comme justification du recours à un marché de gré à gré, sans publicité ni mise en concurrence préalable[7].

D’autres parlementaires ont aussi relevé que la procédure suivie pour le projet ASAP avait permis au gouvernement d’introduire des mesures de relance économique (plusieurs dizaines d’amendements) lors de l’examen par l’Assemblée nationale, qui n’avaient pas été soumis en première lecture au Sénat. Ministre déléguée chargée de l’industrie. Mme Agnès Pannier – Runacher a fait valoir à décharge que le texte avait été enrichi par deux types de simplification complémentaires : la pérennisation de mesures d’urgence votées depuis mars 2020 et ayant fait leurs preuves et des mesures de simplification utiles pour accélérer la relance de notre pays.

Au total, alors que la commission mixte paritaire va s’efforcer de parvenir à un compromis final, le projet ASAP a fait l’objet d’appréciations divergentes en fin de première lecture (qui n’ont pas empêché son adoption). Si Mme Mathilde Panot (La France Insoumise) a estimé que le projet « détricote fortement l’État et la puissance publique » et M. Thibault Bazin (LR) a jugé le texte un peu « fourre-tout avec des mesures clairement négatives », Mme Laure de La Raudière (Mouvement Démocrate) considère en sens inverse qu’un travail de fond en matière de simplification a été accompli, « sans ajouter des articles de complexification, profitant de l’aubaine que constitue la grande variété des sujets abordés ».

On peut émettre l’hypothèse que la méthode suivie pour ce type de loi a quelque peu amplifié les oppositions touchant le fond des sujets traités.

 

[1]  L’examen du projet de loi ASAP a été inscrit à l’ordre du jour de 8 séances, du lundi 28 septembre jusqu’au vendredi 2 octobre ; le vote sur l’ensemble du texte le 6 octobre en fin de la première lecture a permis l’adoption du texte par 332 voix contre 113 et 86 abstentions.

[2]  Ille-et-Vilaine (6e circonscription) ; A.-N. le 2 octobre, citant Patrick Strzoda, alors préfet de la région Bretagne.

[3]  L’exemple revient souvent quand on veut définir la transformation : « La chenille se transforme en papillon » note Littré dont la définition est « Donner à une personne ou à une chose une forme nouvelle ». En associant « transformation » et « publique », le décret de 2020 a créé un champ d’application original et étendu du concept à la « sphère publique », aux contours un peu flous.

[4]  Son organisation est fixée par le décret n° 2017-1584 du 20 novembre 2017 relatif à la direction interministérielle de la transformation publique et à la direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication de l'Etat

[5]  Cas de guerre, d’épidémie, de pandémie, de catastrophe naturelle ou de crise économique majeure, affectant les modalités de passation ou les conditions d’exécution d’un marché public.

[6]  à 100 000 € HT

[7]  A l’article L. 2122-1 du Code de la commande publique.

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