Bilan climat des budgets locaux : les cas d’Oslo, Paris et Strasbourg

Le 22 octobre 2021

La Convention des Maires pour le Climat et l'Energie, un mouvement mondial de villes pour l’action locale en matière de climat et d’énergie, organisait le 8 juin 2021 un webinaire sur le bilan climat des budgets locaux. L’objectif était de partager l’analyse des budgets locaux au prisme du climat. À cette occasion, des représentants des villes de Paris, Strasbourg et Oslo sont venus témoigner de leur expérience.

Pour réussir les objectifs liés à la transition écologique, il est nécessaire d’analyser les projets portés par les villes. C’est notamment à travers le budget que l’on peut s’apercevoir de la direction prise et de l’orientation qu’on souhaite lui donner. Car les dépenses d’une ville ne sont pas anodines, elles peuvent contribuer à accélérer ou freiner la transition écologique. Pour guider les villes dans cette analyse, l’Institut d’économie du climat (I4CE), une association experte de l’économie et de la finance dont la mission est de faire avancer l’action contre les changements climatiques, a développé un outil méthodologique pour évaluer le budget des collectivités locales par rapport au climat.

Pour l’élaborer, I4CE s’est entouré de cinq collectivités locales françaises (villes de Paris et Lille, métropoles de Strasbourg, Lyon et Lille), l’Agence de la transition écologique (Ademe), l’Association des maires de France (AMF), EIT Climat KIC et l’association des grandes villes (France urbaine). Dans ce webinaire, les villes de Paris et Strasbourg sont venues témoigner de la mise en place de cette méthodologie et de leurs perspectives. La ville d’Oslo a également pris part à l’échange en montrant sa manière de remettre en cause les dépenses et de les orienter vers la transition écologique.

Le budget climat, un nouveau regard sur les dépenses d’une collectivité

Antoine Goxe, chef de projet Territoires et climat à I4CE, a démarré le webinaire par l’explication du concept du « budget climat ». Il s’agit d’apporter un nouveau regard sur les lignes de dépenses d’une collectivité. Pourquoi ? En les décryptant, vous allez pouvoir « identifier les actions qui ont un effet positif ou négatif sur l’environnement, et ainsi analyser les opportunités pour orienter les politiques ». Il précise également qu’une telle démarche permet d’obtenir le label Cit’Ergie. Aussi, la méthodologie est basée sur des objectifs français, mais elle est évidemment adaptable en fonction des objectifs nationaux de chaque pays.

 

Marion Fetet, également membre de I4CE en tant que chargée de recherche Fiscalité et climat, prend ensuite la parole pour expliquer plus en détail la méthodologie. Elle explique les différentes catégories qui vont servir de repère à la classification. Pour chaque dépense, il est nécessaire de se poser la question suivante : « Est-ce que ça réduit ou augmente les gaz à effet de serre ? » Ensuite, il faut classer chaque dépense en fonction de la réponse. Est-ce que la dépense est très favorable à la transition écologique ? Plutôt favorable ? Neutre ? Indéfinie ? Défavorable ? Ou très défavorable ? Allant de la couleur verte pour très favorable à marron pour très défavorable, Marion Fetet renvoie vers les guides pour réaliser ce travail : « Il y a beaucoup de lignes dans les budgets, la méthode que nous avons développée est plus rapide pour les catégoriser. Premièrement, il faut regarder toutes les dépenses et utiliser Excel tool. Puis, utiliser la technique d’atténuation du guide. »

Pour Antoine Goxe, le budget climat permet d’« identifier les actions qui ont un effet positif ou négatif sur l’environnement, et ainsi analyser les opportunités pour orienter les politiques ».

Paris, des débuts prometteurs

Le webinaire s’est poursuivi à travers un partage d’expérience réunissant les villes de Paris, Strasbourg et Oslo. Pour Paris, c’est Elsa Meskel, cheffe de projets Ville bas carbone 2050, qui est intervenue. 2020 a été une année de test et d’exercice pour maîtriser et hiérarchiser le budget climat. La ville a mis un point d’honneur à « travailler sur une meilleure cohérence entre les dépenses et les enjeux liés au climat, travailler et analyser sur l’entièreté du budget de la ville », précise Elsa Meskel. Toutes les lignes ont été analysées par un groupe constitué du secrétariat général de la délégation de l’écologie, la transition et la résilience, la direction de l’environnement et la direction des finances. Ensuite, d’autres experts dans d’autres services peuvent intervenir pour mieux comprendre certaines lignes comme ce fut le cas pour le service des affaires sociales et des services aux parisiens ou le développement économique et urbain. Une analyse de l’année 2019 a été réalisée en 2020. Près de 2 000 lignes budgétaires ont été passées au crible pour définir quel était leur degré d’impact carbone. Il en ressort que 23,2 % du budget a un impact favorable, 1,8 % défavorable, 55 % neutre et 20 % reste indéfini. Concernant cette dernière catégorie, il est nécessaire de s’entourer des services opérationnels pour clarifier toutes les lignes. Pour ce faire, en 2021, le programme d’investissement de mandature (PIM) a été utilisé. Il regroupe la totalité des opérations d’investissement de la ville de Paris par mandature. Tous les départements sont ainsi conviés à pré analyser leur budget. Ensuite, des workshops sont organisés pour en discuter, clarifier certains points et ouvrir les discussions sur quelle couleur attribuer à quelle ligne. « Nous continuons d’apprendre, chaque fois que nous confrontons la méthodologie à nos lignes de budget, conclu Elsa Meskel. »

Strasbourg, à la recherche de solutions

La parole a ensuite été donnée à Mikaël Lux, chargé de mission Plan climat à l’Eurométropole de Strasbourg. Il analyse le budget pour la ville et l’Eurométropole. Des plans climat sont adoptés à ces deux échelles depuis 2009. Il détaille les résultats de l’application de la méthodologie. Pour la ville de Strasbourg, en 2021, le budget s’élève à 530 millions d’euros dont 400 pour le budget opérationnel 133 pour les investissements. Comme les villes ont globalement les mêmes compétences et pouvoirs, Strasbourg a choisi de se focaliser sur l’évaluation du budget d’investissement. Le résultat est le suivant : 77% est neutre, 2% pas favorable, 7% indéfini, 3 % plutôt favorable et 11 % très favorable. Quant à l’Eurométropole, le budget d’investissement est de 270 millions d’euros, et après l’application de la méthode I4CE, on constate que les part se divisent ainsi : 65 % neutre, 12 % pas favorable, 5 % indéfini, 10 % plutôt favorable et 8 % très favorable. À la suite de ces résultats, Mikaël Lux et son équipe ont essayé de trouver des solutions pour limiter la part du budget classée dans la catégorie « pas favorable ». Mais parfois, il n’y en a pas. Car autant il est possible de remplacer les voitures diesel par des voitures à faible émission ou par la création de zone de non-émission, mais quand il s’agit d’un investissement sur un parking ou un aéroport, les solutions deviennent plus rares, on ne peut pas stopper un aéroport. Pour Mikaël Lux, l’évaluation du budget du climat « donne un autre moyen de regarder le budget, il y a encore beaucoup à faire, mais on essaie et on améliore », assure-t-il.

Oslo, précurseur de l’analyse du budget

Juste avant de laisser la parole aux participants pour les questions, Astrid Landstad, de l’agence pour le climat de la ville d’Oslo, est intervenue. La capitale de la Norvège a de grandes ambitions, notamment celle de réduire de 95 % ses émissions de CO2 d’ici 2030. Pour atteindre cet objectif et faire d’Oslo une ville résiliente, « une des clés du budget est la fragmentation entre les responsabilités globales et locales », argumente Astrid Landstad. Le budget climat de la ville est géré par les départements finance, environnement et transport. Mais tous les départements peuvent proposer des mesures. L’agence pour le climat fait office de conseiller. Une première analyse a été faite dès 2017. L’évaluation d’Oslo est assez similaire à celle de I4CE. Elle est réalisée sur la zone géographique de la ville, pas seulement l’administration, et avec la combinaison des mesures locales, régionales et nationales. Oslo a développé sa propre méthodologie pour le budget, proche de celle de I4CE. Même si la ville est encore loin de ses objectifs, elle a mis en place plusieurs paliers pour réduire ses émissions de gaz et aller vers une adaptation au climat.

Pour la ville de Paris, près de 2 000 lignes budgétaires ont été passées au crible pour définir quel était leur degré d’impact carbone. Il en ressort que 23,2 % du budget a un impact favorable, 1,8 % défavorable, 55 % neutre et 20 % reste indéfini.

L’évaluation du budget par le climat : quelles limites ?

À la fin de leurs interventions, les participants ont pu donner leur ressenti, les leçons tirées de ces expériences et surtout, les limites de l’analyse du budget par le prisme du climat. Des points importants à intégrer avant de débuter la méthodologie. Elsa Meskel, de la ville de Paris, en relève un premier : « Il est impossible de comparer [les villes] car elles n’ont pas le même management, le même contexte économique et social, etc. » Elle précise aussi que « l’évaluation climatique du budget n’est pas destinée à être exhaustive, elle éclaire le décideur sur un aspect parmi d’autres ». Cette évaluation doit aussi être mise en perspective avec les actions mises en place qui ont un effet environnemental ou social positif. Car les efforts faits par les collectivités en ce sens, comme la règlementation, par exemple, ne sont pas toujours représentés dans le budget. Le guide méthodologique d’I4CE préconise de compléter les résultats de l’évaluation climat : « Afin de pouvoir effectuer ce suivi, d’autres outils de pilotage (comme les indicateurs de suivi des plans climat air énergie territoriaux [PCAET]) doivent être mis en place dans la collectivité. » Ce guide aiguille également les collectivités à trouver les ressources nécessaires et les indicateurs extra-financiers qui permettraient de catégoriser une dépense, car les lignes budgétaires sont souvent peu détaillées. Malgré ces limites, toutes les villes qui ont expérimentées cette méthode s’accordent à dire qu’elles n’en sont qu’aux prémisses et qu’elles continuent d’apprendre, dans le but de pérenniser la démarche.

Pour aller plus loin

Retrouvez l’ensemble des ressources de l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE – Institute for climate economics) sur l’évaluation climat des budgets : https://www.i4ce.org/go_project/cadre-evaluation-climat-budget-collectivites/

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