Les limites planétaires, un nouvel horizon pour les collectivités locales

Villes durables en action édition 2023
En proposant d’intégrer les limites d’habitabilité de la planète dans la planification territoriale, les rencontres Villes durables en action marquent une évolution importante du cadre d’analyse de la transformation écologique.
©FVD
Le 5 septembre 2023

La troisième édition de « Villes Durables en Actions », organisée les 25 et 26 septembre prochains, a pour fil rouge la « Régénération ». L’objectif est de convaincre les décideurs publics d’engager dès maintenant une planification territoriale à l’horizon 2050 en intégrant les limites planétaires.

 

Après Dunkerque, cette édition 2023, dont Horizons publics est partenaire média pour la troisième année, se tient à Marseille, la deuxième plus grande ville de France et déjà fortement exposée aux conséquences du réchauffement climatique (vagues de chaleur, feux de forêt, assèchement…). L’occasion de montrer ce que fait la Cité phocéenne, qui a décroché le label européen "100 villes neutres en carbone en 2030" en avril 2022, et qui s’est engagée dans un « contrat ville climatique » plus ambitieux pour se préparer à des scénarios extrêmes dans les années à venir (requalification de l’espace public, végétalisation des voiries, expérimentation de « la rue méditerranéenne du XXIème siècle »…)

Aux commandes de cet événement national orienté solutions depuis trois ans, l’association France Ville Durable va en profiter pour faire évoluer son manifeste en incluant désormais « le vivant et l’habitabilité ».

L’association va aussi acter le changement de présidence – le maire et président de la communauté urbaine de Dunkerque Patrice Vergriete étant devenu ministre chargé du Logement depuis le remaniement du 20 juillet 2023) et de nom (« France Ville Durable » devient « France Villes et Territoires Durables »). Depuis sa création, son périmètre d’action n’a cessé de s’élargir (des villes aux territoires ruraux), de gagner de nouveaux adhérents dans ses quatre collèges (collectivités locales, entreprises, État et experts) et de défendre une voie franco-européenne de la ville et des territoires durables, entre le modèle asiatique du « tout sécuritaire » et le modèle anglo-saxon du « laisser-faire ».

« C’est un événement étape pour notre association qui va acter deux évolutions majeures : la gouvernance avec l’élection d’un(e) nouveau président et le cadre logique de vision et d’action, co-construit avec notre comité scientifique », confie Sébastien Maire, le délégué général de l’association France Ville Durable (FVD). Depuis sa création en décembre 2019, et l’adoption de son manifeste pour qui la ville du XXIe siècle doit être « sobre, résiliente, inclusive et créative », l’association se trouve aujourd’hui à un tournant. « On n’abandonne rien du Manifeste d’avant, mais en raison de l’urgence climatique toujours plus pressante, le ton se renforce sur l’importance et la place du vivant dans la transformation écologique », résume notre interlocuteur, dans un long entretien qu’il nous a accordé à la veille de l’évènement. Le manifeste suit autant que possible les évolutions sociétales liées à la transition écologique. Après la sobriété, place aujourd’hui à la notion d’habitabilité, de limites planétaires et de « territoires régénératifs ». « Avec le passage du durable au régénératif, c’est une logique circulaire globale, une symbiose avec le vivant qui est proposée. Les territoires régénératifs ne dégradent pas leur environnement. Au contraire, ils le régénèrent, le réparent, le préparent à faire face aux nouveaux enjeux », peut-on lire dans le texte de présentation de la journée.

Avec son troisième rendez-vous annuel, l’association veut embarquer les acteurs publics et privés dans un changement de logique : passer du développement durable des territoires à une logique de fonctionnement du territoire compatible avec l’habitabilité de la planète.

« Aujourd’hui, les projets de développement économique doivent s’aligner sur les ressources naturelles disponibles sur un territoire tout en conciliant l’impératif de justice sociale », précise Sébastien Maire, prenant pour exemple la gestion de l’eau dans certaines communes asséchées du Sud de la France : « Certaines communes ont gelé les permis de construire face à la pénurie d’eau. Voilà un cas précis où la notion d’habitabilité s’impose aux pratiques ».

Territorialiser et planifier les limites planétaires

Pour « bifurquer » et se préparer au réchauffement climatique, les collectivités locales ont besoin de repenser leurs outils de diagnostic et de planification territoriale. Parmi les outils en vogue, il y a notamment le fameux « Donuts » inventé par Kate Raworth, dans lequel l’économie continue mais est encadrée par la justice sociale et les limites planétaires. « La ville de Grenoble est entrain de réaliser un portrait « Donut » de son territoire. Le Donuts, ou « Paris-Brest », fait des émules dans les collectivités locales. Des services de l’Etat s’y intéressent, comme le Commissariat Général au développement durable (CGDD) qui a réalisé une étude sur le potentiel de cette approche. Même chose pour les acteurs privés, SNCF Immobilier l’utilise dans son programme d’activité », confie le délégué général de FVD.

La territorialisation des limites planétaires sera l’un des enjeux clefs de cette troisième édition. « L’objectif de la journée est de faire œuvre de pédagogie pour inciter les acteurs locaux à engager dès maintenant les bifurcations nécessaires ».

Les équipes de FVD ont prévu 4 séquences pour inspirer les collectivités locales - diagnostiquer, comprendre, planifier, agir, et faire autrement- avec de nombreux retours d’expériences. Les diagnostics territoriaux ou encore les outils de planification aux mains des collectivités peuvent être repensés pour intégrer les limites planétaires, c’est aussi le message que l’association souhaite faire passer lors de la 3ème édition de sa rencontre annuelle. Sur le diagnostic territorial, l’intercommunalité de Caux Seine agglo, en Seine-Maritime, viendra témoigner de sa démarche pionnière pour placer la transition écologique et l’adaptation au changement climatique au cœur de la stratégie de territoire 2022-2026.

« Les plans pluriannuels d’investissement (PPI)[1] sont aujourd’hui complétement datés, les collectivités peuvent récupérer de l’argent et avoir un meilleur impact écologique si elles les rectifient », précise Sébastien Maire.

Des marges de manœuvres existent aussi dans les outils de planification, comme le schéma de cohérence territoriale (SCoT) ou le Plan Local d'Urbanisme (PLU). « Sur la planification, on veut inciter les élus à se projeter au-delà du mandat, avec un horizon à 50 ans ». Argentan Intercom viendra aussi démontrer comment un territoire a érigé la sobriété en modèle économique.

La régénération, un cran plus loin que la résilience

« Si tout le monde utilise le mot “régénératif”, le risque est qu’il se banalise et se vide de son sens », a récemment mis en garde dans une tribune au Monde un collectif d’une trentaine d’entreprises et d’associations, parmi lesquelles Biocoop, Davines, Léa Nature, Loom, et d’activistes, dont Dominique Bourg, Cyril Dion, Elisabeth Laville et Alice Waters. Après le développement durable et la RSE, le terme de « régénératif » n’est-il pas à son tour menacer de « green-washing » ? « On comprend d’ailleurs que le terme « régénératif » plaise aux dirigeants : il fait croire à la possibilité de réinventer leur activité dans les limites planétaires (qui permettent la vie), et propose une alternative positive à l’effondrement… sans contraintes ni éco-anxiété », peut-on lire dans cette tribune. « Je suis d’accord avec les signataires de cette tribune », confie Sébastien Maire : « L’économie régénérative nous fait comprendre qu’il ne s’agit pas d’arrêter de mal faire mais de réparer, il ne s’agit pas de polluer moins mais de changer de braquet, de reconsidérer la place du vivant et de la biodiversité. La régénération est en route, elle est plus globale car elle inclut la résilience, je la verrai comme une manière pédagogique d’expliquer l’ambition de la transformation écologique ».

Natacha Gondran : « Les limites planétaires sont un cadre d’analyse global pour les collectivités locales »

Natacha Gondran

Professeur en évaluation environnementale à Mines Saint-Étienne et au sein de l'UMR Environnement Ville Société (EVS) du CNRS, Natacha Gondran fait partie des scientifiques invitées à Villes Durables en actions 2023. Elle interviendra lundi 25 septembre 2023 à la table-ronde « Limites planétaires et besoins essentiels, la boussole des territoires régénératifs ». Elle a publié en 2020, avec Aurélien Boutaud, un ouvrage de référence sur « Les limites planétaires » aux éditions La Découverte.

Pourriez-vous revenir sur la notion de « limites planétaires » ?

C’est un concept proposé par des scientifiques depuis 2009. Il vise à définir des sujets de préoccupation environnementale qui font l'objet de seuils d'irréversibilité à l'échelle planétaire. Ce que ces scientifiques nous disent, et leur constat est corroboré par beaucoup de publications scientifiques, c’est que si on dépasse un certain niveau de dégradation, alors la Terre va changer d'état d'équilibre et on va sortir de ce que les géologues appellent l'Holocène, l’époque géologique particulièrement stable qui a favorisé l’habitabilité de la Terre, au cours des 10 000 dernières années. Les scientifiques ne cessent de nous alerter sur le fait qu’on risque de dépasser ces seuils, perturber les équilibres et sortir de l’Holocène. On ne pourra plus revenir en arrière. Jusqu’à présent, 9 limites planétaires ont été identifiées : le changement climatique, l’érosion de la biodiversité, la perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore, les changements d’utilisation des sols, l’acidification des océans, l’utilisation mondiale de l’eau, l’appauvrissement de l’ozone stratosphérique, l’augmentation des aérosols dans l’atmosphère et l’introduction d’entités nouvelles dans la biosphère. En mai 2023, une publication scientifique a redéfini les limites planétaires pour intégrer davantage les problématiques de justice, en particulier avec les pays du Sud. L’idée de ce nouveau cadre est de permettre plus facilement le passage à l’action.

Vous travaillez sur une territorialisation des limites planétaires. Comment se lancer dans cette démarche lorsqu’on est une collectivité locale ? Par où commencer et vers quelle direction aller ?

Notre préoccupation est effectivement de concevoir des outils d’évaluation de ces limites planétaires à l’échelle locale. Nous menons des travaux en cours avec des entreprises - comme Engie, par exemple - en utilisant les méthodes d'Analyse de Cycle de Vie (ACV) d'un produit. Ce sont des méthodes assez exhaustives et normalisées de quantification des impacts environnementaux liés à la fabrication d'un produit. Elles permettent de mettre en évidence une dizaine d’indicateurs utiles, mais ne permettent pas de dire si le produit est soutenable ou pas. L’utilisation du cadre des limites planétaires pourrait permettre de savoir si le produit en question est écologiquement soutenable. Pour aller plus loin dans cette démarche, je travaille avec plusieurs doctorants sur l’élaboration de nouveaux indicateurs inspirés du cadre des limites planétaires. Quentin Dassibat travaille, dans le cadre d’une thèse financée par l’école urbaine de Lyon, depuis deux ans sur la territorialisation du cadre les limites planétaires à l’échelle d’un territoire comme le SCOT Sud Loire. Il travaille sur la production de données pour pouvoir territorialiser ces indicateurs de limites planétaires, mais aussi sur l’incertitude qui peut être associée aux calculs d’indicateurs locaux. Emile Balembois va commencer une thèse en octobre prochain sur les politiques publiques territoriales avec un focus sur l’utilisation des sols, en partenariat avec France Villes Durables, dans le cadre d’une allocation « Futur et ruptures » de l’Institut Mines-Télécom.

Comment les collectivités locales peuvent-elles s’approprier facilement ces nouvelles méthodes ou outils ?

Cette méthodologie est encore expérimentale, nous explorons de nouvelles façons de faire pour aider les décideurs territoriaux à mieux prendre en compte les limites planétaires. Il n’y a pas de méthode standardisée de « territorialisation des limites planétaires », mais ce cadre, peut-être avant tout pédagogique, apporte une vision systémique des enjeux écologiques globaux à l’échelle du territoire. Elle permet de prendre du recul et de mettre en perspective, par exemple, le fait que préserver la biodiversité en limitant l’artificialisation des sols permet à un territoire d’être moins vulnérable face aux changements climatiques. Si on veut passer à l’action, on est obligé de rentrer dans le détail d’un sujet donné, quitte parfois à en oublier certains aspects. Je fais l’hypothèse que l’approche « limites planétaires » est un cadre pédagogique intéressant pour aider les acteurs à avoir une vision systémique et mieux comprendre les enjeux socio-écologiques.

Inscriptions (grauite) à Villes Durables en actions 2023

https://francevilledurable.fr/villes-durables-en-actions/

 

[1] Il s'agit d'un outil de pilotage financier et politique. Il dresse la liste de l'ensemble des projets programmés par la majorité municipale pour la ville, et des financements qui leurs sont attribués chaque année, sur 5 ans.

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