Préservation de la biodiversité : les collectivités en première ligne

Parc Naturel Regional de Morvan
Parc naturel régional du Morvan
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Le 16 avril 2020

Le prochain Congrès mondial de la nature sous l’égide de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a été reporté en janvier 2021 (du 7 au 15 janvier) à Marseille en raison de la pandémie de Covid-19.

 

Cet événement, initialement prévu en juin 2020, rassemble l’ensemble de la communauté mondiale qui travaille sur la conservation de la nature, notamment les meilleurs experts internationaux en matière de science, de politiques et de bonnes pratiques liés à la conservation de la nature. Organisé tous les quatre ans, le Congrès permet de déterminer démocratiquement les questions les plus urgentes en matière de conservation de la nature et les actions à mener pour y répondre. Le tout dans un contexte où la multiplication des fléaux, que l’on pense aux sécheresses, « méga-feux » et pluies diluviennes récents auxquels vient s’ajouter une zoonose d’ampleur inédite, interroge plus que jamais le lien de l’homme à la nature.

 

La prise de conscience de la gravité de la situation chez de nombreux élus pourrait donc se montrer favorable à la fréquentation de cet évènement international qui revendique 1300 organisations membres, 85 États, 120 organismes gouvernementaux, 1 000 ONG, 15 organisations de peuples autochtones, et 13 000 experts organisés en six commissions thématiques : sauvegarde des espèces, droit de l’environnement, aires protégées, politiques environnementales, économiques et sociales, gestion des écosystèmes, éducation et communication.

 

L’enjeu du congrès sera politique dans un contexte d'après-Covid-19 : faire en sorte que les collectivités du monde entier s’emparent de la question environnementale et se coalisent autour d’elle.

Les élus locaux peuvent-ils agir ?

La question est récurrente. Autre manière de la formuler : que peut-on attendre des collectivités dans la lutte contre le changement climatique et la préservation de la biodiversité, quand on sait qu’elles sont dépourvues de tout pouvoir réglementaire ? Pour y répondre, les acteurs publics tablent sur le volontarisme et sur la capacité d’innovation des collectivités permis par la décentralisation.

Les compétences sont bien connues : documents et schémas de planification stratégique des régions, gestion des espaces naturels sensibles par les départements, documents d’urbanisme pilotés par le niveau communal et intercommunal, qui gère également les espaces de continuité écologique, les milieux aquatiques et la prévention des inondations.

Plusieurs dispositions récentes sont venues renforcer la capacité d’intervention des collectivités en matière environnementale : loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPTAM) en 2014 introduisant la notion de « chef de filat » des régions, loi NOTRe en 2015 qui spécialise les compétences territoriales, loi « Egalim » encourageant le recours aux produits bio dans la restauration collective, plan national d’action pour les achats publics durables,[1] loi « biodiversité » en 2016 enfin, qui entre autres mesures impose l’élaboration de stratégies régionales en matière de biodiversité.

Initiatives et innovation locales, participation citoyenne indispensables…

Le comité français de l’UICN s’appuie sur ce socle juridique pour contribuer aux côtés des collectivités concernées à réaliser et à faire connaître les initiatives exemplaires, reproductibles et opérationnelles[2].  

Parmi les outils typiques, la constitution d’indicateurs de biodiversité apparaît indispensable pour suivre et évaluer les actions menées sur les territoires, de même que l’élaboration de listes rouges des espèces menacées (déclinées du niveau mondial au niveau régional). Moins attendu, le développement des solutions « fondées sur la nature » séduit pour sa dimension pragmatique. Un écosystème sain rend des services : la mangrove est plus efficace qu’une digue pour empêcher l’inondation d’une ville littorale ; plus fréquente sous nos contrées, la haie forme un rempart éprouvé contre l’érosion des sols et un habitat pour la biodiversité, tout en fournissant du bois de taille utile à l’homme.

Nombre de ces actions reposent sur des partenariats élargis notamment à la participation citoyenne, tant parce que l’engouement croissant de la population est activement recherché par la communauté scientifique et les élus qui portent ces initiatives, que parce que l’adhésion d’une partie au moins des habitants est nécessaire pour impulser des changements dont certains modifient les habitudes. Piétonnisation, transformation de parkings en jardins partagés, etc., n’ont pas toujours bonne presse au début.

Ainsi la région Bourgogne-Franche-Comté a élaboré pendant deux ans une « stratégie régionale pour la biodiversité » (SRB) [3], associant les acteurs publics et privés du territoire, collectivités, représentants de la communauté scientifique, associations, entreprises, qu’elle a copiloté avec l’État via la DREAL (Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement). Ce travail collaboratif a rassemblé plus de mille cinq cents participants, et a engendré trois documents de référence : un diagnostic du territoire, un cadre commun d’intervention (cinq enjeux, six orientations stratégiques déclinées en dix-neuf objectifs opérationnels et vingt-cinq fiches-action), et un guide d’accompagnement pour l’action doublé d’une charte d’adhésion pour susciter l’engagement populaire. La SRB permettra notamment d’évaluer les impacts des autres politiques publiques sur la biodiversité (urbanisation, développement économique et touristique, etc.), de prendre conscience des hiatus et si possible de les éviter.

… mais l’État conserve un rôle déterminant

Dans un pays foncièrement jacobin, il n’est pas inutile de rappeler qu’en dehors des initiatives très localisées (par exemple les « sanctuaires de nature », îlots de protection décidés par les habitants sans cadrage administratif très formalisé), les actions à visée systématique ont souvent besoin du soutien, ou a minima de la neutralité bienveillante de l’État.  

Du côté de l’association Éco Maires, qui accompagne depuis trente ans les premiers magistrats locaux dans leur action en faveur de l’environnement, on souligne l’importance de nouer des partenariats afin de trouver des complémentarités entre les outils de l’État et les actions locales. Par exemple, les « atlas de biodiversité communale », une expérimentation lancée par des communes et parcs naturels régionaux, a été systématisée par le ministère de l’Environnement via un programme de développement. Ils contribuent efficacement à faire émerger la conscience des particularités territoriales, et ils se prolongent dans la constitution de nouvelles associations locales. Las, le soutien financier de ces atlas par l’État à travers l’agence française pour la biodiversité a fait long feu, laissant aux acteurs privés motivés le soin d’apporter leurs fonds aux collectivités qui ont engagé la démarche…

Il n’y a pas que le financement qui rencontre des limites, il y a aussi le volontarisme. En l’occurrence, elles sont atteintes lorsque les collectivités veulent engager des transformations qui percutent le pouvoir réglementaire de l’État. On l’a vu avec les maires prenant délibérément des arrêtés illégaux pour éloigner des écoles et des habitations la pulvérisation de produits phytosanitaires.

L’échec de la révision de la charte du parc naturel du Morvan en fournit un autre exemple. Les parcs naturels régionaux sont des structures de coopération intercommunale qui visent à protéger et à promouvoir le patrimoine naturel de leurs territoires. Ils disposent des mêmes leviers juridiques que les territoires non classés. Travaillant à droit constant, ils parviennent tout de même à limiter la consommation d’espaces naturels, qui est en moyenne deux fois moindre sur leur périmètre qu’ailleurs. La charte d’un parc est approuvée par les communes membres, qui ont la capacité de la réviser pour adapter leurs objectifs. Sa durée de validité est de quinze ans. Lors de la révision de sa propre charte, le PNR du Morvan a souhaité abaisser le seuil d’autorisation des coupes à blanc de 4 à 0.5 hectare, soucieux d’encadrer davantage une pratique courante chez les forestiers du Morvan, massif où la propriété privée est majoritaire… Veto des services de l’État, le PNR a dû faire machine arrière. Toutefois, ce bras de fer n’est pas passé inaperçu : une mission parlementaire sur la forêt et la filière bois a été officiellement lancée en janvier dernier. Ses conclusions sont initialement attendues pour le mois de juillet prochain.

Les pressions commencent à venir de toutes parts : quatre ONG ont intenté un recours contre l’État pour inaction climatique [4], tandis que le Conseil constitutionnel, dans une décision inédite, a admis que la préservation de l’environnement pouvait primer sur la liberté d’entreprendre. C’est aussi cela, le rôle des collectivités dans la préservation de la biodiversité : être mieux disant que l’État, et le pousser à agir.

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