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Bertrand Simon : « La sacralité est contraire au principe même de l'internet »

Bertrand Simon
Le 19 octobre 2018

Bertrand Simon est professeur de sciences politiques à l’université Paris 1 et expert média et élections au conseil de l’Europe. Il revient sur l’usage des réseaux sociaux par les politiques et sur l’importance pour l’État et les institutions de faire évoluer la communication politique afin de préserver leur force symbolique.

Quel rôle joue Twitter sur la communication des ministres et des politiques ?

Sur twitter les femmes et les hommes politiques évoquent ce qu’ils aiment, ce qui les touche, cela les humanise. Ils encouragent leurs équipes de foot, partagent leurs coups de cœur pour une pièce de théâtre, etc. Quand c’est sincère, cela fonctionne.

Mais Twitter, tout comme Facebook, est un média de l’entre-soi. On prêche des convaincus. L’algorithme de Google donne à voir à l’utilisateur des articles en fonction de ses préférences, de celles de ses amis. Il nous cantonne à ce que nous aimons. D’ailleurs, lorsqu’une importante controverse surgit, j’ai constaté que certains personnages publics réalisaient des épurations massives de leurs réseaux.

Lors des municipales à Paris en 2014, j’ai mesuré les interactions des comptes de Nathalie Kosciusko-Morizet et d’Anne Hidalgo. Deux beaux réseaux parfaitement identifiés réunissaient les têtes de listes, les partisans de la première et de la seconde. Les interactions entre ces deux réseaux se limitaient à des engueulades à distance. Cette étude montrait aussi qu’il n’y avait que très peu d’interaction avec des indécis ou des non-partisans. Les candidats se concentraient sur la gestion de leurs troupes, tout en lançant des concours de hashtags pendant les débats télévisés, pour entrer dans les trending topics !

On constate aussi, via ces nouveaux canaux, une prolifération des discours de haine, une prise de parole massive des groupes les plus radicaux qui préempte parfois tout l’espace public. Les campagnes électorales deviennent de plus en plus violentes, déconnectées des enjeux et de véritables boulevards pour les contre-vérités et tous types de fake news. N’oublions pas que le Brexit a entraîné une mort : Jo Cox, une députée, a été assassinée, de surcroît dans un pays à la très longue tradition démocratique.

Twitter comporte un autre intérêt, collatéral, qui en dit long sur son caractère élitiste. Il constitue un excellent moyen d’attirer l’attention des journalistes. C’est devenu une alternative plus sournoise, permettant de passer dans les colonnes des journaux, une sorte de communication en deux temps, dévoyée de son sens original. Le politique devient le média, et le média un simple leader d’opinion relais.

Comment le président Emmanuel Macron utilise-t-il les réseaux sociaux ?

Sur Twitter et LinkedIn fin août le compte du président a affiché une capture d’écran du SMS envoyé par l’opérateur lors de son arrivée au Danemark. Il s’en est servi pour mettre en avant l’Europe à la fois de manière pédagogique et stratégique. Ce message montrait la façon dont il comptait aborder les bienfaits et les apports de l’union dans la future campagne européenne, tout en signalant qu’il recevait, comme tout un chacun, sur son téléphone, un message de l’opérateur téléphonique lors de ses déplacements à l’étranger. Cet usage malin du tweet abolit les distances.

Emmanuel Macron utilise les réseaux sociaux pour se rapprocher des internautes et ajouter d’avantage d’horizontalité dans sa communication. Il remet également en question les analyses des éditorialistes, de ses adversaires politiques, invoquant une communication jupitérienne.

Emmanuel Macron utilise les réseaux sociaux pour

se rapprocher des internautes et ajouter d'avantage d'horizontalité dans sa communication.

Il remets également en question les analyses des éditorialistes,de ses adversaires politiques,

invoquant une communication jupitérienne.

Son usage des réseaux sociaux contribue-t-il à renforcer la sacralité de l’État, ou au contraire, à banaliser la parole de l’État ?

Cette question requiert deux précisions quant au terme de « sacralité ». Tout d’abord, la sacralité est contraire au principe même de l’internet, un réseau mettant en interconnexion plusieurs personnes, développant une dimension d’horizontalité. Ensuite, il convient de se questionner sur le critère traduisant la sacralité sur les réseaux sociaux. S’il s’agissait d’un critère acquis par la pratique des réseaux sociaux, quantifiable au nombre de likes et de followers, les politiques pèseraient bien peu par rapport à d’autres icônes que sont les blogueurs, les youtubeurs, les stars internationales. De ce point de vue là, que représente Emmanuel Macron par rapport à Britney Spears ? Si l’on s’accorde au contraire à dire que la sacralité provient des structures traditionnelles de la société ainsi que du rôle des politiques, il convient d’ajouter qu’il est mis à mal par les usages des réseaux.

La logique des réseaux sociaux impose un storytelling quotidien. Elle a l’avantage de construire, sur la durée, une image positive à travers la narration des actions réalisées et l’inconvénient de nous faire parler tous les jours. La sacralité dure, elle se développe, se construit dans un temps long. Le conseiller en communication de Jacques Chirac et de François Mitterrand, Jacques Pilhan insistait sur la nécessité d’une parole présidentielle rare pour donner un caractère solennel et désirable à chaque intervention.

Aujourd’hui ce n’est plus du tout possible. François Hollande l’a démontré pendant les premiers mois de son mandat, en refusant tout storytelling. L’équilibre entre le savoir-faire et le faire savoir est devenu plus difficile à assurer en raison de la rapidité des réseaux sociaux et de la multiplication des occasions de prise de parole.

À l’aune d’une communication gouvernementale organisée, l’enjeu devient de faire jouer ensemble des solistes, tout en évitant la cacophonie. Pour y parvenir les éléments de langage constituent la solution la plus simple. Ce sont des petites phrases répétées qui donnent une certaine harmonie à la communication. Cependant quand une phrase est répétée par plusieurs ministres, elle est immédiatement décodée par les médias, les citoyens eux-mêmes.

Le rythme des réseaux sociaux impose-t-il un autre type de communication ?

Sur les réseaux sociaux, on se situe dans une temporalité accélérée, où l’actualité devient un flux ininterrompu, où une information en chasse une autre. Ce qui permet de durer, c’est l’institution elle-même. Mais pour durer elle doit donner des éléments de preuve. De ce point de vue là, les réseaux sociaux constituent une aubaine. Ils permettent de déployer un storytellling permanent et de se construire une image dans la durée, plus valorisée et valorisante que celle dans des sociétés marquées par l’antiparlementarisme ou le rejet des institutions européennes.

Indépendamment du ministre et du personnel politique, le ministère peut expliquer ses réalisations, ses engagements, mieux faire connaître ses tâches, ses missions, ses métiers. Quelques institutions font cela très bien. Citons en France, le compte Twitter de la Défense (@defense.gouv) qui a réussi à rapprocher l’armée des Français, à expliquer l’utilité des interventions lointaines jugées coûteuses, à donner une bonne image des militaires (en partie en lien avec l’opération Sentinelle) et a ainsi permis d’attirer de nouvelles recrues et de renforcer les réserves citoyennes.

En Europe ou à l’international, des institutions comme le Conseil de l’Europe ou l’ONU, se livrent à ce type de storytelling et font prendre conscience aux internautes de l’utilité de leurs missions. C’est peut-être là tout le paradoxe de la communication digitale. Pour restaurer sa grandeur, sa puissance, son caractère sacré, une institution a besoin d’aller à la rencontre de son public et d’introduire davantage d’horizontalité dans sa communication.

C'est peut-être là tout le paradoxe de la communication

digitale. Pour restaurer sa grandeur, sa puissance, son caractère sacré,

une institution a besoin d'aller à la rencontre de son public

et d'introduire davantage d'horizontalité dans sa communication.

Quel pourrait être le « bon usage » des réseaux sociaux ?

Dans des pays aux partis politiques importants, aux États forts, à la société civile peu développée, la participation du citoyen à la vie démocratique a toujours été difficile. Pour bien utiliser les réseaux sociaux, peut-être faudrait-il commencer par écouter. La dimension d’écoute est souvent négligée par les politiques. Ils parlent plus qu’ils n’écoutent. Pour prendre part à une conversation, il est nécessaire d’en comprendre les modes de fonctionnement, les codes. Cela permet de trouver le ton, la façon de s’exprimer, les modes d’interaction les plus adaptés. Écouter ce n’est pas uniquement entendre ceux qui s’expriment déjà, c’est susciter la parole de ceux qui se taisent.

 

 

 

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