Les petites collectivités locales face aux défis de la transformation numérique

Le 27 décembre 2022

L’Incubateur des territoires de l’Agence nationale de la cohésion des territoires accompagne gratuitement et sur mesure des collectivités locales rurales. Cette méthode de diagnostic des besoins / solutions / plan d’actions permet aux élus et services de monter en compétence, laissant au second plan le débat logiciels libres / propriétaires. En ce début 2023, l’accompagnement s’étend, avec un seuil de population pour accessibilité relevé.

Le 30 novembre dernier, une cinquantaine d’élus et agents territoriaux participaient au webinaire « Comment l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) accompagne les petites collectivités à relever les défis de la transition numérique ? », organisé par l’Incubateur des territoires de l’ANCT. Ce dernier a apporté en 2022 un accompagnement expérimental sur mesure à 74 collectivités : « 69 communes de moins de 3 500 habitants et 9 EPCI de moins de 15 000 habitants ont donc bénéficié ou bénéficient encore de l’intervention gratuite d’un expert en design et numérique, ceci en huit jours répartis sur deux ou trois mois (ndlr : en présentiel) », a expliqué Vincent Caillaux, chargé de déploiement à l’Incubateur.

« C’est une très bonne chose, parce que les communes rurales ont très peu de ressources et compétences en matière numérique », se réjouit Cyril Cotonat, membre de la commission numérique de l’Association des maires ruraux de France (AMRF) et maire de Ladevèze-Rivière (222 hab., Gers), qui n’en a certes pas bénéficié pour sa commune –il est assistant ingénieur en informatique de métier-.

« Recueillir la vision d’une personne extérieure »

Tout commence par un diagnostic personnalisé des usages et besoins. « Ce diagnostic m’a incité à participer, précise Corinne Bidollet, maire de Sainte-Radegonde (172 hab., Vienne). C’était l’occasion de recueillir la vision d’une personne extérieure pour situer nos points forts et surtout nos points faibles ». Lysiane Lagadic, experte numérique à la SCOP Oxamyne explique le déroulé d’un accompagnement : « On commence par une enquête de terrain auprès des agents, élus, habitants ou interlocuteurs de la communes comme l’intercommunalité ou le Centre de gestion, ceci pour bien appréhender l’environnement numérique de la commune et mettre en avant ses pratiques et difficultés, confirmer ses besoins ou en soulever de nouveaux ». Ces besoins numériques sont très divers : trois à quatre sont hiérarchisés et traités lors de l’accompagnement (1). Il peut s’agir d’outils vis-à-vis de la population : gestion de réservation de salle comme à Pléguien (1 353 hab., Côtes d’Armor), information des habitants par alertes sms (en cas de travaux, manifestations…) comme à Sainte-Radegonde, portail pour la restauration collective comme à Cuzieu (1 544 hab., Loire). Le plus souvent sont demandés des outils internes : gestion de l’éclairage public à Sainte-Radegonde, parapheur électronique, outil simplifié de gestion de cimetière à Cuzieu ou à Loc-Eguiner (406 hab., Finistère), logiciel de gestion pour Cuzieu, gestion des services techniques à Loc-Eguiner, partage de fichiers et sauvegarde, etc. Philippe Hanrion, nouveau maire d’Elzange (705 hab., Moselle) depuis septembre 2022 et qui a suivi le webinaire, aimerait lui pouvoir améliorer la gestion du travail de son ouvrier communal : « Ce dernier est seul pour tout faire, il sait ce qu’il a à faire, mais un logiciel type ToDoList (libre) (ndlr : citons aussi FixMyStreet en open source ou Betterstreet, Neocity, Bouge Ma Ville, SeeClickFix payants) l’aiderait : on rentrerait les besoins identifiés par les habitants et validés par moi-même, le tout arrivant directement sur son smartphone ». Par contre, pour la réservation de la salle communale, Elzange bénéficie du partenariat entre Campagnol, plateforme de création de sites internet et l’AMRF, avec intégration à son site d’un outil de réservation de salle.

L’accompagnement sur mesure de l’ANCT, ce n’est pas :

  • un dispositif de financement
  • un accompagnement au déploiement technique des outils
  • un accompagnement sur les enjeux de matériel et d’équipement informatique

Logiciels libres ou propriétaires ?

« Le second stade consiste en la recherche approfondie des solutions les plus pertinentes », poursuit Lysiane Lagadic. Pour appuyer leur mise en place, ces solutions sont fournies avec des liens utiles (documentation, contacts, liens de téléchargements…) en matière de formation, subventions, programmes, organisation, sécurité des données ou logiciels open source (2).

Sainte-Radegonde a par exemple opté pour un agenda partagé (Framagenda) et un logiciel de réalisation de flyers ou du bulletin municipal (Canva) après que l’expert ait su « mettre à jour nos manques de temps et d’organisation », selon Corinne Bidollet.

Pour elle, Canva « est un moyen de créer plus de liens avec les habitants ». Certaines communes ont opté pour des alternatives à Google Drive pour le partage de fichiers, type Podoc, Nextcloud... Pour la gestion de cimetières, l’ANCT a poussé openCimetière de la suite openMairie.

Plus globalement, l’Incubateur pousse les solutions open source, hébergées en France ou a minima en Union européenne et portées par des acteurs publics comme l’ANCT. Consultez les catalogues en open source de l’Incubateur (3) (plus de 50 services numériques), d’Open Mairie (4), du Socle interministériel du logiciel libre (5).

« Il faut toutefois être pragmatique : on pousse parfois des solutions propriétaires lorsque l’open source fait défaut. Par exemple, Open office n’est pas aussi abouti qu’Office 365. Et on ne recommande pas de nouvel outil quand la collectivité en a un, mais parfois plus d’améliorer son usage ».

L’ANCT précise toutefois qu’elle préparera mieux une collectivité au déploiement technique de ses solutions ou de d’autres solutions publiques, car pouvant alors la mettre plus facilement en contact avec des professionnels qu’elle connait, pour aider au déploiement. Le graal, les logiciels libres ? Cyril Cotonat croit plus « en la mixité entre logiciels libres et propriétaires. Les outils doivent être compatibles et surtout adaptés aux usages. Par exemple, notre commune utilise le logiciel propriétaire de gestion comptable Cosoluce, dont la maintenance et le suivi sont assurés par le Centre de gestion du Gers. C’est le principal outil utilisé dans les communes rurales et les intercommunalités du département. De plus, il est utilisé par notre secrétaire de mairie dans les trois communes où elle travaille ». La commune se veut donc pragmatique : elle utilise la suite Google, l’agenda partagé notamment, mais va opter pour une application libre de gestion de cimetières.

Pour l’élu gersois, « certaines solutions propriétaires sont très utilisées dans les milieux professionnels. Les outils Microsoft par exemple respectent plus le Règlement général sur la protection des données (RGPD) que des solutions open source. En outre, il n’est pas toujours simple de changer d’univers, sans oublier les problèmes de sécurité potentiels des logiciels libres si la communauté s’arrête, leurs coûts cachés éventuels s’il faut un prestataire pour l’installation, la prise en main, la maintenance, ».

L’ouverture des candidatures a démarré

Revenons aux solutions de l’expert « Incubateur » qui proposent souvent plusieurs niveaux. Par exemple, à Pléguien (1 353 hab., Côtes d’Armor), il s’agissait, tout en allégeant la charge de travail de la secrétaire de mairie, de faciliter la réservation de la salle polyvalente pour les associations et administrés : visibilité des disponibilités, remplissage des formulaires, paiement en ligne, etc. « A un premier niveau, on mettra un module au sein du site internet existant ou on réorganisera l’agenda, détaille Lysiane Lagadic. Second niveau, on bascule vers une solution open source ou libre similaire, par exemple on passe de Google Agenda à Framagenda. Enfin à un troisième niveau, un service numérique conçu pour le besoin est proposé, avec des solutions gratuites comme cal.com,  et La salle sur demande, ou payantes comme Res’Agenda ».

L’accompagnement reste à parfaire. Corinne Bidollet explique ainsi que la formation aux nouveaux outils a manqué.

L’ANCT va donc l’intégrer dans le nouveau dispositif 2023, avec une identification des besoins en la matière par l’intervenant. Elle mettra à disposition la plateforme de formation Pix Territoires qui sera accessible gratuitement grâce à l’accompagnement sur mesure et de manière autonome. L’ANCT fera aussi profiter de ressources sur les outils recommandés : webinaires, tutoriels, etc.

Enfin, l’accompagnement s’étendra aux communes Petites villes de demain, à des communes un peu plus grandes, le nombre d’habitants maximum n’étant toutefois pas encore défini : « Moins de 15 000, 20 000 habitants ? », s’est interrogé Vincent Caillaux, invitant les collectivités à venir vers lui. Cyril Cotonat alerte : « Il ne faudrait pas que des communes plus urbaines de plus de 5 000 habitants vampirisent ce dispositif, car elles ont, elles, des services informatiques, des élus au numérique et parfois l’appui de leur métropole, pouvant ainsi répondre à des appels à projets ». Surtout, l’ANCT va prioriser les interventions mutualisées de ses experts entre communes ou à l’échelle d’un EPCI, avec alors nombre de jours et durée de l’accompagnement qui augmenteront. Il s’agit d’être plus efficace et de remédier au fait que « les communes ne sont pas toujours capables de déployer, héberger, maintenir elles-mêmes les outils », selon Vincent Caillaux. Pour Cyril Cotonat, la mutualisation est en effet opportune, notamment en matière de cybersécurité : « Même des petites communes se font hacker, le vol des données est très lucratif », assure-t-il. Un axe à renforcer pour le programme 2023 ?

Dès 2023, on trouvera sur le site de l’Incubateur des fiches de synthèse des collectivités accompagnées, avec besoins identifiés et solutions recommandées, ainsi que des recommandations par les pairs, en complément du Forum permettant déjà aux agents et élus de partager outils numériques et retours d’expérience (6). L’ouverture des candidatures démarre en ce mois de janvier avec un accompagnement dans la foulée ou au printemps ou à l’été 2023. Attention à bien remplir le formulaire de candidature : celui-ci fera office de pré-diagnostic facilitant le travail de l’expert (7). « On devrait accompagner 200 ou 300 collectivités en 2023 », annonce Vincent Caillaux. Elzange fera-t-elle partie de celles-là ? Le maire se tâte : « Le diagnostic qui ferait ressortir nos besoins est intéressant. Il faut que je discute avec l’ANCT. Ces logiciels libres et gratuits pourraient nous aider, pas nécessairement sur tout. Des outils de partage entre élus pourraient être supérieurs à Gmail et Google Agenda ». Qu’est-ce qui le freine encore ? Comme tous les élus ruraux, il faut prendre du temps qu’il n’a pas… pour gagner du temps ensuite.

 

(1) Au-delà de 3 à 4 besoins, le risque serait de ne pas parvenir à déployer les solutions correspondantes
(2) Par opposition aux logiciels au format propriétaire (dont certains sont aussi gratuits), les logiciels open source (ou libres) sont des logiciels permettant l’utilisation, l'étude, la modification et la duplication par autrui en vue de sa diffusion.
(3) https://incubateur.anct.gouv.fr/. L’incubateur pousse, sauf exceptions, des solutions respectant le RGPD.
(4) http://www.openmairie.org/catalogue
(5) https://sill.etalab.gouv.fr/software
(6) https://forum.incubateur.anct.gouv.fr/
(7) Pour l’instant, formulaire de pré-candidature : https://airtable.com/shrsqGkKqUMdesvzA

 

Enquête nationale sur les usages numériques des collectivités territoriales

Une première étude qualitative sur les usages du numérique, a été menée par Osinum Territoires auprès d’une dizaine de collectivités locales de petite taille. Sur les pratiques, « beaucoup d’outils propriétaires sont utilisés, avec peu de travail collaboratif », selon Marianne Massaloux, chargée de projet à Osinum Territoires. L’étude a aussi recensé les principaux critères qui feraient changer d’outils : l’accompagnement, le prix et l’hébergement des données en France. Enfin, les logiciels libres sont souvent méconnus, vus comme potentiellement avantageux, sous réserve d’un gain de facilité.

Une seconde enquête sur le même thème, quantitative cette fois, a été réalisée sur le dernier trimestre 2022 par Osinum Territoires. Des résultats provisoires ont déjà été tirés par Osinum sur la base d’un peu moins de 100 répondants. D’abord, le pilotage des projets se fait à 25 % par un agent, à 19 % par un élu et à 40 % par les deux (15 % ne se prononcent pas), avec un appel à prestataire externe (privé, syndicat mixte…) dans à peine la moitié des cas. La visioconférence est utilisée à 87 %. Enfin, pour collaborer à plusieurs sur un même document, 78 % utilisent des fichiers partagés via internet contre 16 % pratiquant l’envoi en pièce jointe d’un email ou 6 %  imprimant et corrigeant à la main.

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