Franck Périnet : « On ne peut altérer le modèle Inet au nom de l’unicité de la fonction publique »

Franck Périnet
©INET-Pascal Bastien
Le 5 mars 2020

Pour le directeur de l’Inet, le rapport Thiriez s’inscrit dans la volonté du Président de la République de réformer la formation de l’ENA. Certaines propositions menacent la qualité de la formation des cadres de direction territoriaux et, par ricochet, le fonctionnement des collectivités. Explications.

Le rapport Thiriez sur la réforme de la haute fonction publique est enfin sorti. Comment l’Institut national des études territoriales (Inet) y a-t-il été associé ?

Notre président, François Deluga, et moi-même avons eu l’occasion de nous exprimer devant les membres de la mission. Le rapport est sorti, je l’ai lu avec attention. Il est très centré autour de l’Ena.

Certaines propositions me conviennent, comme la promotion de la parité et de l’égalité des chances, la mise en place de classes préparatoires, la diversification des profils des membres du jury de concours, ou encore le renforcement de l'attractivité des métiers dans la Fonction publique par exemple. Toutefois, de nombreuses propositions concernent principalement la fonction publique d’État et pourraient altérer le modèle de formation des cadres de direction de la Fonction publique territoriale. L’Inet propose déjà un croisement des publics en formant, dans le même institut, l’ensemble des lauréats des concours (externes, internes, 3e concours) issus des filières administrative, technique et culturelle : administrateurs, conservateurs de bibliothèques,  conservateurs du patrimoine et ingénieurs en chef territoriaux. Cette mixité est notre force, elle permet aux collectivités de recruter de futurs cadres de direction qui devront faire face aux défis sociaux, environnementaux et sociétaux de nos territoires.

Le rapport propose la séparation entre le CNFPT et son institut de formation, l’Inet. Qu’en pensez-vous ?

Une ligne rouge serait franchie. Il n’y a certes qu’une fonction publique mais les trois versants ont du sens. La fonction publique territoriale est chargée de mettre en œuvre au quotidien, dans les collectivités, les valeurs de la décentralisation. Il s’agit là d’une culture commune à laquelle les agents et les cadres sont attachés.

Faire de l’Inet un établissement public autonome remettrait en cause l’unité de la fonction publique territoriale, assurée par son appartenance au CNFPT, et fragiliserait notre modèle de formation.

De même que mettre en œuvre un tronc commun pour les seuls 25 administrateurs territoriaux issus du concours externe alors que, je le rappelle, la force de notre institut de formation, c’est de former les cadres des collectivités toutes filières confondues : les administrateurs externes, internes ou troisième voie, les ingénieurs en chef externes et internes, les conservateurs de bibliothèques et du patrimoine externes et internes ou encore les cadres de directions de santé (médecins, vétérinaires, pharmaciens territoriaux). Le regroupement des écoles via le tronc commun dispensé dans les 6 premiers mois de formation aurait pour effet d’atteindre à cette spécificité essentielle.

Mais l’idée d’un tronc commun pourrait se justifier dans le sens où elle élargirait la fameuse culture commune à laquelle semble si attachée la mission Thiriez…

Mais nous sommes déjà dans des échanges avec l’Ena ou encore l’EHESP. Les passerelles existent, le cloisonnement n’est pas aussi fort que semble le suggérer le rapport. La proposition d’un tronc commun de six mois où tous les élèves se retrouveraient est d’une durée trop longue. Nous avions proposé entre un à deux mois. Dans l’hypothèse du maintien d’un tronc commun de six mois, les administrateurs externes ne réaliseraient qu’une partie de leur formation à l’INET, au risque de remettre en question la culture commune propre à la territoriale et les interactions nécessaires entre des lauréats de concours aux métiers, profils et expériences variés.

Le gouvernement veut aller vite sur ce dossier. Il a missionné Olivier Dussopt, secrétaire d’Etat à l’Action et aux Comptes publics, pour un passage fin avril en conseil des ministres. Comment allez-vous tirer profit de ce laps de temps pour vous faire entendre ?

Il ne m’appartient pas de préjuger de ce que fera le gouvernement. Mais il faut bien qu’il entende qu’on ne peut altérer le savoir-faire de l’Inet au nom de l’unicité de la fonction publique. L’Inet présente un modèle qui a inspiré et peut encore inspirer l’État.

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