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Gabriel Giacometti : « Cette crise a ouvert les esprits et a favorisé la coopération entre les différents acteurs »

Le 27 janvier 2022

Directeur général de l’hôpital-clinique Claude-Bernard à Metz et directeur de la région Grand Est du groupe ELSAN, Gabriel Giacometti estime que la crise sanitaire a contribué à instaurer une synergie dans le paysage hospitalier, où l’intérêt du patient prime avant toute chose.

Dix-neuf mois après le début de la crise sanitaire, qu’est-ce qui a changé dans le monde de la santé en général et dans votre établissement en particulier ?

Je pense que cette crise sanitaire a eu des effets psychologiques majeurs sur les acteurs du monde de la santé en contribuant à ouvrir les esprits, à rapprocher des mondes auparavant antagonistes pour mieux coopérer et à se concentrer sur l’essentiel, à savoir le patient. En mars 2020, il faut le reconnaître, nous avons tous eu très peur face à un virus que nous ne connaissions pas qui engendrait un taux de mortalité important, dans un contexte de tensions et de pénuries en médicaments, en matériels et en personnels. Par exemple, à certains moments, la visibilité sur les stocks de médicaments ne dépassait pas vingt-quatre à quarante-huit heures ! Lorsque le pharmacien de votre établissement vous prévient qu’il ne va plus avoir de curare, vous partagez un sentiment d’angoisse avec les médecins. De même que pour la déprogrammation de certaines interventions afin de pouvoir prendre en charge les patients du covid-19 et les autres cas urgents, les priorités et les choix se sont faits en bonne intelligence entre les médecins et la direction. La crise nous a contraints à mieux coopérer entre nous, mais également avec l’Agence régionale de santé (ARS).

Cette coopération va-t-elle être installée durablement dans le paysage hospitalier ?

Je le pense, car tant l’administration que les médecins ont compris qu’ils n’auraient pas pu surmonter la crise sanitaire chacun de son côté. Ce constat, unanimement reconnu, a fait reculer le climat de défiance qui prévalait avant 2020. Prenons, par exemple, l’organisation des blocs opératoires qui est un domaine très complexe et épineux. Une unité de production de soins où travaillent une centaine de personnes peut traiter 150 patients par jour. Les normes et contraintes de toutes sortes sont nombreuses. S’y ajoute également le droit du travail. Sans oublier, bien sûr, les médecins qui entendent organiser leur activité à leur guise. Avant 2020, l’organisation de ces blocs était gérée au jour le jour par des négociations permanentes et délicates dans une ambiance d’opposition récurrente. Aujourd’hui un comité de bloc a été mis en place, géré conjointement par des médecins et des représentants de l’administration. La crise sanitaire a contribué à instaurer cette forme de synergie, où l’intérêt du patient prime avant toute chose.

Qu’avez-vous « découvert » d’autre avec la crise sanitaire et qui va perdurer ?

Nous avons « découvert » que pour certaines spécialités l’activité ambulatoire, qui consiste à ne faire rester un patient qu’une seule journée à l’hôpital après avoir subi une intervention, était tout à fait possible alors que nous pensions que ce serait difficile, voire impossible, par exemple en cardiologie interventionnelle. En chirurgie orthopédique, l’activité ambulatoire est même passée de 50 % avant la crise sanitaire à 85 % aujourd’hui. Cette typologie de prise en charge présente trois avantages :

  • une meilleure gestion de la douleur par un retour rapide du patient au domicile entouré de ses proches ;
  • une baisse du nombre d’ouvertures de lits ;
  • un besoin en personnel moindre, point essentiel lorsque l’on fait face à une pénurie de professionnels de santé comme cela est le cas dans notre région qui doit notamment compter avec l’attractivité du Luxembourg voisin.

Nous avons utilisé les contraintes de la crise sanitaire comme une opportunité pour fluidifier notre organisation, mieux maîtriser la démographie des professionnels de santé et gérer au plus près notre capacité d’accueil.

Vous avez évoqué une meilleure coopération avec l’ARS, agence publique, par ailleurs très critiquée pour son fonctionnement durant la crise sanitaire. Comment cela s’est-il passé dans le Grand Est et plus largement avec les hôpitaux publics ?

Permettez-moi tout d’abord de rappeler qu’en France il existe un seul système de santé régi par un seul Code de santé publique qui s’applique au secteur public comme au secteur privé. Ce qui diffère, ce sont les modèles économiques. Pour ce qui est de l’ARS, en tout cas pour le Grand Est, si au tout début, la crise a semblé être une affaire publico-publique, car notre pays est très hospitalo-centré, assez rapidement l’agence, au vu de la situation sanitaire de notre région, a fait évoluer sa position. L’ARS nous a, par exemple, présenté et pris en charge les licences d’exploitation d’un outil numérique dénommé « Lifen » qui permet le suivi des patients atteints du covid-19 lors de leurs retours à domicile et auparavant hospitalisés chez nous. Un outil que nous continuons d’ailleurs à utiliser et que nous avons même étendu pour le suivi à domicile de patients atteints d’autres pathologies. S’agissant de la coopération avec les hôpitaux publics, je tiens à souligner le travail de fond qui a été effectué en Alsace et en Lorraine : nous avons été très vite intégrés par nos collègues médecins du secteur public aux réflexions de prise en charge des malades du covid-19.

Mais comme le Grand Est s’est retrouvé au cœur de la pandémie, ceci explique peut-être cela. En fait, cette coopération public-privé semble avoir été très variable d’une région à une autre.

À propos d’outils numériques, comment expliquez-vous que WhatsApp, dédié à des fins privées, se soit retrouvé utilisé par les médecins comme outil de cogestion d’une crise sanitaire ?

Les médecins se sont en effet beaucoup servis de WhatsApp pour partager des informations, notamment, chaque matin, des histogrammes d’occupation des lits. La raison de ce « détournement » est très simple : WhatsApp est un outil universel sans équivalent dans le monde de la santé, car il ne varie pas d’un établissement à un autre contrairement à un très grand nombre d’outils numériques utilisés par les hôpitaux et les cliniques, où chacun les développe dans son coin sans souci d’interopérabilité ! Cela va devoir évoluer, mais prendra sans doute du temps.

Hormis les médecins, la crise sanitaire a mis en avant le rôle crucial de l’ensemble des personnels hospitaliers. Outre la question récurrente des salaires, qu’en est-il de la formation continue ?

La crise sanitaire a amené une revalorisation des métiers consacrée par les mesures Ségur 1 pour tous les personnels hospitaliers et Ségur 2 pour les soignant·es et les brancardier·ères. De notre côté, nous avons fait évoluer notre politique de formation dans deux directions. D’une part, nous avons souhaité fournir un effort soutenu pour ceux qui souhaitaient évoluer dans le monde de la santé, d’autre part, nous avons proposé des formations spécialisées destinées aux infirmier·ères et sanctionnées par des diplômes universitaires dans les domaines des soins palliatifs, de l’hypnose, ou encore un master 2 en pratiques avancées.

Un projet de reconstruction de votre établissement va bientôt être lancé. La crise sanitaire a-t-elle eu, là encore, des impacts sur ce projet ?

C’est certain ! Entre nos premières réflexions qui remontent à 2016 et le projet tel qu’il se présente aujourd’hui, la crise sanitaire est passée par là. Encore une fois, la crise a ouvert les esprits. Nous avons dû installer des lits de réanimation en catastrophe au début de la crise : notre nouvel établissement sera complètement évolutif, des secteurs pouvant devenir des espaces de réanimation au moment où nous le déciderons. Nos différents pavillons, tous communicants, pourront, en cas d’épidémie, être dédiés aux patients contaminés tandis que d’autres le seront pour les patients non contaminés. Nos personnels, particulièrement mis à rude épreuve, de jour comme de nuit, avec des risques infectieux majeurs, doivent avoir une qualité de vie au travail : un parc et un plan d’eau vont ainsi voir le jour afin de pouvoir s’immerger dans la nature, ne serait-ce que d’un regard. En outre, des salles de sport seront mises à disposition. Par ailleurs, et il ne faut surtout pas l’oublier, des patients sont morts seuls à l’hôpital faute de pouvoir recevoir des visites de leurs proches. Dans le futur établissement, nous avons prévu l’aménagement d’un appartement permettant d’accueillir des familles. Toutes ces évolutions ont été pensées en pleine crise sanitaire qui implique, à n’en pas douter, un véritable changement de paradigme.

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