Revue
DossierGeorges Képénékian : « Réfléchissons a un plan pour faire face aux prochaines crises sanitaires »
Ancien maire de Lyon, conseiller municipal, Georges Képénékian n’est pas resté inactif pendant la crise sanitaire, tant s’en faut. Il a ainsi dirigé, à la demande du conseiller métropolitain du Grand Lyon, Philippe Cochet, une cellule d’urgence pour analyser, au jour le jour, mais dans un esprit de projection, ce qui se passait sur le terrain. Comment capitaliser ce retour d’expérience (retex) à l’heure où tous les experts assurent que la crise du covid-19 risque de se reproduire sous d’autres formes ?
L’effet de sidération n’a duré qu’un temps. Comme toujours, lorsque l’urgence s’installe, les femmes et les hommes réagissent. C’est, dit-on, au cœur des guerres les plus sanglantes que la médecine d’urgence fait des progrès considérables. Toutes proportions gardées, comment, à l’échelle d’une métropole aussi intégrée que celle de Lyon, l’écosystème des services publics a-t-il été traversé par ce tsunami ? « Il faut d’abord rappeler le contexte, explique Georges Képénékian. La métropole regroupe 59 communes. Elle recoupe aussi des compétences dévolues au département sur l’ensemble du pays, c’est donc à la fois un atout et une responsabilité énorme. Le temps de la crise, dont nous ne sommes pas encore réellement sortis, a été marqué par des séquences avec des urgences différentes, comme la recherche de masques et de gels hydroalcooliques. Il y a donc eu du désemparement puis une progressive intégration de ce nouveau mode de vie. »
Lors de l’allocution du 13 avril 2020, le président de la République invite les maires à se mobiliser : « C’est à partir de ce moment-là que le président de la métropole, Philippe Cochet, m’a demandé de travailler sur les conditions d’un déconfinement, raconte Georges Képénékian. J’ai donc constitué une petite cellule d’experts, intégrant plusieurs compétences, puisqu’il m’est apparu assez vite que la notion de pluridisciplinarité était essentielle. On retrouvait ainsi des représentants de la chambre de commerce, du syndicat mixte des transports pour le Rhône et l’agglomération lyonnaise (SYTRAL), de l’Éducation nationale, du centre hospitalier universitaire (CHU), du service d’aide médicale urgente (SAMU), de la médecine libérale, etc. Nous mènerons ainsi une quarantaine d’entretiens de nature très différente, pour mieux mesurer la diversité de l’onde de choc : infirmiers libéraux, biologistes, pharmaciens, acteurs du champ social, des hébergements, la Croix-Rouge, psychiatres parce que j’étais convaincu que la santé mentale serait impactée. Le 5 mai 2021, nous rendions un pré-rapport1 dont le titre aurait pu être Vivre avec. »
La standardisation de la méthodologie sur un territoire face à de nouvelles crises sanitaires doit être pensée comme il existe des plans blancs pour les hôpitaux, pour les inondations, etc. Avec des répétitions, des réflexes à intégrer par les acteurs publics, privés puis par la population. C’est vers cet horizon que doit se construire la réponse collective aux futurs périls de santé publique.
Assouplir l’articulation État-collectivités
Cette vision à 360 degrés a permis d’aborder tous les aspects d’une pandémie frappant un territoire d’1,4 million de personnes qui n’y était pas préparé : « Nous avions eu des alertes avec notamment la crise du SRAS en 2003, mais ce virus était resté cantonné en Asie. Tous les infectiologues savaient que tôt ou tard, une telle catastrophe sanitaire surviendrait. Nous avons fait le tour de tous les élus pour présenter nos préconisations. C’était une manière aussi de faire œuvre pédagogique auprès de la population, afin de rappeler que l’État n’était pas seul maître à bord dans cette affaire et que le service public de proximité, dans sa capacité d’adaptation, jouait un rôle majeur, poursuit l’ancien maire. J’étais focalisé sur l’idée de faire confiance, de diffuser de la confiance, pour la population, mais aussi entre les acteurs. » Il a fallu trouver les conditions d’une articulation entre l’État et la collectivité territoriale, marquée habituellement par un cadre normatif : « Le contexte était chaotique, même si l’envie de travailler ensemble a été manifeste. L’objectif était de protéger les plus fragiles en renforçant la cohésion sociale, en veillant à ce que les aides arrivent aux plus démunis, que le service éducatif fonctionne pour le mieux. »
Un plan de prévention inspiré par la crise sanitaire
Que restera-t-il de cette expérience ? « L’esprit de méthode est à conserver, poursuit Georges Képénékian. Nous sommes vulnérables, nous le savons désormais. C’est comme en chirurgie, c’est parce qu’on apprend de ses erreurs que, progressivement, nous allons enrichir l’expérience et que les capacités de réaction s’amélioreront. Nous n’avons malheureusement pas la culture de l’évaluation dans notre pays. Elle s’apparente souvent à de la sanction alors que chez nos amis anglo-saxons, c’est un outil de progrès. Nous avons toujours envie de dégager des responsabilités, ce qui peut limiter de fait l’envie de s’engager. Nous sentons très vite dans une réunion que cela tourne autour de l’idée de montrer du doigt qui a fauté. Il faut relire Christian Morel et son livre Les décisions absurdes2. L’exemple de l’accident de la Swissair en 1998 est parlant : c’est parce que les pilotes ont trop respecté le protocole que l’avion a fini par s’écraser. Aujourd’hui, il est plus que jamais nécessaire de redéfinir une méthodologie d’intervention à la suite de cette crise, du même type que les plans de prévention divers et variés que nous avons forgés parce que nous avons été confrontés à des situations inédites. Il ne me semble pas pour l’heure que nous en prenions le chemin. »
Je crois que c’est à l’échelon local que les acteurs sont les mieux placés pour s’adapter en étant sous contrôle de l’État attentif à ce qu’il n’y ait pas de création d’inégalité et de disparités. Ce rapport qui a été pour moi un travail vivifiant est de constater quand on est au milieu des acteurs qu’on a une adhésion phénoménale et se créer des relations durables et particulières, car on a pu imaginer et donner le sentiment qu’on était dans l’action.
Standardiser une méthodologie réactive
Reste à savoir à quelle échelle cette réflexion peut être menée… « Un théorème de Bellman indique que des sous-ensembles optimaux ne forment pas obligatoirement un ensemble optimal. C’est cette question que l’on doit se poser parce que nous avons une méthode en silo. Chacun a essayé de faire plutôt bien sa part et sa conduite et de s’adapter à la situation. Mais ce n’est pas parce que je fais bien tout seul que ça va marcher à côté, c’est ce qu’on voit très bien dans la prise en charge de certains patients. C’est une chaîne de prise en charge, ce n’est pas chacun des maillons, c’est aux frontières, aux intersections que se passent les choses. » Optimiser l’ensemblier, construire une confiance dans la crise, se convaincre que chacun sera à son poste et que si un maillon est faible, le reste le ressentira : « La standardisation de la méthodologie sur un territoire face à de nouvelles crises sanitaires doit être pensée comme il existe des plans blancs pour les hôpitaux, pour les inondations, etc. Avec des répétitions, des réflexes à intégrer par les acteurs publics, privés puis par la population. C’est vers cet horizon que doit se construire la réponse collective aux futurs périls de santé publique », conclut l’ancien maire.
- Grand Lyon Métropole, Pour une stratégie globale de déconfinement et de relance de la métropole de Lyon, rapport, 9 juin 2020.
- Morel C., Les décision absurdes. Sociologie des erreurs radicales et persistantes, 2002, Gallimard, Bibliothèque des sciences humaines.