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Gérard blanchard : « La prospective se construit dans le temps long »

Le 1 avril 2021

Vice-président de la communauté d’agglomération de La Rochelle, Gérard Blanchard a la charge du projet « La Rochelle Territoire zéro carbone », visant à faire de ce territoire français le premier à afficher un bilan zéro carbone d’ici 2040. Pour lui, la prospective ne peut se concevoir sans les habitants qui doivent être pleinement associés à la gouvernance d’un projet de territoire.

Le nom de La Rochelle est associé, outre à son festival, aux premières expériences en matière d’environnement en France, bien avant que l’on parle de prospective. Quel rôle a joué cette culture de l’environnement et la prise en compte du temps long cher à Fernand Braudel dans votre projet de « Territoire zéro carbone » ?

Des rôles majeurs ! Les vélos jaunes en libre-service datent de 1976 et ont valeur de véritable marqueur sans oublier les rues piétonnes, les premières expériences de journée sans voiture, les véhicules électriques en libre-service ou encore le bateau à hydrogène. Autant d’initiatives qui ont forgé, au fil du temps, un socle culturel fort au sein du territoire de l’agglomération en matière d’environnement. En outre, La Rochelle a dû faire face, dans les années 1980, à la désindustrialisation puis, dans les années 2000, au départ de l’armée suite au plan de refonte de l’implantation des garnisons. Dans le premier cas, l’installation d’une université à La Rochelle a permis d’apporter une vision plus innovante à la ville, qui n’est pas seulement un pôle touristique, tandis que, dans le second cas, l’instauration du parc bas carbone Atlantech sur un ancien site militaire a permis, en interaction avec l’université, de nous projeter de manière très concrète dans l’instauration de la ville durable de demain notamment en expérimentant des dispositifs inédits en matière d’énergie et d’organisation.

Mais encore ?

Atlantech mêle éco-habitat, notamment social, entreprises innovantes, recherche et formation en matière de bâtiment durable, de réhabilitation des bâtiments, d’éco-construction, de matériaux et produits innovants et de mobilité douce. Ce parc, qui existe depuis dix ans, est également le cadre d’un projet de boucle énergétique vertueuse, qui verra très bientôt le jour, où l’énergie renouvelable produite et non consommée sera stockée sous forme d’hydrogène réutilisable pour des activités de livraison, de transport collectif, etc. Avec les créations de l’université et du parc bas carbone, nous avons éprouvé dans le temps notre capacité à rebondir, ou de « résilience » pour employer un terme à la mode, tout en s’inscrivant dans le futur ! Selon moi, la véritable prospective consiste ainsi à configurer un projet afin de répondre à des besoins de court/moyen terme tout en imaginant ce qui va se passer dans vingt ou trente ans.

Un équilibre très subtil à trouver et pas évident à défendre par rapport au temps politique et ses échéances bien plus « court-termistes »…

Puisque vous avez cité Fernand Braudel, j’aimerais revenir sur cette question du temps long qui a un lien direct avec la prospective. La Rochelle et son agglomération ont accumulé, durant près d’un demi-siècle, culture et savoir-faire en matière environnementale ce qui nous a permis, outre la résilience que j’ai évoquée plus haut, d’élaborer en 2017 le projet « Territoire zéro carbone », objectif que nous souhaitons atteindre dès 2040. Cette culture et cette histoire se sont construites dans le temps long tout en intégrant, chemin faisant, les grands changements environnementaux et sociétaux. Toutefois la situation est bien différente aujourd’hui face à l’urgence de relever le défi du changement climatique.

Il nous faut accélérer et massifier les actions en faveur de la baisse des émissions de gaz à effet de serre avec un portage politique fort qui dépasse les sphères de la recherche et de la technologie. D’où le projet « Territoire zéro carbone » qui prend un engagement sur vingt ans et constitue une démarche systémique qui permet d’agir simultanément et à toutes les échelles sur l’ensemble des politiques publiques.

Ces politiques, tant au niveau national que local, vont ainsi connaître des changements profonds car les objectifs en matière d’environnement vont se retrouver tout en haut des feuilles de route impliquant obligatoirement des réflexions et des stratégies dans le temps long. Désormais l’horizon n’est plus seulement dicté par les échéances électorales. Cela a d’ailleurs déjà commencé, par exemple, avec le plan climat air énergie territorial (PCAET) que les territoires doivent élaborer et qui présente des stratégies à dix et quinze ans, donc bien au-delà d’un mandat d’élu local. Or, cette dynamique législative au niveau national qui exige des réflexions sur le long terme ne peut que s’accélérer. En outre, les citoyens sont demandeurs de mesures concrètes en matière d’environnement d’autant plus que certains d’entre eux peuvent même être en avance de phase par rapport aux politiques publiques. Selon moi, le sujet n’est donc pas de s’interroger pour savoir si les collectivités territoriales doivent faire de la prospective et anticiper les évolutions des territoires à vingt, trente ou quarante ans mais plutôt comment elles doivent le faire.

La France affectionne davantage la planification – où règnent en maîtres les experts et leurs chiffres – que la prospective. N’est-ce pas problématique pour le développement d’une « véritable » prospective ?

Il appartient à chaque collectivité de trouver la forme qui lui convient le mieux dans ce domaine. À ce propos, je rejoins le point de vue des membres du club prospective de l’Association des directeurs généraux des communautés de France (ADGCF) auxquels Horizons publics donne la parole dans ce dossier car il montre bien tout l’intérêt de la prospective sans pour autant donner une méthode, des « recettes » pour sa réalisation. Pour ma part, je ne suis pas du tout favorable à la création d’un département, d’un service ou d’une cellule dédiée à la prospective où l’on imagine l’avenir sans qu’il en sorte de réalisation concrète et où les membres de ces entités s’empareraient du sujet pour le confisquer, maintiendraient une sorte d’exclusivité, créant un fossé entre ceux qui pensent et ceux qui exécutent. Bien au contraire, c’est la transversalité des exécutifs qui doit primer en matière de prospective car toutes les politiques publiques sont concernées par le défi climatique et notamment la politique d’aménagement du territoire.

Le devenir d’une friche industrielle pour éventuellement la transformer en parc photovoltaïque implique de se projeter dans le schéma directeur de l’énergie. Si l’on veut limiter l’artificialisation des sols et densifier les zones déjà urbanisées pour répondre à la croissance du nombre d’habitants ou encore envisager les zones où l’on peut développer les énergies renouvelables, le plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) doit avoir une conception transversale. De nouvelles implantations d’entreprises – qui se sont ralenties avec la crise sanitaire – sont une bonne nouvelle pour l’emploi mais qu’en est-il des impacts sur la circulation des voitures dans l’agglomération et l’engorgement de certains quartiers aux heures de pointes alors que nous ne souhaitons bien évidemment pas construire davantage de route ? Pour la réalisation d’un nouvel équipement collectif n’est-il pas plus judicieux de réhabiliter un bâtiment communal existant plutôt que de construire un bâtiment neuf qui correspondra à toutes les attentes notamment en matière de surface mais dont l’impact carbone sera infiniment plus élevé ?

La logistique prospective implique de regarder de façon collective toutes les actions envisageables et d’examiner les effets à vingt ou trente ans notamment en termes d’économies d’émission de CO2. Tous ces sujets comportent des questions très techniques qui nécessitent à un moment des regards d’experts pour réaliser des états des lieux, établir des bilans carbone, etc., mais dont la réalisation éventuelle dépend d’objectifs politiques fixés par les élus en y associant les citoyens, ce que nous faisons dans notre projet « Territoire zéro carbone ».

Comment les citoyens font-ils partie de la gouvernance du projet ?

Nous allons mettre en place d’ici à la fin de ce premier trimestre un comité citoyen composé de 30 personnes dont la moitié sera issue du monde associatif et donc plutôt engagé en matière de protection de l’environnement et une autre moitié de citoyens non engagés. Nous sommes en train de déterminer les critères en termes de classe d’âge, de catégorie socio-professionnelle et de localisation, les ruraux devant être présents au même titre que les urbains. Ce comité sera partie prenante dans un certain nombre de décisions relatives au projet « Territoire zéro carbone » car les citoyens sont aussi indispensables que les entreprises et la puissance publique afin de relever le défi climatique. Mais nos sociétés sont devenues très complexes et technocratiques ce qui amène les gens à se sentir un peu perdus, puis de fil en aiguille, à se méfier du progrès technique et des hommes politiques. Il faut donc tout à la fois associer, faire preuve de pédagogie par la vulgarisation scientifique, véritable élément de démocratie, et également proposer des récits de fiction qu’il s’agisse de mobilité, de travail, de gestes simples du quotidien qui invitent le citoyen à regarder ce que sera notre vie dans vingt ans. Avant l’été 2021, nous diffuserons ainsi des séquences vidéo, des affiches et autres supports de communication dans cet objectif.

Par ailleurs, nous allons d’ici fin mai 2021 ouvrir le conseil scientifique, qui assiste le comité de pilotage du projet – et était jusqu’à présent composé d’ingénieurs – aux chercheurs en sciences humaines et sociales, précisément pour ne pas rester techno-centré et n’oublier aucun territoire dans la transition énergétique. La crise des Gilets jaunes nous a montré une contestation sociale territorialisée avec des séparations sociales, souvent corrélées à la séparation géographique. Mais outre cette crise, une agglomération comme La Rochelle vit aussi de profondes différences de territoires, par exemple, avec les communes de la troisième couronne au profil très rural alors que la ville de la Rochelle est tournée vers la mer, ce qui n’est pas simple à gérer. Mais chaque maire a le même poids dans le conseil communautaire ce qui est important. La question climatique ne pourra pas se régler avec un prisme idéologique et/ou en laissant de côté des territoires en difficultés et leurs habitants.

La Rochelle, territoire zéro carbone

La ville et l’agglomération – qui comprend 28 communes –, soit au total un territoire de 330 km2 pour 170 000 habitants, se sont engagées à faire de La Rochelle le premier territoire français à afficher un bilan « zéro carbone » d’ici 2040. Il s’agit d’afficher un bilan « neutre » à savoir un équilibre entre la quantité de dioxyde de carbone émis, et la capacité de la nature et des hommes à capter et stocker ce CO2. Le Premier ministre a annoncé le 13 septembre 2019 « La Rochelle Territoire zéro carbone » lauréat de l’appel à projets national « Territoires d’innovation ».

Cette démarche vise à apporter des réponses concrètes au changement climatique en améliorant la qualité de vie des citoyens. Ce vaste projet comporte cinq axes déclinés en 80 actions autour des politiques publiques en matière de mobilités ; d’efficacité énergétique de l’habitat ; de production d’énergies renouvelables ; de séquestration du carbone ; d’écologie circulaire et de tourisme durable.

Il s’agit, par exemple, de multiplier par 6 le niveau d’énergies renouvelables produit sur le territoire de l’agglomération, de systématiser l’aide à la rénovation énergétique des bâtiments, l’un des principaux gisements d’économie d’énergie, de changer la motorisation de tous les bus de l’agglomération soit une centaine de véhicules d’ici vingt ans ou encore de développer les réseaux de pistes cyclables sécurisés.

Le projet compte cinq partenaires principaux : la ville et l’agglomération de La Rochelle, La Rochelle université, port Atlantique La Rochelle et le parc bas carbone Atlantech. Au total plus de 130 partenaires sont impliqués. « La Rochelle Territoire zéro carbone » est doté d’un financement global de 80 millions d’euros.

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