Los Angeles, l’innovation publique grand format

Los Angeles dispose d’un système d’autoroutes complexe, étendu, et très utilisé.
Le 6 février 2019

Los Angeles est la deuxième ville la plus peuplée des États-Unis d’Amérique : confrontée à de multiples défis, elle est pionnière dans de nombreux domaines en matière d’innovation. Innovation sociale et technologique pour tenter de faire face à la précarité du logement et au sans-abrisme, culture des data pour mieux cibler les actions publiques. Autant de sources d’inspiration utiles pour les acteurs publics français. Retour d’expérience d’un voyage d’études dans cette ville fascinante, dans le cadre d’un partenariat entre la fondation Bloomberg et La 27e Région.

Poser le décor...

Californie, état le plus peuplé des États-Unis d’Amérique, réputé pour son progressisme et son libéralisme, à l’avant-garde des combats écologistes, contre les armes à feu, pour les droits des homosexuels, des femmes, etc., et qui, à l’ère du Gouvernement Trump, se réinvente en centre moral et culturel d’une nouvelle Amérique.

Los Angeles, deuxième ville la plus peuplée des États-Unis abritant près de 4 millions d’habitants, 830 km d’autoroutes urbaines supportant une congestion routière permanente. Des ressources en eau fragiles, risques d’incendies ravageurs, et en parallèle la création de quelques 30 000 « emplois verts » en 5 ans. Ville polycentrique, 90 nationalités représentées, traversée de tensions ethniques, culturelles, sociales, économiques, etc. Une crise du logement endémique, 29 000 sans-abri, le berceau de mouvements de community organising particulièrement inventifs. Son maire, Éric Garcetti, élu en 2013, est l’un des leaders du mouvement des métropoles américaines qui ont adopté l’accord de Paris sur le climat, en dépit du retrait décidé par le président Trump. En cela, il incarne bien la vision de M. Bloomberg sur l’avènement des pouvoirs locaux, en première ligne face aux défis qui traversent nos sociétés, et premiers lieux d’expérimentation de solutions et d’approches nouvelles, au plus près des habitants. Los Angeles lance à tous les innovateurs des défis de grande ampleur, dans lesquelles les questions d’échelle, d’impact et d’inclusion sont essentielles.

« Think big, move fast » : l’innovation basée sur les impacts

Le premier élément qui nous frappe est l’échelle, massive, des défis auxquels s’attaquent les équipes i-teams. Ce sont les maires, auxquels elles sont directement rattachées, qui orientent le travail de leur équipe d’innovation sur les priorités de leur mandature : à la Nouvelle-Orléans, diminuer significativement le nombre de décès par armes à feux, à Tel Aviv, améliorer la qualité de vie dans l’un des quartiers les plus mixtes de la ville, à Durham, faciliter la réinsertion des anciens détenus.

Premier chantier pour celle de Los Angeles : la lutte contre la précarité du logement et le sans-abrisme (homelessness). La population de la région de Los Angeles a connu un essor de 2,2 millions en moins de dix ans ; si la croissance économique de la ville attire entreprises et emplois, elle a également entraîné une hausse des prix du logement. Les transformations rapides des quartiers entraînent le déplacement des locataires les plus précaires, souvent peu au fait de leurs droits, et contribuent à l’augmentation de la population de sans-abris. La mairie s’est fixé l’objectif de 100 000 nouveaux logements d’ici 2021. L’équipe d’innovation a imaginé un portfolio de réponses de natures et d’échelles diverses : de nouveaux indicateurs pour comprendre l’évolution urbaine, localiser et aider les résidents susceptibles de subir une pression pour quitter leur quartier ; une campagne pour sensibiliser les locataires les plus vulnérables à leurs droits ; un projet pilote d’Accessory dwelling unit pour faciliter la construction de nouveaux logements sur les terrains de maisons individuelles, répondre aux besoins de la ville et encourager les propriétaires à louer à des personnes précarisées.

Les équipes i-teams s’attaquent ainsi à des enjeux larges, complexes plus qu’à des sujets d’innovation ; elles ne cherchent pas à améliorer des services ou politiques existantes, mais plus en amont à comprendre les causalités d’un problème, tester des hypothèses nouvelles, parfois dans des directions inattendues. Il s’agit ainsi de proposer des traductions opérationnelles, systémiques, aux ambitions des maires. Elles sont rattachées au politique, avec un enjeu fort d’impact visible et quantifiable sur les citoyens, quand les labos issus de La Transfo sont inscrits au sein de l’administration, au service de la transformation de celle-ci comme des politiques publiques.

Very very big data

« In God we trust, everyone else bring data », M. Bloomberg

Deuxième sujet d’étonnement pour les innovateurs français : la culture des data. Omniprésentes, de natures variées, elles sont une matière première incontournable du travail des équipes i-teams. Le data scientist est une figure récurrente de l’équipe d’innovation ; son rôle est plus celui d’un animateur que d’un technicien : identifier les données existantes, aider les services à collecter des données mieux utilisables, développer une culture des data et de l’évaluation au sein de l’administration, etc. Elles permettent de découvrir des opportunités d’innovation cachées, de piloter l’évolution du travail de l’équipe d’innovation, de mesurer l’atteinte des objectifs, l’impact des projets, etc., et de nourrir un storytelling bien orchestré. On peut cependant souligner les limites de cette approche evidence-based, moins adaptée pour capter et suivre les impacts à long terme, les liens de causalités fines, les externalités, etc. Cet usage des données, systématique, scientifique, est cependant assez fascinant pour nos équipes qui dédient souvent moins de temps à la phase de recherche comme à la mesure d’impact.

Le data wall de l’équipe d’innovation de la ville.

Le deuxième chantier de l’équipe d’innovation, la transformation du processus de recrutement des agents du département de police de Los Angeles (LAPD), est représentatif de cette approche par les data. Là encore, la commande est large : il s’agit de diversifier les profils des agents (origine ethnique, genre, etc.) de ce corps dont 40 % des effectifs seront à renouveler d’ici 10 ans, et dont la réputation a longtemps été d’être parmi les polices les plus violentes des États-Unis dans un contexte de gangs très présents. L’usage des données permet de comprendre quel candidat abandonne le processus de recrutement à quelle étape, quel type de message a le meilleur impact sur un public donné, etc. L’équipe a initié différentes réponses
à l’enjeu de départ : une campagne de communication sur les réseaux sociaux pour changer l’image des policiers ; un programme type « alternance » à destination de jeunes, comme premier pas vers les métiers du LAPD ; l’amélioration du processus de recrutement par les sciences comportementales ; etc.

Face à notre rapport relativement « protégé » aux données, l’approche américaine paraît décomplexée, voire sans limites. La collecte et le croisement de données sensibles (origine ethnique, statut légal, etc.) permettent un profilage fin au service d’un objectif social, impossible en France où la législation, plus attentive aux dérives possibles, interdit ces pratiques. Vyki Englert et Marie-Aimée Brajeux, codeuses et chercheuses actives au sein de Hack for LA/Code for America nous apportent un regard militant et critique sur le sujet. Elles nous pointent le travail emblématique réalisé par la Commission des élections fédérales et 18F, l’agence d’innovation numérique au sein du gouvernement fédéral, pour rendre les données de financement des campagnes des candidats aux élections américaines accessibles facilement. Elles nous partagent aussi les controverses autour des décisions de justice assistées par ordinateur et des biais ethniques qu’elles reproduisent, ou celle sur la collecte et du partage des données sensibles : dans un moment où la politique de l’état fédéral sur l’immigration évolue fortement, que faire des données collectées par les villes, qui pourraient permettre l’éviction de populations vulnérables ? Quelles sont les responsabilités des gouvernements locaux et des agents publics dans ce contexte ?

Les équipes du Los Angeles i-team pilotent des projets de transformation de la ville.

La terre du storytelling public ?

Tout au long du voyage, nous aurons aussi été fascinés par la capacité américaine à construire d’excellents storytellings, à l’exemple de Detroit qui a engagé il y a plus d’un an un chieff storyteller officer. Les gouvernements locaux ont recourt aux récits de leurs citoyens pour mieux incarner leur action : ce sont les jeunes gens engagés dans le programme « Pledge to patrol » du LAPD qui nous ont présenté celui-ci, nous permettant de toucher, au travers de leurs histoires personnelles, l’ampleur du défi qui consiste pour la police à recruter des agents au cœur même des quartiers les plus touchés par les gangs. C’est un changement de posture, de moyens, comme d’esthétique pour la communication des administrations ; c’est une nécessaire appropriation de la diversification des modes de narration, réseaux sociaux, vidéos, etc. ; c’est aussi, en particulier à l’heure du gouvernement Trump, de mouvements populistes forts, de remises en cause récurrentes de la pertinence de l’action publique, une preuve de la nécessité de produire de nouveaux récits pour l’action publique et de s’engager, derrière le combat politique, dans une bataille des imaginaires. Plutôt inspirant pour les villes et collectivités françaises !

Quand Innovation Teams (fondation Bloomberg) et La Transfo (La 27e Région) nouent un partenariat pour s’ouvrir de nouveaux horizons sur l’innovation publique

Lancé en 2012, « Innovation Teams » est un programme de la fondation Bloomberg ; il vise à doter les maires et leurs équipes de nouveaux moyens pour s’attaquer aux grands défis urbains et améliorer la vie des citoyens. Chaque ville sélectionnée recrute une équipe d’innovation qui pendant 3 ans s’attaque à quelques sujets clés de la mandature, imagine et teste des solutions nouvelles, produit des solutions nouvelles et cherche un impact visible sur la vie des habitants. I-teams embarque aujourd’hui 25 villes aux États-Unis, au Canada et en Israël.

Initiée en 2011, La Transfo est un programme expérimental porté par La 27e Région ; il accompagne des villes, métropoles et régions françaises dans la préfiguration de leur fonction innovation. À cette fin, une équipe pluridisciplinaire est embarquée au sein de chaque collectivité pour 14 à 18 mois, travaillant main dans la main avec un groupe d’agents. Ensemble, ils expérimentent de nouvelles méthodes de conception des politiques publiques sur des cas pratiques réels de la collectivité. Il s’agit de prototyper le futur labo, mais aussi d’engager une transformation culturelle de l’administration. Le programme est en cours ou récemment achevé dans 7 collectivités.

En 2016, les programmes i-teams et La Transfo ont noué un partenariat pour croiser leurs approches, leurs méthodes, leurs sujets de travail. Dans ce cadre, en juillet 2018, une quinzaine de représentants de La Transfo, ainsi que des représentants des équipes i-teams de Long Beach et Austin, embarquent à la rencontre de l’équipe d’innovation de la mairie de Los Angeles.

Le programme de cette visite d’étude organisée dans le cadre du partenariat permettra de découvrir leur travail, mais également de rencontrer d’autres acteurs de l’écosystème d’innovation de cette ville fascinante, en particulier Code for America, une organisation créée pour aider les gouvernements locaux et leurs administrations à mieux intégrer les innovations issues de la technologie et du design et travailler de façon plus efficace pour et avec les citoyens.

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