Jean-Laurent Cassely : « La culture urbaine s’exporte en périphérie et dans les petites villes »

Le 7 octobre 2022

Jean-Laurent Cassely a connu un franc succès avec La France sous nos yeux (2021- Seuil en duo avec Jérôme Fourquet). Il propose en cette rentrée 2022 une nouvelle édition enrichie de son livre La révolte des premiers de la classe (2017- Arkhé). Au programme, un retour sur le désir de changement de vie chez une partie des Français. Initialement remarquée avant le covid, cette tendance s’est accélérée. Lors de son passage aux assises de l’Association des Petites Villes de France (APVF) à Dinan, nous lui avons proposé d’analyser son travail par le prisme de l’attractivité des territoires.

Que retrouve-t-on dans votre livre La révolte des premiers de la classe ?

C’est une enquête initialement publiée en 2017, consacrée à la quête de sens des cadres supérieurs et des diplômés, dont certains cherchaient alors à se reconvertir dans des métiers assez éloignés des open-space, du conseil et des grands groupes. On observait des reconversions dans l’artisanat, le petit commerce haut de gamme ou les métiers de bouche, de la part de gens qui auparavant travaillaient dans la finance, le conseil, la communication ou la transition numérique. J’avais pu parler de cette population comme des « HEC-CAP ».

Nouvelle édition enrichie de La révolte des premiers de la classe chez  @ArkheEditions

Nouvelle édition enrichie de La révolte des premiers de la classe chez Arkhe Editions

Dans cette réédition post-covid, la quête de sens est toujours présente mais celle-ci revêt désormais une dimension territoriale : pour certains, s’éloigner des grandes villes est perçu comme une manière de changer de cadre de vie au même titre que le fait de changer de métier... on pourrait presque parler de reconversion spatiale !

Pourquoi ?

Depuis quelques années, et le Covid a accéléré le phénomène, le récit territorial a évolué. La hiérarchie symbolique entre les strates territoriales a changé. Pour vous donner un exemple, dans les années 2000, les hebdomadaires titraient sur « les métropoles où il fait bon vivre », notamment Bordeaux ou Nantes, qui se plaçaient très régulièrement en tête du podium. C’est aussi l’époque durant laquelle s’est popularisée la grille de lecture opposant les métropoles et la France périphérique. Or même avant le Covid, un intérêt accru à commencer à se faire sentir pour les villes de second rang et satellites des métropoles régionales, les petites et moyennes villes. Les mêmes qu’on disait à l’agonie il y a quelques années.

Qu’est-ce qui peut expliquer cela ?

En partie probablement l’évolution des modes de vie. Après les classements des métropoles, les classements des villes moyennes et demain des territoires ruraux ! Mais de manière plus structurelle, le regard porté par les citadins sur ces territoires a évolué, pour deux raisons. L’une est liée à un basculement de l’image des grandes agglomérations, les fameuses villes globales, associées à la pollution, l’insécurité, la cherté de l’immobilier, la montée des tensions sociales. L’autre explication est matérielle. Nous arrivons au bout du potentiel de gentrification des grandes villes. Les jeunes générations n’ont d’autre choix que de s’aventurer dans des zones que les agents immobiliers nomment les marchés de report. C’est-à-dire les banlieues plutôt que les quartiers centraux initialement recherchés, mais aussi la sortie d’autoroute d’après : les couronnes éloignées plutôt que la première couronne, les petites villes plutôt que les grandes, etc. comme un signe du déclassement immobilier.

Il y a aussi eu l’impact du télétravail

Oui, la France a « découvert » le télétravail. De simple possibilité technique (le logiciel Zoom existait déjà mais personne ne l’utilisait), il est devenu un mode de vie et a élargi le champ des possibles : cela a permis par exemple de prospecter au-delà des grandes villes, jusqu’à deux heures autour de son lieu de travail pour ceux qui n’avaient pas à s’y rendre quotidiennement.

Quels sont les territoires qui vont pouvoir en profiter ?

Globalement ceux que les Américains ont baptisé du nom évocateur de « Zoom towns », littéralement des villes où on pratique les visioconférences. Ils se sont rendu compte que les résidents secondaires dans les communes de villégiature, situées à trois ou quatre heures des grandes métropoles américaines, restaient le lundi ou au-delà des périodes de vacances, parce qu’ils avaient la possibilité de télétravailler. Cette possibilité reconfigure totalement notre carte mentale du pays. Beaucoup, parmi les cadres, les professions culturelles ou intellectuelles, les développeurs ou les indépendants se demandent pourquoi rester à Paris quand on peut bosser à Biarritz ou à Vannes.

Sur quoi doivent-ils être vigilants pour réussir à conserver ces nouveaux arrivants ?

La question serait plutôt de savoir comment conserver les anciens habitants ! La lutte des places est devenue une préoccupation pour nombre de municipalités victimes de leur succès, celles de la France désirable et attractive, par exemple sur le littoral breton comme sur toute la façade atlantique. Comme le résumait avec humour un compte twitter récemment : « La Bretagne ne peut pas accueillir toute la richesse du monde ». D’ailleurs 2022 aura été la dernière campagne présidentielle lors de laquelle les thèmes du logement et de l’immobilier auront été absents !

Au niveau de l’habitat, quelle est la tendance chez les Français ?

Le rêve pavillonnaire est encore largement présent chez les Français. Dans le livre, nous l’appelons l’idéal Plaza (Ndrl : du nom du présentateur et agent immobilier). Le soft power de la maison individuelle s’est retrouvé encore renforcé dans les années post-pandémie. Ce que l’on nomme l’exode urbain correspond pour partie au renouvellement du mode de vie pavillonnaire, par la génération des millennials qui fait des enfants et s’éloigne vers les périphéries suivant en cela le modèle de ses aînés. Sauf que ces nouveaux habitants n’appréhendent pas toujours le périurbain de la même manière que les baby-boomers pour lesquels on a construit cette France périurbaine. La voiture, les courses au supermarché restent au centre de l’expérience… Mais depuis quelques années, la culture urbaine s’exporte aussi en périphérie et dans les petites villes. On voit par exemple fleurir tiers-lieux et espaces de coworking, espaces typiquement urbains et branchés il y a quelques années, dans la France des pavillons.

Qu’est-ce que ce changement de culture vient bouleverser ?

L’idée qu’à chaque type de territoire, correspondrait un mode de vie et un type d’habitants bien définis.

En réalité, nous vivons une forme d’hybridation territoriale, ce que nous synthétisons dans La France sous nos yeux de manière imagée par la coexistence du pavillon, de la yourte et du mas, en référence à des manières d’habiter qui expriment des styles de vie, des rapports à la mobilité ou la consommation bien distincts.

Du ménage de pendulaires-pavillonnaires traditionnels au couple de grands mobiles télétravailleurs, nouveaux seigneurs des arrière-pays, en passant par les néo-ruraux adeptes de collapsologie, la France des territoires se décline en plusieurs versions !

Ces nouveaux modes de vie sont-ils compatibles avec les enjeux de transition qui nous attendent dans les prochaines années ?

La contradiction entre le désir de maison, d’espace et de confort, réaffirmé depuis le Covid, et l’objectif de mettre fin à l’étalement urbain et à l’artificialisation des sols est manifeste. La densité est à la mode et devient réglementaire : il lui manque encore d’être désirable aux yeux d’une grande partie de la population.

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