La formation professionnelle à la croisée des chemins

Premier changement de taille : la loi du 5 septembre 2018, pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Elle induit une réforme systémique de la formation professionnelle par ses effets sur le système de financement (notamment, la création du compte personnel de formation [CPF] monétarisé et désintermédié, le financement de l’apprentissage au coût contrat, etc.), sur la gouvernance (création de France compétences comme organisme collecteur et régulateur) et une régulation du marché de la formation par la qualité attestée par un référentiel unique. Enfin, la loi consacre la reconnaissance d’un nouveau type d’action de formation qui mobilise les situations de travail et érige l’action de formation en situation de travail (AFEST) à parité de dignité avec la formation ouverte à distance (FOAD) et le stage hors lieu de production. Ajoutons à ce bouleversement la période de pandémie de covid-19 : pour assurer une continuité pédagogique, les organismes de formation ont été contraints de transposer leur(s) formation(s) à distance selon diverses modalités (classe virtuelle, hybridation, synchrone ou asynchrone, etc.). Cette transformation à marche forcée a mis en évidence le retard pris par les organismes du secteur dans la transition numérique, tant d’un point de vue technique (équipement en plateformes de learning management system [LMS]¹, content management system [CMS]²) social et organisationnel dans la mesure où cela bouscule les pratiques pédagogiques et conduit à faire évoluer le métier et la posture de formateurs. Tout cela conduit potentiellement à réinterroger le modèle économique des organismes.

« Soulever la capot » d’un écosystème complexe

Le premier objectif de ce hors-série est de présenter à un public élargi, la complexité de ce domaine, un champ discret³,mais important de l’action publique. Un champ complexe, si tant en raison de la structuration de son système d’acteurs (État, région, branche, opérateur de compétences [OPCO], France travail, entreprises, etc.) que de ces cibles. Un monde hétérogène puisqu’il existe des organismes pour qui la formation est l’activité principale, d’autre pour qui elle n’est qu’une activité secondaire voire marginale. Certains sont des organismes de branche spécialisés sur un secteur d’activité, d’autres sont plus généralistes formant sur des compétences de bases ou transversales à différents secteurs d’activité. Ils diffèrent également par leur taille d’effectif, leur inégale répartition territoriale (principalement concentrée sur les grands pôles métropolitains) ainsi que par leur modèle économique. En effet, certains disposent de leurs propres équipes pédagogiques quand d’autres fonctionnent à l’aide de formateurs externes par prestations ou vacations. D’autres encore combinent les deux modèles. Certains fonctionnent principalement sur fonds publics quand d’autres interviennent auprès des acteurs privés (entreprises). En cela, la cartographie des acteurs et des financeurs du secteur⁴ apporte de premiers éléments de compréhension, permettant au lecteur non initié de mieux appréhender ce « monde pluriel », pour reprendre l’expression d’une récente étude⁵ du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq) qui nous semble particulièrement adaptée.

Financeurs, bénéficiaires et organismes de la formation professionnelle

Révéler les transformations du secteur

Toute déstabilisation pousse le système à s’adapter, se recomposer, innover et se transformer. Le champ de la FPC n’y fait pas exception : avec ce hors-série, nous souhaitions également révéler les transformations à l’œuvre, les interrogations qui le traverse et identifier des conditions favorables dans la mesure où les évolutions du cadre normatif, la pandémie, les financements complémentaires amenés ne suffisent pas à une transformation naturelle et pérenne de l’appareil de formation. Ce besoin d’accompagnement explique le choix de l’Aract Hauts-de-France à travers l’initiative du projet « Katalyo », laboratoire d’innovation dont le rôle est à la fois à accompagner les acteurs de la formation dans le montage de projet et de tirer les enseignements de leur mise en œuvre dans le but d’outiller la construction des politiques publiques. Pour ce faire, nous aborderons dans une interview croisée, la particularité de l’expérimentation nationale AFEST, dont les résultats ont contribué à inscrire cette modalité de formation dans le cadre règlementaire. Mettre en avant cette dynamique nous semble intéressant dans la mesure où l’expérimentation a précédé et fut un moyen concret d’aide à la construction des politiques publiques.

Un champs discret mais important de l'action publique.

Ce numéro hors-série réinterroge également le terme d’innovation pédagogique, remet en perspective la question de la réflexivité et décrypte l’impact de l’intelligence artificielle (IA) dans le secteur de la formation professionnelle.

1. Il s’agit d’un logiciel permettant la gestion de l’activité des personnes concernées (apprenants, formateurs, administrateurs) et la diffusion des contenus pédagogiques (e-learning). Il s’agit donc d’une plateforme d’enseignement à distance qui accompagne toute personne impliquée dans un processus d’apprentissage en ligne.
2. Plateforme numérique de création et gestion de contenus en ligne.
3. Entendu ici comme peu/pas connu du grand public.
4. « Cartoscopie. Financeurs, bénéficiaires et organismes de la formation professionnelle », p. 4-5.
5. Paddeu J. et Veneau P., « Les mondes pluriels de la formation des demandeurs d’emploi », Céreq bref juin 2023, vol. 440, n^o 8, p. 1-4.