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Le financement, un enjeu crucial pour l’avenir du système de santé

Nicolas Revel, Philippe Arramon-Tucoo, Thierry Beaudet
©(De gauche à droite) Nicolas Revel, Philippe Arramon-Tucoo, Thierry Beaudet
Le 13 mai 2019

Comment assurer un financement pérenne et solidaire de la transformation du système de santé à l’horizon 2030 ? Cette question constitue un enjeu majeur pour l’avenir de notre organisation des soins. Nicolas Revel, directeur général de l’Assurance maladie, et Thierry Beaudet, président de la Mutualité française, ont accepté de confronter leur vision prospective sur les enjeux de santé lors de la seconde édition du Forum Santé et Avenir (FSA), qui s’est tenue le 8 février 2019 à Bordeaux.

Alors que le contexte est marqué par les inégalités territoriales, le vieillissement de la population et l’augmentation de la prévalence des maladies chroniques, les deux invités de marque du Forum Santé et Avenir (FSA) partagent deux convictions : la nécessité de s’extraire d’une vision à trop court terme et de s’appuyer sur la dynamique et l’intelligence des territoires.

Pour Nicolas Revel, « la réexion doit être menée sur le long terme en rééchissant aux vrais leviers d’action et à la méthode. Il faut aussi s’appuyer sur des dynamiques qui partent des territoires et s’inscrivent dans un cadre national. »

Sortir du court-termisme pour préparer l’avenir

Pour Nicolas Revel, « la réflexion doit être menée sur le long terme en réfléchissant aux vrais leviers d’action et à la méthode. Il faut aussi s’appuyer sur des dynamiques qui partent des territoires et s’inscrivent dans un cadre national. » Le directeur de l’Assurance maladie en a profité pour rappeler les éléments de contrainte qui pèsent sur notre système de santé aujourd’hui, « nécessitant de mettre les bouchées doubles à l’horizon 2030 » : l’enjeu démographique (la part des personnes âgées de plus de 65 ans dans la population progressera de 15 % pour atteindre 45 % en 2030 !), l’enjeu épidémiologique avec une progression des affections de longue durée (ALD) sur la tranche d’âge des 55-65 ans (et non plus seulement des 70 ans) et l’enjeu financier avec la nécessité de rééquilibrer l’Assurance maladie avec des dépenses de santé en progression de 5 à 7 % par an.

(De gauche à droite) Féreuze Aziza,
Nicolas Revel, Philippe Arramon-Tucoo,
Thierry Beaudet - Débat animé
par Roland Michel

Pour Thierry Beaudet, le président de la Mutualité française, « il faut conjuguer en permanence différents horizons temporels, le projet de loi de financement de la sécurité sociale chaque année, le prix des cotisations des mutuelles au début de chaque année, etc., tout en essayant de s’extraire de cette vision à court terme pour ce projet sur l’exigence du long terme. L’enjeu est de répondre aux besoins d’aujourd’hui pour demain : le vieillissement, la demande de santé à tous les âges de la vie, etc. Avec la question de la soutenabilité, l’une des difficultés est justement de passer d’un horizon temporel à l’autre ». Pour Nicolas Revel, ce changement d’horizon temporel est aussi nécessaire, « nous le ferons à coup sûr », mais il est difficile de faire bouger et de faire évoluer les organisations. « Si nous échouons, c’est notre modèle de soin qui va se déliter, l’enjeu est donc très important et au cœur du pacte social », précise-t-il. Le directeur de l’Assurance maladie est revenu sur trois grands enjeux sur lesquels nous pouvons faire des progrès : la prévention des pathologies chroniques liées au vieillissement : « Le système de soin soigne très bien. Nous sommes très bons sur la qualité mais mauvais sur les facteurs de risques. Il faut investir sur la prévention. » Deuxième enjeu : l’organisation des soins : celui-ci est trop « hospitalo-centré » (la France est le deuxième pays au Monde sur la dépense hospitalière). Selon Nicolas Revel, l’organisation des soins de ville doit aussi être revue car il y a une atomisation des acteurs et une absence de travail collectif sur les pathologies chroniques. Troisième enjeu : progresser sur la pertinence des soins : « L’objectif est d’agir plus efficacement sur le juste soin. Chaque année, ce sont 4 milliards d’euros d’économie à faire sur les dépenses de santé qui progressent de 8 à 10 milliards d’euros par an. » Selon lui, il faut avoir des indicateurs plus pertinents pour faire évoluer le système.

 « L’enjeu est de répondre aux besoins d’aujourd’hui pour demain : le vieillissement, la demande de santé à tous les âges de la vie, etc. » selon Thierry Beaudet.

Faire confiance à l’intelligence des territoires

Comment va-t-on s’y prendre pour transformer le système de santé dans le sens souhaité ? C’est la question posée par Thierry Beaudet dans le prolongement de ce débat qui invite à « changer profondément de mode opératoire ». Selon lui, le rôle de l’État est de porter la vision sur le long terme et de définir la stratégie comme il le fait avec le projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé. « C’est un cadre, cela donne du sens, les pouvoirs publics sont clairement dans leur rôle », précise-t-il. Mais les transformations à venir ne pourront être portées que par les acteurs et les territoires : « Notre conviction est qu’il faut faire confiance à l’intelligence des territoires, plutôt que les visions trop jacobines ou de se contenter de plaquer des recettes venant d’en haut. Nous pensons qu’il faut faire davantage confiance aux collectivités territoriales, aux gestionnaires des hôpitaux, aux professionnels de santé et aux élus. » Pour le président de la Mutualité française, le pilier du système reste l’Assurance maladie qui assure 78 % de prise en charge, même si les complémentaires santé et les mutuelles couvrent les 12 % restant dans un contexte de hausse des dépenses de santé. « Aujourd’hui, nous sommes enfermés dans un rôle de solvabilisation complémentaire, nous pourrions jouer un rôle plus important pour contribuer à la régulation du système, explique-t-il, les solutions doivent être plurielles, inspirées des dynamiques territoriales, la mutualité doit aussi être acteur de la transformation, ajoute-t-il. »

Comment faire des territoires des lieux agiles pour la transformation du système de santé ? À cette question, Nicolas Revel apporte plusieurs éléments de réponse : un changement de paradigme, l’essor de vrais partenaires pour assurer un nancement pérenne ou encore faire des patients des acteurs de leur santé dans les territoires et responsabiliser les professionnels de santé sur leurs actes.

Libérer les énergies dans les territoires

Pour Nicolas Revel, le directeur général de la CNAM, les priorités d’investissement pour les prochaines années doivent se concentrer sur la valorisation des bonnes pratiques et l’organisation de la santé favorisant l’accès et la qualité des soins dans les territoires. Les maisons et les pôles de santé, les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) qui visent à faciliter la coordination des soins ambulatoires au bénéfice des patients et à améliorer les conditions d’exercice des professionnels de santé libéraux qui ont l’initiative de les créer, dans chaque territoire de la région, vont dans le bon sens. « L’objectif est d’avoir moins de revalorisation des actes car notre système a besoin d’investir sur les organisations et la qualité des pratiques. Il faut un cadre national bien orienté et mettre en mouvement les territoires. Nos modes d’action doivent évoluer, les CPTS sont un enjeu très important. Pour la première fois, ces communautés permettent aux caisses primaires d’Assurance maladie et à l’Autorité régionale de santé (ARS) d’adapter les contrats et les financements à chaque CTPS. Enfin, l’article 51 de la LFSS de 2018, qui prévoit un droit à l’expérimentation en matière d’organisation de santé, dans le cadre duquel 370 projets ont été retenus, s’inscrit dans cette logique de co-construction avec les professionnels de santé. Sur les CPTS et l’article 51, Thierry Beaudet n’est pas du même avis que son interlocuteur. » Sur le fond, cela va dans la bonne direction avec un droit au regroupement et à l’expérimentation dans les territoires, mais en même temps, ces procédures restent trop complexes ou trop éloignées des besoins locaux. « Il faut accompagner les projets de santé de territoire, libérer les énergies et faire confiance aux acteurs, l’évaluation par les ARS doit se faire a posteriori », explicite-t-il, avant d’affirmer face à son interlocuteur : « Nous n’avons pas besoin de politburo ! » Un terme qui fait bondir Nicolas Revel, le directeur général de la CNAM, pour qui l’article 51 sur le droit à l’expérimentation et les CTPS ne justifiant par le terme de politburo. « Avec l’article 51, nous faisons différemment, comme d’autres pays l’on fait avec succès, en coconstruisant le cahier des charges avec de nouveaux acteurs issus des territoires. Concernant le CTPS, ce n’est pas faire pour faire un beau dossier à soumettre au “politburo”. L’idée est de prendre en charge des sujets sur des besoins : comment on organise par exemple l’accès à un médecin traitant dans les territoires ? » Comment faire des territoires des lieux agiles pour la transformation du système de santé ? À cette question, Nicolas Revel, le directeur général de la CNAM, apporte plusieurs éléments de réponse : un changement de paradigme, l’essor de vrais partenaires pour assurer un financement pérenne ou encore faire des patients des acteurs de leur santé dans les territoires, responsabiliser les professionnels de santé sur leurs actes. La chirurgie ambulatoire qui s’est développée est à la fois bénéfique pour l’Assurance maladie, les mutuelles, l’établissement de santé mais aussi le patient.

Des technologies innovantes au service du temps médical et du patient

Quel impact pourrait avoir l’intelligence artificielle sur le système de santé en 2030 ? Pour le président de la Mutualité française, l’objectif est d’optimiser le temps médical. Selon lui, grâce à ces technologies, les infirmier·es pourront suivre un patient, les opticiens pourront examiner un patient pour renouveler directement ses verres correcteurs. « Les technologies permettront de mettre l’ensemble des acteurs en pleine responsabilité pour se concentrer sur les vraies compétences. L’enjeu majeur du futur sera de répondre à la demande de soin, avec plus de prévention, d’efficience, de pertinence, de nouvelles molécules et de nouvelles thérapies. Il sera aussi possible d'avoir un bon suivi de santé accessible à tous, il n’y a de progrès véritable que s’il est partagé par tous. »

Pour Thierry Beaudet, les transformations à venir ne pourront être portées que par les acteurs et les territoires: «Notre conviction est qu’il faut faire confiance à l’intelligence des territoires, plutôt que les visions trop jacobines ou de se contenter de plaquer des recettes venant d’en haut.»

Mettant en avant la nouvelle signature institutionnelle de la CNAM, « agir ensemble, protéger chacun », Nicolas Revel évoque la méthode et la confiance pour réussir à transformer le système de santé, avec deux nuances : la revalorisation des actes par les professionnels de santé ne sera pas suffisante. Il faudra plutôt, selon lui, privilégier un accompagnement sur les vrais besoins. Et sur l’impact de la révolution numérique ? « Il doit libérer du temps médical pour que le médecin passe plus de temps avec le patient et que ce temps-là puisse principalement être consacré aux soins. »

(De gauche à droite) Nicolas Revel,
Philippe Arramon-Tucoo, Thierry Beaudet
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