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Le végétal reprend sa place en ville

villes durables
Les récents épisodes de canicule ont rappelé l’importance du végétal en milieu urbain. Lorsqu’il est considéré comme un élément structurant des aménagements, le vivant permet de lutter efficacement contre les îlots de chaleur, la pollution et les inondations.
©Extrait de "La ville nature, un défi à portée de main", une publication de VAL’HOR
Le 18 janvier 2023

Alors qu’un Français sur deux pense que la ville du futur sera végétale et écologique, dans son plaidoyer pour une cité verte1, Val’hor2, l’interprofession française de l’horticulture, de la fleuristerie et du paysage, défend une présence maitrisée de la nature en ville. Que ce soit pour lutter contre les îlots de chaleur, améliorer le cadre de vie, favoriser le lien social ou encourager la biodiversité, la ville se doit d’intégrer le végétal. C’est en tout cas l’avis de Jean-Marc Vasse, le délégué général de Val’hor.

Quelles évolutions ont connues les métiers de l’horticulture, de la fleuristerie et du paysage pour prendre en compte l’adaptation climatique ?

Ces métiers reposent sur la connaissance des végétaux et des techniques de la botanique, de la biologie, etc. C’est pourquoi la base ne change pas, elle est toujours la même. En revanche, l’évolution de l’environnement les impacte. Pour citer un exemple, quand l’énergie flambe, cela engendre deux conséquences : s’adapter, pour produire sous serre des cultures avec moins d’énergie et cultiver des espèces plus résistantes à la sécheresse.

Au changement climatique s’ajoutent les nouvelles réglementations : l’interdiction du glyphosate et des produits phytosanitaires impose aux collectivités d’apprendre à travailler autrement.

Cela se fait avec le concours du ministère de l’Agriculture, notamment pour l’adaptation des formations. Les lycées agricoles et horticoles possédant des exploitations et des outils de chantiers ont la capacité d’éprouver de nouvelles techniques, de les tester avec des jeunes en formation. Nous travaillons aussi avec la filière sur la protection biologique intégrée des végétaux.

La loi Labbé3 a incontestablement modifié la pratique des entreprises du paysage. Les collectivités, qui y sont soumises, ont dû supprimer l’emploi des produits phytosanitaires pour la gestion des espaces verts. Cette réglementation a aussi des effets induits, collatéraux conduisant à de nouvelles pratiques, ce qui bouscule les métiers. Cela peut, par exemple, mener à recourir à l’éco-pâturage plutôt qu’à la tonte des pelouses.

Cette loi visant à l’origine les espaces verts publics a fait des adeptes chez les bailleurs sociaux, dans les copropriétés, les propriétés privées, les endroits protégés. Les entreprises se doivent en conséquence de raisonner autrement.

Jean-Marc Vasse

Jean-Marc Vasse est le délégué général de Val’hor, l’interprofession française de l’horticulture, de la fleuristerie et du paysage.

Quelles actions menez-vous pour encourager la végétalisation en ville ?

Notre organisation professionnelle, l’Union nationale des entreprises du paysage (UNEP) est favorable à cette loi Labbé et la pratique plus largement.

Nous encourageons le label ÉcoJardin4, créé il y a dix ans, visant à certifier des espaces verts sans pesticides. Avec plus d’un millier d’espaces certifiés, on peut dire que ce label incitatif favorise les bonnes pratiques. Par ailleurs, 11 000 collectivités en France – dont 4 000 sont labellisées – participent au concours des villes et villages fleuris. Elles s’adaptent aux réglementations et aux circonstances climatiques, cela irrigue et donne à voir de nouveaux modèles.

La France compte 16 millions de jardins, jardins familiaux, ouvriers, de cheminots. Certains sont rassemblés dans des associations, d’autres sont tout simplement entretenus par des familles, des particuliers. On sait que les pratiques des jardiniers servent de modèle aux habitants. C’est pourquoi on ne réussira pas de transformation si on ne les emmène pas avec nous.

Pouvez-vous décrire les solutions existantes pour la végétalisation des centres-villes et zones urbaines ?

Aujourd’hui, on hérite d’une organisation du xxe siècle post-haussmannien aux infrastructures grises : du construit, des tuyaux, du bitume, des voiries. Dans ces infrastructures grises, on a essayé de mettre du vert pour « faire beau » ; la première vague de végétalisation a donc été ornementale. Ensuite, une deuxième génération a proposé de végétaliser pour favoriser le lien social ; cela correspond à la création des grands parcs. Enfin, aujourd’hui, la végétalisation doit servir à d’autres fonctions, notamment celle d’assurer la biodiversité, d’où l’arrivée de la nature en ville.

On s’est même rendu compte qu’un certain nombre de solutions fondées sur la nature peuvent résoudre des problèmes de la ville, ce sont des infrastructures vertes. Les noues5 permettent ainsi de récolter les eaux de ruissellement, la végétation dans les noues se porte mieux qu’ailleurs en temps de sécheresse dans la mesure où le peu d’eau qui tombe est récolté.

Tout le travail que nous faisons aujourd’hui vise à se servir des fonctions éco-systémiques du végétal pour répondre aux questions que la ville pose : mobilités et déplacements doux, respect de la biodiversité, lutte contre les îlots de chaleur. La place de la Brèche à Niort, un ancien parking, transformé en parc végétal, est un bon exemple. S’il a fallu dix ans pour réaliser ce changement, on a constaté pendant la période de fortes chaleurs que les eaux stockées sous forme de citernes ont permis d’arroser le site. C’est devenu un véritable îlot de fraîcheur dans la ville, largement arboré, où les températures peuvent être entre 3 et 4 degrés moindres qu’ailleurs.

Pour faire valoir l’ensemble des services rendus pas la nature en ville, nous avons lancé le concours de Victoires du paysage6. Il récompense les maîtres d’ouvrage qui ont pensé, conçu des espaces végétalisés répondant à ces enjeux.

Au-delà des bienfaits sur la santé, la biodiversité, les espaces verts génèrent des effets économiques. Aujourd’hui, la place de la Brèche est entourée de restaurants qui ont vu leur chiffre d’affaires grimper parce que c’est devenu un lieu où l’on se retrouve.

Penser les infrastructures vertes dans les collectivités constitue un des enjeux de la ville du xxie siècle. À ce propos, il y a deux mouvements. Tout d’abord les cours d’école, notamment les cours Oasis à Paris7 : pendant des années, les parents ont souhaité que les enfants jouent dans des espaces propres, sans boue ni flaque. Aujourd’hui, ce mouvement s’est inversé, on cherche à combattre la chaleur et donc à réduire la place du bitume. Pour désimperméabiliser un certain nombre d’espaces en villes, on utilise des systèmes tels que Evergreen® permettant de récolter de l’eau, sur les places de parking.

Le 22 juin, l’Association des maires de France (AMF) a déposé un recours devant le Conseil d’État contre les deux décrets du 29 avril 20228 visant à mettre en œuvre l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) en 2050. Il s’agit notamment de revoir la nomenclature de l’artificialisation des sols. Un jardin privé ne peut être considéré comme une zone artificialisée, c’est bien une zone de nature en ville. On a besoin de ces espaces qui ont des fonctions éco-systémiques et permettent au système urbain de fonctionner.

D’ailleurs, nous travaillons avec le programme Action Cœur de ville, pour développer un axe du végétal dans les 234 centres-villes concernés. Ce n’est pas toujours aisé dans des centres historiques, au bâti dense, mais c’est à la fois utile et demandé par les habitants. Nous collaborons également avec l’opération Petites villes de demain, un concept similaire, mais à une autre échelle.

« Laisser la nature reprendre ses droits. » On entend souvent cette expression. Est-ce cohérent et souhaitable en ville ?

Laisser la nature reprendre ses droits, cela donne des plantes exotiques envahissantes, des rats en ville, des feux de forêt que l’on ne peut arrêter, etc. C’est une hérésie de penser que l’on doit laisser la nature reprendre ses droits. En revanche, les professionnels de la conception du paysage, peuvent concevoir des systèmes permettant une certaine autonomie. Gilles Clément parle du « jardin par soustraction », c’est, d’une certaine manière, du pilotage de la nature en ville. Chaque fois que l’on peut réinstaller du végétal en ville, il faut le faire, en prenant en compte à la fois les enjeux et les destinations. Pour chaque espace, la réponse est différente.

Quels sont les bienfaits de la végétalisation en ville ?

Le végétal requiert de l’eau et invite donc à imaginer des systèmes de ruissellement pour alimenter la végétation plantée. Il favorise le lien social et capte les polluants via l’évapotranspiration. Il pose en parallèle la question des allergènes, 10 % de la population y est soumise, ce qui signifie qu’il faut éviter de planter des espèces allergènes. Enfin, le végétal amortit le bruit.

Quelles sont ses limites ?

Si l’on fait de la mosaïque de cultures, les coûts d’entretien sont élevés, c’est pourquoi il convient d’adopter une gestion différenciée des espaces verts. Penser que les espaces végétalisés ne nécessitent pas d’entretien est une idée fausse. Tout comme le patrimoine, cela requiert de l’entretien. Nous prônons une approche permettant d’améliorer le capital végétal.

Pouvez-vous présenter certains projets qui pourraient et mériteraient d’être replicables ?

Tout lieu mérite qu’on s’en occupe et qu’on y dessine un paysage. À chaque édition des Victoires du paysage, on découvre des exemples à l’échelle de la rue, du quartier, du village, de la zone d’activités, des ensembles d’habitats sociaux. On a aussi des exemples d’infrastructures routières. Je citerais le quartier de Ramponneau à Fécamp9, car c’est un quartier prioritaire de la ville (QPV). Souvent dans ce genre d’opération, on travaille sur le bâti et moins sur les espaces communs. Or, dans ce quartier, le paysagiste-concepteur – Cabinet Samuel Craquelin – a sollicité l’ensemble des habitants pour concevoir les espaces communs, cela a été une occasion de créer des jardins partagés, des espaces de convivialité, de la beauté au pied des immeubles. Une véritable attention a été portée aux usages attendus par les riverains. Afin de redonner toute leur place aux piétons, les rues principales ont été recalibrées. Un nouveau maillage routier facilite désormais les connexions. Cette trame favorise les liaisons douces entre résidence, place du marché, parc urbain, jardin potager pédagogique, aires de jeux, terrasses et espaces de détente.

On peut aussi parler de la végétalisation du centre-ville de Bar-le-Duc. La collectivité a constaté une baisse significative des températures en centre-ville pendant les canicules. La plantation d’arbres, associée à un traitement clair des zones minérales (pierres calcaires), s’est avérée efficace pour protéger les façades des rayons du soleil et offrir des zones de confort aux habitants.

Quant au réaménagement réussi des berges de la Seine à Rouen, il offre aujourd’hui une transition douce entre les quais minéraux et le grand parc de la presqu’île Rollet. Longue de 3 kilomètres, la promenade fluviale sur les quais de la rive gauche reconnecte les deux rives du fleuve dans un cadre paysager et fluvial valorisé. La petite faune bénéficie ainsi d’un environnement naturel pour se développer.

Comment imaginez-vous la ville d’ici dix ans ? Ira-t-on vers une ville hyper végétale ? Est-ce souhaitable ?

Ce qui est souhaitable, c’est de penser autrement la nature en ville tout en améliorant la gestion de l’eau, indispensable au végétal. Rafraîchir la ville par le végétal, préserver la biodiversité tout en revitalisant les centres-villes, tels sont les défis de demain. À chaque fois que l’on amène des espaces végétaux, on redonne de la vie et on favorise l’aspect inclusif de la ville. Il faut, par ailleurs, repenser les mobilités, particulièrement les mobilités douces. Si l’on arrive à concevoir des itinéraires doux et végétalisés, protégeant de la chaleur, les gens les emprunteront à pied.

J’ajoute que l’on ne peut pas laisser la ville uniquement aux architectes et aux urbanistes. La profession de paysagiste-concepteur est déterminante tout comme on a besoin d’horticulteurs et de pépiniéristes pour mener à bien ces réalisations. À Niort, l’Architecte des bâtiments de France a participé au classement du site, la paysagiste a pris en compte la question de la dépollution, souligné l’importance de relier la Sèvre niortaise et le parc naturel du marais poitevin. Elle a conçu un espace fonctionnel, c’est une belle réussite. Cinq ans après le lancement du projet, la friche industrielle des anciennes usines de chamoiserie et de ganterie Boinot est devenue Port Boinot : 25 000 m² aménagés, cinq jardins thématiques et trois bâtiments emblématiques révélés.

Enfin, j’attire l’attention sur l’engouement pour les plantations. Il faut produire des plantes et arbustes que l’on va planter, il ne s’agit pas d’aller les chercher à l’autre bout du monde. La réflexion sur la production doit mener à l’anticipation.

Val’hor, l’interprofession française de l’horticulture, de la fleuristerie et du paysage en chiffres :

  • 52 000 entreprises représentées ;
  • plus de 100 professionnels bénévoles ;
  • 3 collèges : production, commercialisation et paysage ;
  • 10 fédérations professionnelles membres.

Les collectivités territoriales ont-elles conscience de l’importance de réintroduire le végétal en ville ?

Nous notons un véritable engouement des collectivités, nous travaillons avec l’AMF, France urbaine, les intercommunalités, les associations d’élus. Notre nouveau ministre, Christophe Béchu, l’ancien maire d’Angers, première ville de France en matière de renaturation, entend notre message. Lorsque le Gouvernement annonce que l’on doit végétaliser la ville, on sait que l’on a gagné la partie. En effet, l’État a annoncé un fonds de renaturation de 500 millions d’euros, cela atteste le travail réalisé depuis quinze ans autour de la cité verte. Cette démarche citoyenne européenne vise à faire prendre conscience de la valeur réelle du végétal, de l’aménagement du paysage et de la nature. Cela dit, il faut agir avec méthode et ne pas sacrifier au gadget. Il s’agit de concevoir des espaces végétalisés répondant aux besoins de fonctionnement des systèmes urbains.

  1. https://www.valhor.fr/developper-votre-activite/vegetaliser-les-territoires-pour-une-cite-verte/
  2. https://www.valhor.fr/
  3. L. n2014-110, 6 févr. 2014, visant à mieux encadrer l’utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national, dite « loi Labbé ».
  4. https://www.label-ecojardin.fr/
  5. « Une noue […] est une sorte de fossé peu profond et large, végétalisé, avec des rives en pente douce, qui recueille provisoirement de l’eau de ruissellement, soit pour l’évacuer via un trop-plein, soit pour la laisser s’évaporer (évapotranspiration) et/ou s’infiltrer sur place permettant ainsi la reconstitution des nappes phréatiques » ().
  6. Concours national qui récompense les collectivités, les entreprises et les particuliers pour leur aménagement paysager (https://www.lesvictoiresdupaysage.com/).
  7. https://www.paris.fr/pages/les-cours-oasis-7389
  8. D. n2022-762, 29 avr. 2022, relatif aux objectifs et aux règles générales en matière de gestion économe de l’espace et de lutte contre l’artificialisation des sols du schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires, et D. n2022-763, 29 avr. 2022, relatif à la nomenclature de l’artificialisation des sols pour la fixation et le suivi des objectifs dans les documents de planification et d’urbanisme.
  9. https://www.lesvictoiresdupaysage.com/portfolio-item/renovation-du-quartier-du-ramponneau/
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