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Les Jeux de Paris 2024 : un enjeu fondamental pour l’action publique et la démocratie française

Célébration des JOP 2024 sur la Seine à J-365
©Paris 2024
Le 18 janvier 2024

En tant que premiers Jeux de l’ère post-covid-19, Paris 2024 sera scruté de près. Avec comme devise « Ouvrons grand les Jeux », ces Jeux se doivent d’être exemplaires, les plus ouverts possibles et à impact. L’ampleur de ce défi impose de nous mobiliser collectivement pour être à la hauteur de l’ambition.

« La vie est belle parce que la lutte est belle – non la lutte ensanglantée, fruit de la tyrannie et de ses passions mauvaises, celles qu’entraînent l’ignorance et la routine – mais la sainte lutte des âmes cherchant la vérité, la lumière et la justice. »

Ainsi s’exprimait le baron Pierre de Coubertin, rénovateur du mouvement sportif moderne, qui eut l’idée de relancer à Athènes en 1896 les Jeux olympiques disparus pendant quinze siècles. C’est dans son pays natal que pour la troisième fois, après les éditions de 1900 et 1924, aura lieu cet événement mondial majeur qui devrait rassembler 15 000 athlètes et être suivi, entre juillet et septembre 2024, par 13 millions de spectateurs et 4 milliards de téléspectateurs.

En tant que premiers Jeux de l’ère post-covid-19, Paris 2024 sera scruté de près. Comme le prédit Tony Estanguet, président du comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques (JOP), « il y a une telle attente, un tel engouement, que, de toute manière, on ne pourra pas satisfaire tout le monde ». Les motifs de satisfaction et de mécontentement seront faciles à trouver : du déficit au prix des billets, en passant par le nombre de médailles rapportées, la responsabilité de la nation française au sens large sera évaluée. Et ce d’autant plus que la devise de Paris 2024, « Ouvrons grand les Jeux », scande la promesse de Jeux accessibles, populaires, inclusifs et modernisateurs, du pays comme de l’action publique. Pour tenir cette promesse, les Jeux de Paris 2024 se doivent d’être exemplaires, les plus ouverts possibles et à impact.

L’exemplarité au centre des attentions

Les Jeux de Paris 2024 ne se limitent pas à une simple compétition sportive, ils sont aussi et surtout le reflet d’un pays et sa projection à l’échelle mondiale.

Il en découle la nécessité d’être exemplaires. Le concept d’exemplarité remonte justement à la Grèce antique qui a inventé les Jeux olympiques, et en particulier aux écrits de Platon pour qui des formes idéales existent au-delà du monde sensible et imparfait que nous percevons. Ces formes idéales servent de modèles auxquels les individus aspirent pour s’y conformer. Appliquée aux JOP, l’exemplarité de ces formes idéales se niche dans de multiples endroits, au premier rang desquels l’éthique, le respect des collaborateurs et des deniers publics.

Les Jeux de Paris 2024 ne se limitent pas à une simple compétition sportive, ils sont aussi et surtout le reflet d’un pays et sa projection à l’échelle mondiale.

Les Jeux n’ont pas été épargnés par les scandales dans le passé. Les JOP d’hiver de 2002 à Salt Lake City ont été entachés par des pots-de-vin impliquant des membres du Comité international olympique (CIO) et des organisateurs locaux. Des accusations de corruption ont également été rapportées lors de l’attribution des JOP de Rio de Janeiro en 2016. Et l’organisation des Jeux de Paris 2024 n’est pas non plus exempte de tous soupçons s’agissant du respect des règles éthiques. Les perquisitions organisées au siège du comité d’organisation par l’agence française anti-corruption ont réveillé le spectre de Jeux corrompus. D’où l’importance renouvelée de mettre en place des mesures visant à garantir l’intégrité tout au long de la préparation et du déroulement des Jeux. Le comité d’organisation s’est ainsi doté d’un comité d’éthique, présidé par Jean-Marc Sauvé, d’une charte éthique, de modules de formation et de sensibilisation des parties prenantes et fait l’objet de contrôles réguliers.

Les JOP sont également sous le feu des projecteurs s’agissant du respect des normes sociales et de travail. Des milliers de collaborateurs, auxquels s’ajoutent des milliers de bénévoles, contribuent au bon déroulé des Jeux. Les JOP de Londres en 2012 sont les premiers à s’être démarqués par leur engagement en la matière. En lien étroit avec les organisations syndicales et des non gouvernementales (ONG), le Comité d’organisation britannique a adopté une charte sociale ambitieuse visant à garantir des conditions de travail justes, à promouvoir la diversité et l’inclusion, et à respecter les droits des travailleurs tout au long de la préparation des Jeux. Sur le même modèle, Paris 2024 s’est doté, dès l’été 2018, d’une charte sociale signée par les cinq principaux syndicats de salariés, le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) et la Société de livraison des ouvrages olympiques (SOLIDEO). Il en est ressorti des ambitions fortes en matière de recrutement et d’attribution de marchés publics aux petites structures et aux personnes éloignées de l’emploi. Un contrôle a posteriori sera nécessaire pour attester le respect de ces engagements.

L’exemplarité se doit, enfin, d’être budgétaire. Pour remporter l’attribution des Jeux, les pays hôtes sont incités à minorer les coûts d’organisation estimés dans la phase de candidature. Jusqu’à présent, les budgets des différentes éditions olympiques ont toujours été largement dépassés, avec un taux de sur-exécution budgétaire moyen de 179 % entre les éditions de 1960 et 2012. À ce stade, il est prévu que le budget d’ores et déjà réévalué des Jeux de Paris 2024 atteigne près de 9 milliards d’euros, dont 4,4 milliards d’euros portés par le comité d’organisation des Jeux et 4,4 milliards d’euros par la SOLIDEO pour les infrastructures. Pour être redevable vis-à-vis des contribuables, il est crucial que ce budget soit étroitement contrôlé, comme le prévoit la mission attribuée par le Parlement français à la Cour des comptes.

L’acceptabilité sociale, un enjeu crucial

Au-delà de leur exemplarité, le défi des Jeux de 2024 est de créer les conditions d’une fête populaire, qui ne soit pas qu’élitiste. L’acceptabilité sociale des Jeux est un enjeu crucial pour le pays organisateur. En règle générale, plus la date des olympiades se rapproche, moins la population du pays organisateur y est favorable. En 2017, 84 % 1 des Français se déclaraient favorables à l’organisation des olympiades en France, alors qu’en août 2023 près de la moitié (48 %)2 des Français faisait preuve d’indifférence par rapport aux Jeux. 32 % 3 d’entre eux faisaient même preuve de scepticisme, inquiets pour la sécurité, l’accueil des touristes et les transports. Si ce phénomène n’est pas spécifique aux Jeux de Paris et que l’engouement devrait revenir au moment des Jeux – « rien ne sert de courir, il faut partir à point » –, il est toutefois important de répondre dans les prochains mois aux craintes de la population.

L’acceptabilité sociale des Jeux est un enjeu crucial pour le pays organisateur. En règle générale, plus la date des olympiades se rapproche, moins la population du pays organisateur y est favorable.

Paris 2024 s’est évertué à créer un lien étroit entre le public, les sportifs et les Jeux. Le Club Paris 2024, plateforme lancée par le comité d’organisation pour mobiliser le public avant les Jeux, a par exemple été un franc succès. Avec déjà plus de 4 millions d’abonnés, il donne aux sportifs amateurs un accès direct aux sportifs de haut niveau, aux évènements et aux informations liées aux Jeux. L’inclusion de tous les territoires est un autre facteur clé de mobilisation collective. Entre son départ à Marseille le 8 mai 2024 et son terminus le 26 juillet à Paris, la flamme olympique parcourra plus d’une soixantaine de territoires en France. Si Paris et la Seine-Saint-Denis accueilleront la plupart des épreuves, d’autres collectivités ont été recensées pour décentraliser l’organisation des Jeux. Ainsi, 780 centres de préparation aux Jeux seront référencés d’ici 2024 pour engager 415 collectivités territoriales labellisées « Terre de Jeux 2024 ».

Si la fête populaire sera très certainement au rendez-vous, la démocratisation telle qu’elle avait été affichée n’est toutefois pas assurée. Tout d’abord, la « billetterie populaire » a été source d’incompréhensions et de déceptions. Le volume de places est incontestablement ambitieux, avec 1 million de billets proposés à la vente à 24 euros, sur un total de 14 millions de billets. Des billets sont également proposés gratuitement par l’État et les collectivités territoriales à différents publics, dont des jeunes, des agents publics de catégorie B et C et des bénévoles. Seulement, cette série d’annonces repose sur plusieurs ambiguïtés. La première est que la présentation des chiffres n’est pas claire. Ainsi, une partie du million de billets à 24 euros est réservée aux acteurs publics. Une seconde interrogation réside dans le choix de distribuer une majorité de ces billets « bas prix » pour les Jeux paralympiques, alors qu’ils ne représentent qu’un quart du total des billets. Cela risque de contribuer à renforcer l’image de « vrais » Jeux olympiques, qui restent inaccessibles, par opposition aux Jeux paralympiques « au rabais ». Enfin, la possibilité d’accéder à des compétitions prestigieuses, aux sports les plus recherchés ou aux finales via la billetterie populaire ne semble pas prévue. À cela, s’ajoute évidemment la question du prix du logement et du transport. Le visage accessible des Jeux devait également s’incarner dans la gratuité des transports en commun pour les spectateurs. Après estimation du coût de la mesure, la région d’Île-de-France a finalement choisi de presque doubler les prix des transports (tickets de métro à 4 euros) pendant toute la durée des Jeux. Cette nouvelle tarification diverge des objectifs de démocratisation annoncés.

Quel héritage matériel et immatériel ?

Finalement, quelles traces – physiques et mémorielles – les Jeux de Paris laisseront-ils aux villes organisatrices et à la population ? Comment associer une mémoire collective heureuse aux olympiades de Paris 2024 ? Une trace laisse par nature des marques visibles, physiques et matérielles. Du fait de son existence, elle nous rappelle un passé qui nous est plus ou moins agréable. La gestion des JOP – qui laissera inévitablement des « traces » aux villes françaises accueillant les Jeux ainsi qu’à leurs populations – s’inscrit donc dans l’impératif pour l’État, ses collectivités et les organisateurs des Jeux, de prendre en compte, mesurer et surveiller les impacts des Jeux aujourd’hui et dans le futur.

L’héritage des Jeux se mesure tout d’abord par les infrastructures construites, et la capacité à les utiliser dans le temps.

L’héritage des Jeux se mesure tout d’abord par les infrastructures construites, et la capacité à les utiliser dans le temps. Dans l’histoire des Jeux, les installations sportives et villages olympiques laissés désormais à l’abandon (les fameux « éléphants blancs » de Sotchi, Rio de Janeiro ou Grenoble, si coûteux qu’ils apportent à leurs propriétaires la gloire puis la ruine) sont légion. Ils sont les vestiges d’inacceptables gâchis économiques mais également sociaux, environnementaux et politiques. Au contraire, souvent cités comme exemple de Jeux réussis, les Jeux de Barcelone ont permis d’accélérer les transformations urbaines de la ville et de changer plus largement l’image d’un pays encore marqué par le franquisme. Ces Jeux ont permis à Barcelone de se repositionner comme une métropole attractive et touristique. Outre les infrastructures sportives, les Jeux ont permis d’améliorer le réseau de transports de la ville et de rénover le Poble Nou, un quartier désindustrialisé choisi comme emplacement du village olympique. La durabilité est donc devenue un élément essentiel de l’héritage des Jeux. Dans le cadre des Jeux de Paris, la question de la durabilité ne concerne qu’un faible nombre d’infrastructures, 95 % des infrastructures sportives étant déjà existantes. Toutefois, le suivi dans le temps de la reconversion de ces infrastructures sera nécessaire. À titre d’exemples, l’accessibilité pour tous du centre aquatique construit à Saint-Denis, ainsi que la reconversion des logements du village olympique de Saint-Ouen en logements locatifs sociaux, participeront à la durabilité telle que souhaitée et affichée par les organisateurs des Jeux de Paris.

Ne voir dans les Jeux qu’un moyen d’aliénation des masses, c’est refuser aux Jeux ce qu’ils ont d’émancipateur. La notion d’héritage traduit précisément la volonté collective de faire du sport un outil de transformation sociale, au-delà d’être seulement un outil de spectacle générateur d’exploits éphémères.

Pour la première fois, l’héritage se mesurera également par l’empreinte environnementale des Jeux, évènement mondial générateur d’une forte pollution. Pour Paris 2024 – et dans le respect des engagements climatiques français et européens – limiter l’impact des Jeux sur l’environnement et la biodiversité est essentiel. Paris 2024 a annoncé vouloir « réduire de moitié les émissions liées à l’organisation des Jeux, et compenser plus d’émissions que nous n’en émettons », marquant une rupture historique par rapport aux précédentes éditions. Si l’ambition répond aux attentes de la population et aux engagements politiques français, les méthodes de compensation carbone présentées comme des solutions par Paris 2024 restent fragiles, peu standardisées et peu robustes scientifiquement. De même, certaines initiatives questionnent. Il en est ainsi de la tour pour les juges des épreuves de surf en Polynésie française dont l’impact sur la biodiversité lagunaire inquiète. Il sera impératif que le comité de transformation écologique des Jeux rende compte de manière indépendante, transparente, précise et publique du respect (ou non) des engagements climatiques pris.

Enfin, l’héritage de Paris 2024 dépendra bien sûr de l’engouement suscité pour la pratique sportive. Plusieurs initiatives ont été lancées pour l’encourager dès le plus jeune âge. Il en est ainsi des trente minutes d’activité physique quotidienne à l’école primaire, du label « Générations 2024 » pour les collèges et lycées et du Pass’sport qui encourage financièrement les jeunes de moins de 30 ans à se licencier dans une discipline sportive. Il n’en reste pas moins que l’engouement sera proportionnel au nombre de médailles et au succès de la France à l’été 2024. Si l’objectif initialement affiché par le président de la République de 80 médailles est tenu, il ne fait aucun doute que de nombreuses vocations sportives émergeront dans le pays.

« Du pain et des jeux », écrivait Juvénal dans ses Satyres pour se moquer du peuple qui, satisfait par le divertissement, se désintéresserait de la vie de la cité. Ne voir dans les Jeux qu’un moyen d’aliénation des masses, c’est refuser aux Jeux ce qu’ils ont d’émancipateur. La notion d’héritage traduit précisément la volonté collective de faire du sport un outil de transformation sociale, au-delà d’être seulement un outil de spectacle générateur d’exploits éphémères.

Pour la première fois, l’héritage se mesurera également par l’empreinte environnementale des Jeux, évènement mondial générateur d’une forte pollution.

Paris 2024 porte l’ambition de bâtir un nouveau modèle de Jeux exemplaires, durables et solidaires et donner une nouvelle place au sport dans la société. L’avenir ne nous appartient pas, il est encore difficile d’anticiper la relation qu’entretiendront les Français avec les Jeux de Paris 2024. La hauteur du défi impose en revanche de nous mobiliser collectivement pour être à la hauteur de l’ambition.

L’héritage matériel des Jeux de Paris 2024 – Les chiffres clés4

95 % d’infrastructures sportives existantes ou temporaires pour les Jeux de paris 2024 ;

30 maîtres d’ouvrage publics et privés ;

100 % des aménagements pérennes des Jeux légués aux habitants après 2024 ;

15 communes concernées ;

Près de 70 ouvrages olympiques construits ou rénovés par la SOLIDEO ;

20 équipements publics et sportifs de proximité rénovés en Île-de-France ;

25 bassins programmés dans toute la région (rénovés ou construits) ;

4 groupes scolaires construits ;

Environ 4 000 logements créés en Seine-Saint-Denis (village des athlètes + village des médias).

  1. Institut Montaigne, Jeux olympiques de Paris 2024 : près d’1 Français sur 2 indifférent et 1 sur 3 sceptique, étude, 2023.
  2. Ibid.
  3. Id.
  4. L’héritage matériel des Jeux de Paris 2024, dossier de presse, 2023, SOLIDEO, p. 12-13.
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